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Technique

Supports de culture : la vie microbienne entre en scène

Pierre-Henri Le Besnerais (2) et Jean-Charles Michel (3) - Le Lien Horticole - n°757 - juin 2011 - page 12

Hormis sur les propriétés physiques et chimiques, le producteur peut désormais s'interroger sur les qualités microbiologiques de son substrat, lesquelles offrent de nouvelles alternatives pour lutter contre les maladies.

Depuis quelques décennies, le monde de l'horticulture et du maraîchage est le théâtre d'un développement important des cultures hors-sol. La maîtrise des itinéraires techniques, avec l'usage de substrats adaptés à chaque culture, est l'un des éléments clés de l'essor et de la performance de ces filières. Les tourbes se sont imposées sur le marché des supports de culture, principalement en raison de leurs propriétés physiques (rétention en eau, aération). Toutefois, malgré ces qualités agronomiques, les plantes cultivées sur substrats entièrement tourbeux s'avèrent peu résistantes aux maladies du sol (Pane C. et al., 2011), et des fongicides sont régulièrement utilisés pour contrôler certains agents pathogènes. C'est notamment le cas des plantes en pot, sensibles aux fontes des semis, qui causent chaque année d'importantes pertes de rendement. La communauté scientifique cherche à trouver des alternatives pour lutter contre ces maladies, prenant en compte les enjeux sociétaux et environnementaux autour, notamment, de la restriction de l'usage des produits phytosanitaires (Écophyto 2018, Grenelle de l'environnement).

1 LA VIE MICROBIENNE, UNE CARACTÉRISTIQUE TROP LONGTEMPS OUBLIÉE.

Jusqu'à récemment, par manque de travaux et donc de données sur l'activité biologique, les substrats ont été évalués uniquement en fonction de leurs propriétés physiques et chimiques. C'est en observant des phénomènes dits de « suppression des maladies » sur différents substrats (1) que les chercheurs ont compris l'importance de la vie microbienne et ses conséquences sur la culture. Des essais menés sur substrat stérilisé (par traitement vapeur, autoclavage ou irradiation) ou non ont permis de comparer le comportement de supports de culture dits « biologiquement inertes » - dépourvus de leur microfaune - à des substrats dits « actifs », dont des populations indigènes de micro-organismes sont toujours en place. À titre d'exemple, Anat Yogev démontre que l'irradiation de deux composts à base de déchets végétaux induit une augmentation significative de l'incidence de plusieurs souches de Fusarium oxysporum sur melon, concombre et tomate. Par ailleurs, les essais conduits par Catello Pane sur des plantules de Lepidium sativum (cresson alénois) démontrent que la stérilisation de tourbe amendée de compost élimine dans neuf cas sur vingt et un les effets suppressifs du mélange contre Pythium ultimum, Rhizoctonia solani et Sclerotinia minor. Dans cette même expérience, aucune augmentation de l'incidence de la maladie n'est rapportée.

2 ORGANISATION DE LA BIORÉSISTANCE.

Différents acteurs et processus contribuent à l'amélioration de la tolérance aux maladies des plantes cultivées sur substrat. Certains supports de culture abritent des organismes dits « antagonistes », aussi appelés agents de biocontrôle, pour lesquels différents modes d'action ont été précisés. Ils peuvent agir directement sur le pathogène. L'exemple le plus connu est celui des mycoparasites qui pénètrent le mycélium des pathogènes pour s'y nourrir et s'y reproduire : on parle alors de « parasitisme direct ». C'est le cas d'une souche du champignon Trichoderma qui permet de lutter (entre autres) contre Pythium sp., responsable des fontes des semis. Selon l'étude menée par Leona Horst, la souche Trichoderma 382 permet de réduire significativement l'incidence de Botrytis cinerea sur bégonia. D'autres modes d'actions, tels que la compétition nutritive ou la sécrétion de substances nocives (toxines, antibiotiques), peuvent agir sur l'état sanitaire de la culture. Les agents de biocontrôle peuvent aussi stimuler les défenses naturelles des plantes : on parle alors d'« induction de résistance systémique ». Ce mode d'action permet non seulement de lutter contre les maladies du sol, mais aussi de renforcer les défenses contre les pathogènes s'attaquant aux parties aériennes. La résistance aux maladies dépend ainsi de la richesse et de l'intensité de l'activité microbienne. Ce constat ouvre de nouvelles perspectives et place les enrichissements microbiens comme une des alternatives potentielles qui participeraient à la réduction de l'utilisation des fongicides.

