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Dossier

Gestion des arbres urbains : davantage de matière grise et moins de peur bleue...

Dossier réalisé par Yaël Haddad - Le Lien Horticole - n°742 - mars 2011 - page 14

Des experts plus pointus, des outils mieux maîtrisés, une communication optimisée et des échanges d'expériences : voilà quatre atouts qui plaident en faveur d'une meilleure gestion de l'arbre en ville. Indispensable à l'heure du « risque zéro »...

La gestion des arbres d'ornement est devenue une préoccupation des collectivités territoriales. Les arbres constituent un atout pour l'introduction et la diversification de la nature en ville. La nécessité de développer une politique globale cohérente est souvent actée. Celle-ci s'accompagne d'un suivi régulier de l'état sanitaire et mécanique des arbres et d'une planification en amont des travaux d'entretien permettant le renouvellement et l'enrichissement du patrimoine.

La peur de l'accident n'est pas forcément très bonne conseillère...

Mais, trop souvent, la démarche est liée à la peur de l'accident. « L'approche sécuritaire a tendance à se renforcer », avait souligné Francis Kuen, responsable du département « arbres » de Strasbourg, lors des rencontres nationales de la SFA (Société française d'arboriculture, en septembre 2010 à Strasbourg, sur le thème « 20 ans de gestion du risque mécanique de l'arbre ». Ce phénomène a plusieurs origines. Les arbres peuvent atteindre de grandes dimensions et sont implantés sur l'espace public pour plusieurs décennies. Ils représentent les végétaux potentiellement les plus dangereux pour les biens et les personnes. La société est tournée vers un besoin de sécurité de plus en plus fort. Elle accepte mal les dommages liés à des événements tels que la chute d'un arbre, même s'ils sont la conséquence de catastrophes naturelles imprévisibles. Le recours aux tribunaux devient fréquent...

Il manque une réglementation précise sur le suivi des arbres

Même si les propriétaires d'arbres ont des responsabilités, il n'existe pas de réglementation précise qui formalise les modalités du suivi et du contrôle du patrimoine arboré, à l'image de ce que l'on trouve pour les aires de jeux.

C'est au professionnel de l'arbre de savoir quel principe de précaution appliquer. Pour limiter les risques de sanctions pénales en cas d'accident, le gestionnaire ne doit pas être pris en défaut de négligence. Le suivi sécuritaire doit être rigoureux, avec un niveau de traçabilité écrite élevé sans pour autant atteindre le risque zéro, qui ne peut être garanti car l'arbre est un être vivant dont le comportement est particulièrement difficile à prévoir, malgré les progrès réalisés ces vingt dernières années dans le domaine de la biomécanique et de l'analyse des risques. Les points les plus difficiles à appréhender sont la réalité de l'ancrage racinaire et l'aérologie locale.

Mieux protéger les arbres sur les chantiers permet d'avoir moins d'altérations...

On pourrait certes limiter les dangers liés aux arbres en les sécurisant sur les chantiers. En effet, les témoignages de gestionnaires lors du colloque de Strasbourg ont clairement montré que la majorité des problèmes de défauts mécaniques rencontrés sur les arbres d'ornement sont liés à des activités humaines sur l'espace public. Les travaux de voirie, les interventions sur les réseaux engendrent des blessures au niveau du collet et du système racinaire dont on ne mesure pas immédiatement les conséquences. L'évolution des dégâts est souvent difficile à suivre tant que l'on ne se trouve pas à un stade avancé de dégradation.

Il faut donc avoir recours aux méthodes de diagnostic de l'état mécanique des arbres et l'on ne peut que se féliciter qu'elles aient beaucoup progressé ces dernières années, avec des analyses beaucoup plus fines et précises mais dans le même temps les interprétations qui en découlent sont plus délicates. « Le partage d'expérience et l'utilisation croisée de différents matériels permettent de renforcer son jugement », explique Christophe Marx, en charge de la cellule « expertise » au sein du département « arbres » de Strasbourg. En sachant bien qu'au final, c'est à l'expert de conclure sur le devenir de l'arbre examiné, en tenant compte des mesures issues de ces outils, mais aussi du contexte environnant et des objectifs du gestionnaire.

La gestion du risque n'est pas une science exacte... Et lorsqu'un abattage est préconisé, les actions de communication auprès du public revêtent une grande importance pour un chantier sans heurts. L'expérience de la région Bruxelles Capitale est intéressante en la matière...

