Aujourd'hui, la viticulture doit maintenir la qualité sanitaire de ses produits tout en réduisant et modifiant l'usage des produits phytopharmaceutiques (on écrira « phytos » dans cet article). Ces réductions et modifications visent à mieux protéger les applicateurs, les consommateurs et l'environnement ; la réglementation encadrant les produits phytos évolue dans ce sens. Avant d'évoquer le futur avec le « paquet pesticides » européen p. 20 et les solutions alternatives aux produits phytos chimiques (dits « pesticides chimiques ») p. 24, faisons l'état des lieux de ce qui est d'ores et déjà décidé pour les produits conventionnels :
- bilan de la révision des substances actives dans le cadre de la directive 91/414/CEE, en expliquant d'abord de quoi il s'agit...
- décisions prises en France suite au Grenelle de l'Environnement,
- travail sur les usages orphelins.
Tout d'abord rappelons quelques notions utiles : définition de ce qu'est un produit phyto et procédures d'autorisation de tels produits instaurées par la directive européenne 91/414/CEE.
Rappels utiles
Définitions des termes
Selon la définition figurant dans cette directive 91/414/CEE appliquée depuis 1993 (légèrement modifiée dans le nouveau règlement), un produit phytopharmaceutique est destiné à :
– protéger les végétaux, ou les produits végétaux, contre tous les organismes nuisibles ou prévenir leur action,
– exercer une action sur les processus vitaux des végétaux (sauf s'il s'agit de substances nutritives),
– assurer la conservation des produits végétaux, à l'exception des substances et produits faisant l'objet d'une réglementation communautaire particulière relative aux agents conservateurs,
– détruire les végétaux indésirables,
– détruire des parties de végétaux, freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux.
Cette définition englobe à la fois les substances actives et les préparations à base de ces substances actives.
Europe, France, les procédures
De par la directive 91/414/CEE, les substances actives sont évaluées par l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), et les préparations sont évaluées et autorisées dans chacun des États membres.
En France l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) évalue les préparations et le ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche (MAAP) délivre, le cas échéant, l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Que ce soit pour les substances actives ou les préparations, les notifiants ou demandeurs (firmes, distributeurs, etc.) constituent des dossiers présentant le produit : identité, composition, méthodes d'analyses utilisées, devenir via le métabolisme et teneur dans les végétaux (détermination des LMR), impact sur l'homme et devenir dans l'environnement.
L'évaluation des substances actives et des préparations aboutit à déterminer un niveau de danger pour les premières, et pour les secondes un niveau de risque (tenant compte du danger et de l'exposition) pour l'applicateur, le consommateur et l'environnement.
Pour les préparations, une partie du dossier, dit « biologique », évalue les bénéfices (efficacité), les effets non intentionnels sur la culture, la faune auxiliaire, les cultures avoisinantes et les procédés de transformation, et enfin les risques de résistance.
La directive 91/414/CEE a imposé ces exigences pour toutes les substances actives arrivant sur le marché européen à partir de 1993, mais aussi pour la révision des anciennes substances déjà présentes sur le marché en 1993.
Europe et anciennes substances
Dernières évolutions générales
Cette révision touche à sa fin. Sur 918 substances présentes dans l'Union en 1993 :
- plus des deux-tiers ont été retirées du marché ou sont en cours de retrait. Cela représente 634 substances (69 % du total).
La plupart n'ont pas été soutenues par les industriels, ou pas jusqu'au bout (dossier absent ou incomplet) ; moins de 100 ont subi un examen complet avant leur non-inscription ;
– 217 substances, soit 24 % du total (à peine le quart) ont été inscrites pour dix ans ;
– 3 substances examinées sont en attente de décision (site de l'Union européenne consulté le 21 octobre) ;
– 64 substances ont fait l'objet de « retraits volontaires » (décisions 2008/934/CE du 5 décembre 2008 et 2008/941/CE du 8 décembre 2008).
