Pour évaluer l'effet d'un fongicide sur un champignon pathogène, on le teste, soit sur des plantes à protéger, au champ ou sous serre, soit in vitro sur des colonies de champignons cibles cultivés en boîte de Petri sur des milieux nutritifs ou des disques de feuilles de végétal. Dans les deux cas, on regarde le résultat final sur le développement de l'infection. Utile, certes ! Mais si on ne sait pas comment et quand (à quelle étape du cycle du champignon) le fongicide est actif, on devra tâtonner pour savoir quand et comment l'appliquer. Une technique de laboratoire nommée la microscopie fonctionnelle à épifluorescence permet d'en savoir plus. Nous l'avons appliquée pour comparer trois fongicides : une association d'hydroxyde de cuivre et de dérivés terpéniques (Heliocuivre), un hydroxyde de cuivre de référence et une bouillie bordelaise. Instructif.
Le cuivre est connu depuis longtemps pour son activité préventive sur l'agent du mildiou de la vigne dont il empêche la libération des zoospores et leur germination.
Tester l'effet de fongicides à base de cuivre sur le cycle de P. viticola sur feuille en conditions contrôlées
Nous avons utilisé la microscopie fonctionnelle à épifluorescence pour révéler l'effet de trois formulations cupriques sur la viabilité de Plasmopara viticola, agent du mildiou de la vigne, aux stades de son développement correspondant à l'activité préventive, mais aussi au moment correspondant à l'activité anti-sporulation.
Les trois fongicides comparés
Le premier produit testé est Heliocuivre, une formulation fongicide à base d'hydroxyde de cuivre et de dérivés terpéniques ; ces dérivés issus du pin améliorent la pulvérisation et l'efficacité de la matière active.
Elle est homologuée à 3 l/ha soit 1,2 kg de matière active (ma)/ha et commercialisée par la société Action Pin.
L'efficacité de ce fongicide sur P. viticola en traitement préventif ou anti-sporulant est comparée à celle de deux fongicides de référence : la Bouillie Bordelaise, à base de sulfate de cuivre, utilisée à 7,5 kg/ha (1,5 kg ma/ha) et la Référence 1, à base d'hydroxyde de cuivre, utilisée à 4,5 kg/ha (1,575 kg ma/ha).
Attention, doses « sub-optimales »
Nous avons utilisé des doses permettant un certain développement de l'agent pathogène de façon à visualiser plus finement les différences d'activité entre produits. Ce sont donc des doses bien inférieures à celles employées en pratique (doses « sub-optimales »).
Disques foliaires préparés
Des feuilles (4e à 5e étages foliaires en partant de l'apex) sont prélevées sur des plants de vigne du cépage Chardonnay cultivés en chambre climatique (photopériode 16 heures jour/8 heures nuit - 23 °C jour/16 °C nuit - 85 % d'humidité relative ). La surface des feuilles est désinfectée superficiellement à l'eau de javel, rincée 3 fois à l'eau distillée stérile, séchée. Puis des disques foliaires de 15 mm de diamètre sont découpés et déposés face inférieure vers le haut sur du papier filtre stérile préalablement humidifié dans des boîtes de Petri de 100 mm.
Les traitements sont effectués par pulvérisation des boîtes de Petri contenant les disques foliaires (8 disques par boîte) à l'aide d'un aérographe afin d'obtenir une répartition homogène des produits à la surface des disques.
La face inférieure de chaque disque est inoculée par 2 dépôts de 10 ul d'une suspension de sporocystes matures de P. viticola.
Après inoculation, les boîtes de Petri sont incubées 24 h à 19 °C et à l'obscurité. Puis les gouttelettes d'inoculum sont délicatement sé-chées et les boîtes de Petri transférées en chambre climatique (16 heures jour/8 heures obscurité - 23 °C jour/16 °C nuit - 85 % d'humidité relative) pour permettre le développement de l'agent pathogène jusqu'aux différents stades de développement choisis pour l'observation.
Trois fluorochromes pour marquer
Avant observation sous microscope à épifluorescence, les disques foliaires sont marqués à l'aide des trois fluorochromes.
