L'Arexhor-Pays de la Loire (Les Ponts-de-Cé, 49) étudie depuis 2007 l'emploi des plantes-pièges sur différentes cultures ornementales sous abri, notamment le poinsettia, plante particulièrement sensible à l'aleurode du tabac Bemisia tabaci. Cette méthode de lutte offre de bons résultats dans les conditions d'essai, et aussi en production. Pratique répandue depuis plusieurs années en culture sous abri au Canada, elle consiste à attirer les ravageurs sur une plante plus sensible que la culture à protéger, pour ensuite les gérer spécifiquement (lâcher d'auxiliaire, effeuillage...). Alain Ferre, directeur technique de l'Arexhor-Pays de la Loire, soulève un prérequis important pour assurer l'efficacité de la méthode : « Les ravageurs ciblés doivent avoir une forte mobilité et être polyphages. » Les nuisibles types sont les aleurodes, les thrips, ou encore certains pucerons à un moment précis de leur cycle.
1 DES PLANTS D'AUBERGINE PARMI LES POINSETTIAS
Les plants d'aubergine (Solanum melongena) disposés dans une culture d'Euphorbia pulcherrima attirent les aleurodes. Les ravageurs s'y reproduisent en priorité plutôt que sur les poinsettias. L'Arexhor-Pays de la Loire a déterminé en 2010 en partenariat avec le lycée du Fresne (Angers) les variétés les plus attractives parmi une vingtaine testées : 'Bonica', 'Avan', 'Liu Yé Qié', 'Monstrueuse de New York'. Les plants d'aubergine sont cultivés dans le même substrat et le même contenant que la culture. La fertilisation provoquant une forte croissance de l'aubergine, il faut régulièrement la tailler et en retirer les fruits avant leur pourrissement. Un maillage en quinconce de 5 à 10 pieds d'aubergine pour 1 000 m² suffit en cas de pression parasitaire faible ou moyenne. En cas de forte pression, augmenter la densité.
Les plantes-pièges permettent une détection précoce de la présence du ravageur. Elles améliorent l'efficacité de la lutte biologique en « concentrant » les aleurodes sur leurs feuilles. Il suffit ensuite de focaliser les lâchers d'auxiliaires prédateurs ou les traitements chimiques (attention à la capacité des aleurodes à devenir rapidement résistants aux produits chimiques) sur les plants d'aubergine. Une autre solution consiste à renouveler les plantespièges. Selon l'Arexhor-Pays de la Loire, les aubergines permettent un contrôle efficace des aleurodes en culture de poinsettia, en particulier de Bemisia tabaci, organisme de quarantaine résistant aux produits phytosanitaires et contre lequel la lutte biologique est difficile. La technique permet de réduire le coût de la protection biologique intégrée (PBI) en réduisant l'ampleur des lâchers des auxiliaires prédateurs par leur focalisation sur les plantes-pièges. Différentes entreprises angevines l'utilisent avec succès depuis trois ans.
2 DES PLANTES-PIÈGES À GÉRER CORRECTEMENT
. « Il faut obligatoirement gérer les plantes-pièges pour qu'elles ne deviennent pas des sources de ravageurs », avertit Alain Ferre. En effet, si elles concentrent les ravageurs, les plantes-pièges ne cassent pas leur cycle de production. Le producteur doit intervenir avant que le nuisible ne migre dans la culture. L'aleurode des serres Trialeurodes vaporariorum émerge sur les feuilles de la base du plant d'aubergine : un effeuillage régulier de ces feuilles permet d'évacuer les larves âgées. En revanche, Bemisia tabaci se répartit sur l'ensemble des feuilles. En PBI, placer un sachet d'Amblyseius swirskii par plant d'aubergine en début de production : l'acarien prédateur s'y installera préférentiellement, en consommant les oeufs et les jeunes larves d'aleurode. Renouveler le sachet tous les mois.
Les lâchers d'Eretmocerus mundus ou d'Eretmocerus eremicus seront réalisés dans la culture ; les hyménoptères parasiteront les pontes de Bemisia tabaci subsistantes. En cas de présence de Trialeurodes vaporariorum sur plant de poinsettia, effectuer un lâcher d'Encarsia formosa. Tous les sept à quatorze jours, vérifier la culture et les plantes-pièges. Renouveler les apports d'auxiliaires toutes les deux à quatre semaines : Amblyseius swirskii sur aubergine et hyménoptères parasitoïdes sur la culture. Si les plantes-pièges sont trop infestées ou en mauvaise santé, il faut les remplacer par de nouvelles exemptes de ravageurs, ce qui implique une petite production de plants d'aubergine en parallèle.
3 À LA RECHERCHE DES TRIOS GAGNANTS
Gérées rigoureusement, les plantes-pièges permettent de réduire le coût de la protection phytosanitaire. La technique, connue en maraîchage, commence à s'implanter en culture ornementale sous abri. Elle implique de choisir la bonne plante selon la culture à protéger et selon le ravageur à piéger : l'espèce choisie doit attirer le nuisible ciblé et être plus attractive que la plante cultivée. La plante-piège ne doit pas attirer d'autres ravageurs sur la culture. Par exemple, les essais de lutte contre les aleurodes en rose fleur coupée ont permis de vérifier que l'aubergine ne contamine pas la production en attirant les acariens. Par ailleurs, l'auxiliaire prédateur peut préférer la culture à la plante-piège et ne pas s'y implanter correctement : il faut alors opter pour l'effeuillage afin d'éliminer les ravageurs.
Selon l'Arexhor-Pays de la Loire, la méthode se révèle encourageante pour contrôler les aleurodes en rose fleur coupée, gerbera en pot et dipladénia. La station l'expérimente cette année en culture de céanothe. Elle recherche également des espèces qui permettraient d'attirer les thrips et les altises (des variétés de moutarde présenteraient une certaine efficacité).
Aux États-Unis et au Canada, différents « trios » sont expérimentés : les plants de tomate pour maîtriser les populations d'aleurode sur fuchsia ; le gerbera, la verveine ou encore des cultivars sensibles de chrysanthème pour le thrips Frankliniella occidentalis en culture de chrysanthème (les fleurs des plantes-pièges doivent fleurir avant celles de la culture)... Les plantes-pièges complètent la panoplie des plantes-outils à disposition de l'horticulteur : des plantes répulsives à l'extérieur de la culture pour éloigner les ravageurs ; des plantes indicatrices (*) pour détecter précocement les infestations ; des plantes-relais pour élever et nourrir les auxiliaires.
<p>(*) Par exemple, certains cultivars de pétunia utilisés pour repérer les infestations de thrips et les risques liés à l'Impatiens Necrotic Spot Virus INSV ou au Tomato Spotted Wilt Virus TSWV en cultures ornementales.</p>