Dégât de Tuta absoluta sur tomate : fruit invendable. Comment combattre le ravageur sans remettre en cause la PBI, protection biologique intégrée ? ph. Biotop
Les producteurs de tomate sous abris et de plein champ du sud de la France font face depuis maintenant deux ans à un nouveau ravageur : le papillon Tuta absoluta. De plus, cette mineuse a été signalée récemment dans d'autres bassins de production (Pays-de-la-Loire, Bretagne), même s'il ne s'agit que d'individus repérés grâce à des piégeages et en l'absence de dégâts (Decoin, 2010). Vu la nuisibilité de ce ravageur qui fait déjà peser une forte pression sur la campagne de production à venir, il faut trouver rapidement des moyens de lutte. Nous présentons ici un nouvel auxiliaire. Ce parasitoïde, précisément un trichogramme, est très intéressant associé à des auxiliaires prédateurs, à la prophylaxie et à d'éventuels traitements biologiques ciblés épargnant les auxiliaires. Bref, dans un cadre de lutte intégrée.
Originaire d'Amérique du Sud, Tuta absoluta est un ravageur invasif introduit accidentellement en Europe. Il sévit pratiquement sur tout le pourtour méditerranéen (Desneux et al., 2010). Il est très probable que cette phase d'extension se poursuive en France et en Europe dans les prochaines années.
Ce papillon se développe principalement sur la tomate mais aussi sur d'autres solanacées cultivées, dont la pomme de terre, le poivron, l'aubergine (Campos, 1976) et également sauvages telles que la morelle noire.
Ses larves (chenilles) vivent en mineuses, creusant des galeries dans tous les organes aériens de la plante à n'importe quel stade de développement. Elles ont une préférence pour les feuilles et les tiges, certaines têtes et bouquets pouvant être détruits, mais on les trouve aussi fréquemment dans les fruits (photo 1) lorsque la pression du ravageur devient importante.
Ces galeries ont un impact sur le rendement par une baisse de la croissance des plantes et provoquent des dégâts directs sur les fruits qui sont alors impropres à la commercialisation. Une seule chenille peut contaminer plusieurs fruits. Le fort potentiel de développement de T. absoluta (8 à 10 générations/an en conditions chaudes, jusqu'à 260 œufs/femelle) peut entraîner des pertes totales de récolte si aucune mesure de protection n'est entreprise (Barrientos et al., 1998).
Panorama de la lutte contre Tuta absoluta
La lutte contre ce ravageur est particulièrement difficile, d'abord en raison du comportement alimentaire des chenilles qui vivent en mineuses (ce qui les protège des applications insectides) et de son taux de reproduction très élevé. D'autres facteurs rendent difficile la lutte au moyen d'insecticides chimiques.
Pourquoi les insecticides chimiques posent problème
Tout d'abord, des cas de résistance aux insecticides couramment employés sur tomate ont déjà été signalés dans les pays d'origine (Siqueira et al., 2000, 2001 ; Lietti et al., 2005). De plus, le développement de la protection biologique intégrée (PBI) en serre (qui concerne 80 % des surfaces de serre de tomates en France), basée notamment sur l'utilisation d'insectes utiles parasitoïdes et prédateurs, restreint de fait l'utilisation des insecticides à cause des effets secondaires potentiels sur ces agents de lutte biologique (Desneux et al., 2007).
Un retour à l'utilisation des produits de synthèse serait synonyme d'abandon de la lutte intégrée ce qui est difficilement concevable en raison des cahiers des charges et des politiques de réductions des pesticides (plan Ecophyto 2018).
Ainsi, les traitements utilisables contre le ravageur sont à la fois peu nombreux et peu ou pas compatibles avec la PBI existante sur tomate.
Concernant les bio-insecticides à base de Bt
Les produits plus spécifiques des lépidoptères et réputés inoffensifs vis-à-vis des auxiliaires sont ceux à base de Bacillus thuringiensis. Deux souches, Bt kurstaki et Bt aizawai, sont homologuées contre les noctuelles et ont un effet notable sur T. absoluta (Gonzalez-Cabrera et al., 2010). Il est conseillé de les utiliser en alternance pour éviter l'apparition trop rapide de résistance. Ces préparations sont cependant surtout efficaces sur les jeunes stades de T. absoluta et, de plus, elles possèdent une faible rémanence. Ceci oblige à les utiliser à une cadence hebdomadaire, donc avec des coûts importants pour les producteurs.
Prophylaxie et auxiliaires
Actuellement la stratégie de lutte vise à intégrer tous les moyens disponibles, tant prophylactiques (Encadré p. 12) que biologiques, notamment l'utilisation des auxiliaires parasitoïdes et prédateurs.
