On sait différencier les agents de monilioses au laboratoire sur milieu PDA : – En médaillon, M. fructicola (boîte de Petri fermée car c'est un organisme de quarantaine). – Ci-contre, de gauche à droite, M. laxa et M. fructigena. Mais au verger, les différences entre espèces ne sautent pas aux yeux. ph. INRA Gotheron
Pêches attaquées par les trois espèces de monilioses sous deux luminosités différentes. Photos : INRA Gotheron
Les monilioses sont des pourritures qui obligent à jeter les fruits atteints si elles apparaissent en verger. Sur pêches, elles peuvent être dues à trois espèces dont l'une, Monilia fructicola, organisme de quarantaine détecté en France depuis 2001, est davantage redoutée des producteurs que les deux autres. Mais comment différencier au verger M. fructicola des autres espèces, et tant qu'on y est différencier entre elles ces dernières nommées Monilia laxa et Monilia fructigena ? Nous proposons ici une clé de détermination basée sur deux années de travail. Celui-ci nous a permis d'en apprendre plus sur des facteurs influençant ces maladies : le moment de l'attaque ne compte pas à partir d'une semaine avant maturité, mais le climat joue fortement sur la proportion entre espèces.
Les monilioses occasionnent des dégâts importants sur les fruits des arbres fruitiers à noyaux avant la récolte et pendant leur conservation.
En France, trois espèces de monilioses sont actuellement reconnues comme agents de la pourriture brune qui affecte les prunus : Monilinia laxa et Monilinia fructigena, espèces très actives en Europe et Monilinia fructicola, organisme de quarantaine à l'Union Européenne, qui a été détecté en 2001 en France (Lichou et al., 2002 ; OEPP/EPPO, 2002).
Depuis lors, M. fructicola a été identifié sur des lots de fruits provenant d'Italie et d'Espagne (Petrocszy and Palkovics, 2006), détecté en 2007 en République Tchèque (Duchoslavona et al., 2007), et enfin officiellement en Italie (Pellegrino et al., 2009) et en Suisse (Patocchi et al., 2009).
Une apparence qui peut être variable
Au premier abord, l'identification de ces trois espèces de monilioses sur le terrain est difficile car leur apparence peut varier de fruits en fruits. Le changement de lumière au cours de la journée, le vent, la pluie ou des symptômes récents peuvent rendre leur observation malaisée au sein du verger.
Identification fiable... au laboratoire
Les méthodes actuellement utilisées pour déterminer avec certitude les espèces de monilioses sont fiables, mais réalisables uniquement en laboratoire :
– méthode visuelle sur milieu de culture : milieu Potato-Dextrose-Agar, PDA (Van Leeuwen and Van Kesteren, 1998 ; Lane, 2002) ;
– test Polymerase Chain Reaction (PCR) (Ioos and Frey, 2000 ; Côté et al., 2004) ;
– diagnostics moléculaires et enzymatiques (Boehm et al., 2001).
Face à cette contrainte, notre objectif est de mettre au point une méthode de détermination basée sur des caractères visuels simples pour identifier l'espèce présente sur le terrain. Cette méthode simplifiera la tâche des producteurs et des techniciens agricoles qui ne disposent ni du temps ni du matériel nécessaire à de telles analyses en laboratoire.
Comment déterminer à l'œil nu ?
Quels sont les caractères morphologiques qui peuvent nous aider à déterminer les trois espèces de monilioses à l'œil nu ?
En 2008 et 2009, plus de 2 000 fruits blessés sciemment par an
Pour les étudier en 2008 et 2009, 2 040 fruits répartis sur 51 arbres de la variété de pêche Elise ont été blessés chaque année pour favoriser le développement des monilioses. La variété de pêche blanche Elise est une variété de saison (date de maturité mi-juillet) et qui est présente sur le Domaine de Gotheron à Saint-Marcel-lès-Valence dans la Drôme sur une parcelle non traitée contre les monilioses.
Cet échantillon de fruits blessés a été suivi pour déterminer s'il existe des caractéristiques permettant de différencier les trois espèces.
En 2009, des dates échelonnées
En outre en 2009, les blessures sur fruits ont été réalisées à 3 dates différentes : 440 fruits ont été blessés le 10 juillet, une semaine avant la maturité de la variété ; 680 ont été blessés le 13 juillet, 3 jours avant la maturité ; et 920 ont été blessées les 15 et 16 juillet, dates de maturité de la variété.
Ce décalage dans le temps nous a permis d'évaluer l'influence de la maturité des fruits sur le développement des espèces de monilioses. Le contrôle des fruits blessés a été réalisé de 8 à 10 jours après la date des blessures (du 20 au 24 juillet) pour laisser le temps aux monilioses de s'installer.