Le cas des « retraits volontaires »
Ce sont des substances non inscrites pour des raisons de calendrier, la révision communautaire devant s'achever en 2009. La Commission européenne a donné aux sociétés la possibilité de les soumettre comme nouvelles substances actives. Les notifiants doivent compléter les dossiers avant la fin du 1er semestre 2010. L'EF-SA les évaluera avant le 31 décembre 2010. En cas de non-inscription, les derniers délais pour l'utilisation des préparations contenant ces substances expireront au plus tard le 31 décembre 2011 (sauf usages essentiels). En cas d'inscription, comme pour toute substance inscrite, les firmes devront déposer, pour une autorisation en France, les dossiers des préparations commerciales auprès de l'Afssa. On n'est donc pas sûr de retrouver toutes les préparations ni tous les usages revendiqués auparavant. Globalement, 67 substances sur 918 (7,3 % du total) ont encore un sort incertain et celui des 851 autres (92,7 % du total) est décidé même si des procédures reviennent sur certaines décisions.
Conséquences pour la vigne en France : les retraits depuis trois ans
Dans le cas de la vigne (nous appellerons substances « vigne » celles présentes dans une préparation autorisée sur vigne), une trentaine d'anciennes substances actives n'ont pas été inscrites. Pour certaines, cela date de plus de trois ans : on a presque oublié le parathion-méthyl, par exemple...
Plus près de nous, 30 substances « vigne » ont été retirées ces trois dernières années ou vont l'être. Ce que récapitule le tableau 1.
24 d'entre elles sont « non-inscrites » au niveau européen ; le tableau 1 donne les conséquences sur les retraits d'AMM et les délais à la distribution puis à l'utilisation des préparations commerciales en France. 6 de ces 24 substances sont également retirées suite au Grenelle de l'Environnement.
Cinq autres substances sont inscrites au niveau européen voire réinscrites après non-inscription, mais concernées par des retraits sur vigne en France. Enfin l'Europe a inscrit le tétraconazole... en l'interdisant sur la vigne. Remarques :
• Ce tableau cite le tableau 1 de la communication à Euroviti 2009 : « La vigne face aux évolutions réglementaires, place des solutions alternatives » (J. Grosman), et le tableau 3 de l'article de Phytoma n° 621 de décembre 2008 « Protection de la vigne, le chassé-croisé des produits » (M. Decoin), en ajoutant des substances pour lesquelles les décisions sont toutes récentes.
• Les préparations à base de dinocap (substance inscrite jusqu'à fin décembre 2009) ont été remplacées par des préparations à base de meptyldinocap, utilisables dès 2009.
• Le diuron et le méthomyl, non inscrits puis réinscrits, sont interdits en France de par l'avis du 28 mars 2008 (substances « Grenelle »).
• Le fenbutatin-oxyde a été interdit en 2008 (substance « Grenelle ») puis ré-autorisé suite à un recours juridique.
• Pour l'haloxyfop-R, le 8-hydroxyquinoléine et le 1-3 dichloropropène, un dossier a été redéposé pour ré-inscription au niveau européen.
Une substance en attente, des « retraits volontaires », des inscrites
Une substance en attente de décision début octobre, la bifenthrine, concerne la vigne.
Par ailleurs, plusieurs substances actives « vigne » ont fait l'objet d'un retrait volontaire (voir ci-dessus). Elles figurent sur le tableau 2. Pour l'instant, les préparations en contenant peuvent rester autorisées en France.
Enfin, le tableau 3 indique les dernières anciennes substances actives inscrites (courant 2008 et 2009) concernant les usages « vigne ».
Europe et nouvelles substances actives
En même temps que l'Europe révisait les anciennes substances, elle en a examiné et inscrit de nouvelles. Les premières inscriptions datent de 1998.
