Trois vues des pépinières Crosnier. En médaillon p. 32, piège à xylébores. Ci-dessus, haie composite anti-psylle. Ci-contre, plants de pommiers et cerisiers et allée enherbée, comme la plupart des entrerangs, avec un mélange qui fleurira au printemps pour attirer les syrphes. Photos : Pépinières Crosnier
Les deux articles précédents ont traité de relations entre la santé végétale et le matériel végétal au niveau des semenciers avec le cas de la rouille du blé (p. 21) et à celui des sélectionneurs de plants avec les pommiers (p. 26). Mais ces relations continuent par la suite ! Notamment chez les producteurs des plants de vigne, d'arbres et arbustes fruitiers et d'ornement ou de fleurs. Évocation de trois entreprises familiales en forme de remontée de la Loire.
Commençons par la région Pays-de-la Loire avec les Pépinières Mercier dont le siège est situé à Vix, en Vendée (85). Cette entreprise emploie 135 équivalents temps plein et est le premier producteur de plants de vigne français. Originalité : ce sont les seules pépinières à notre connaissance à avoir testé le traitement des plants à l'Esquive WP. Ce produit à base de Trichoderma atroviride (une souche naturelle codée I-1237) est autorisé depuis fin 2009 pour traiter les plaies de taille contre l'eutypiose sous le numéro d'AMM(1) 2080004.
Mercier et la vigne
Maladies du bois, trichoderma
Cette autorisation est un événement. En effet, depuis le retrait de l'Escudo, plus aucun produit n'était autorisé contre cette maladie du bois, devenue « usage orphelin » voire « maladie orpheline ». C'est fini même si un seul produit ne représente pas un choix diversifié...
Certes l'eutypiose n'est pas la seule maladie du bois de la vigne. Il faut compter avec l'esca, voire le black dead arm pour ceux qui classent ce syndrome comme une maladie particulière. De février à mai 2008, l'Esquive WP avait été autorisé par dérogation contre l'esca notamment pour traiter les plants. Mais les résultats d'essais n'ont pas permis de trancher sur l'effet du produit contre ce syndrome complexe : il n'y a pas encore de méthode officiellement reconnue pour cela. En revanche, une telle méthode existe pour évaluer son effet contre Eutypa lata, agent de l'eutypiose, et elle a montré son efficacité. L'AMM contre l'eutypiose a été délivrée mais pas celle contre l'esca.
En pépinières, l'inoculation des plants a pour but d'installer le Trichoderma dans le bois pour qu'il « occupe le terrain » sans affaiblir la vigne et qu'il s'oppose à l'installation des champignons associés aux maladies du bois lors des opérations en pépinières voire des premières tailles après la plantation. Astucieux !
De fait, lors des tests réalisés sur plants, les mesures effectuées 15 mois après l'inoculation ont montré une bonne installation de ce Trichoderma. Cela suggère qu'il pourrait faire barrière aux entrées de champignons pathogènes. Mais on ignore la durée et l'efficacité de la protection conférée, notamment vis-à-vis de l'esca.
Côté durée, les prochaines étapes des essais, qui continuent sur le long terme, montreront si le Trichoderma se maintient plus longuement. Côté efficacité, seul l'effet sur Eutypa lata a été mesuré à ce jour même si les observations sur l'esca sont encourageantes.
Physiologie, mycorhizes
En attendant, les plants vendus en pots et proposés sous le titre « Force 9 » sont aussi mycorhizés. Autrement dit ils sont inoculés avec d'autres champignons bénéfiques vivant au niveau des racines. Il s'agit de mycorhizes naturelles (marque déposée Endorize). Elles ne revendiquent pas d'effet phytosanitaire : elles ne combattent pas tel ou tel champignon du sol ou autre bio-agresseur. Ce sont des amendements homologués comme tels. Par leur réseau supplémentaire, elles améliorent l'efficacité de l'absorption racinaire à partir des nutriments du sol. Elles favorisent la bonne reprise des plants (meilleur taux de reprise) et la résistance des ceps aux stress abiotiques (coup de chaud ou de froid, sol trop sec, trop humide, etc.) Il s'agit bien là de santé végétale alors qu'on n'est pas en présence d'un outil de protection directe des plantes contre leurs bioagresseurs.
Et le traitement thermique ?
Reste la question du traitement thermique à l'eau chaude. Cette technique est destinée à garantir des plants sains vis-à-vis de la flavescence dorée et du bois noir en détruisant les phytoplasmes responsables de ces maladies. Elle est efficace pour cela, sans compter son rôle de désinfection généraliste, mais elle est réputée rendre la reprise des plants plus difficile. De plus elle ne protège pas dans la durée : elle empêche l'arrivée de vignes contaminées dans les secteurs indemnes (utile !) mais pas la contamination de vignes plantées dans des vignobles déjà contaminés, et ce dès la première année après leur plantation.