Une pré-étude en microscopie à épifluorescence a permis de préciser les étapes du cycle infectieux de ce pathogène (Figure 1) et choisir ainsi les temps d'observation en fonction des stades de développement désirés. La figure 2 montre l'observation de 4 étapes-clés du cycle :
Lors de l'inoculation, les sporocystes se fixent à la surface de la feuille. Ils contiennent des zoospores métaboliquement très actives qui sont ensuite libérées (Figure 2A, flèches).
Deux jours de développement correspondent à la phase d'infection du pathogène et plus précisément au stade d'encystement/germination des zoospores (Figure 2B).
Cinq jours de développement correspondent à la fin de l'incubation et au début de sortie des sporocystophores hors des stomates (Figure 2C). Les symptômes deviennent visibles.
Sept jours de développement correspondent à la phase de sporulation avec la maturation des sporocystes portés par les sporocystophores (Figure 2D). A ce stade les symptômes complètement développés apparaissent sous la forme d'un feutrage blanc duveteux.
Évaluation de l'activité préventive
Dosage, traitement puis inoculation
Lors de cette étude, une dose sub-optimale égale à la dose N/200 (200 fois moins que la dose homologuée de chaque fongicide) a été utilisée, soit 6 g ma/ha pour Heliocuivre, 7,5 g ma/ha de Bouillie Bordelaise et 7,875 g ma/ha pour la Référence 1. Les disques foliaires sont inoculés 24 heures après traitement.
Effet deux jours après l'inoculation
Les observations des feuilles non traitées 2 jours après inoculation confirment la libération de nombreuses zoospores présentant un intense marquage vert, caractéristique d'une forte activité métabolique, la présence de sporocystes vides uniquement repérables par le marqueur bleu de structure (non montré) et quelques sporocystes avec des zoospores mortes apparaissant de ce fait remplis d'une fluorescence rouge (Figure 3A).
En présence d'Heliocuivre (Figure 3B) ou de la Référence 1 (Figure 3C), on note l'absence de zoospores métaboliquement actives à la surface des disques foliaires et une forte proportion de sporocystes pleins de zoospores mortes. Les disques foliaires traités avec la Bouillie Bordelaise présentent une situation intermédiaire avec quelques zoospores libres et actives et des sporocystes marqués en rouge (Figure 3D).
Heliocuivre comme la Référence 1 s'avèrent donc extrêmement efficaces pour bloquer la phase d'infection de P. viticola.
Sept jours après inoculation
Les observations des symptômes 7 jours après inoculation (8 après traitement) montrent qu'Heliocuivre a totalement empêché l'infection de plusieurs disques foliaires malgré la subdose utilisée, au contraire des deux autres produits (Figure 4). Cette très faible dose a permis à certains sporocystes d'« échapper » au traitement, de réussir l'infection et de provoquer les symptômes visibles sur la figure 4.
Évaluation de l'activité anti-sporulante
Dosage, inoculation puis traitement
Dans cette partie de l'étude, les 3 produits cupriques ont été utilisés à la dose sub-optimale de N/50 (50 fois moins que la dose homologuée), soit 24 g/ha d'Heliocuivre, 30 g/ha de Bouillie Bordelaise et 31,5 g/ha de Référence 1. Là encore, les évaluations microscopiques nécessitent l'emploi d'une sub-dose, mais ici plus proche de la dose homologuée de manière à observer l'efficacité anti-sporulante.
Les disques foliaires sont inoculés comme précédemment, incubés durant 5 jours pour permettre le développement du pathogène jusqu'à la sortie des sporocystophores au niveau des stomates puis traités par pulvérisation. Ils sont ensuite observés sous microscope à épi-fluorescence 2 jours après traitement (7 jours post-inoculation).
Deux jours après traitement
A ce stade, il y a des symptômes sur tous les implants foliaires car le traitement a été effectué juste après l'apparition des premiers symptômes au moment où les sporocystophores commencent à émerger au niveau des stomates. Mais on note une réduction très importante du nombre de sporocystes formés à l'extrémité des sporocystophores après application d'Heliocuivre, alors qu'avec les autres fongicides, le nombre de sporocystes formés ne semble pas différer de celui observé sur les disques foliaires non traités (Figure 5).
