L'ambroisie à feuilles d'armoise est présente en France depuis un siècle et demi... mais c'est bien plus tard qu'elle est devenue une espèce végétale émergente. Son aire de répartition s'étend et sa densité de population augmente dans ses « zones historiques ». Or son pollen est responsable d'affections chez une part grandissante de la population. Ces pollinoses posent un problème de santé publique et imposent de lutter particulièrement contre cette espèce. Pourquoi cette émergence rapide ? Quel rôle y joue l'agriculture et ses évolutions récentes ? Pourquoi faut-il combattre l'ambroisie en zones agricoles ? Quels sont les atouts de nouvelles techniques de lutte mais aussi les précautions à prendre avec elles ? Répondre à ces questions permettra de mieux maîtriser l'ambroisie.
Les milieux cultivés constituent des habitats particulièrement favorables au développement de certains organismes qui, profitant d'une ressource trophique abondante, peuvent alors développer des populations importantes.
L'arrivée de nouvelles espèces, parfois originaires de zones géographiques lointaines, peut poser un réel problème agronomique. Des ravageurs animaux tels le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria) et la chrysomèle des racines du maïs (Diabrotica virgifera- Reynaud et al., 2006) font l'objet de surveillance par les services de la protection des végétaux. De même, des espèces végétales telles que le souchet comestible (Cyperus esculentus), le sicyos anguleux (Sicyos angulatus) et l'orobanche rameuse (Orobanche ramosa) sont actuellement en expansion dans les systèmes cultivés en France.
Les agriculteurs, eux aussi sensibles à ce problème, détectent régulièrement dans leurs parcelles de « nouvelles mauvaises herbes » (Chauvel et al., 2005) aux provenances variées. L'arrêt d'utilisation d'une famille d'herbicides (Béraud, 2006), le passage au travail superficiel du sol, l'introduction d'une nouvelle culture, le changement de date de semis : autant de facteurs favorables à « l'apparition » de « nouvelles » espèces d'origine plus ou moins lointaine.
Parmi les différentes espèces citées par les agriculteurs, l'ambroisie à feuilles d'armoise (Ambrosia artemisiifolia) est certainement l'espèce végétale étrangère (xénophyte) qui pose aujourd'hui le problème le plus important en terme d'invasion biologique des milieux cultivés. Son développement actuel en France se traduit à la fois par un élargissement de son aire de répartition et par une augmentation du nombre et de la densité des populations dans les zones anciennement colonisées.
De plus, le nombre de nouveaux milieux dans lesquels la plante peut être observée est également en augmentation.
Quelques généralités sur l'espèce
L'ambroisie à feuilles d'armoise est une espèce annuelle à germination printanière de la famille des Astéracées. Les fleurs mâles situées à l'extrémité des tiges disséminent à partir de la mi-juillet (photo de couverture), et parfois très loin des pieds émetteurs, un pollen responsable de pollinoses chez une part notable de la population humaine. La plante produit ses premières semences matures à partir de mi-septembre. L'espèce est donc principalement identifiée dans les cultures à semis tardif mais elle est aussi capable de se développer sous le couvert de cultures d'hiver telles que le colza ou le blé.
L'ambroisie est particulièrement visible pendant la période d'interculture dans les parcelles non déchaumées où son développement peut être spectaculaire ainsi que dans les parcelles de tournesol (photo 1). Présente sur n'importe quel type de sol, c'est une espèce très compétitive vis-à-vis de la culture en place.
1860-1970, 110 ans de discrétion
Introduite au début des années 1860 avec des semences de trèfle violet en provenance des États-Unis, l'ambroisie, d'abord uniquement identifiée dans les milieux cultivés (cultures fourragères), est sortie de cet habitat initial pour occuper les bords de route et les zones d'étiage des cours d'eau (Loire, Rhône, Isère...).
La plante a été introduite en de nombreux endroits en France tout au long du XXe siècle. Toutefois, il n'existe que peu de données sur la présence de l'ambroisie dans les parcelles cultivées du début du XXe siècle. Sa première citation dans Phytoma semble dater du début des années 1960 (Bouron et Poignant, 1960). Ceci peut sans doute s'expliquer par l'existence de populations qui, bien que quelquefois très denses, devaient rester très localisées, mais aussi par les plus faibles surfaces de cultures de printemps, lesquelles sont favorables au développement de l'espèce.
