À Hyères (83), Jacky Bussone cultive du Gerbera en hors-sol douze mois sur douze, et du Strelitzia en pleine terre. Engagé dans une dynamique d'investissement pour faire évoluer son entreprise, il a installé en 2010 un système de récupération et de désinfection des eaux de drainage couplé à une gestion automatisée de la fertilisation. Après une année de recul, l'horticulteur s'avère pleinement satisfait. Désormais en circuit fermé, le gerbériste ne rejette quasiment plus d'effluents, tout en réalisant des économies.
Une obligation réglementaire environnementale est à l'origine de la démarche du producteur.
Ses serres se situent sur une zone vulnérable aux nitrates, délimitée en 1999 après la détection d'une pollution des eaux souterraines. Cette zone comprend cinq communes du littoral varois : La Crau, Le Pradet, La Garde, Carqueiranne et Hyères. Publié en septembre 2006, un arrêté préfectoral précise les mesures obligatoires et facultatives pour toute personne morale ou physique exerçant une activité agricole dans ce périmètre. Parmi ces mesures : l'interdiction de déverser les effluents de serre dans les fossés et puits perdus, et l'obligation de retraiter les eaux de drainage. Cependant, Jacky Bussone n'était pas prêt à passer le cap : « Depuis des années, je me disais que ça ne servait plus à rien d'investir, raconte le producteur. Et puis, je me suis aperçu que si je ne réagissais pas pour faire évoluer mon outil de production, le chiffre d'affaires allait continuer de baisser, et ce serait fini. » Cette remise en question qui le pousse à aller de l'avant, Jacky Bussone l'attribue en grande partie aux techniciens de Phila-Flor. Ce groupement de producteurs de fleurs coupées créé en 1980 apporte à ses adhérents suivi et conseil technico-économique. « Ce sont ces techniciens qui, à force d'explications et de sensibilisation, entraînent le changement de mentalité des producteurs », assure le gerbériste. Un changement profitable à Jacky Bussone et qui l'incite à investir dans un système de fertirrigation avec recyclage en avril 2010. « Jusqu'à maintenant, les contrôles s'effectuaient de manière pédagogique, sans sanction, sur quelques exploitations, précise Christophe Massel, technicien Phila-Flor. Mais ils deviennent désormais plus sévères et prendront un caractère systématique avec un contrôle annuel d'au moins 2 % des entreprises. L'installation de Jacky vient tardivement, mais elle a été bien réfléchie. »
Le Gerbera est une culture sensible au Phytophthora et à la fusariose.
« Avant de mettre en place une installation de recyclage, les producteurs voulaient être certains que cela n'allait pas augmenter la problématique phytosanitaire », se souvient Jacky Bussone. « Dès les années 2002-2003, les toutes premières installations de recyclage en entreprise dans la région ont été équipées d'appareils de thermo-désinfection. Malheureusement, deux établissements ont subi des pertes de récolte avec l'outil utilisé. » Quant aux techniques de désinfection aux ultraviolets ou à l'ozone, elles restaient trop coûteuses. Le Scradh testait depuis la fin des années 1990 la technique de chloration. Le premier test de désinfection en entreprise par ce procédé s'est révélé peu concluant, avec notamment des problèmes de phytotoxicité. Selon Christophe Massel, cette dernière pourrait être due aux chloramines, substances irritantes et nocives pour les plantes à fortes doses, formées par réaction du chlore avec des composés azotés. Le technicien relève la disparition du problème de phytotoxicité dès lors que les gerbéristes, qui cultivaient sur substrat hors-sol exclusivement à base de perlite, sont passés au substrat en fibre de coco au début des années 2000. En 2009, le Gaec Floralone (Vaucluse), adhérent au Scradh, a installé avec succès un système de désinfection au chlore gazeux. « De fait, les horticulteurs qui avaient opté pour la thermo-désinfection en viennent aujourd'hui au chlore », assure Jacky Bussone. Après quelques craintes liées à une possible interdiction du produit il y a deux à trois ans, « le chlore gazeux représente aujourd'hui la meilleure solution technique et économique de désinfection des solutions nutritives ». Christophe Massel relativise : « Il est vrai que ce procédé donne de bons résultats, mais il nécessite aussi plus de contrôles : tous les mois, nous réalisons un prélèvement de la solution désinfectée et l'envoyons au laboratoire pour une analyse bactériologique qui nous indique le niveau d'efficacité de la désinfection. » L'analyse coûte environ 11 euros TTC. Laurent Ronco, directeur du Scradh, station d'expérimentation varoise qui teste le chlore gazeux dans ses serres depuis 2000, ajoute : « Il faut vérifier régulièrement l'injection de chlore, pour des raisons de sécurité. »
En même temps que le système de recyclage et de désinfection, Jacky Bussone a installé un ordinateur de fertilisation.
