« La France est dans la même posture qu'en 1930 (date de la création de nombreuses pépinières françaises) et son incapacité à faire face au marché européen ressemble à celle des Allemands et des Hollandais, peut-être des Italiens, au début des années 80.
La suppression des aides de FranceAgrimer est brutale et dramatique mais elle a le mérite de poser le problème clairement : ces aides ont-elles permis aux entreprises françaises de prendre durablement des parts de marché sur leurs concurrents (au moins autant aidés... d'ailleurs !) ? La réponse n'est pas clairement non (sauf exception) ! Les chiffres le montrent chaque année encore plus amèrement. Malgré des comptes d'exploitation calamiteux, des filières de formation implosées, des producteurs désorientés, l'essentiel est là : nous avons un grand marché horticole et paysager intérieur ; la solidité de la demande est certaine et les défis de la gestion de la biodiversité côté végétal ne seront pas des effets de mode...
Alors, que faire... On ne veut plus nous aider, soit ! Demandons une contrepartie à la puissance publique, elle ne peut la refuser sous peine de paraître plus ringarde que ses voisines et surtout pas “solidaire” de ses administrés. Mieux, faisons lui faire des économies dans le domaine du soutien du chômage et du financement de la protection sociale : soyons fous, créons des emplois horticoles en France plutôt que d'utiliser de l'argent public pour en créer ailleurs ! Agrandissons l'assiette de taxation, d'imposition et de cotisation ! Qui sait, on paiera peut-être moins d'impôts si on produit plus de richesses sur le territoire !
Nos professions ne peuvent plus bénéficier de la “dépense” publique sous forme de subventions ? Chiche, demandons à l'État et aux collectivités publiques de mobiliser leurs cadres pour organiser comme ils savent le faire (et comme dans presque tous les pays d'Europe) un vrai et juste protectionnisme offensif : frontières ouvertes, achats “fortement” conseillés aux pépinières françaises qui produisent réellement des végétaux en employant de vrais pépiniéristes salariés, cotisants, imposés et consommateurs. Faisons sauter la jurisprudence qui interdit tout critère de proximité dans les marchés publics, rejetons les offres moins-disantes et plus-disantes à l'ouverture des plis, donnons du sens à l'achat public pour le paysage. Rapprochons la ville de son territoire naturel, agrandissons et multiplions les pépinières, vrais parcs périurbains pour l'oxygénation des citadins, l'observation, la gestion concertée et la sauvegarde de la biodiversité...
Le protectionnisme défensif est dépassé et conduit à la guerre (39-45...). Il est donc méprisable et rarement source de progrès durables (Que reste-t-il des pépinières créées en 1929-1930 ?). Il est au demeurant interdit en Europe... La solidarité territoriale, elle, n'est pas punie par la loi ; c'est par ailleurs un puissant facteur de cohésion sociale dans les pays où elle existe. Elle est pratiquée assidûment journellement et avec profit en Hollande, en Allemagne et partout ailleurs. Elle est même parfois inscrite dans la loi sans que personne en Europe ne l'ait dénoncée... Elle détourne élégamment (et allégrement) la loi quand il s'agit de conserver l'argent public sur le sol qui le produit. La solidarité territoriale a permis la création de puissants bassins de production destinés à l'origine à produire bien d'autres richesses que des plantes... Elle a encouragé l'apparition de véritables clusters (Oldenbourg) ou les entreprises horticoles se hissent les unes grâce aux autres vers le haut, vers l'excellence, vers l'export aussi. L'écart entre le déficit français et les excédents allemands est colossal, mais mérité ; ils produisent, nous consommons. Cet écart s'est créé dans les crises, signe que le protectionnisme offensif est efficace. On ne veut plus nous aider ? Soit ! Utilisons l'argent de l'État et des collectivités territoriales pour financer par l'achat collectif la reconstruction durable d'une production horticole en France.
Enfin, comme en économie, le privé calque souvent ses usages sur la collectivité, les acheteurs du secteur marchand reviendront aussi avec préférence vers des entreprises françaises innovantes et performantes et capables de répondre à leurs exigences avec autant de pertinence que d'autres, capables de créer sur les territoires du pouvoir d'achat. Nos sociétés occidentales prennent un tournant : à force d'acheter du prix (et de la quantité jetable) en faisant travailler les autres ; il n'y a plus personne pour produire culturel et durable et même l'État cale pour exercer ses prérogatives... Nos achats auront plus de sens, de subtilités et d'avantages s'ils s'appuient sur une production territoriale. Cela va sans dire, mais c'est mieux en le disant. »