Années 80, la révélation
C'est à la fin des années 1980 que l'on trouve dans Phytoma des articles sur l'ambroisie dans la culture du tournesol en tant qu'espèce difficile à désherber (Desplantes, 1989 ; Perny, 1990). Puis à partir de 1995, des articles entièrement consacrés à la gestion de l'espèce se succèdent traduisant l'augmentation de difficultés dues essentiellement à une efficacité incomplète des herbicides (Jacquemet, 1995 ; Bertrand et Maupas, 1996 ; Chollet et al., 1998).
L'ambroisie est présente dans tous les milieux perturbés par les activités humaines et sa tolérance à la sécheresse lui permet d'occuper des zones particulièrement pauvres (bords de route, gravières, zones de stockage) où elle n'est que très faiblement concurrencée par d'autres espèces végétales. Elle disparaît dès que la concurrence exercée par la végétation est trop forte (prairie permanente) mais peut se maintenir dans des friches ou des jachères tant qu'il lui reste suffisamment d'espace pour germer. Toutefois dans ces derniers types de milieu, elle souffre de la compétition et son développement est généralement réduit.
La présence aujourd'hui
Aujourd'hui, l'espèce est bien présente en France (carte 1) mais la densité de ses populations est très hétérogène d'une région à l'autre. Les plus fortes restent dans la vallée du Rhône et dans le département de l'Allier. Ce sont les premières zones d'implantation de l'ambroisie.
La carte de capture des pollens pour l'année 2009 (carte 2) permet d'avoir une idée de la densité de plantes présentes même si le pollen de l'ambroisie est connu pour se disperser à longue distance et peut être capturé dans des zones où la plante est absente.
Pourquoi et comment parvient-elle à se disperser ?
Des outils, de l'eau, voire divers matériaux...
La taille des semences exclut une dispersion par le vent et leur ornementation (photo 2) ne semble pas favoriser leur transport par des animaux. Dans les milieux cultivés, comme les autres adventices, l'ambroisie est dispersée par les outils de travail du sol.
Par ailleurs les moissonneuses batteuses semblent jouer un rôle particulièrement important dans les zones où les agriculteurs ne possèdent pas leur propre machine. L'irrigation par immersion pourrait aussi avoir un rôle local non négligeable et, malgré les précautions prises, on ne peut exclure encore aujourd'hui la dispersion par la contamination des semences utilisées en agriculture (Cadet et al., 2007).
Quelques phénomènes plus locaux évoqués par des agriculteurs tels que l'apport de matériaux (sables de rivière, marnage, etc.) ont pu aussi contribuer à des époques plus ou moins lointaines à la propagation de l'ambroisie.
Le mode de dispersion de l'espèce varie suivant les zones géographiques : soit prépondérance de la dispersion par des vecteurs agricoles (cas de la Côte-d'Or), soit rôle important des corridors fluviaux (vallées du Rhône, de la Loire...) soit rôle des matériaux transportés pour l'entretien des voies de communications (Ardèche).
Tournesol et pratiques actuelles
Différents autres facteurs ont pu contribuer à la dispersion de l'ambroisie. Le remplacement du maïs par le tournesol, culture proche botaniquement de l'ambroisie, a pu favoriser l'extension de la plante (Déchamp et al., 2001).
Le contexte environnemental actuel, avec le retrait d'un certain nombre de molécules herbicides, favorise aussi certainement le développement de l'ambroisie dans les milieux agricoles. Observée depuis longtemps dans le tournesol, le soja ou le sorgho, l'ambroisie est aujourd'hui présente dans de nouvelles cultures telles que le pois de printemps voire le maïs (Bibard, 2007) ainsi que dans des vergers de la vallée du Rhône. Grâce à un système racinaire important, l'espèce se montre très tolérante à toutes les pratiques de désherbage mécanique et de déchaumage superficiel et semble toujours parvenir à produire des semences malgré des stress intenses.
Enfin les jachères florales, vu la réglementation qui y est attachée (broyage tardif), sont particulièrement favorables à l'extension de l'ambroisie et d'autres adventices estivales (amarantes, morelles, panics, sétaires, etc.).
Études en cours à l'INRA
Mieux connaître les facteurs qui facilitent l'envahissement de l'ambroisie est une étape-clé vers une gestion durable du problème. C'est pourquoi les recherches actuelles, réalisées à l'INRA dans le cadre d'une thèse, s'orientent vers l'étude et la compréhension des mécanismes qui permettent à des espèces introduites envahissantes telles que l'ambroisie de surpasser les espèces natives dans leur propre environnement.