Alors, plants traités à l'eau chaude ou pas ? C'est une décision à prendre par les viticulteurs, au cas par cas : l'entreprise est équipée pour le faire et le réalise à la demande des clients.
Analyses en garantie : côté ELISA
Une autre façon de garantir la santé du matériel végétal est de l'analyser afin d'éliminer, avant l'apparition de symptômes visibles, le matériel contaminé par des pathogènes transmissibles par les plants.
Depuis des décennies, le laboratoire de l'entreprise détecte par Das-Elisa les virus menaçant les vignes, court-noué et enroulement notamment. Cette prestation, pour laquelle le laboratoire dispose d'accréditations COFRAC, intéresse notamment les champs de piedsmère et permet de garantir la santé du matériel entrant dans le processus de fabrication des plants, puis celle des plants qui en sortent.
Côté PCR
Autre technique, la PCR : depuis 2009, le laboratoire la propose pour la détection de 8 espèces ou genres de champignons associés aux maladies du bois. Il y a Eutypa lata agent de l'eutypiose, deux espèces pionnières de l'esca Phaeomonellia chlamydospora (Pch) et Phaeoacremonium aleophilum (Pal) ainsi que l'ensemble du genre Phaeoacremonium, et puis Botryosphaeria obtusa, Botryosphaeria dothidea, Fomitiporia punctata et Cylindrocarpon destructans (un des agents du pied noir).
L'entreprise utilise la PCR pour suivre et améliorer ses processus de fabrication et l'applique à la demande aux lots qu'elle vend. Une assurance des plants les plus sains possible proposée aux acheteurs.
Le laboratoire travaille aussi à garantir des plants indemnes d'Agrobacterium vitis, bactérie responsable des « broussins », galles du collet sur vignes en place ou en pépinière (le point de greffe est vulnérable).
La maladie, réputée menacer surtout les vignobles à climat continental, concerne les clients à l'export. Et en France ? Le problème est mineur car les gels féroces sont plus rares chez nous qu'en Ukraine ou Hongrie. Mais toute plaie ou blessure peut être une porte d'entrée pour cette bactérie commune du sol. Les dommages mécaniques ou physiques autres que ceux dus au froid (plaies de taille basses, vents violents) représentent un risque. Les symptômes se manifestent à des températures favorables au développement de la bactérie (25 à 28 °C). Laquelle cause de gros dégâts en climat tropical !
De fait, les Pépinières Mercier détectent A. vitis et respectent des processus de production pour garantir son absence dans les plants vendus.
Crosnier et les ligneux
Quittons la région Pays-de-la-Loire pour le Centre-Val-de-Loire en nous rapprochant du fleuve. Les Pépinières Crosnier à Nazelles-Négron dans l'Indre-et-Loire (37), près d'Amboise, emploient une vingtaine d'équivalents temps plein et produisent des végétaux ligneux. Des poiriers aux rosiers, on y trouve toutes sortes d'arbres et arbustes fruitiers et d'ornement destinés surtout au grand public. L'entreprise a été évoquée dans un dossier « Enjeu écologique » de notre confrère Le Lien Horticole (Encadré 2 p. 35). Voici un rappel et des compléments sur la façon dont elle gère la santé de son matériel végétal.
Pêcher, agir aux sources
Premier volet : la production de plants de pêchers. Ils sont indemnes du virus de la sharka. On sait qu'il n'y a pas de solution curative contre ce virus, organisme de quarantaine transmis par des pucerons. Mais l'entreprise a la chance d'être située dans une région indemne.
Une extrême vigilance sur la qualité sanitaire des fournisseurs avec une sélection drastique des sources et des contrôles à la clé lui suffit pour rester indemne. Et les autres maladies, cloque en tête ? Le choix proposé est composé de variétés rustiques, essentiellement anciennes : les nouvelles variétés, adaptées à l'arboriculture professionnelle méridionale, sont sensibles à la maladie sous le climat du Val-de-Loire. L'entreprise les a tout simplement abandonnées.
Pommier et tolérance variétale
Côté pommier, on note dans le catalogue la présence de deux variétés de Reinette que l'on sait être rustiques vis-à-vis de la tavelure par résistances partielles (voir l'article p. 26). De plus, Robert et Arnaud Crosnier ont pris au Sival 2010 des contacts avec des sélectionneurs proposant d'autres variétés rustiques. Affaire à suivre !
Poirier, haies vives contre psylle
Et les poiriers ? Ils sont garantis indemnes de feu bactérien. Mais par ailleurs l'espèce est en butte au Pear Decline, maladie due à un virus transmis par le psylle du poirier Cacopsylla pyri et contre lequel il n'y a pas de lutte curative. Il faut éliminer les plants infectés et, pour en avoir le moins possible, appliquer des insecticides dès que les populations du psylle atteignent un certain seuil. L'entreprise s'est organisée pour limiter les traitements.
