Faut-il opposer les moyens alternatifs de protection des plantes aux pesticides chimiques ? Faut-il les réserver à l'agriculture biologique ? Quel est leur avenir à court et moyen termes ? Guy Riba, Directeur général délégué de l'Inra, a bien voulu répondre à ces questions, entre autres.
Phytoma-LdV : Autour du siège de l'INRA(1), il est de bon ton d'opposer l'agriculture intensive et l'écologie et de ne jurer que par l'agriculture biologique et les méthodes alternatives aux pesticides chimiques. Vous qui êtes un spécialiste de la lutte biologique(2), méthode alternative s'il en est, qu'en pensez-vous ?
Dépasser l'opposition
G. Riba : Qu'il faut dépasser l'opposition. Ma conviction, et celle de l'Inra, est que l'agriculture doit et peut rester intensive au sens de productrice, mais en évoluant dans ses pratiques. Le développement des méthodes alternatives de protection des plantes fait partie de cette évolution vers une agriculture écologiquement intensive. Il n'y a pas de fatalité. On peut concilier l'économie et l'écologie.
P-LdV : Donc, pour vous, réduire de 50 % l'utilisation des pesticides phytosanitaires d'ici 2018, objectif du plan Ecophyto 2018 suite au Grenelle de l'Environnement, c'est possible ?
G. Riba : Franchement... obtenir à aussi court terme une réduction aussi drastique me semble difficile. Pour atteindre cet objectif, il faudrait de nouvelles solutions biotechniques mais aussi que les solutions apportées soient économiquement viables pour les agriculteurs, par exemple en payant davantage leurs récoltes (mais attention aux consommateurs) ou en subventionnant davantage l'agriculture (mais les contribuables payeraient). Sans compter la perte de production de la ferme France !
P-LdV : Alors ce n'est pas possible ?
G. Riba : Attention : j'ai dit « à court terme » et « drastique ». Mais on peut déjà réduire l'usage des pesticides à court terme, puis envisager à plus long terme cet objectif de réduction de 50 %. L'intérêt d'un message gouvernemental aussi fort est d'imposer une ambition sans précédent. Celle-ci exige rigueur, volonté et mobilisation de tous.
P-LdV : Comment ?
G. Riba : À court terme d'abord, on peut revisiter les pratiques. à côté de l'agriculture conventionnelle, il y a l'agriculture raisonnée et, surtout, l'agriculture intégrée.
P-LdV : Et l'agriculture biologique ?
G. Riba : Je la classe à part car c'est un système cohérent et fonctionnel mais moins productif que les systèmes conventionnel et intégré. Ainsi les denrées sont plus onéreuses et se confinent à un marché de niche. Malgré tout, l'agriculture biologique française peut et doit se développer rapidement afin de réduire nos importations. Sans réserve, elle peut passer de 2 % à 4 % voire 6 % des surfaces.
Par ailleurs, certaines méthodes de protection des cultures alternatives aux pesticides chimiques sont efficaces tout de suite. Je répète : tout de suite. Elles peuvent être adoptées à court terme bien au delà de l'agriculture biologique et bien plus largement qu'elles ne le sont. L'Inra a un rôle à jouer.
Protection intégrée, 30 ans et toujours en pointe
P-LdV : Méthodes efficaces tout de suite... Elles existent (voir Tableau p. 14). Mais est-ce encore de la recherche ? Que fait l'Inra là dedans ?
G. Riba : D'abord, l'Inra a déjà fait beaucoup. Savez-vous que l'institut travaille sur la protection intégrée depuis les années 70 ? Nous sommes depuis lors en pointe sur ce domaine. Mais jusqu'à récemment, nous nous occupions peu de vulgariser ces découvertes. Certains de nos travaux n'ont pas été relayés sur le terrain. Nous ne les cachions pas ! Mais personne ne les reprenait.
P-LdV : Je me souviens d'un responsable d'une PME phytosanitaire vendant des bio-pesticides. Il me racontait avoir monté une partie de sa gamme bio en « farfouillant dans les tiroirs » de l'Inra où « dormaient » des produits intéressants. En particulier des souches de Beauveria insecticides...
G. Riba : Je crois que je le connais ! Là, il s'agissait de produits pouvant avoir un avenir commercial. Mais l'Inra travaille depuis longtemps sur des méthodes plus globales qui n'intéressent aucun industriel.
En tout, les travaux sur des méthodes alternatives aux pesticides chimiques et sur la protection intégrée occupent plus d'une centaine de chercheurs de l'Inra concernant la santé végétale, l'agronomie, la sélection variétale et l'économie des filières. Profitant d'un engouement renouvelé pour ces méthodes, nous avons décidé, dès 2003, de mieux valoriser nos découvertes.
P-LdV : On ne parlait pas encore de Grenelle de l'Environnement en 2003.