Un des principaux mécanismes avancés par les écologues serait la variabilité génétique (plasticité phénotypique) de ces plantes envahissantes qui leur permet de s'adapter à de nouvelles conditions environnementales en changeant leur développement (modifications physiologiques ou phénologiques). Ces modifications sont la source d'une grande capacité d'adaptation qui facilite l'envahissement des milieux les plus divers.
La plasticité phénotypique répond à des signaux environnementaux tels que la température, la luminosité ou les conditions hydriques et permet une bonne adaptation aux pratiques culturales. Ce mécanisme très réactif rend l'espèce d'autant plus agressive dans les milieux naturels. Ces travaux actuels visent à approfondir les connaissances sur les mécanismes biologiques d'adaptation de l'ambroisie à différents environnements, ainsi qu'à parvenir à déterminer son niveau de plasticité phénotypique afin de mieux comprendre le pouvoir envahissant de cette espèce introduite.
Quelle gestion pour cette espèce ?
Les enjeux de la gestion de l'ambroisie dans les parcelles cultivées sont importants d'un point de vue agronomique (mise en place de pratiques intégrées) mais aussi législatif. En effet, plusieurs départements français ont produit des décrets préfectoraux (agriculture - DDAF/ santé - DDASS) impliquant une interdiction de la montée à graine de l'espèce (surface en gel environnemental) et/ou interdisant la présence de la plante en fleur sur les parcelles (limitation de la production de pollen) (Carte 3).
Le poids de l'interculture
Pourtant avec un cycle végétatif long et une production de semences très tardive, l'ambroisie semble a priori peu adaptée à la survie dans les milieux cultivés. Seule la durée de vie des semences d'environ dix années dans le stock et leurs dormances naturelles ou induites semblent susceptibles de lui conférer un réel avantage dans les parcelles cultivées.
Aussi sa propagation pourrait être surtout liée à un relâchement de la pression de gestion pendant la période d'interculture (déchaumage insuffisant, cultures intermédiaires non recouvrantes), qui permettrait la constitution de stocks de semences importants.
Désherbage chimique
L'ambroisie ne présente pas de problématique particulière vis-à-vis du désherbage chimique : pas de tolérance naturelle, pas de cuticule imperméable (Gauvrit et al., 2006). Les difficultés de gestion liées à une plus faible efficacité du désherbage chimique ont des causes différentes en interculture, en zones non agricoles et dans certaines cultures.
En interculture, ces problèmes de désherbage peuvent être liés à l'application de produits en conditions sub-optimales (pourcentage d'hygrométrie insuffisant pour le glyphosate).
En zones non agricoles, le stade d'application des produits est important car la limitation de la production de semences est difficile à obtenir en une seule application (Gauvrit et al., 2005) : un désherbage précoce favorise le démarrage d'une seconde vague de plantes et un désherbage trop tardif ne permet pas d'éviter la production de semences.
En cultures, la lutte contre l'ambroisie, facile par exemple dans le maïs, peut poser des problèmes en cultures de dicotylédones telles le pois mais surtout le tournesol qui est proche botaniquement de l'ambroisie.
Le développement de l'ambroisie est actuellement particulièrement important en culture de tournesol où la gestion de mauvaises herbes de la famille des Astéracées (ambroisie mais aussi bidents, lampourde) et des Solanacées (morelle noire) est devenue plus difficile avec le retrait de certains produits tels la trifluraline.
À propos de « tournesols tolérants »
La mise sur le marché de variétés de tournesol « tolérantes aux herbicides » sur lesquelles ont été sélectionnées des mutations du gène de l'acétolactate synthase - ALS induisant une résistance à un herbicide de la famille des imidazolinones (Clearfield© BASF Agro) ou de la famille des sulfonylurées (ExpressSunTM DuPont), apparaît alors comme une solution technique très attirante. Ces variétés permettent un désherbage chimique de post-levée efficace avec des grammages faibles, et qui peut de plus être combiné avec des pratiques de désherbage mécanique (désherbinage).
Cette solution variétale doit néanmoins être utilisée avec beaucoup de précautions et intégrée dans un raisonnement global du désherbage. Si pour le moment, aucune résistance aux herbicides chez l'ambroisie n'a été encore publiée en Europe, de nombreux cas ont déjà été signalés en Amérique du Nord concernant des familles variées (Tableau 1).