« C'est un outil incomparable », avoue l'horticulteur, qui travaillait auparavant avec un système Dosatron à injection proportionnelle, et qui tolérait « une certaine imprécision ». Pour ce chef d'entreprise, « recycler et automatiser la fertirrigation apporte un gain de temps mais aussi un gain d'argent. Je réalise près de 40 % d'économie d'engrais ». Avec un poste engrais et phytosanitaire d'environ 18 000 euros HT – soit annuellement une trentaine de bacs d'engrais (1 000 l) de 500 à 550 euros –, l'économie est relativement conséquente. « Du coup, l'investissement global sera amorti en 2-3 ans rien qu'avec ces économies d'engrais. » L'ensemble de l'installation a coûté 26 000 euros HT au producteur, auxquels il faut retirer un peu moins de 40 % de subventions accordées dans le cadre de la circulaire serre, soit 9 500 euros (environ 20 % FranceAgriMer, 15 % conseil général, 5 % conseil régional). Sur le montant global de l'investissement, l'outil de fertilisation seul représente 11 000 euros HT.
Outre les économies d'engrais, l'horticulteur réalise environ 40 % d'économies d'eau. Le bénéfice financier reste secondaire pour Jacky Bussone, qui utilise l'eau du Canal de Provence à la fois de bonne qualité et bon marché (quelques centimes le mètre cube). Mais quantitativement, le résultat est là : l'irrigation nécessite 0,5 litre/plante/jour en moyenne sur l'année, soit environ 182 litres par plante et par an ; Jacky Bussone économise ainsi plus de 72 litres/plante et par an. Laurent Ronco soulève un autre avantage du recyclage : la possibilité de travailler en surdrainage (60 à 80 %), ce qui augmente la production car la plante ne rencontre jamais de stress hydrique et minéral. Enfin, le gerbériste a noté une amélioration de la qualité de ses fleurs en général mais également en période hivernale : « Avant d'installer la station de fertilisation, j'avais souvent, en période de jours courts, des tiges fines, creuses, un calibre de fleur plus petit à cause d'une mauvaise gestion de ma fertilisation et de mes apports en eau. »
Aujourd'hui, la solution de drainage est canalisée vers des bacs de 200 l positionnés dans chaque groupe de serres.
Collectée dans une cuve de drainage d'un mètre cube, elle est transférée dans un bassin de mélange, après chloration. L'injection de chlore s'effectue par surpression par l'intermédiaire d'un système bipass. La concentration de chlore libre actif dans la solution drainée désinfectée – à l'entrée du bassin – doit être alors de 4 ppm pour une désinfection efficace. À chaque arrivée de solution désinfectée dans le bassin, une électrovanne commande automatiquement l'injection d'eau du Canal de Provence, de sorte que le mélange comporte 50 % de drainage et 50 % d'eau claire. Un système de sécurité permet le remplissage du bassin à l'eau claire au cas où il n'y aurait pas suffisamment de retour de drainage. Au niveau de la station de fertilisation (marque Priva), la solution diluée est complétée avec de la solution nutritive mère de composition connue afin d'obtenir une conductivité de 2,4 mS/cm au goutteur. La station vérifie le pH (qui doit être suffisamment acide) et la conductivité du mélange en continu. Le bassin de recyclage a été dimensionné à partir des besoins en eau maximaux estimés sur la base du besoin estival des plantes : un litre par plante par jour avec un drainage de 50 %. Un volume de 9 m3 aurait suffi mais, pour un coût de transport équivalent, le producteur a opté pour un bassin de plus grande contenance (environ 16 m3).
Le chlore réagit avec les composés présents dans l'eau, or c'est le chlore actif libre essentiellement responsable de la désinfection. « Sa concentration dans le bassin doit approcher un objectif minimum de 2 ppm », précise Christophe Massel. Un colorimètre accompagné d'un abaque permet de vérifier cette concentration. L'équipement de chloration est un matériel Cifec (Compagnie industrielle de filtration et d'Équipement chimique, Neuilly-sur-Seine). Le groupe Gazechim (Béziers) fournit le producteur en bonbonnes de Cl2. « Une bonbonne de 15 kg coûte 290 euros HT et me dure environ huit mois », précise Jacky Bussone. « Attention, le chlore est un gaz nocif, il faut le moins de manipulations possibles, recommande le technicien Phila-Flor. Parmi les vérifications d'usage, il y a le contrôle annuel de la tête de chloration avec un joint à changer à chaque remplacement de bouteille. La détection de fuites s'effectue à l'aide d'un flacon d'ammoniaque (présence de fumerolle verte en cas de fuite). » Au Scradh, l'installateur réalise une inspection tous les 6 mois. « La révision totale (changement des tuyaux de gaz, joints...) réalisée en 2010 a coûté 910 euros TTC », précise Laurent Ronco.