Diagnostic visuel sur fruits « étalonné » en boîte de Petri
Les deux années, des prélèvements de chaque espèce de moniliose ont été réalisés en boîtes de Petri (milieu Potato Dextrose Agar, PDA) sur un échantillon de ces fruits attaqués. La clef de détermination définie par Lane (2002) a été utilisée pour classer les isolats dans les trois espèces de monilioses.
Ensuite, ce classement in vitro a été comparé avec le classement in vivo obtenu suivant nos caractères sur fruits au verger pour confirmer notre travail. Cette confirmation sera prolongée à l'automne par test PCR (Côté et al., 2004).
Trois caractères dans les coussinets
Lors du relevé des fruits blessés moniliés, quelques différences visuelles ont été établies. Nous proposons trois caractères basés sur les coussinets conidifères (Encadré ci-dessous).
La couleur
La couleur beige clair du M. fructigena est très distincte de celle des deux autres espèces. La différence de couleur des coussinets conidifères de M. laxa et M. fructicola est en revanche bien moins nette : une variation de gris pour les deux, penchant vers le gris-vert pour M. laxa et le marron pour M. fructicola. On note que des taches noires apparaissent sur l'épiderme d'approximativement 10 % des pêches attaquées par M. fructicola.
La taille
Lorsque la couleur ne permet pas de déterminer avec certitude quel est le monilia, il a été remarqué que la taille des coussinets varie selon l'espèce.
M. fructigena possède les plus gros coussinets, en forme de boules compactes.
Les coussinets de M. fructicola sont plus petits et plus distincts à la surface du fruit.
Ceux de M. laxa, encore plus fins, sont ceux qui offrent le moins de relief sur la pêche.
La disposition sur le fruit
Enfin la disposition du champignon constitue un troisième critère de détermination : les coussinets conidifères de M. laxa, denses, couvrent toute la surface touchée. Ceux de M. fructicola sont plus épars. Ceux de M. fructigena, assez dispersés, se développent généralement en cercles concentriques sur le fruit. La synthèse de ces 3 caractères est présentée dans le tableau 1.
Vérification, c'est dans la boîte
Pour confirmer l'utilisation des trois critères choisis, la clef synoptique de Lane (2002) sur boîte de Petri a été utilisée. Il n'y a pas eu d'erreur de classement sur tous les symptômes prélevés pendant les deux années d'étude : 30 fruits avec symptômes de type M. laxa, 30 fruits avec symptômes de type M. fructicola et 15 fruits avec symptômes de type M. fructigena.
Les boîtes de Petri (photos page précédente) montrent les différences morphologiques de développement des trois espèces de monilioses. Soulignons que le laboratoire du domaine de Gotheron possède l'agrément pour manipuler l'organisme de quarantaine M. fructicola selon des protocoles très précis (Arrêté préfectoral N°08.4048). D'ailleurs sur la photo présentant l'espèce M. fructicola, la boîte de Petri est fermée avec le couvercle pour éviter la dispersion des conidies de cet organisme de quarantaine.
Répartition des trois espèces dans les vergers
En utilisant ces caractères de différenciation, la proportion de chacune des trois espèces a pu être calculée dans plusieurs vergers de pêcher du domaine de Gotheron en 2008 et 2009.
Sur notre échantillon de fruits
Sur l'échantillon de 2 040 fruits blessés, 1 763 ont été attaqués par les monilioses en 2008 et 1 298 en 2009. En 2008, il est à noter qu'un foyer de M. laxa avait été installé au centre de la parcelle pour suivre le développement spatio-temporel de la maladie. La première année, il a été trouvé 15 fois plus de M. laxa que de M. fructicola (1 357 fruits contre 96) et 30 fois plus de M. laxa que de M. fructigena (1 357 contre 52).
La deuxième année, sans installation de foyer de M. laxa dans la parcelle, il a été trouvé 100 fois plus de M. laxa que de M. fructicola (1 221 pour 11) et nous n'avons pas trouvé M. fructigena tout seul sur un fruit. Le détail de cette répartition est présenté sur la figure 1.
En 2009 également, pour tester un éventuel effet de la maturité des fruits sur la répartition des trois espèces de monilioses, les blessures sur les fruits ont été échelonnées sur trois dates. Les résultats présentés figure 2 montrent qu'il n'y a pas de différence de répartition entre espèces en fonction de la date de blessures.
Sur d'autres parcelles du domaine
Les caisses contenant les fruits pourris à la récolte de deux autres variétés de pêches ont été examinées pour quantifier la présence des trois espèces dans la population des monilioses. Il s'agit de la variété Conquise en 2008 (un fongicide avant récolte, iprodione à moins trois jours) et 2009 (deux fongicides avant récolte, fenbuconazole à moins 10 jours puis iprodione à moins 3 jours) et de la variété Caprice en 2009 (non traitée contre les monilioses avant récolte). Les résultats de ce contrôle présentés dans la figure 3 montrent une forte présence de M. fructicola en 2008 sur la variété Conquise et la prédominance de M. laxa en 2009 sur les variétés Conquise et Caprice.