La sélection de populations d'ambroisies résistantes au glyphosate dans des cultures de soja génétiquement modifié aux États-Unis confirme bien la réalité du risque encouru (Heap, 1999).
En ce qui concerne le mode d'action (inhibiteurs de l'ALS) et les substances actives impliquées dans les résistances des variétés de tournesol, l'ambroisie a déjà développé sur de très grandes surfaces des résistances à ces produits dans différents états américains (Heap, 1999). La mutation actuellement identifiée dans ces populations américaines d'ambroisie (mutation en position 574 – Tranel et al., 2008) confère la résistance à la plupart des molécules de cette famille d'herbicides.
Aussi, la tentation légitime des agriculteurs ou des préconisateurs d'utiliser des variétés résistantes sur les zones les plus infestées pourrait avoir pour conséquence de favoriser rapidement la sélection de populations d'ambroisies résistantes, le risque étant d'autant plus important que la densité des populations d'ambroisies est forte.
On ne peut prévoir avec certitude quelle mutation pourrait être sélectionnée en France chez l'ambroisie, mais l'utilisation répétée de ces nouvelles variétés dans des conditions de contrôle difficile comporte aussi théoriquement d'autres risques comme la sélection de résistance chez d'autres espèces notamment chez les tournesols sauvages.
Parcelles très envahies, intégrer les techniques
Sur les parcelles fortement envahies, la gestion la plus raisonnable de l'ambroisie reste de multiplier les techniques culturales susceptibles d'enrayer la dynamique de l'espèce. Aussi dans ces parcelles, il est nécessaire de ne plus semer de tournesol (ou des cultures où l'efficacité du désherbage est réduite) pendant plusieurs années en privilégiant des cultures d'hiver ou, sinon, du maïs dans lequel un désherbage efficace de l'ambroisie est possible.
Il faut aussi profiter des périodes d'interculture pour épuiser le stock de semences en favorisant des levées qui seront éliminées par les travaux de déchaumage. La durée de vie et la dormance des semences d'ambroisie dans le sol rendent ces pratiques moins efficaces en comparaison des résultats obtenus sur des espèces comme le vulpin ou le brôme, mais la destruction des plantes avant production de semences amènera à moyen terme une réduction de la banque de graines permettant ainsi une gestion par le désherbage chimique moins risquée.
Par ailleurs la sélection de populations d'ambroisies résistantes aux herbicides sera certainement ressentie comme une aggravation des problèmes liés à cette espèce allergisante et les acteurs du monde agricole pourraient alors en être tenus pour responsables... même à tort.
Quels enjeux ?
Dans le contexte actuel de conservation de la biodiversité, la volonté d'éradiquer une espèce végétale peut paraître exagérée au regard des quantités herbicides utilisées ou du coût engendré par les différents types de pratiques de gestion. Mais les pollinoses dues au pollen d'ambroisie touchent une part grandissante de la population. Ce réel problème de santé publique mobilise de nombreux acteurs publics comme privés et les coûts engendrés pour les soins sont de plus en plus élevés.
Pour les acteurs du monde agricole, une gestion efficace de l'ambroisie, dans le respect des contraintes environnementales et agronomiques, pourrait représenter un réel enjeu sociétal qui semble, à moyen terme, d'un point de vue technique et économique, à la portée des agriculteurs qui sont sans doute les mieux armés pour gérer cette espèce.
Du point de vue de la santé, l'ambroisie pose un problème réel et qui s'étend au-delà de la parcelle agricole. Cela impose une gestion globale de cette plante à l'échelle du territoire français mais aussi une bonne gestion des parcelles cultivées, ce qui diminuera déjà de façon importante la gêne apportée par cette espèce allergisante.
<p>* INRA, UMR 1210 Biologie et Gestion des Adventices, Agro-Sup-INRA-UB, 17, rue Sully, BP 86510. 21065 Dijon Cedex. bruno.chauvel@dijon.inra.fr</p>
Carte 1 - Présence de l'ambroisie : synthèse obtenue à partir des données de Muller (2004), Dessaint et al., (2005) et Cetiom (2009).
Carte 2 - Nombre de jours où le risque d'exposition au pollen est moyen (de 3 à 10 grains de pollen par m3 (d'après Site RNSA, 2009).