Peut-on prévoir la contamination des blés par les fusariotoxines en se basant sur les symptômes de fusariose des épis ? Difficile : même si les années à forte pression de fusariose sont « à risque mycotoxines », la compétition entre les Fusarium producteurs de ces mycotoxines et les Microdochium, qui n'en produisent pas, complique la donne. La comparaison entre les années 2007 et 2008 au Grand Duché du Luxembourg en est une illustration. De plus, la présence et la quantité de telle ou telle espèce de Fusarium potentiellement productrice de mycotoxines n'implique pas forcément un taux de telle ou telle toxine donnée. Comment prévoir cela ? L'analyse du chémotype des souches présentes peut être utile – mais pas automatiquement – et la PCR peut rendre cette analyse moins coûteuse. Démonstration de tout cela, à partir de l'expérience luxembourgeoise.
Plusieurs facteurs influencent la présence et le taux de mycotoxines sur le blé (Prandini et al., 2008) : la situation agronomique avec le précédent cultural, le travail du sol, le type de fongicides utilisés, la résistance du cultivar et enfin les conditions météorologiques incluant principalement la température et la quantité de précipitations pendant le période de risque d'infection par la fusariose (c'est-à-dire la floraison de la céréale).
Recherche sur les espèces présentes au Luxembourg
La distribution des espèces présentes au Luxembourg permet-elle de prédire la contamination par les fusariotoxines ?
Le suivi des populations de Fusarium dans les champs pour les années 2007 et 2008 a permis de déterminer quelles espèces étaient présentes sur le territoire luxembourgeois. Quatre espèces de Fusarium ont été majoritairement détectées sur blé d'hiver : F. graminearum, F. poae, F. culmorum et F. avenaceum (Figure 1).
Pour 2007, de fortes quantités de DON, supérieures aux limites fixées par la réglementation européenne, ont été mesurées dans la région proche de la Moselle (par exemple 4 506 µg/kg à Echternach), fortement corrélées à la présence de F. graminearum (Giraud et al., 2009).
En 2008, un changement de la population a été observé : augmentation de la population de F. graminearum (48 % en 2008 contre 30 % en 2007) et disparition de Microdochium nivale. On a noté également une diminution de la sévérité de la maladie (13,5 % en 2008 contre 21,6 % en 2007). Mais la baisse de la quantité de souches détectées (réduction de 300 %) ne s'est pas accompagnée d'une réduction significative des quantités de mycotoxines dans les champs. Le DON est encore présent, avec des valeurs supérieures à la réglementation européenne pour certains sites (exemple d'Echternach avec une valeur de 8 111 µg/kg en 2008). De plus, aucune corrélation significative n'a pu être déterminée entre les espèces de Fusarium présentes et le niveau de contamination en mycotoxines dans les champs.
Se concentrer exclusivement sur la typologie des espèces présentes dans les champs ne semble pas être la meilleure des stratégies pour prédire la présence de toxines, car la même espèce peut produire différentes toxines selon ses caractéristiques génétiques. C'est le cas de F. graminearum et de F. culmorum qui produisent DON et ses dérivés (3 acetyl DON (3-ADON) et 15 acetyl DON (15A-DON)), mais peuvent aussi produire du nivalenol (NIV) si elles présentent le chémotype NIV. F. poae produit également cette dernière toxine.
Aux États-Unis, l'augmentation dans les cultures de la présence du chémotype 3-ADON de F. graminearum a été corrélée à une augmentation de la quantité de DON dans le blé. Une preuve définitive de cette causalité n'est pas encore disponible. En revanche, il semble très prometteur de rechercher et d'identifier les chémotypes de F. graminearum et F. culmorum.
Nous avons donc étudié si le chémotype pouvait être corrélé à la quantité de toxines en champs en utilisant NIV et DON pour illustrer notre propos.
Comment déterminer le chémotype ?
Actuellement, la définition du chémotype se fait par la méthode chimique : celle-ci est basée sur l'analyse de la molécule synthétisée par chaque souche isolée en utilisant la spectrométrie de masse.