3 TOURBES ET COMPOSTS, DEUX MILIEUX OPPOSÉS.

Les conditions de formation des tourbes (pH acide, oxygène rare, températures basses, milieu quasi saturé en eau) conduisent à un ralentissement de l'activité biologique, permettant de fait l'accumulation et non la décomposition de cette matière organique dans la tourbière. À l'inverse, le processus de compostage consiste à favoriser une fermentation aérobie des matières organiques par des populations de micro-organismes. Ainsi, les composts sont considérés comme des milieux particulièrement « bioactifs », tandis que la tourbe dispose d'une microfaune bien moins dense et diversifiée. Sans non plus être un matériau totalement « inerte », la tourbe est un milieu défavorable au maintien des populations d'organismes antagonistes. Elle est donc facilement colonisable par les organismes pathogènes : en l'absence de compétition sérieuse, ces derniers peuvent facilement accéder aux ressources nutritives du milieu. À l'inverse, la grande microbiodiversité hébergée par les composts peut limiter, dans certains cas, l'installation d'agents pathogènes et ainsi diminuer l'opportunité des maladies de s'exprimer.

4 JOUER SUR LA COMPLÉMENTARITÉ.

L'adjonction de compost à la tourbe est-elle une solution pour limiter les risques phytosanitaires ? En ensemençant le substrat de toute la biodiversité microbienne qu'il abrite, dont ses agents de biocontrôle spécifiques, le compost permet de créer un tampon microbiologique, et ainsi de limiter l'invasion des agents pathogènes et de réduire l'incidence des maladies. La bonne maîtrise du process de compostage, et donc la qualité du compost obtenu, est toutefois primordiale, au risque d'occasionner des effets négatifs en stimulant certains pathogènes. Cela dit, dans la plupart des cas, un compost présentera des effets suppressifs vis-à-vis d'un seul et unique pathogène, et les cas de résistance multiple restent rares. Autorisées depuis 2010, les techniques d'enrichissement microbien pourraient permettre de pallier à cette limite. En plus des propriétés suppressives des composts, l'inoculation d'agents de biocontrôle permettrait de diversifier, voire de « cibler » la lutte contre les maladies des cultures hors-sol, tout en limitant l'usage de produits phytosanitaires.

<p>(1) Présence d'un pathogène mais pas d'expression de symptômes (réduction d'incidence), voire réduction des populations de pathogènes.</p> <p>(2) Étudiant Agrocampus Ouest-Centre d'Angers, niveau Master 2, option GDV « Gestion durable du végétal en horticulture et aménagements paysagers ».</p> <p>(3) Agrocampus Ouest, unité de recherche Ephor « Environnement physique de la plante horticole », Angers.</p>

Culture de tomate en conteneurs de tourbe blonde infestée par le pathogène Fusarium oxysporum f. sp. radicis-lycopersici (FORL). PHOTO : MICHAEL RAVIV

Culture de tomate en conteneurs de tourbe blonde infestée par le pathogène Fusarium oxysporum f. sp. radicis-lycopersici (FORL). PHOTO : MICHAEL RAVIV

Références bibliographiques

- Pane C. et al., 2011, « Compost amendments enhance peat suppressiveness to Pythium ultimum, Rhizoctonia solani and Sclerotinia minor », Biological Control, n° 56(2), pp. 115-124.

- Yogev A. et al., 2006, « Plant waste-based composts suppressive to diseases caused by pathogenic Fusarium oxysporum », European Journal of Plant Pathology, n° 116, pp. 267–278.

- Horst L. et al., 2005, « Suppression of Botrytis blight of Begonia by Trichoderma hamatum 382 in peat and compost-amended potting mixes », Plant Disease, n° 89(11), pp. 1195-1200.

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