Certaines méthodes alternatives de protection des plantes utilisent des produits extraits de végétaux. Mais on peut aussi se servir directement de plantes que l'on aura semées sur les parcelles à protéger des bio-agresseurs. Il s'agit en particulier des couverts végétaux implantés en interculture de cultures assolées. Certains agissent après leur destruction, broyage et incorporation au sol : leur décomposition libère des substances actives, parfois les mêmes que celles de certains extraits végétaux. D'autres agissent quand ils sont tout ce qu'il y a de plus vivants. L'an dernier, Phytoma avait évoqué les couverts utilisés contre les herbes indésirables. Nous allons traiter ici des couverts agissant contre des ravageurs ou maladies.
La pratique des couverts végétaux gagne du terrain en France. Mais on les connaît d'abord en tant que pièges à nitrates, en abrégé CIPAN(1), ensuite comme un moyen anti-érosion, puis comme un outil contre l'envahissement par des végétaux indésirables : « Les bonnes herbes contre les mauvaises », en quelque sorte. Dans ce cas, il s'agit de moyens alternatifs au désherbage évoqués dans Phytoma l'an dernier(2). Mais il n'y a pas que cela ! Certains couverts peuvent agir contre des ravageurs et maladies.
Sus aux nématodes
Légumes méditerranéens et nématodes à galles
Un cas bien connu est celui des plantes-pièges anti-nématodes. L'article p. 21 à 25 détaille l'intérêt de certaines cultures peu sensibles aux nématodes à galles dans les rotations légumières, en complément à la culture de variétés résistantes à certains bio-agresseurs.
En effet ces dernières ne sont disponibles aujourd'hui que pour des variétés de tomate et des porte-greffe de tomate et d'aubergine, peutêtre demain pour les piments et poivrons. Si on les utilise seules, on risque de voir un jour des nématodes contourner leur résistance variétale et les rendre sensibles.
Du côté des betteraves
Mais les plantes anti-nématodes ne concernent pas que les exploitations maraîchères méditerranéennes avec leurs nématodes à galles Meloidogyne incognita et M. arenaria.
Ainsi, en zones de grandes cultures, on sème souvent des couverts de certaines variétés de radis ou de moutarde après la moisson des céréales pour diminuer la pression du nématode à kyste Heterodera schachtii. Ceci en prévision d'un semis de betterave au printemps suivant. Ces crucifères protègent rapidement le sol de l'érosion mais surtout elles abaissent les populations du nématode.
Le mécanisme est celui du piège, comme pour les tomates résistantes évoquées p. 21 à 25 : ces plantes attirent les nématodes mais les font prisonniers et les détruisent. Non seulement la population de ravageurs n'augmente pas (ce qui est aussi le cas en l'absence de couvert ou avec un couvert composé de plantes non hôtes) mais elle va diminuer.
Certains semenciers associent plusieurs espèces. C'est le cas du « chlorofiltre biocontrôle » de Jouffray-Drillaud qui contient, outre une moutarde brune, une moutarde blanche visant H. schachtii et un radis actif à la fois contre H. schachtii et des nématodes à galle du genre Meloidogyne. Ce couvert vise notamment M. hapla, on y reviendra, mais aussi M. chitwoodi et M. fallax, deux espèces réglementées (organismes de quarantaine) et très polyphages.
Actuellement, ces crucifères sont souvent semées en mélange avec des graminées neutres au plan nématologique qui les relayeront comme pièges à nitrates et dispositif anti-érosion durant l'hiver. Environ la moitié des semis de betterave en France sont précédés d'un couvert contenant des crucifères anti-nématodes.
Autres cultures
De plus les crucifères piégeant M. hapla sont utilisables en rotations maraîchères non méditerranéennes, plutôt menacées par M. hapla, espèce plus redoutée dans ces régions que M. incognita et M. arenaria. Ainsi, le radis déjà cité est-il de plus en plus utilisé dans des exploitations maraîchères nordiques ou atlantiques.
Et les champignons ?
Et les maladies fongiques ? Les couverts végétaux peuvent être utilisés contre elles, en particulier ceux à base de crucifères.
Pourtant les crucifères cultivées type colza ne le peuvent pas. Pourquoi ? Pour le comprendre, faisons un peu d'histoire agronomique.
Crucifères et glucosinolates, un peu d'histoire
Aux anciens temps, les colzas cultivés produisaient naturellement des composés soufrés appelés glucosinolates. Ces composés ont des actions pesticides directes.
Or, comme de nombreuses substances à action pesticide (qu'elles soient d'origine végétale, animale, microbienne ou chimique), ils peuvent avoir des effets indésirables sur les « organismes non cibles ». En particulier le bétail si on lui fait manger des tourteaux de colza contenant ces glucosinolates.
Pour pouvoir développer la culture du colza, on a donc sélectionné des variétés pauvres en glucosinolates (en même temps qu'en acide érucique, ce dernier étant nuisible à la qualité des huiles utilisées en alimentation humaine). Mais, très logiquement, cette pauvreté les rend inopérantes contre divers bio-agresseurs.