Cette méthode est précise mais nécessite de 7 à 10 jours pour l'obtention du résultat (temps nécessaire à la souche pour produire une quantité suffisante de toxines dans un milieu riche et stimulant). De plus, elle s'avère être très chère.
Depuis les 10 dernières années, beaucoup de méthodes basées sur l'analyse des gènes dédiés à la production du DON et de ses dérivés ont été développées (Ward et al., 2002 ; Jennings et al., 2004 ; Wang et al., 2008 ; Quarta et al., 2006).
Une alternative, le chémotypage moléculaire
Dans le cadre de notre étude, nous avons utilisé et optimisé la méthode développée par Ward et al. (2002) : la détermination des chémotypes de F. graminearum et de F. culmorum est basée sur une PCR multiplex des gènes Tri3 et Tri12. Ces gènes sont localisés dans un cluster dédié à la production de DON et de ses dérivés (Figure 2A). La différence de taille des fragments amplifiés permet la distinction (Figure 2B) des trois chémotypes (Pasquali et al., 2009).
Pour étudier la distribution des espèces et leur chémotype associé, la méthode illustrée dans la figure 3 a été utilisée. En comparaison avec la méthode chimique, la méthode de biologie moléculaire permet d'analyser beaucoup plus de données dans le même temps, avec un coût moindre (Figure 3). Cette opportunité peut alors être utilisée pour étudier la distribution des nombreuses souches de Fusarium présentes dans les champs de façon à créer une carte épidémiologique de la répartition de leur chémotype. La méthodologie employée est celle précédemment décrite dans l'article de Giraud et al. (2008).
Chémotype DON et présence de sa toxine associée dans les grains : pas de corrélation établie
Durant deux années d'étude, la distribution du chémotype a été observée (Figure 4) : les souches de F. graminearum identifiées de chémotype 15-ADON sont majoritaires sur l'ensemble de la population (96 % en 2007, 95 % en 2008) et produisent bien DON et 15-ADON.
De même, les souches classées NIV (4 % en 2007, 5 % en 2008) ont été également confirmées par l'analyse chimique.
La distribution spatiale des souches montre que le chémotype se trouve dans différentes conditions topoclimatiques au Luxembourg et n'est pas significativement spécifique d'un type climatique.
F. culmorum est au contraire présent en quantité similaire entre le chémotype 3-ADON et le chémotype NIV (respectivement 23 % et 77 % en 2007, 57 % et 43 % en 2008).
Pour déterminer si l'information sur le chémotype (15-ADON pour F. graminearum et 3-ADON pour F. culmorum) peut aider à la prédiction de la présence de DON sur blé, des corrélations à l'aide d'outils statistiques ont été utilisées (utilisation d'un modèle mixte linéaire). Aucune corrélation significative n'a été trouvée.
L'information sur le chémotype 15-ADON ou 3-ADON, dans le cas du Luxembourg, ne fournit pas d'information utilisable pour la prédiction de la présence de cette toxine.
Chémotype NIV et présence de NIV dans les grains : corrélation pour F. culmorum
Le NIV a une toxicité plus élevée que le DON (Gutleb et al., 2002). Actuellement, son taux n'est pas réglementé par la législation européenne car il est moins présent dans les champs. Cependant à terme, une réglementation pour cette mycotoxine pourrait apparaître, car des études récentes en Europe ont montré une augmentation de la contamination du blé par cette molécule (Yli-Mattila et al., 2008).
Au Luxembourg, la présence de NIV est sporadique dans le blé mais il peut être associé au DON dans le même grain, augmentant ainsi la toxicité de la farine du fait d'une activité synergique (Marzocco et al., 2009).
Nous avons donc utilisé les informations sur le chémotype pour prédire la présence de NIV dans les grains. Avec le même type d'analyse utilisée précédemment et les mêmes outils statistiques, une corrélation significative (Figure 5) entre la présence de NIV dans la farine et la présence du chémotype NIV de l'espèce F. culmorum a été trouvée.
