Un colloque a été organisé à Marrakech les 9, 10 et 11 novembre 2009 par l'Association marocaine de protection des plantes (AMPP) à laquelle se sont jointes l'Association française de protection des plantes (AFPP) ainsi que l'Association francophone internationale de protection des plantes (AFIPP) dont le territoire d'influence est l'Afrique sub-saharienne. La mobilisation de ces associations a permis d'accueillir 264 participants venant essentiellement du Maghreb et de l'Europe de l'Ouest. Internationale mais résolument tournée vers la francophonie, cette manifestation articulée autour du thème de la gestion du risque phytosanitaire s'est fait l'écho des préoccupations phytosanitaires d'agricultures dont une partie s'est profondément restructurée au cours des dernières décennies pour se mettre au diapason de la mondialisation.
Le sommaire du colloque s'est construit autour de la gestion du risque phytosanitaire. Cette thématique centrale a dressé le bilan d'une action de jumelage réalisée entre le Maroc et l'Union européenne (UE). Elle s'est accompagnée d'une réflexion élargie à la réglementation et aux problèmes sanitaires émergents en Afrique du Nord, ainsi qu'aux nouvelles technologies pouvant aider au biocontrôle des organismes nuisibles.
Le jumelage, pour répondre à la mondialisation
La circulation des denrées agricoles dans le marché mondial s'accompagne d'exigences en matière de qualité sanitaire. Que ce soit au plan vétérinaire ou phytosanitaire, les produits exportés doivent répondre aux réglementations des pays importateurs. Or l'Union européenne (UE) est la principale destination des exportations agricoles du Maroc. Il est donc essentiel qu'un rapprochement soit opéré afin de mettre en phase les réglementations en vigueur et d'harmoniser la qualité des produits marocains avec les impératifs européens.
Dans le cadre des accords d'association signés entre les pays tiers et l'UE, des programmes d'appui sont mis en œuvre au moyen d'une démarche dite de « jumelage institutionnel ».
Un projet conjoint et ses acteurs
Dans le cas du Maroc, un tel projet a été élaboré conjointement par la Commission européenne et le département de l'Agriculture marocain afin de renforcer les structures marocaines de contrôle sanitaire, vétérinaire et phytosanitaire. Sa finalité est de permettre au Maroc d'accéder à un « statut avancé » en vue de la mise en place en 2012 de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne. Ce projet s'est étalé sur 33 mois avec un financement de l'UE à hauteur de 2 160 000 €. Il a fait appel à trois pays européens : l'Italie, la Pologne et la France.
La coordination et la mise en œuvre des activités ont été confiées à un comité de pilotage réunissant chaque trimestre les chefs de projets marocains et européens (MM. Moha Marghi, Secrétaire général du ministère marocain de l'Agriculture et de la Pêche maritime, et Alain Charon, Inspecteur général de la santé publique vétérinaire au ministère français de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche), deux coordonnateurs européens (pour l'Italie et la Pologne), deux Conseillers résidents de jumelage (CRJ) français et leurs homologues marocains. Pour le volet phytosanitaire, les deux CRJ étaient MM. Yves Monnet, Ingénieur en chef du génie rural, eaux et forêts et Amal Mohammed Rahel, Chef du Service central de la protection des végétaux de la Direction de la sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Objectifs du jumelage
Le jumelage s'est donné pour but de contribuer à améliorer les conditions de l'agriculture du Maroc et par là à favoriser la protection de la santé des consommateurs. Il doit aussi permettre aux produits agricoles marocains d'être plus compétitifs sur les marchés intérieurs et internationaux. Plusieurs objectifs sont fixés : harmoniser les réglementations, évaluer et gérer les risques phytosanitaires et améliorer le dispositif de diagnostic (laboratoires).
Harmoniser les réglementations
Une première action a consisté à réviser et actualiser la réglementation phytosanitaire marocaine. Celle-ci veut se conformer aux normes de la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV) et tenir compte des accords internationaux sanitaires et phytosanitaires (SPS).