Les observations au microscope à épifluorescence confirment la réduction très importante du nombre de sporocystes après traitement avec Heliocuivre. On note aussi une forte réduction de l'activité métabolique générale de ces derniers, avec en parallèle une très forte augmentation du nombre de sporocystes morts. Aucun de ces effets n'est observé avec les deux autres produits cupriques (Figure 6).
Conclusion
Visualisation novatrice
La microscopie fonctionnelle à épifluorescence permet de visualiser de façon totalement novatrice l'effet de fongicides, et particulièrement d'Heliocuivre, sur le cycle de développement de P. viticola, agent pathogène responsable du mildiou de la vigne. Et ceci y compris à des stades de développement pour lesquels aucun symptôme n'est encore visible.
Préventif confirmé
Cette technologie originale a permis de montrer qu'Heliocuivre, appliqué en préventif 24 heures avant l'inoculation à dose sub-optimale, provoque un blocage presque total de la libération des zoospores qui meurent dans les sporocystes. Heliocuivre est ainsi capable de réduire fortement la phase initiale d'infection des feuilles de vigne par P. viticola, avec un niveau d'efficacité comparable (Référence 1), voire très supérieur (Bouillie Bordelaise) aux produits cupriques utilisés comme références dans notre étude.
La forte baisse du nombre de zoospores viables se traduit par une forte réduction des symptômes observés par la suite, puisque l'étape d'infection, décisive, conditionne tout le cycle infectieux.
Anti-sporulation, la surprise
De façon peut-être encore plus surprenante si on se réfère à ce que l'on sait de l'activité du cuivre, Heliocuivre présente une très bonne activité anti-sporulante.
À la différence des deux autres produits cupriques de référence, ce fongicide, s'il est appliqué quand les sporocystophores commencent à sortir au niveau des stomates, s'avère capable non seulement de réduire le nombre de sporocystes néo-formés mais aussi de provoquer leur mort. Ceux-ci ne pourront donc plus former ni libérer de zoospores qui, rappelons-le, sont les unités infectieuses de ce pathogène si dévastateur. Compromettre la sporulation revient à perturber fortement la succession et la multiplication des cycles, c'est-à-dire à limiter la propagation de la maladie voire à enrayer l'épidémie.
Perspectives pour cette microscopie, et pour Heliocuivre
L'utilisation de fluorochromes de viabilité permet ainsi de compléter de façon significative les informations sur le mode d'action et l'efficacité comparée des produits fongicides.
Cette technique pourrait même être utilisée pour des études quantitatives d'efficacité puisqu'il est tout à fait possible, par exemple, de quantifier le nombre de sporocystes pleins et vivants ou ayant déjà libéré leurs zoospores ou encore définitivement morts. De telles analyses statistiques permettraient d'affiner nos connaissances sur l'effet des fongicides anti-mildiou.
En pratique, Heliocuivre donne les meilleurs résultats dans le cadre de traitements préventifs. Mais, le mildiou étant présent à divers stades de développement lors du traitement d'une parcelle, l'activité anti-sporulante confère au fongicide un surcroît d'efficacité appréciable.
<p>* Biotransfer, 41, rue Émile-Zola, 93107 Montreuil cedex.</p> <p>**Action Pin, ZI de Cazalieu, BP30, 40260 Castets-des-Landes.</p>
1 - La microscopie fonctionnelle à épifluorescence
Étudier l'effet d'un fongicide
Il existe de très nombreuses méthodes pour observer l'effet d'un fongicide sur un agent pathogène. Il s'agit essentiellement d'études d'efficacité, soit en plein champ soit au laboratoire, in planta ou in vitro. Or souvent l'évaluation de l'efficacité passe par l'observation des symptômes développés par la plante traitée après une période d'incubation plus ou moins longue en fonction de l'agent pathogène étudié. L'effet du traitement fongicide est donc évalué indirectement et uniquement sur les phases tardives de la maladie.
