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Technique

Quel est votre diagnostic ? C'est la cicadelle pruineuse

Par Pierre Aversenq, expert arboricole - Le Lien Horticole - n°748 - avril 2011 - page 14

DÉTECTION

La présence de la pellicule luisante et collante sur les feuilles basses des arbustes évoque d'importants écoulements de miellat. Ce liquide étant excrété par des insectes piqueurs suceurs phloephages (1), les recherches s'orientent vers un organisme appartenant à l'ordre des hémiptères. Le feutrage noir couvrant les feuilles et les écorces des branches correspond à la fumagine, un complexe de champignons saprophytes qui s'installe sur le miellat. L'observation au début de l'été des premiers adultes permet d'identifier l'espèce en cause. Il s'agit de la cicadelle blanche encore appelée cicadelle pruineuse ou flatide pruineux : Metcalfa pruinosa (Say). Cet insecte appartient à la famille des Flatidae.

DESCRIPTION DE L'INSECTE

Originaire du centre et de l'est du continent nord-américain, le flatide pruineux a été introduit accidentellement en Italie à la fin des années 70 (Trévise en 1979). Observé pour la première fois en France aux environs de Marseille en 1985, il s'est rapidement répandu sur la Côte d'Azur, a gagné progressivement le Sud-Ouest (Toulouse en 1999 et l'Aquitaine en 2001) puis est remonté vers le Nord par la vallée du Rhône (région lyonnaise en 2003). Il semble se disperser assez facilement de façon naturelle mais son introduction dans de nombreuses régions résulte probablement du transport de végétaux de pépinière. Les plants colonisés passent inaperçus, car les oeufs hivernants sont déposés à la fin de l'été dans les anfractuosités de l'écorce des rameaux de nombreux arbres et arbustes d'ornement.

Malgré son appellation commune de cicadelle blanche, l'insecte n'appartient pas à la famille des Cicadellidae, mais à celle des Flatidae. Les adultes de 7 à 9 mm de long et de teinte gris bleuté sont recouverts d'une fine pruine blanche. Leur tête plate possède deux yeux jaunes. Leurs ailes aux coins arrondis et disposées en toit portent quatre taches noires dans leur partie basale. Les larves blanches et aplaties mesurent d'un à sept millimètres selon le stade larvaire. Elles sont couvertes de filaments cireux produits par des glandes cirières disposées le long du corps et particulièrement abondantes à l'extrémité de l'abdomen. Les oeufs sont blancs et ovoïdes.

ÉLÉMENTS DE BIOLOGIE

Le cycle de développement de Metcalfa pruinosa ne comporte qu'une seule génération par an. Les oeufs sont pondus au cours des mois d'août et septembre dans les anfractuosités des écorces (une soixantaine d'oeufs par femelle). Les éclosions ont lieu l'année suivante, à partir du mois d'avril. Mais elles peuvent s'échelonner pendant toute la belle saison et les différents stades de l'insecte sont alors visibles simultanément. Les larves s'installent tout d'abord dans la partie basse des végétaux puis elles remontent progressivement pour coloniser les jeunes pousses en croissance ou le revers des feuilles. Le développement larvaire comporte cinq stades différents : trois stades larvaires et deux stades nymphaux. Les nymphes se caractérisent par la présence d'ébauches alaires. Lors de chaque mue larvaire, elles laissent sur place une exuvie (2) blanche qui se remarque sous les filaments blancs pelucheux. Très mobiles, les larves s'échappent facilement en sautant lorsqu'elles sont approchées. Les adultes généralement peu farouches apparaissant au cours du mois de juillet ne s'envolent que s'ils se trouvent fortement dérangés. Ils sont curieusement disposés en « file indienne » sur les rameaux. Équipé d'un stylet piqueur-suceur à tous les stades, l'insecte prélève dans les végétaux la sève élaborée dont il se nourrit. Il excrète des produits sucrés liquides qui se répandent autour de la végétation et au sol. Ce miellat activement recherché par les abeilles constitue un substrat apprécié par des champignons saprophytes, la fumagine.