La réutilisation de l'eau en circuit fermé peut entraîner une accumulation d'ions indésirables dans la solution.
Le gerbériste procède à une évacuation de son bassin à peu près tous les deux mois en irriguant sa culture de Strelitzia pleine terre. Cette évacuation, il l'effectue « à vue, selon l'aspect des plantes ». Mais c'est surtout en hiver que le renouvellement de la solution lui semble le plus nécessaire : « En période de jours courts, les facteurs limitants sont nombreux (température, lumière, longueur du jour...), la plante produit moins – 3 à 5 fleurs sur minigerbéra au lieu de 7 à 8 au printemps – et elle est plus sensible à son environnement », analyse Jacky Bussone.
« Nous sommes dans un processus de progrès », affirme Christophe Massel. Et Jacky Bussone semble bien engagé dans cette dynamique. Après avoir installé un ordinateur climatique, en bénéficiant de subventions du PVE (Plan végétal environnement), puis sa station de fertilisation avec recyclage, il envisage d'investir dans de l'éclairage photosynthétique déjà testé cette année sur 800 m². Le producteur, confronté à une augmentation de son poste phytosanitaire, commence également à s'intéresser à la protection biologique intégrée : « Cela a correctement fonctionné en 2010 avec un complément chimique en hiver ; l'aleurode Bemisia tabaci est resté difficile à gérer. »
Voilà une nouvelle aventure qui sera peut-être plus compliquée à mener pour Jacky Bussone, en quête d'un nouvel équilibre travail/vie familiale. « Au Scradh, les résultats de la PBI obtenus sur gerbera sont satisfaisants, mais cette technique nécessite un temps d'observation important et reste onéreuse », explique Christophe Massel. « En l'état actuel des choses, de tels coûts sont insupportables pour une exploitation. Nous avons besoin de plus de moyens et surtout d'un assouplissement de la réglementation concernant l'usage de nouveaux auxiliaires. »
Jacky Bussone (à gauche) a bénéficié du soutien technique de Christophe Massel, du groupement Phila-Flor, pour automatiser sa fertirrigation en circuit fermé. À gauche, la station de fertilisation Priva.
Culture de Gerbera en pain de fibre de coco compressée sur gouttière, avec récupération des eaux de drainage. Le recyclage mis en fonctionnement en avril 2010 a été stoppé en été à cause du risque de colmatage des goutteurs par les résidus de fibres de coco. L'horticulteur utilise désormais de la fibre de coco « extralavée ».
Au fond, la cuve de drainage, derrière les filtres à sable. En bas à droite, la petite pompe joue le rôle de surpresseur pour injecter le chlore. La bouteille de chlore gazeux se situe à l'extérieur (en vignette). À gauche, le bassin de mélange (solution de drainage désinfectée, eau du canal de Provence).
De l'abandon de la désinfection sur rose à sa nécessité sur Gerbera
« Conformément aux résultats de nos essais d'avant l'an 2000, nous préconisons de traiter la solution nutritive dès qu'il y a recyclage, pour éviter l'expansion des maladies, explique Laurent Ronco, directeur du Scradh (*), station d'expérimentation varoise membre de l'Institut Astredhor. Dans les faits, de nombreux rosiéristes de Paca, qui étaient passés vers 2000 et peu après à la désinfection au chlore gazeux à cause d'Agrobacterium tumefaciens, ont abandonné cette technique : avec ou sans désinfection, ils ne rencontraient pas de gros problèmes racinaires et ne notaient pas de baisse de rendement. Sur Anthurium, la chloration des effluents a été appliquée avec succès en entreprise dès 2005 et semble nécessaire vu le risque encouru avec le recyclage. Concernant le Gerbera, sensible aux maladies du sol et plus particulièrement à Phytophthora cryptogea, la désinfection des solutions nutritives recyclées est également incontournable. D'où les essais réalisés au Scradh de 1997 à 2000, qui ont conduit à l'utilisation systématique de la chloration des effluents de la station depuis plus de dix ans. Durant cette période, la conduite en recyclage, sans aucune purge du système, a donné de très bons résultats sur Gerbera, quels que soient le substrat et l'âge de la culture. Aujourd'hui, la chloration est totalement intégrée à nos pratiques de recyclage sur rose et Gerbera, et il pourrait en être de même pour les nouvelles cultures hors-sol dont l'anémone ou la renoncule, connues pour leur sensibilité au Pythium... »
(*) Syndicat du centre régional d'application et de démonstration horticole, à Hyères (83).