Nous avons également observé que pour avoir une quantité détectable de NIV dans le blé, au moins 3 souches de F. culmorum avec le chémotype NIV sur 100 grains sont nécessaires.
Aucune autre corrélation n'a été trouvée, notamment avec F. poae, l'autre espèce productrice de NIV, considérée comme cause majeure en Europe de l'accumulation de cette toxine (Stenglein, 2009).
Notre étude sur le chémotypage démontre l'utilité de cette information pour la prédiction au champ de la présence de la toxine NIV.
La génétique et la mycologie au service de la prévention
De façon à élaborer tout le long de la chaîne alimentaire un système intégré de gestion du risque lié à la présence de mycotoxines, des observations sur les populations des Fusarium ont été réalisées.
La limitation de l'inoculum primaire peut être obtenue via la gestion du précédent cultural, l'utilisation de cultivars résistants et en respectant certaines pratiques agronomiques (le labour par exemple) permettant ainsi la diminution de la contamination par les toxines.
Nous avons démontré aussi ici dans le cadre de notre étude que la prévention de la présence des toxines peut aussi bénéficier des informations provenant des études mycologiques et génétiques sur les populations présentes dans les champs.
Cette nouvelle approche a montré sa pertinence pour les années 2007 et 2008. Elle doit être confirmée par d'autres années d'études réalisées dans des pays aux conditions climatiques différentes. La validation des données pourra permettre la construction d'un système de surveillance des populations de Fusarium dans les champs.
L'évolution des technologies de la biologie moléculaire basée sur la PCR permettra d'identifier la présence des toxines de façon encore plus rapide, notamment avec le développement de la PCR en temps réel ou Real-time PCR.
Cependant un suivi des variations génétiques par la méthode chimique reste indispensable pour vérifier l'efficacité des méthodes génétiques dans le futur (Desjardins, 2008).
Remerciements : Nous remercions S. Contal pour les cultures de Fusarium spp. et B. Untereiner pour l'extraction des mycotoxines. Ce projet a été réalisé dans le cadre du projet FUTOX financé par le Fonds national de la recherche du Luxembourg.
<p>* Département Environnement et Agro-biotechnologies (EVA), CRP-Gabriel Lippmann, L-4422 Belvaux, Luxembourg.</p> <p>** Actuellement : Staphyt/Biorizon. Rue Magendie/Bordeaux Montesquieu. 33650 Martillac.</p>
Fusariotoxines, réglementation et économie
Les espèces de Fusarium sont productrices de différentes mycotoxines (fusariotoxines) sur blé, avec notamment les trichothécènes de types A et B. La quantité tolérée dans les aliments est fixée par une réglementation européenne (CE 1881/2006). Celle-ci définit les taux maximums de fusariotoxines autorisées pour les céréales à paille et le maïs [pour le déoxynivalénol (DON) et la zéaralénone (ZON)] de manière à éviter des effets toxiques pour les animaux et pour les humains.
Les pertes économiques liées à la présence de ces mycotoxines sont souvent plus importantes que la baisse de rendement due à la maladie.
Il devient alors fondamental d'établir des méthodes pour prédire le potentiel de contamination du blé par ces mycotoxines, de façon à prévenir les pertes.
Celles-ci sont estimées aux seuls États-Unis à plusieurs millions de dollars par an (Desjardins, 2006).
Figure 2 (A) - Cluster de gènes nécessaires pour la production de DON et de NIV chez Fusarium. En rouge, les gènes qui diffèrent entre les chémotypes et utilisés pour l'analyse génétique par PCR.
Figure 2 (B) - Exemple de produits PCR visualisés sur un gel d'agarose. La taille du fragment amplifié permet d'attribuer aux souches leurs chémotypes (NIV, 15ADON, 3ADON).
Figure 3 - Comparaison du temps nécessaire pour la détermination du chémotype par la méthode chimique et par la méthode PCR.
Figure 4 - Distribution des chémotypes des F. graminearum et F. culmorum pour les années 2007 et 2008.