LES ESSENCES ATTAQUÉES

Metcalfa pruinosa se caractérise par une très grande polyphagie : plus de 330 plantes hôtes identifiées à son actif ! Cependant, elle apprécie plus particulièrement certains végétaux : l'érable champêtre (Acer campestris), l'orme champêtre (Ulmus minor), les mûriers (Morus sp.), les platanes (Platanus × acerifolia), les saules (Salix sp.), les Pyracantha, les Cotoneaster, les Pittosporum... Certaines plantes cultivées peuvent être également fortement infestées : la vigne, le pêcher et l'abricotier, le kiwi, le figuier, les agrumes, le framboisier et le cassissier, l'aubergine, le soja, le tournesol... Dans les milieux naturels, ses cibles privilégiées sont le roncier (Rubus fruticosus) et les parterres d'ortie (Urtica dioica).

CONSÉQUENCES DES ATTAQUES DE L'INSECTE

Bien qu'affaiblis, les végétaux colonisés ne sont généralement pas inquiétés. Ils peuvent être fortement dépréciés en raison des excrétions de cire blanche qui s'accumulent, d'une production importante de miellat et de la présence de fumagine formant une pellicule noire charbonneuse sur le feuillage. Dans les jardins et les espaces verts, les écoulements de miellat et les salissures procurent des gênes et des situations d'inconfort.

En revanche, la présence de Metcalfa pruinosa dans nos régions enchante les apiculteurs. Dans le sud-est de la France, les sites fortement attaqués constituent des lieux de transhumance recherchés par les professionnels. Friandes de ce miellat abondant en période estivale, les colonies d'abeilles fréquentent activement les plantes infestées. Elles confectionnent alors un miel sombre et liquide peu sucré au goût relevé, commercialisé sous l'appellation de miel de Metcalfa. C'est le seul miel qui porte le nom d'un insecte et non celui d'une fleur.

<p>(1) Se dit d'organismes se nourrissant du phloème des plantes.</p> <p>(2) Enveloppe chitinisée du corps de l'insecte retirée lors de chaque mue.</p>

Les symptômes observés

Des massifs d'arbustes particulièrement denses        Dans une ville du sud-ouest de la France, un parc ancien créé à la fin du XIXe siècle est ouvert au public et de nombreux riverains le fréquentent. De très grands arbres procurent un ombrage apprécié en été et des massifs d'arbustes d'essences variées et particulièrement denses se remarquent. Pendant des décennies, ces ensembles ont été régulièrement taillés et maintenus dans des gabarits et des formes établies mais, depuis peu, les interventions sont allégées et une « taille différenciée » selon les espèces est mise en oeuvre par les jardiniers. Les houppiers des arbustes étant étroitement imbriqués, il devient difficile de pénétrer dans ces massifs. PHOTOS : PIERRE AVERSENQ

Des massifs d'arbustes particulièrement denses Dans une ville du sud-ouest de la France, un parc ancien créé à la fin du XIXe siècle est ouvert au public et de nombreux riverains le fréquentent. De très grands arbres procurent un ombrage apprécié en été et des massifs d'arbustes d'essences variées et particulièrement denses se remarquent. Pendant des décennies, ces ensembles ont été régulièrement taillés et maintenus dans des gabarits et des formes établies mais, depuis peu, les interventions sont allégées et une « taille différenciée » selon les espèces est mise en oeuvre par les jardiniers. Les houppiers des arbustes étant étroitement imbriqués, il devient difficile de pénétrer dans ces massifs. PHOTOS : PIERRE AVERSENQ

L'apparition d'épanchements laineux et cotonneux        Depuis quelques années, au cours du printemps, des filaments cotonneux blancs apparaissent sur les jeunes pousses et au revers de feuilles. Initialement localisés à quelques tiges éparses à la base des plantes, ces amas cotonneux semblent se répandre et gagnent les pousses les plus hautes. À la fin du printemps, peu d'arbustes sont épargnés.

L'apparition d'épanchements laineux et cotonneux Depuis quelques années, au cours du printemps, des filaments cotonneux blancs apparaissent sur les jeunes pousses et au revers de feuilles. Initialement localisés à quelques tiges éparses à la base des plantes, ces amas cotonneux semblent se répandre et gagnent les pousses les plus hautes. À la fin du printemps, peu d'arbustes sont épargnés.

Sous les amas cotonneux, des organismes sauteurs        En dégageant les branches pour réaliser les travaux d'entretien, les jardiniers sont surpris par des sauts en « tous sens » de petits organismes blancs évoquant de minuscules sauterelles. Ils proviennent de ces amas blancs pelucheux qui sont agglomérés sous les jeunes feuilles ou qui pendent le long des jeunes pousses tendres.