Le but est de favoriser la confiance des importateurs européens dans la qualité des produits marocains : ceux-ci seront désormais contrôlés durant le processus de production selon les normes internationales ayant cours en Europe.
Il y aura, de plus, une incidence sur la qualité des produits végétaux vendus au Maroc, notamment en matière de résidus de pesticides.
Projets de lois, décrets, arrêtés
Cette refonte réglementaire passe par des projets de lois, décrets ou arrêtés fixant les LMR (limites maximales de résidus) de pesticides et réglementant la surveillance sanitaire du territoire, le contrôle à la production, l'importation et l'exportation des végétaux et produits végétaux.
Un projet d'arrêté établit la liste des organismes nuisibles, végétaux, produits végétaux et autres objets interdits d'importation, de transit ou de circulation, ainsi que les exigences particulières pour l'introduction et la circulation des végétaux, produits végétaux et autres objets.
Inventaire puis séminaires et ateliers
Ces textes sont le résultat d'un gros travail :
– inventaire et comparaison des législations marocaine et européenne,
– réalisation de séminaires de formation de cadres marocains et d'ateliers régionaux impliquant les échelons intermédiaires des services chargés de la protection des végétaux dans les provinces et les institutions de recherche et développement ainsi que chez les professionnels concernés ; au total près de 180 personnes ont été touchées, représentant 31 provinces marocaines.
Plusieurs projets de textes sont prêts et attendent de la part des autorités marocaines d'être promulgués afin d'être en vigueur avant 2012.
Évaluer et gérer le risque et les crises
L'ARP, analyse de risque phytosanitaire
Un deuxième volet du jumelage est consacré au renforcement des structures de contrôle sanitaire, vétérinaire et phytosanitaire marocaines. L'évaluation des risques phytosanitaires passe par un processus d'analyse du risque phytosanitaire (ARP). Celle-ci repose, dans le respect des normes internationales, sur une appréciation scientifique et économique de chaque risque potentiel qu'un bio-agresseur fait courir à une filière végétale ; que ce soit en matière d'introduction, d'installation, de son développement ou de conséquences.
Quand un risque phytosanitaire est jugé « non acceptable » par le Service de la protection des végétaux marocain, il importe d'identifier et d'évaluer toutes les méthodes de lutte disponibles pour le diminuer afin qu'il repasse en dessous d'un seuil acceptable.
En cas d'introduction d'un bio-agresseur exotique (non présent auparavant sur le territoire), un dispositif d'urgence doit décider de mesures pour empêcher que perdure l'installation de ce bio-agresseur et prévenir sa dissémination.
Bilan de l'existant
Un premier bilan a évalué l'organisation des dispositifs d'analyse des risques aux échelons centraux et régionaux en soulignant leurs forces et leurs faiblesses.
Les cultures maraîchères et fruitières, les plantes ornementales et les palmiers, qui sont des productions agricoles stratégiques pour le Maroc, ont été au cœur de cette démarche, ainsi que les crises phytosanitaires qui sévissent actuellement : feu bactérien dans la région de Meknès, charançon rouge du palmier dans la ville de Tanger ou rhizomanie de la betterave dans la région de Béni Mellal.
Schéma harmonisé
Les échanges entre experts européens et marocains ont permis d'adopter un schéma harmonisé pour l'évaluation et la gestion de risque et la gestion des crises.
Le jumelage s'est ainsi traduit par la création d'une « instance ARP » au sein de l'Organisation nationale de la protection des végétaux (ONPV) marocaine. Elle est chargée du suivi harmonisé des ARP tant pour les filières d'exportation que d'importation des marchandises végétales. Elle utilise des outils informatiques d'aide à la recherche d'information scientifique ou de modélisation bioclimatique (ex. logiciel Climex).
Afin de rendre plus méthodique la phase d'évaluation du risque phytosanitaire, il a été adopté une démarche de travail qui établit un classement des productions agricoles marocaines en fonction de leur risque phytosanitaire combiné avec une identification des principaux bio-agresseurs éventuels.