A l'heure où ces lignes sont écrites, 92 substances inscrites en Europe sont utilisables sur vigne en France, soit :
– 43 fongicides, dont le benthiavalicarbe et la cyazofamide, deux nouvelles substances citées tableau 4 ;
– 20 insecticides dont 3 d'origine biologique et 2 phéromones pour la confusion sexuelle, (voir l'article p. 24) ;
– 20 herbicides, y compris les produits de dévitalisation et destruction des souches autorisés en « traitements généraux » ;
– 9 autres (des cires à greffer notamment). Quelques substances actives sont en développement pour une utilisation en vigne. Se rapporter aux présentations des conférences AFPP (CIMA en 2006 et 2009, COLUMA en 2007 et CIRA en 2008).
Ainsi, six fongicides en attente d'inscription correspondent aux exigences en matière de données et d'informations prévues aux annexes II (inscription à l'annexe I) et III (dossier d'une préparation contenant la substance active) de la directive 91/414/CEE. Ils sont incorporés dans des préparations récemment autorisées provisoirement en France. Ils ont nom bénalaxyl-M (alias kyralaxil), mandipropamide, meptyl-dinocap, proquinazide, valiphénal et enfin di-sodium phosphonate.
Les nouvelles substances actives vigne contenues dans des préparations autorisées depuis 2008 (autorisations provisoires pour les substances en attente d'inscription) sont citées dans le tableau 4.
Ces préparations figurent sur e-phy, la base de données du MAAP, à consulter pour informations sur les modalités d'application.
Signalons enfin les nouvelles préparations autorisées depuis début 2008, contenant des substances actives anciennes (Tableau 5).
Sites internet sur la réglementation européenne et française : http://ec.europa.eu/food/plant/protection/evaluation/index_fr.htm http://e-phy.agriculture.gouv.fr/
Au niveau franco-français
121 substances disponibles
Globalement, les viticulteurs français disposent de 121 substances utilisables sur vigne :
– 53 fongicides (les 43 inscrites plus 6 en attente d'inscription et 4 en retraits volontaires) ;
– 31 insecticides (les 20 inscrites, plus la bi-fenthrine et 10 en retrait volontaire) ;
– 26 herbicides (les 20 inscrites plus 6 en retrait volontaire) ;
– 11 autres (les 9 inscrites plus 2 en retrait volontaire).
Ne sont pas comptées dans les 121 certaines substances citées dans le tableau 1 et encore applicables aujourd'hui sur vigne mais dont le retrait est programmé (ex. butraline, tétraconazole, 8-hydroxyquinoléine, roténone...)
Grenelle, Ecophyto devance les lois
On le sait, la loi Grenelle 1 (qui donne notamment un cadre d'action général et une gouvernance afin de lutter contre le changement climatique, de protéger et restaurer la biodiversité et les milieux naturels et de mieux prévenir les risques pour l'environnement et la santé) a été adoptée le 3 août 2009. Le projet de loi Grenelle 2 a été adopté au Sénat et doit être examiné par l'Assemblée nationale.
Mais, avant même le vote des lois, les autorités ont lancé le plan Ecophyto 2018 en vertu de l'engagement 129 du Grenelle. Il s'est donné un objectif de réduction de moitié de l'usage des pesticides.
Retraits réalisés
Ce plan prévoit le retrait, à raison de leur substituabilité, des produits les plus préoccupants. De fait, parmi les molécules identifiées comme les plus dangereuses pour la santé humaine ou l'environnement, 30 sont déjà retirées.
Il s'agit, pour la vigne, des molécules aldicarbe, azinphos-méthyl, azocyclotin, carbendazime, dinocap, diuron, fénarimol, méthomyl, paraquat, procymidone et vinchlozoline. À noter que certaines d'entre elles (Tableau 1) n'étaient plus inscrites à l'annexe 1 de la directive 91/414/CEE.
