« Depuis des mois, les producteurs adhérents à la FNPHP qui vous fournissent, pépiniéristes, horticulteurs, rosiéristes, vivaciers, bulbiculteurs, créateurs de nouvelles variétés... constatent que leurs rangs s'éclaircissent et s'interrogent sur la manière dont les marchés sont parfois conçus, attribués et livrés. J'entends qu'ici les rabais sur catalogue ont un poids de 50 % au sein des critères d'attribution (et le prix 0 %), que là on encourage la course aux délais de livraison express au mépris de toutes les règles de développement durable, que parfois certaines collectivités croient acheter hors taxes en s'approvisionnant à l'étranger alors qu'elles paient la TVA, par un jeu d'écritures décalé dans le temps, certes, mais elles la paient quand même »... Le discours de Muriel Armand, vice-présidente de la FNPHP, lors du congrès des directeurs de jardins et espaces verts publics de Vichy, en septembre dernier, réitéré aux Assises du fleurissement de Belfort, début décembre, n'est pas passé inaperçu.
« On nous demande de mettre un critère de proximité dans les appels d'offres, explique Jacques Macret, vice-président de l'Association des directeurs de jardins et espaces verts publics, mais c'est impossible. Cela voudrait dire qu'une collectivité qui a une pépinière sur son territoire devrait forcément y acheter ses végétaux. Inutile donc de passer un appel d'offres ! »
Les collectivités, un débouché important et stable
D'ailleurs, la représentante de la FNPHP a bien conscience du problème. Elle part du constat que le marché des collectivités françaises « représente actuellement le plus gros débouché pour les producteurs de plantes européens. Une aubaine pour eux car ce marché ne souffre chez nous que de légères inflexions, rarement de baisses drastiques malgré les aléas de l'économie, preuve sans doute que le désir de plantes des électeurs reste assez constant. » Et Muriel Armand de poursuivre que « ce marché important, c'est vous qui l'attribuez, et nous savons que le filtre variable et contraignant des marchés publics ne vous facilite pas la tâche. (...) En France, les critères objectifs de proximité sont interdits par la jurisprudence ».
Tout le monde est donc d'accord : il n'est pas simple de passer un appel d'offres qui soit parfaitement conforme aux règles du marché. Ajouter une notion de provenance locale ne ferait que compliquer davantage les choses. Le code des marchés est même prévu pour éviter toute collusion entre le donneur d'ordres et le fournisseur.
La proposition de la représentante des producteurs a du coup de quoi interloquer : « Vous devrez bientôt privilégier par les moyens que vous jugerez compatibles avec le code des marchés publics les achats de végétaux dans vos territoires... Nous vous faisons confiance pour inventer les dispositions les plus intelligentes pour imiter en mieux les pratiques de nos amis situés au-delà des frontières. »
Une idée venue d'ailleurs...
C'est d'ailleurs là que le discours reprend une certaine cohérence. La contradiction apparente que constitue le fait de demander à un agent économique de faire une chose que l'on sait qu'il n'a pas le droit de faire trouve sa justification hors de nos frontières. Allemands et Néerlandais ont récemment promulgué des lois obligeant les collectivités à planter des végétaux issus des territoires où ils seront plantés. Une démarche qui ne date pas d'hier : « Au début des années 80, les maîtres d'ouvrage et les architectes allemands se plaignaient de ne pas trouver sur place les végétaux qu'ils recherchaient, explique Muriel Armand. Contraints par les lois de 1976 de se fournir dans les pépinières allemandes, ils les ont mandatées pour trouver en Hollande, en France et en Italie des végétaux de toutes tailles. Certaines pépinières françaises ont réalisé dans ces années-là jusqu'à la moitié de leur chiffre d'affaires à l'export. Leurs clients étaient des pépiniéristes allemands, voire hollandais qui revendaient à des pépiniéristes allemands. Ainsi “mandatés”, ces derniers vendaient leur production d'abord, puis faisaient le complément ailleurs. Ils réalisaient, en vidant leurs carrés, un maximum de marge sur leurs propres plantes et une petite marge sur l'achat-revente. Ils ont réutilisé ces marges pour mettre en place une large palette végétale qui les rend si puissants aujourd'hui. D'une production déficitaire en 1980, ils sont passés à une production excédentaire, financée en grande partie par la France. »
Un débat trop vaste pour un simple discours
Ce n'est pas tout. « Au début des années 90, les maîtres d'ouvrage et les architectes français se plaignaient de ne pas trouver sur place les végétaux qu'ils recherchaient, poursuit la vice-présidente de la FNPHP. Les producteurs de plantes ont entendu très souvent alors l'expression : “Il n'y a rien en France !” En effet, non seulement les ventes des années 80 avaient allégé les stocks en France, mais de nombreuses pépinières n'avaient pas réinvesti les sommes dans une production organisée et “moderne”. Bien que quelques grandes pépinières se soient constituées en France depuis, leurs clients ont pris l'habitude d'aller chercher au loin ce qu'ils ne trouvaient plus en termes de qualité et de quantité à proximité. Personne ne pouvait les en blâmer... »
On laissera à ceux qui ont connu le marché des années 70 à 90 le soin de juger cette vision de l'Histoire. En revanche, au-delà de la maladresse de l'approche (demander aux responsables de services publics de trouver des solutions à un problème qui n'est pas le leur en enfreignant la règle du jeu pourtant très claire que le législateur leur a donnée), le débat portant sur l'approvisionnement mérite d'être posé sur le fond. Le développement rapide de sources d'approvisionnement locales en légumes pour les cantines municipales en est un exemple qui fonctionne malgré les contraintes administratives. Et il n'est pas forcément illégitime de réclamer que l'argent public dépensé serve en priorité l'emploi local.
Mais le débat est bien plus vaste. Les écologistes plaident depuis longtemps pour une taxe carbone qui favoriserait les productions locales au détriment de ce qui est produit loin du lieu de consommation. Se pose aussi la contradiction de l'Europe qui exige des règles d'ouverture totale des marchés publics à la concurrence, alors que les règles du jeu entre les pays sont différentes... Enfin, les lois allemandes mises en avant par les pépiniéristes pour dénoncer le protectionnisme opéré outre-Rhin sont violemment dénoncées par... les pépiniéristes allemands eux-mêmes, au motif que leur but est de promouvoir des végétaux autochtones partout au nom de l'écologie et qu'il leur sera difficile de répondre à des marchés aussi restrictifs. Le problème n'est donc pas réductible à un rapide discours devant une assemblée peu à même d'y apporter des réponses concrètes !