Pour cela, elle a planté des haies ! En effet, les poiriers proches de bois étaient moins attaqués que les autres. Renseignements pris, il s'est avéré que c'était grâce aux insectes auxiliaires hantant ces bois. Des haies permettent de favoriser ces auxiliaires, si elles sont judicieusement composées. Phytoma avait évoqué leur rôle en verger de production(1).
L'entreprise a donc implanté des haies composites avec saules, viburnum (alias viornes), lierre, etc. Résultat : les infestations sont plus tardives donc les seuils d'intervention atteints plus tard et moins souvent, et le nombre de traitements a diminué.
Ceux qu'il faut vraiment faire sont réalisés dans les meilleures conditions possibles : vers 17 heures car les psylles sont alors actifs donc vulnérables, et avec un canon à air pulsé qui assure une bonne répartition sur le feuillage.
Par ailleurs les pépinières travaillent en lien avec la FREDON Centre qui a succédé au SRPV (aujourd'hui SRAL) pour la surveillance du territoire. Des tests Elisa de détection du virus sont réalisés régulièrement et tout végétal infesté voire même simplement douteux est systématiquement éliminé.
Albizzia, haies anti-psylle aussi
Autre psylle combattu par les haies, celui de l'albizzia. Nommé Acizzia jamatonica, il a été détecté en régions méditerranéennes françaises dès 2004(2), puis en Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées, puis vers l'Atlantique en 2006(3)... Il est maintenant présent en Pays-de-la-Loire.
Mais lui aussi est combattu par les auxiliaires prédateurs de psylle (Anthocoris, etc.), et les haies ont là encore un effet bénéfique.
Pleine terre, fleurs jaunes contre pucerons
Les haies, mais l'herbe et les fleurs aussi ont leur rôle. Comme l'écrivait F. Ginestet dans Le Lien horticole, les entre-rangs des parcelles de tige en pleine terre ont été enherbés « avec des graminées et un mélange fleuri à dominante jaune, couleur qui attire les syrphes, insectes prédateurs de pucerons ». Utile pour de nombreux plants fruitiers et ornementaux.
Piéger le xylébore dans les containers
Quant aux plants en containers, il faut les protéger du xylébore disparate Xyleborus dispar. Ce coléoptère peut entraîner des pertes de sujets et, comme il passe une partie de son cycle dans le bois, tout plant infesté non repéré à la vente peut poser problème à l'acheteur ! Les pépinières Crosnier se sont organisées pour minimiser le nombre de traitements.
15 pièges sont répartis sur les 15 000 m2 de containers en plein air. Leur couleur rouge attire le xylébore. De plus, ils contiennent de l'alcool à 70 °C : c'est, pour ce pochard de xylébore, un attractif alimentaire. Dès 20 adultes capturés par piège, on traite, au bon moment.
À noter : il semble que, depuis que l'entreprise utilise ces pièges, la pression soit moins forte. Coïncidence ? Ou bien le piégeage des premiers adultes contribue-t-il à atténuer et retarder les pullulations ? La question mérite d'être posée.
La Belle Grange et les fleurs
Remontons le cours de la Loire pour arriver dans le Loiret, à Saint-Jean-le-Blanc, près d'Orléans. La Belle Grange (famille Fortin) emploie huit permanents plus, cinq mois par an, cinq saisonniers-réguliers (salariés permanents d'un groupement d'employeurs, une formule intéressante et sécurisante pour les employeurs comme les employés). Elle produit des plantes fleuries. à part les chrysanthèmes et les rosiers en container qui sont cultivés en plein air, toutes les autres (pensées, primevères, géraniums, plantes à massifs diverses) sont cultivées sous abris, surtout des serres verre.
Plants « distancés » et peu chauffés
Ici, la prise en compte de la santé végétale se fait très en amont des traitements. Les plants sont menés de façon relativement extensive. Ils sont produits en mottes pressées, technique empruntée aux pépiniéristes maraîchers, et ils sont « distancés » ; les serres ne sont chauffées que si la température descend en dessous de par exemple 4 °C pour les bisannuelles (pensées et primevères), et 11-12 °C pour les géraniums. Bilan : la culture des plants demande plus de temps et d'espace mais moins d'intrants : moins de consommation d'énergie, moins d'eau d'arrosage, pas du tout de régulateurs de croissance (le plant, moins « forcé », est naturellement plus compact et ramifié avec une meilleure floribondité), et très peu de produits phytosanitaires proprement dits : les attaques de pythium et autres maladies telluriques sont très rares.