Autres projets
Le plan Ecophyto prévoit par ailleurs :
– d'accélérer la diffusion des méthodes alternatives sous réserve de leur mise au point ;
– de lancer un état des lieux de la santé des salariés agricoles et des agriculteurs et un programme de surveillance épidémiologique ;
– d'interdire l'épandage aérien sauf dérogation (peut concerner des vignes très pentues).
Le plan Ecophyto 2018, auquel ont participé des représentants de l'État, des organisations professionnelles, de la coopération, du négoce, des industriels, d'associations environnementalistes, des instituts techniques, de l'INRA et des syndicats agricoles, a été présenté au Conseil des ministres le 10 septembre 2008 (voir : http://agriculture.gouv.fr/sections/ma-gazine/focus/phyto-2018-plan-pour ).
L'ambition est de mobiliser très largement la recherche et le développement en partant du constat que des systèmes économes en intrants existent déjà et qu'un travail en réseau (INRA, instituts techniques, chambres d'agriculture, lycées agricoles) est nécessaire notamment pour la mise en place de plates-formes d'expérimentation et de fermes de démonstration. Le plan prévoit donc d'orienter et de coordonner la recherche en privilégiant les approches agroécologiques et pluridisciplinaires (épidémiologie, écologie, sciences sociales) selon 3 axes :
– la sélection de variétés résistantes ;
– la recherche fondamentale en production intégrée ;
– le développement de substances à moindres impacts.
Cela passe aussi par une identification des freins et des leviers, pour évaluer la faisabilité économique des scénarios à proposer. En effet ceux-ci pourront aboutir, dans certaines situations, à de profondes mutations : organisation du travail, besoin en nouveaux équipements, etc.
Au secours des usages orphelins
La Commission des usages orphelins, installée le 26 juin 2008 par le Directeur général de l'alimentation (DGAL, MAAP) et composée de représentants de l'administration, des organisations professionnelles, des instituts techniques et de l'Afssa, a pour objet d'accélérer la mise à disposition d'outils de protection innovants pour les usages orphelins (usages sans aucune solution chimique ou alternative efficace), anticiper les futures évolutions communautaires et mettre en place des démarches structurées qui visent à :
– trouver des solutions de nature chimique en les substituant le cas échéant par des solutions alternatives lorsqu'elles sont efficaces et connues,
– prendre en compte non seulement les cultures mineures, directement impactées par les évolutions réglementaires du fait d'un faible nombre de solutions par usage, mais aussi les cultures majeures lorsqu'elles sont concernées par des usages mineurs ou mal pourvus,
– travailler sur les usages vides ou susceptibles de l'être compte tenu de la disponibilité des substances actives.
La commission s'appuie sur un comité technique opérationnel constitué d'experts de la DGAL et d'experts filières (un représentant de l'IFV pour la viticulture) chargé de faire des propositions à la commission (avec prise en compte de la spécificité de l'agriculture biologique), et sur des groupes techniques par filière, chargés de faire remonter les besoins. Pour la viticulture, au delà de la problématique majeure des maladies du bois pour laquelle on attend toujours des solutions, le groupe technique, réuni en décembre 2008 puis à l'automne 2009, a travaillé à recenser les usages et lister ceux risquant de se trouver, à court ou moyen terme, face à des impasses techniques ou à un nombre de solutions insuffisantes. Le tableau 6 cite les problématiques soulevées pour la vigne.
Ce groupe pourrait également avoir un rôle d'alerte car la diminution attendue de l'utilisation des intrants, au delà des difficultés possibles (entretien des sols par exemple), peut avoir un impact sur la sécurité économique des exploitations et des effets non intentionnels liés à une utilisation d'un plus petit nombre de substances, notamment les risques de résistance, de transfert dans l'environnement ou d'apparition ou recrudescence de bioagresseurs. La vigilance s'impose donc.
<p>* MAAP (Ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche), DGAL-SDQPV (Direction générale de l'Alimentation, Sous-direction de la Qualité et de la Protection des végétaux).</p>