Les monilioses étant très sensibles aux conditions climatiques, la figure 4 présente le diagramme climatique de juillet 2008 et 2009.
Discussion
Détermination sur fruits possible
La combinaison des trois caractères morphologiques des coussinets conidifères à savoir : la couleur, la taille et la dispersion sur le fruit semblent suffisant pour déterminer l'espèce de moniliose présente sur un fruit au verger.
En effet, nous n'avons eu aucune erreur de classement sur les 75 échantillons testés avec notre méthode de détermination sur fruits, comparée avec le classement issu de la méthode visuelle sur milieu PDA de Lane (2002).
Malgré cela, dans certaines situations de lumière (contre-jour ou ombrage) ou si une des trois espèces prédomine dans le verger, il est possible de douter de son diagnostic. Dans ces conditions, l'utilisation d'un fruit témoin de chaque espèce permet de palier ce problème.
Viser au centre
De façon générale, il est important de se baser sur la partie centrale du symptôme étudié pour réaliser son diagnostic car la taille et la couleur des coussinets conidifères en périphérie (la partie la plus jeune du champignon) ne sont pas encore différenciés : à ce niveau-là, les coussinets sont généralement de petites tailles et marron.
La présence de taches noires sur l'épiderme des pêches attaquées est un bon indicateur de l'espèce M. fructicola. Mais ces taches n'apparaissent pas sur toutes les pêches attaquées par cette espèce (environ 10 % seulement).
La date de blessure importe peu...
En 2009, le décalage dans les dates de blessure des fruits a permis de montrer qu'il n'y a pas de différence dans l'apparition des espèces de monilioses en fonction de la maturité des fruits.
Pour les trois dates de blessures étudiées, la répartition de trois espèces est identique.
... Mais l'année beaucoup
En revanche, la répartition entre l'espèce M. fructicola et l'espèce M. laxa est inversée entre 2008 et 2009 sur la variété Conquise et cela avec une protection fongicide proche. L'espèce de quarantaine domine en 2008 avec 63 % de présence dans les déchets de récolte alors que l'espèce M. laxa est largement majoritaire en 2009 avec 83 %. Cette présence plus importante de M. fructicola en 2008 est aussi notée sur les fruits blessés de la variété Elise, soit seule sur les fruits (96 en 2008 contre 11 en 2009), soit en mélange avec M. laxa (174 en 2008 contre 55 en 2009) malgré l'installation d'un gros foyer de M. laxa au centre de cette parcelle qui a faussé la répartition naturelle des espèces en 2008.
Le climat, juge de paix
On sait déjà que le climat des 15 jours avant récolte est déterminant pour les attaques des monilioses sur fruit et en conservation (Mercier et al., 2003). La figure 4 montre que le climat des mois de juillet 2008 et 2009 ont été très différents. En 2008, avec 3 épisodes pluvieux importants (120 mm cumulés) pendant les 15 premiers jours, juillet a été très humide. Alors que juillet 2009 a été 25 fois plus sec avec seulement deux petites averses (moins de 5 mm de pluie) durant la première quinzaine. La première quinzaine de juillet 2009 a été plus chaude que celle de 2008 (22,6 °C contre 20,2 °C).
D'après ces observations, il semble que M. fructicola ait besoin de plus d'humidité que M. laxa pour se développer. Si l'été est très sec et plus chaud, M. laxa prédomine.
M. fructicola est apparue en France depuis peu de temps. Les deux autres espèces de monilioses étaient déjà installées depuis de longues années sur le territoire français. Beaucoup de questions se posent par rapport au développement de l'espèce de quarantaine et certaines inquiétudes peuvent apparaître sur une éventuelle plus forte agressivité de cette nouvelle espèce (Van Leeuwen et al., 2001). Les résultats de notre étude montrent que M. fructicola, majoritairement présente dans certains vergers en 2008, a laissé la place à M. laxa en 2009. Il semble que le climat soit le juge de paix de son développement.
<p>* UERI INRA Domaine de Gotheron, 26320 Saint-Marcel-lès-Valence</p> <p>Vincent.Mercier@avignon.inra.fr</p>
Les coussinets conidifères des monilioses
Les monilioses sont des ascomycètes (du genre Monilinia) qui se multiplient presque exclusivement par leur forme asexuée appelée Monilia. Cette reproduction asexuée est réalisée par des conidies qui se développent en chaîne (photo ci-dessous).
Ces chaînes de conidies se présentent en amas prenant la forme d'un coussinet (schéma ci-dessous). C'est cette structure qui est appelée coussinets conidifères.
Figure 1 - Répartition des espèces de monilioses sur les fruits blessés de la variété Elise en 2008 et 2009.
Figure 2 - Répartition des espèces de monilioses sur les fruits blessés de la variété Elise en 2009 en fonction des trois dates de blessures.
Figure 3 - Répartition des espèces de monilioses à la récolte sur les variétés Caprice et Conquise en 2008 et 2009.