Parmi les outils les plus sophistiqués, le tomographe permet de mesurer la vitesse de propagation des ondes sonores ou la résistivité électrique du bois. Plus le nombre de capteurs est important plus la mesure est précise. Il est néanmoins dangereux de ne baser une expertise que sur une seule image de tomographie. PHOTO : YAËL HADDAD

Parmi les outils les plus sophistiqués, le tomographe permet de mesurer la vitesse de propagation des ondes sonores ou la résistivité électrique du bois. Plus le nombre de capteurs est important plus la mesure est précise. Il est néanmoins dangereux de ne baser une expertise que sur une seule image de tomographie. PHOTO : YAËL HADDAD

Cette opération d'expertise est réalisée à l'aide d'un marteau à ondes sonores, un outil basé sur le principe que les ondes sonores ne se propagent pas à la même vitesse selon la densité du matériau traversé. PHOTO : YAËL HADDA

Cette opération d'expertise est réalisée à l'aide d'un marteau à ondes sonores, un outil basé sur le principe que les ondes sonores ne se propagent pas à la même vitesse selon la densité du matériau traversé. PHOTO : YAËL HADDA

Le test de traction complète les autres méthodes de diagnostic mécanique et permet de vérifier la qualité de l'ancrage. PHOTO : YAËL HADDAD

Le test de traction complète les autres méthodes de diagnostic mécanique et permet de vérifier la qualité de l'ancrage. PHOTO : YAËL HADDAD

QTRA : une nouvelle analyse du risque

La méthode QTRA, analyse quantifiée du risque, a été présentée au colloque scientifique de la SNHF en mai dernier. Elle s'est développée en Grande-Bretagne depuis une dizaine d'années et a été introduite en France en 2010 par William Moore, responsable de l'Atelier de l'arbre (Dordogne). Le risque associé à un arbre est évalué en tenant compte des facteurs suivants : la probabilité de rupture mécanique de tout ou partie de l'arbre (fonction de la zone touchée par l'altération), la cible potentiellement concernée (biens et personnes publics ou privées), le potentiel d'impact (degré de gravité du dommage causé). Le produit de ces trois probabilités représente le risque de dommage significatif. La valeur de chacun des facteurs est calculée à partir d'abaques. Cette méthode permet d'attribuer une valeur numérique au risque et de la comparer à une valeur seuil fixée par le gestionnaire ou l'expert. Avec cette approche, c'est la cible qui dicte le niveau du risque acceptable et la nécessité d'intervenir ou non si la valeur seuil est dépassée. Dans certaines situations, il apparaît que la solution la plus appropriée consiste à déplacer la cible plutôt que d'intervenir sur l'arbre. « L'évaluation régulière du risque est indispensable dans une zone où le public est présent en grand nombre et lorsque des biens de valeur sont concernés. Mais elle ne s'avère pas nécessaire si l'arbre se situe dans un contexte isolé. Il s'agit de trouver un juste équilibre entre bénéfices et coûts inhérents à la réduction des risques, non seulement sur le plan financier mais aussi en terme de perte de valeur d'agrément pour l'arbre », souligne William Moore.

Le Point de vue de

<b>FRANCIS KUEN,</b> RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT « ARBRES » DE STRASBOURG (67)

« La fréquence de visite des arbres est différente selon leur état »