Une autre approche plus précise consiste à observer l'impact d'un produit fongicide sur l'aspect et le développement de l'agent pathogène à un instant donné de son cycle infectieux par des méthodes de microscopie électronique. Cette méthode est très visuelle et permet d'effectuer des observations précoces avant même toute apparition de symptômes. En revanche, elle ne permet pas de déterminer l'état physiologique de l'agent pathogène et donc de savoir rapidement s'il est encore vivant ou mort.
La microscopie fonctionnelle à épifluorescence permet une observation précise et précoce de la morphologie du champignon pathogène, de son développement au cours du temps mais aussi de son état physiologique à toutes les étapes de son cycle de développement. Il est donc possible de visualiser l'effet d'un produit fongicide sur un agent pathogène, même si ce dernier ne présente pas encore de modification apparente dans son développement.
Principe de la méthode
La microscopie fonctionnelle à épifluorescence est basée sur l'utilisation de petites molécules, les fluorochromes, présentant deux caractéristiques bien particulières :
i) celle d'émettre une fluorescence visible lorsqu'on les éclaire avec des UV ;
ii) celle d'être capable de réagir et de se fixer sur des structures cellulaires lorsqu'on les met en présence d'un organisme vivant. Chaque fluorochrome réagit à sa façon. Certains, dits « fluorochromes d'activité », sont des marqueurs de l'état physiologique des cellules. D'autres, dits « fluorochromes de structure », se fixent spécifiquement sur certaines structures de la cellule comme les membranes ou les noyaux et servent donc à visualiser la « physionomie » générale de l'organisme étudié.
La couleur de la fluorescence émise par les fluorochromes peut être très différente, ce qui permet de les combiner de façon à visualiser simultanément des informations sur la morphologie de l'agent pathogène et sur son état physiologique.
Choix des fluorochromes
Pour pouvoir mettre en évidence l'aspect du pathogène au cours de son développement mais aussi sa viabilité, nous avons choisi de combiner trois fluorochromes :
1. UN « FLUOROCHROME D'ACTIVITÉ » MARQUEUR DE L'ACTIVITÉ MÉTABOLIQUE GÉNÉRALE DES CELLULES.
Cette molécule n'est pas fluorescente naturellement et diffuse facilement dans toutes les cellules. L'activité métabolique de ces dernières la transforme en molécule fluorescente qui émet dans le vert. Les cellules vont donc présenter une fluorescence verte plus ou moins forte en fonction de l'intensité de leur activité métabolique.
2. UN « FLUOROCHROME D'ACTIVITÉ » MARQUEUR DE LA MORTALITÉ.
Cette molécule « fluoresce » de façon stable dans le rouge et présente une forte affinité pour l'ADN (noyau) et l'ARN (noyau et cytoplasme). En revanche, elle est totalement incapable d'entrer dans les cellules si les membranes cellulaires sont intactes. Or, un des premiers signes de mort cellulaire est la perméabilisation des membranes qui avec ce fluorochrome, va se traduire par des noyaux fluorescents rouges. Le processus de destruction cellulaire peut aboutir à un éclatement complet de la membrane nucléaire se traduisant par un marquage rouge de l'ensemble de la cellule.
3. UN « FLUOROCHROME DE STRUCTURE » MARQUEUR DE L'ASPECT GÉNÉRAL DU CHAMPIGNON PATHOGÈNE.
Ce fluorochrome bleu se fixe spécifiquement sur la chitine, la cellulose et autres carbo-hydrates composant les parois cellulaires. L'ensemble des structures pariétales du champignon va émettre une fluorescence bleue révélatrice de sa forme générale.
La combinaison de ces trois marqueurs est donc extrêmement informative sur l'aspect et l'état physiologique de l'agent pathogène. Ainsi, un champignon très actif apparaîtra vert intense pour l'ensemble de ses structures ; à l'extrême, un champignon dont toutes les cellules sont mortes apparaîtra rouge, avec ou sans perturbation de sa morphologie.