Guide de gestion de crise
Un guide de gestion des crises adapté aux conditions marocaines a été mis au point sur la base de l'expertise européenne. Ce guide validé sur des cas concrets au Maroc est maintenant opérationnel.
Cette phase s'est accompagnée de la formation par les experts français et italiens de 11 cadres marocains qui ont pour mission de diffuser les nouvelles dispositions dans les différentes provinces marocaines.
Assurance qualité et mise en réseau de laboratoires centraux et régionaux
Un dernier volet complète ces actions : il concerne les laboratoires d'analyses des résidus de pesticides et ceux chargés des organismes de quarantaine.
Ces laboratoires relèvent du ministère de l'Agriculture marocain. Il leur est demandé non seulement d'assurer les analyses de routine, mais aussi d'apporter au ministère un appui scientifique et technique efficace face à des organismes nuisibles nouvellement identifiés ou de nouvelles molécules à rechercher.
Clarification des rôles dans le réseau
À la suite d'un audit des laboratoires, il a été décidé d'orienter les efforts sur leur mise en réseau. Ainsi ces laboratoires, en nombre restreint et affichant une spécialisation, augmenteront leurs capacités et efficacités.
Une clarification a été opérée sur les rôles des futurs laboratoires de référence et les laboratoires de proximité.
Les premiers sont chargés des analyses et de leur coordination, de la mise au point de méthodes et de l'appui scientifique et technique. Les seconds sont chargés de répondre aux besoins en analyses de routine.
Les laboratoires ainsi sélectionnés ont bénéficié d'un accompagnement personnalisé de la part des experts européens afin de les faire évoluer rapidement.
Formations à l'assurance qualité
Des formations à la carte dans des laboratoires italiens et français ont permis aux personnels techniques marocains d'acquérir non seulement l'expertise de méthodes analytiques reconnues internationalement, mais aussi des modes d'organisation et de fonctionnement des laboratoires gérés selon les concepts de l'assurance qualité.
Ainsi est-il proposé, dans le cadre du jumelage institutionnel, que l'évolution des méthodes analytiques s'accompagne d'une démarche vers l'accréditation de l'assurance qualité norme ISO 17025, pour assurer la reconnaissance internationale des résultats obtenus.
Les connaissances scientifiques et les capacités technologiques des équipements analytiques évoluant très rapidement, un plan d'investissement de remise à niveau du matériel d'analyses d'un million d'euros (1 M€) a été préparé pour lancer les achats pertinents (appels d'offres).
Jumelage, bilan positif
Les efforts de toutes les parties prenantes au jumelage et les résultats obtenus en matière de réglementation, d'évaluation-gestion du risque phytosanitaire et de moyens analytiques, ont permis de tisser des liens entre experts de part et d'autre de la Méditerranée, sans doute au delà du jumelage. Les exposés des orateurs durant les sessions du colloque à Marrakech témoignent d'une action exemplaire.
Retombées pour l'AMPP et l'AFIPP
La démarche du jumelage institutionnel entre l'Union européenne et le Maroc a, au-delà de la convention signée, favorisé des rapprochements entre les associations œuvrant dans le domaine de la protection des végétaux : au Maroc l'AMPP, et en France l'AFPP, associations auxquelles appartiennent plusieurs membres marocains ou français du comité de jumelage et qui présentent de nombreuses similitudes dans leurs objectifs et activités (Encadré).
L'AFIPP fédère quant à elle une dizaine d'associations majoritairement africaines mais aussi belge qui sont regroupées en réseau et en partenariat avec l'Association française de protection des plantes (AFPP). Cette association relativement jeune dispose d'un vivier important de compétences francophones dans le domaine de la protection des plantes.
Elle a souhaité, à travers le colloque de Marrakech, se rapprocher du Maroc, un « des pays les plus avancés du continent africain [afin de]... mieux raisonner les systèmes de protection des plantes sous une approche de lutte soucieuse de préserver pendant qu'il est encore temps, notre environnement et la richesse de notre biodiversité » (extrait du discours du Président de l'AFIPP, M. Nazaire Nkouka, à la séance d'ouverture du colloque).