G. Riba : Cette année-là, nous avons lancé le programme PFI, Production fruitière intégrée. Fort de son succès, nous avons décidé de renouveler l'expérience en ouvrant en novembre 2007 le programme PICLeg. Nous avons créé un GIS (Groupement d'intérêt scientifique) avec des partenaires dont le Ctifl et Légumes de France (Encadré 2).
Légumes : PICLeg cherche, trouve et valorise
P-LdV : Le Ctifl est un institut technique et Légumes de France représente les producteurs. Vous vous êtes donc approchés de conseillers de terrain et de producteurs... « PICLeg », ça veut dire quoi ?
G. Riba : « Production Intégrée des Cultures Légumières » : ce programme permet de fédérer tous les acteurs des instituts techniques, des chambres d'agriculture et des coopératives pour mieux valoriser des travaux déjà effectués à l'Inra ou ailleurs, d'en intensifier d'autres et d'en démarrer certains.
P-LdV : Le site de PICLeg cite l'objectif de « proposer des méthodes de protection alternatives à la lutte chimique », après celui de « définir des systèmes de culture moins dépendants de l'utilisation d'intrants chimiques », ces derniers étant je suppose les produits phytos et les fertilisants. Effectivement, en p. 21 à 25 de ce numéro, l'article de C. Djian-Caporalino & al. sur les nématodes à galles évoque PICLeg.
G. Riba : Ce programme permet de mieux valoriser le travail lancé dans son cadre ainsi que les travaux réalisés avant, grâce à son caractère transversal. Il doit aboutir à la création d'un cahier des charges et d'une marque permettant la reconnaissance et la valorisation de cette protection intégrée. De plus, il facilite énormément la coordination de divers financements.
Fruits, vin, le retour de la protection intégrée
P-LdV : On a vu l'aspect légumes. Et en arboriculture fruitière et en vigne ?
G. Riba : Il s'agit de secteurs très consommateurs en pesticides à l'hectare – pas forcément plus que les légumes mais ils couvrent davantage de surface, surtout la vigne. Des démarches de progrès existent, comme l'a mis en avant le programme PFI dont j'ai déjà parlé. Des produits biologiques et des méthodes alternatives efficaces peuvent se substituer très rapidement à certains produits chimiques et méthodes conventionnelles.
P-LdV : Quoi par exemple ?
G. Riba : L'enherbement des vignes a déjà fait diminuer la quantité d'herbicides vendue, on peut continuer à le développer. Contre les insectes, la gamme des produits alternatifs est déjà intéressante en bio-insecticides, lâchers d'auxiliaires, confusion sexuelle, méthodes physiques...
P-LdV : Et contre les maladies ?
G. Riba : Le soufre et le cuivre sont des produits naturels autorisés en agriculture biologique, mais le premier est très pondéreux et le second pose des problèmes d'écotoxicité. Il existe un anti-botrytis vigne biologique et de rares SDN, stimulateurs de défenses naturelles.
Mais il y a aussi la prophylaxie et l'usage de variétés résistantes ou tolérantes aux maladies : si on combine tout cela dans des itinéraires techniques de type protection intégrée, ça marche.
Globalement, on ne peut pas à court terme se passer totalement des pesticides, mais on peut passer à la production intégrée si on lève les freins à cette production.
Freins d'abord économiques
P-LdV : Quels sont ces freins ?
G. Riba : Ils sont d'abord économiques. Pour l'agriculteur, la protection intégrée est coûteuse en temps d'observation et d'intervention. Par exemple si on éclaircit les pommes à la main plutôt que d'utiliser un produit chimique, on augmente les coûts de main-d'œuvre.
Pour adopter la production intégrée, les exploitants agricoles doivent donc trouver une compensation soit par la baisse d'autres charges – mais il y a peu de marge de manœuvre – soit en valorisant mieux leurs productions par une garantie de marché et grâce à l'obtention de signes de qualité : AOC, IGP, mise en avant de variétés rustiques.
P-LdV : Comme les pommes Ariane qui résistent à la tavelure et demandent deux fois moins de fongicides que d'autres. La résistance variétale est un moyen alternatif. Ariane est issue d'un travail commencé avant le Grenelle je suppose... et mené par l'Inra !
G. Riba : Merci de la publicité... Ariane est le fruit de 24 ans de travail. Mais revenons à ce frein qu'est la non-valorisation du produit. Il est encore plus difficile à desserrer en grandes cultures.
Grand chantier pour grandes cultures
P-LdV : C'est pour cela qu'on parle moins de protection intégrée en grandes cultures ?
G. Riba : Oui, car s'agissant de productions de masse de matière première, c'est plus difficile de compenser une baisse de productivité en valorisant une qualité. De plus, la plupart des organismes stockeurs étant aussi vendeurs d'intrants, ils doivent trouver des stratégies pour répondre à la fois à leur demande de retour financier et à leur réelle volonté de contribuer à mieux préserver l'environnement.
Malgré tout il existe des pistes à court terme et des méthodes au point. Méthodes que nous allons faire mieux connaître.