Sous les amas cotonneux, des organismes sauteurs En dégageant les branches pour réaliser les travaux d'entretien, les jardiniers sont surpris par des sauts en « tous sens » de petits organismes blancs évoquant de minuscules sauterelles. Ils proviennent de ces amas blancs pelucheux qui sont agglomérés sous les jeunes feuilles ou qui pendent le long des jeunes pousses tendres.

Des feuilles et des rameaux collants et couverts d'un feutrage noir        Les feuilles basses des arbustes les plus atteints sont couvertes d'une fine pellicule brillante et nettement collante au toucher. Sur les rameaux anciens et les branches, un feutrage charbonneux noir recouvre parfois les écorces.

Des feuilles et des rameaux collants et couverts d'un feutrage noir Les feuilles basses des arbustes les plus atteints sont couvertes d'une fine pellicule brillante et nettement collante au toucher. Sur les rameaux anciens et les branches, un feutrage charbonneux noir recouvre parfois les écorces.

Le coupable

Metcalfa pruinosa        L'observation au début de l'été des premiers adultes permet d'identifier la cicadelle pruineuse ou flatide pruineux : Metcalfa pruinosa.

Metcalfa pruinosa L'observation au début de l'été des premiers adultes permet d'identifier la cicadelle pruineuse ou flatide pruineux : Metcalfa pruinosa.

MÉTHODES DE LUTTE

Suspension de parasitoïdes        « Nid » regroupant des cocons de Neodryinus typhlocybae installé dans un arbuste infesté par Metcalfa.

Suspension de parasitoïdes « Nid » regroupant des cocons de Neodryinus typhlocybae installé dans un arbuste infesté par Metcalfa.

Cocon de Neodryinus typhlocybae        Le parasitoïde y passe l'hiver, puis se nymphose au printemps.

Cocon de Neodryinus typhlocybae Le parasitoïde y passe l'hiver, puis se nymphose au printemps.

La lutte chimique mise en place au début des infestations a rapidement montré ses limites : résistance de l'insecte à certains insecticides (pyréthrinoïdes), difficultés d'atteindre les individus réfugiés au revers des feuilles et protégés par leurs épanchements cireux. À partir de 1996, une méthode de lutte biologique a été développée par l'Inra-Antibes (Alpes-Maritimes). Un micro-hyménoptère parasitoïde (1) de la famille des Dryinidae, Neodryinus typhlocybae, provenant de la région d'origine de Metcalfa pruinosa, a été sélectionné puis introduit en Europe par les Italiens. Il s'attaque à son hôte par prédation et parasitisme. Ainsi, les femelles se nourrissent directement des jeunes larves de cicadelles. Elles pondent également un oeuf sous leurs bourgeons alaires (2). Le parasitoïde éclôt s'installe dans une vésicule externe et se nourrit de l'hémolymphe (3) de son hôte jusqu'à le vider entièrement et le tuer. Par la suite, il confectionne un cocon ayant l'aspect d'une plaque nacrée sous la dépouille de la cicadelle et y passe l'hiver. La nymphose survient au printemps suivant.

Initialement réputé pour sa faible capacité à se disperser autour du point de lâcher (quelques dizaines de mètres par an seulement), Neodryinus semble aujourd'hui assez bien implanté dans l'aire de répartition du flatide. Un réseau de lâchers répartis dans tout le sud de la France a permis cette colonisation. Des opérations visant à installer ou à renforcer ses populations sont organisées dans de nombreuses communes où Metcalfa sévit. Des « nids » regroupant une quarantaine de cocons de Neodryinus sont suspendus aux branches d'arbustes fortement infestés au début du printemps.

Lors de ces actions, il est vivement recommandé de ne pas tailler les arbustes de l'espace vert pour ne pas éradiquer le précieux auxiliaire et bien entendu de s'abstenir de tout traitement insecticide. Dans certaines régions, des arrêtés préfectoraux réglementent ces lâchers. La régulation naturelle se met progressivement en place avec un accroissement du taux de parasitisme de 5 à 10 % par an et une dispersion autour du point de lâcher de l'ordre de 400 m. Ainsi, en trois ou quatre ans, les attaques de Metcalfa pruinosa reviennent à un niveau supportable.

(1) Organisme vivant aux dépens d'un hôte qu'il tue systématiquement.

(2) Légères protubérances sur le thorax de l'insecte correspondant aux ébauches d'ailes.

(3) Liquide imbibant le corps de l'insecte qui transporte les différents métabolites.

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