Côté méthodes alternatives
On constate par ailleurs que les préoccupations de l'utilisation à bon escient des pesticides sont les mêmes de part et d'autre de la Méditerranée. La conséquence étant la réduction des pesticides chimiques et le développement des recherches sur les méthodes alternatives. Ces dernières ont fait l'objet de deux sessions.
Deux sessions dédiées
La flore endémique des pays en développement a depuis longtemps acquis des moyens de défense contre son entomofaune : les connaissances sur la biologie et l'écologie des organismes nuisibles aux plantes doivent progresser pour la mise en œuvre de ces méthodes alternatives. Le colloque leur a consacré une session tandis qu'une autre présentait des communications sur les biopesticides.
Les propriétés de biocontrôle des plantes endémiques nord-africaines ou sub-sahariennes y ont été présentées, ainsi que l'utilisation de la lutte biologique à base d'auxiliaires ou de micro-organismes pour contrôler les bioagresseurs des cultures méditerranéennes ou africaines.
C'est donc très opportunément que le colloque a mis en avant l'étude des agrosystèmes de pays du Sud, pas suffisamment connus, pour envisager des solutions pour la santé végétale dans le cadre d'une agriculture durable.
Colloque, bilan positif aussi !
On ne peut que féliciter les membres du comité de pilotage du jumelage et du comité d'organisation du colloque d'avoir eu l'excellente initiative de cette manifestation qui s'est révélée d'un intérêt soutenu.
Et à titre personnel, je les remercierais également d'avoir placé ces débats dans le cadre de la francophonie. La large participation de chercheurs, venus du Maghreb et d'Europe mais aussi du Canada (Québec), de Syrie et du Burkina-Fasso, et s'exprimant en français, a permis d'affirmer une diversité culturelle plus que jamais nécessaire pour un développement durable. Celui-ci doit être respectueux non seulement de la biodiversité et de l'environnement, mais aussi du métissage des cultures.
<p>* Université de Pau et des Pays de l'Adour. catherine.regnault-roger@univ-pau.fr Administratrice mandatée par l'AFPP au colloque de Marrakech et membre du comité de rédaction de <i>Phytoma.</i></p>
Objectifs et activités de l'AMPP et l'AFPP
L'AMPP est une association créée en 1993. Ses adhérents (environ 500 membres) sont cadres et professionnels du secteur phytosanitaire (25 %), ingénieurs, enseignantschercheurs et chercheurs (25 %), techniciens et professionnels du secteur public (29 %) et agriculteurs et coopératives (21 %).
Les objectifs de l'AMPP sont :
– favoriser les contacts, les échanges et la diffusion de l'information sur les problèmes de protection des plantes au niveau professionnel et du grand public ;
– permettre une réflexion sur de meilleures structurations et valorisations de la profession phytosanitaire et une meilleure adéquation des activités de recherche, d'enseignement et de formation en matière de protection des plantes ;
– favoriser la collaboration nationale, régionale ou internationale avec les organismes ayant des centres d'intérêts en commun.
L'AMPP organise des journées thématiques et symposium, des tables rondes sur des thèmes d'actualité liés à la protection des plantes ou des cycles de formation. Elle édite également l'Index phytosanitaire marocain.
http://www.amppmaroc.org/index.html
L'AFPP développe une démarche analogue en France depuis 1984, d'abord sous le sigle ANPP (Association nationale de protection des plantes) puis en s'intitulant AFPP depuis 2000. Sa mission est de promouvoir la concertation et l'information sur la protection des plantes et de l'environnement par des actions de recherche, développement, enseignement et formation. Elle compte environ 700 adhérents à titre individuel, plus des adhérents institutionnels (services du ministère de l'Agriculture, instituts techniques agricoles et sociétés de l'industrie phytosanitaire).
À côté de formations ciblées, l'AFPP organise aussi des manifestations scientifiques : congrès, colloques et symposiums.
http://www.afpp.net