P-LdV : Vous allez faire un programme de type PFI et PICLeg pour les grandes cultures ?
G. Riba : C'est fait ! Nous avons ouvert ce programme en mars 2009. Lui aussi va valoriser des travaux déjà menés, en intensifier et en démarrer.
P-LdV : Des exemples de ces méthodes existantes ?
G. Riba : Côté technique, les désherbages mécanique et mixte sur certaines cultures. Côté insecticides, les trichogrammes sur le maïs. Côté fongicides, quelques produits biologiques ; et puis cultiver des blés en mélange variétal réduit la pression de maladie (Voir tableau page 14).
Il y a aussi des itinéraires techniques globaux. Notre réseau blés rustiques cité par P. Lucas dans « La Recherche »(3), ainsi que nos suivis pluriannuels à Versailles et à Dijon le montrent : les agriculteurs peuvent s'en tirer économiquement avec des itinéraires de type protection intégrée.
Et à long terme ?
P-LdV : Et à long terme ?
G. Riba : à long terme, il s'agit de repenser les systèmes de production : concevoir de nouveaux systèmes productifs ET minimisant le recours aux pesticides.
Il faut mobiliser toutes les connaissances biologiques sur les plantes, leurs ennemis, leurs alliés et la façon dont les uns et les autres interagissent. Sans oublier les pesticides de nouvelle génération, mieux ciblés, moins toxiques et écotoxiques. Pour moi, l'avenir, c'est la production intégrée, qui n'exclut rien a priori mais raisonne et évalue tout.
Il faut du temps à la recherche pour trouver des solutions inédites. Et aussi à la profession agricole et para-agricole pour changer les mentalités, s'organiser face à un manque à gagner. Je reprends l'exemple des blés rustiques : les agriculteurs en vivent, pas leurs OS(4), mais ces derniers peuvent s'adapter. à condition d'être aidés, voire poussés à le faire. Pour cela, il faut une volonté politique.
Il faut aussi une volonté politique pour modifier les paysages agricoles.
P-LdV : Les paysages jouent sur la santé végétale, sur la réduction des pesticides ?
G. Riba : Oui ! On ne parviendra pas à réduire leur usage de 50 % sans une dimension géographique mieux raisonnée.
<p>* Phytoma-La Défense des Végétaux.</p> <p>(1) Situé à Paris, à quelques roues de Vélib' du très chic marché bio du Boulevard Raspail.</p> <p>(2) Voir l'encadré 1 ci-dessus.</p> <p>(3) Libérer l'agriculture des pesticides. La Recherche n° 431, juin 2009, p. 58 à 61.</p> <p>(4) Organismes stockeurs.</p>
1 - Guy Riba
Né en 1950, Guy Riba est normalien – en sciences, bien sûr – et docteur en entomologie. Il entre à l'Inra en 1977.
Durant 15 ans, il travaille à la station de La Minière (Yvelines) en lutte biologique, en particulier sur les champignons entomopathogènes (= qui rendent malades des insectes). L'une des souches de Beauveria bassiana qu'il a isolées et testées est à l'origine de l'Ostrinil, bioinsecticide anti-pyrale – et maintenant anti-Paysandisia.
En 1992, Guy Riba devient chef du département de Zoologie* de l'INRA. Il se penche notamment sur les synergies entre les approches analytiques et celles qui sont plus intégratives.
En 1998, il devient Directeur scientifique Plantes et produits du végétal, chapeautant les recherches en amélioration des plantes, biotechnologies végétales et santé végétale (phytopharmacie, zoologie, phytopathologie, malherbologie...)
Depuis 2004, il est Directeur général délégué de l'Inra.
* A l'Inra, la zoologie traite plutôt des « petites bêtes », notamment les insectes et acariens ravageurs et auxiliaires. Les veaux, vaches, cochons et couvées sont l'affaire de la zootechnie.
2 - Le programme PICLeg
• Membres principaux (apportent de moyens et mènent des travaux)
– Inra : Institut national de la recherche agronomique.
– Ctifl : Centre technique interprofesionnel des fruits et légumes.
– Légumes de France : Fédération des producteurs de ces légumes (anciennement Fnpl, Fédération nationale des producteurs de légumes).
– Fedecom : Fédération des comités économiques de bassin.
– Felcoop : Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole.
• Membres associés (participent aux travaux)
– MAAP : Ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche.
– Viniflhor (maintenant FranceAgriMer).
– Interfel : L'interprofession des fruits et légumes frais.
– APCA : Assemblée permanente des chambres d'agriculture.
– Unilet : Union nationale interprofessionnelle des légumes transformés.
• Sept programmes en cours
Ecophytosys-Leg (systèmes de culture), Batica, Neoleg, PrabioTel et SysbioTel (bioagresseurs telluriques), Brassinae (gestion des insectes au niveau paysage), BiodivLeg (biodiversité autour des parcelles).
• Contacts
– philippe.lucas@rennes.inra.fr et laurent.catalon@paris.inra.fr