Bio-diversité, hygiène, pièges
Et les insectes et maladies foliaires ? Tout d'abord, la moindre densité freine les infestations et épidémies. De plus, jusqu'à 30 espèces florales différentes cohabitent parfois dans la même serre. Cette biodiversité freine efficacement les bioagresseurs spécifiques de chacune des espèces cultivées.
Par ailleurs, la Belle Grange est extrêmement vigilante sur la prévention et l'hygiène. Tout plant douteux et tout déchet végétal est sorti des serres et éliminé rapidement.
Concernant les insectes, des pièges chromatiques sont disposés dans les serres afin de repérer les infestations pour ne traiter que quand il faut et là où il faut. Mais la pression est faible : aux printemps 2008 comme 2009, aucun traitement insecticide n'a été effectué. Et l'été, comment gérer la pression des insectes ? La parade est impeccable : c'est le moment où toutes les serres sont vidées, drastiquement nettoyées et mises en vide sanitaire pendant un bon mois !
<p>* Phytoma.</p> <p>(1) Autorisation de mise sur le marché.</p> <p>(1) Plusieurs articles de Jean-François Debras & al., de l'Inra d'Avignon. Dernier en date : <i>« Les haies, sources d'auxiliaires en cultures : le cas des perce-oreilles en vergers de poiriers »</i> est paru dans <i>Phytoma</i> n° 600 de janvier 2007, p. 37 à 41. Auparavant <i>« Combien d'espèces végétales planter dans une haie »</i> était paru dans <i>Phytoma</i> n°556 de janvier 2003, p. 45 à 50, etc.</p> <p>(2) Decoin M., 2006 - Ennemis des arbres, des « pestes » qui montent. <i>Phytoma</i> n° 594, juin, p. 14 à 18.</p> <p>(3) Eric Chapin & Gilbert Chauvel, 2007 - Nouveaux bioagresseurs des végétaux d'ornement, <i>Phytoma</i> n° 605, juin, p. 18 à 21.</p>
1 - Pourquoi parler Trichoderma ?
Pourquoi parler d'Esquive WP dans un dossier sur le matériel végétal alors que ce produit à base de Trichodrema atroviride est autorisé sur plaies de taille ? L'inoculation des plants peut être assimilée à un badigeonnage de plaie car il s'agit de protéger la soudure greffon/porte-greffe (préalablement taillés) mais ce n'est pas l'usage visé en priorité par l'AMM !
Parce que des études citées dans Phytoma(1) ont montré que des champignons associés aux maladies du bois peuvent être présents en pépinières, qui risquent donc d'être un lieu de contamination du matériel végétal.
Réciproquement, elles peuvent garantir la qualité sanitaire du matériel végétal vendu. Qu'il s'agisse de soigner du matériel arrivant contaminé dans les parcelles de pieds-mère, d'empêcher la contamination dans la pépinière du matériel qui y est arrivé sain, ou de repérer tout matériel contaminé pour l'éliminer à l'entrée ou à la sortie de la pépinière, on peut aboutir à vendre des plants sains plutôt que porteurs d'agents pathogènes.
Les tests Elisa et PCR existent pour contrôler en amont les champs de pieds-mère, les Pépinières Mercier les utilisent (v. ci-contre). Mais l'entreprise ne se contente pas de ce filet de sécurité. Elle teste l'inoculation avec T. atroviride dans le but de diminuer le risque de développement de champignons associés à des maladies du bois.
(1) Viguès V. & al., 2008 - Maladies du bois de la vigne, des étapes à risque identifiées en pépinières, dans Phytoma n° 621 de décembre, p. 30 à 32. Viguès V. & al., 2007 - Les maladies du bois peuvent commencer en pépinières, dans Phytoma n° 609 de novembre, p. 20 à 23. Larignon & al., 2006 - Maladies du bois de la vigne, et les pépinières ? dans Phytoma n° 592, p. 14 à 17.
2 - Dossier « Enjeu écologique », le Lien horticole : 4 pépiniéristes du Centre en vedette
En décembre dernier, l'hebdomadaire Le Lien Horticole publiait un dossier spécial « Enjeu écologique ». Au menu :
– état des lieux des pratiques d'irrigation, fertilisation et protection des cultures ;
– Nouveaux itinéraires techniques : chauffage des serres, choix de végétaux ;
– Protection des végétaux : place de la PBI (protection biologique intégrée) ;
– Matériel et fournitures « top écolo 2009 » ;
– Quatre exemples en région Centre : Pépinières Crosnier et La Belle Grange donc, et aussi Horti Sologne (plants maraîchers, fraisiers et petits fruits), et les Pépinières Dupont & fils (plants floraux).
Disponible dans le n° 688 du Lien horticole (daté du 17/12/2009).