Crucifères après broyage, la bio-fumigation face au rhizoctone brun de la betterave
En revanche, les autres espèces de crucifères utilisées dans divers couverts végétaux continuent à produire des glucosinolates comme de vieilles variétés de colza. Voire davantage. Ces glucosinolates vont agir après la destruction des couverts plutôt que durant leur vie.
Ainsi, les couverts anti-nématodes utilisés avant des betteraves pourront, une fois broyés, faire baisser la pression de rhizoctone brun. On parle dans ce cas de « bio-fumigation ».
« Attention, précise Philippe Gratadou, chef marché semences chez Jouffray-Drillaud, à propos de cette bio-fumigation par des crucifères, pour que le couvert rende un bon service contre le rhizoctone brun, il faut le broyer à sa floraison quand le taux de glucosinolate est maximum. Il faut le broyer fin et l'incorporer en surface, immédiatement car les glucosinolates sont volatils. Et il faut le faire à une température pas trop basse. Enfin le sol ne doit pas être sec car il y a des réactions d'hydrolyse en jeu. »
Il conseille donc de semer ces couverts peu après la moisson d'une céréale paille. L'effet anti-nématodes se produit entre le semis et la floraison qui a lieu en automne. On broie alors, dès que l'humidité du sol est suffisante mais avant qu'il ne fasse froid, et l'effet anti-rhizoctone se produit. L'effet CIPAN durant l'hiver sera donc assuré par une autre plante, type graminée à implanter ensuite.
Demain, les crucifères face au piétin-échaudage du blé ?
À ce sujet, trois commentaires :
D'abord, ces recommandations pourraient ne pas s'appliquer seulement vis-à-vis du rhizoctone brun de la betterave. Ainsi, P. Gratadou rappelle que Jouffray-Drillaud mène des expérimentations sur l'effet de certaines de ses crucifères de couvert en bio-fumigation contre le piétin-échaudage du blé.
Et les alliacées ?
Ensuite, il est possible d'espérer des actions contre d'autres maladies telluriques de la part de crucifères (encore les glucosinolates) mais aussi d'autres familles de plantes. C'est le cas en particulier des alliacées.
Ail, oignon, poireau... ces alliacées ont fait l'objet d'un article paru dans Phytoma en 2005(3).
Il s'agit là encore de bio-fumigation, autrement dit de désinfection de sols maraîchers par des broyats d'alliacées. Les auteurs ont testé, non pas des couverts d'alliacées spécialement implantés, mais les écarts de tri d'oignons et les déchets de poireaux produits sur l'exploitation. Ils les ont broyés et incorporés au sol de parcelles allant recevoir d'autres cultures de la rotation.
On est à mi-chemin entre l'utilisation de couverts et celle d'extraits de plante, mais bien dans les méthodes alternatives à l'emploi de produits chimiques. Et cela ouvre des horizons.
Encore le soufre
À noter que l'action de ces alliacées est due à la présence de composés soufrés... Où l'on retrouve encore le soufre...
À noter aussi : dans l'article p. 21 à 25, l'ail et l'oignon sont classés comme intéressants pour combattre les nématodes dans la rotation, et le seul nématicide cité comme en cours d'expérimentation se nomme diméthyl disulfure, dérivé de l'allicine elle-même extraite de l'ail. Encore les alliacées, encore le soufre...
Après tout quoi d'étonnant ? Le soufre lui-même est un fongicide minéral mondialement connu et reconnu, avec des effets acaricides...
Pas de surpromesse...
Revenons au couvert de crucifères déjà cité : on voit que les conditions pour la réussite de la méthode sont assez exigeantes. P. Gratadou insiste : « Il ne faut pas croire qu'en semant un couvert et en le broyant n'importe quand n'importe comment, on va résoudre tous ses problèmes parasitaires telluriques. »
Et on conclura sur le troisième commentaire à partir de ce qui n'est qu'un exemple, mais représentatif : l'usage d'un couvert végétal comme méthode de protection des plantes est plus délicat que celui d'une préparation pesticide, qu'elle soit d'origine chimique ou naturelle, du reste. Il donne des résultats moins « carrés » et demande davantage d'être intégré dans un itinéraire technique de protection dite, à juste titre, intégrée.
Donc, la promotion des couverts comme efficaces de la même façon que des produits est, typiquement, une « surpromesse ». Elle ne peut que conduire à une déception.
C'est le cas de nombreuses méthodes alternatives. Leur demander ce qu'elles ne peuvent pas donner conduit à les dévaloriser (« poudre de perlimpinpin », « plantes-pièges à gogos »...) Alors que, bien testées, bien maîtrisées, bien conseillées, elles sont ô combien utiles !
<p>* Phytoma.</p> <p>(1) Cultures intermédiaires pièges à nitrates.</p> <p>(2) Couverts végétaux, une alternative au désherbage, par Philippe Gratadou, <i>Phytoma</i> n° 613, mars 2008, p. 38 à 40.</p> <p>(3) Propriétés pesticides des alliacées : biodésinfection des sols maraîchers au moyen d'oignon et de poireau, par I. Arnault & al., <i>Phytoma</i> n° 578, janvier 2005, p. 40 à 43.</p>