« À Strasbourg, la gestion et la prévention du risque est l'affaire d'une équipe spécialisée de 33 personnes regroupées au sein du département "arbres". Nous gérons 70 000 arbres, 20 000 en alignement à Strasbourg, 13 000 dans les 27 autres communes de la communauté urbaine, 14 000 dans les écoles, cimetières et terrains de sport et 23 000 dans les parcs et jardins. Nous avons fait le choix de confier la surveillance des arbres à deux catégories de personnes. La veille "permanente" est à la charge des agents de terrain. Ils effectuent une surveillance visuelle quotidienne et repèrent les anomalies les plus évidentes (branche morte ou cassée, dépérissement du feuillage, apparition d'un champignon). En complément, les experts en diagnostic réalisent les visites de sécurité. Ils évaluent l'état de dangerosité et le degré d'altération des zones fragilisées à l'aide de différents outils. Un rapport écrit assorti de préconisations de travaux est ensuite transmis au gestionnaire. La fréquence des visites est différente selon que les arbres sont classés dans la liste verte, orange ou rouge. Ce classement a été réalisé par la cellule expertise après une visite initiale. La liste verte correspond aux arbres sans risque apparent. Leur suivi se fait tous les quatre ans. La liste orange concerne ceux à risques qui nécessitent une visite de contrôle tous les deux ans. La liste rouge concerne le suivi annuel de ceux présentant des symptômes de dangerosité importants. La majorité de ces arbres (une cinquantaine) ont un caractère remarquable. Il existe aussi une liste complémentaire, la jaune, pour les sujets réputés sensibles à certaines saisons ou lors d'épisodes climatiques particuliers (coup de vent, neige abondante...). Après chaque événement météorologique exceptionnel, tous les arbres en listes jaune et rouge sont visités. Le suivi est conservé sur une base de donnée informatisée régulièrement mise à jour. Chaque arbre est répertorié à l'aide de données numériques et cartographiques. Notre objectif est de maintenir les arbres le plus longtemps possible, tout en assurant la sécurité du public et en tenant compte des aspects esthétiques et de la bonne gestion des deniers de la collectivité. »

Le Point de vue de

<b>JEAN-PAUL GRANDJEAN,</b> EXPERT AU SEIN DU BUREAU D'ÉTUDES ORÉADE-BRÈCHE (67), PRÉSIDENT DU GECAO, GROUPEMENT D'EXPERTS CONSEILS EN ARBORICULTURE ORNEMENTALE

« Une expertise à deux vitesses »

« Comment se formule la demande en matière d'expertise ?

Aujourd'hui, la tendance d'une expertise à deux vitesses se renforce. D'un côté on trouve des maîtres d'ouvrages qui se sont dotés de moyens humains et techniques pour réaliser les diagnostics les plus courants. Pour eux, la nécessité de suivre régulièrement le patrimoine arboré est une démarche acquise. L'expert extérieur n'est sollicité que pour des diagnostics très délicats, faisant appel à des techniques pointues comme les tests de traction, la tomographie ou des analyses phytosanitaires poussées. Cette catégorie de collectivités reste encore minoritaire. L'autre catégorie regroupe les maîtres d'ouvrages qui ont peu de connaissances dans le domaine du diagnostic. Ils demandent des expertises de routines, essentiellement pour se couvrir d'un point de vue juridique. Cependant, il faut reconnaître qu'ils évoluent progressivement vers une approche de gestion raisonnée, ce qui est un point positif. Cette évolution concerne des communes de taille moyenne mais aussi des petites communes rurales, lorsque les élus sont ouverts d'esprit.

Que vous apporte l'évolution des outils de diagnostic ?

Pour répondre à la demande des clients les plus avertis, les bureaux d'études doivent être à la hauteur, ce qui implique d'investir dans les nouvelles technologies et de mettre à jour ses connaissances par la formation. Néanmoins, vu les coûts d'investissement pour les matériels les plus sophistiqués (tomographe, test de traction), il n'est pas envisageable de posséder toute la "panoplie". D'autant que ces outils ne sont pas utilisés pour la majorité des diagnostics réalisés par un bureau d'études. Les diagnostics courants sont faits le plus souvent sur la base d'une analyse visuelle avec en complément un marteau et un résistographe. De plus, il faut bien garder à l'esprit que ce ne sont que des outils d'aide à la décision. Au final, c'est l'expert qui émet un avis argumenté en fonction de l'analyse des données issues de ces outils, du contexte environnant et des objectifs du gestionnaire. Ce qui est donc indispensable, c'est d'intégrer l'utilisation de ces matériels dans une approche globale de l'arbre, en tant qu'élément de l'espace urbain. De plus en plus de services techniques développent des approches moins cloisonnées.

Quelles sont les "limites" de ces matériels ?

Ces outils permettent de caractériser différents types de défauts : qualité du bois, présence de cavités, résistance au vent... De ce point de vue, la technologie a permis de progresser.

Le revers de la médaille est l'extrême sensibilité des appareils et la difficulté d'interpréter les données recueillies. Il est illusoire et même dangereux de ne baser son expertise que sur une seule image de tomographie par exemple. En revanche, les données sous forme d'images ou de graphiques sont utiles pour dialoguer avec les élus ou le grand public. Elles sont plus parlantes que des chiffres. »

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