Parmi ces derniers, les punaises mirides Macrolophus caliginosus ou Nesidiocoris tenuis (cette espèce étant lâchée en Espagne et au Maroc) utilisées contre les aleurodes, jouent un rôle non négligeable contre T. absoluta. Des études montrent que ces punaises peuvent attaquer de façon importante les œufs du ravageur, voire de très jeunes larves (Urbanera et al., 2009). Ainsi une population de prédateurs bien installée peut être responsable d'une réduction significative des dégâts de T. absoluta sur les tomates.
Cependant l'installation des mirides, particulièrement l'espèce M. caliginosus, est relativement longue et n'est effective que 8 à 10 semaines après leur apport en culture, suivant les situations climatiques rencontrées. En attendant, la population de ces auxiliaires n'est pas capable de limiter le développement du ravageur et il n'est pas non plus possible d'utiliser des traitements chimiques qui constitueraient un frein à leur bonne installation dans la culture.
Un nouvel auxiliaire pour lutter contre Tuta absoluta : Trichogramma achaeae Nagaraja & Nagarkatti
Le parasitoïde Trichogramma achaeae Nagaraja & Nagarkatti a été récemment mis sur le marché comme nouvel outil de lutte biologique contre ce papillon ravageur, par la société Biotop.
Les trichogrammes sont des micro-hyménoptères mesurant moins de 1 mm (à l'image des parasitoïdes d'aleurodes Encarsia ou Eretmocerus) qui ont l'avantage de parasiter et donc de détruire les œufs des papillons ravageurs, empêchant ainsi la naissance des chenilles et leurs dégâts. Ces auxiliaires sont déjà largement utilisés pour lutter contre la pyrale du maïs, notamment en France où plus de 120 000 ha de maïs sont ainsi protégés chaque année avec l'espèce Trichogramma brassicae.
Histoire de T. achaeae
L'espèce sélectionnée pour être utilisée contre T. absoluta, T. achaeae, a été trouvée en Espagne en 2008 (Cabello et al., 2009) (photo 2). Elle s'est avérée bien adaptée à la lutte contre ce ravageur dont les œufs sont très petits et isolés, et aussi adaptée aux fortes chaleurs régnant en été dans les serres. Chaque femelle de ce parasitoïde peut parasiter et détruire plusieurs dizaines d'œufs du ravageur dans sa vie.
La production de masse de cet auxiliaire a été mise au point à partir des œufs d'un hôte de substitution, Ephestia kuehniella, qui, après parasitisme par les trichogrammes, sont conditionnés en diffuseurs sécables afin d'assurer la protection et la libération des trichogrammes dans les serres (photo 3).
Lâchers inondatifs : doses et périodes
La méthode d'utilisation est basée sur des lâchers inondatifs. La dose doit être adaptée en fonction du nombre moyen de papillons capturés chaque semaine dans les pièges à phéromones, du taux de feuilles de tomates attaquées (présence de mines de T. absoluta), ainsi que du niveau de présence des punaises mirides. Comme celles des aleurodes, les premières attaques de T. absoluta ont souvent lieu dans les secteurs les plus chauds de la serre, en général bien connus des producteurs. Il faut s'intéresser particulièrement à ces zones pour suivre l'évolution du ravageur dans la serre. Un foyer d'infestation détecté trop tard et/ou mal maîtrisé peut être à l'origine d'un échec sur l'ensemble de la serre en raison de la grande capacité de multiplication du ravageur d'une génération à une autre.
Selon l'importance des populations du ravageur, on modulera la dose d'emploi des trichogrammes de 250 000 jusqu'à 1 million d'individus par ha et par semaine (tableau 1). Les lâchers de trichogrammes sont indiqués quand les prédateurs polyphages ne sont pas encore installés en nombre suffisant dans la culture, à chaque recrudescence du ravageur (en moyenne toutes les 4 à 5 semaines), et après des traitements chimiques visant à réduire des populations de punaises mirides trop élevées devenant préjudiciables à la culture.
Résultats obtenus
Des essais réalisés dans le sud de l'Espagne en 2008 et 2009 ont montré une très bonne efficacité de cet auxiliaire. Son utilisation a permis, en conditions de fortes infestations, de réduire de près de 92 % le nombre de larves présentes dans la culture (Cabello et al., 2009).
Ce nouvel auxiliaire mis à la disposition des producteurs français et européens est désormais commercialisé sous la marque Trichotop- TA. Des contrôles de taux de parasitisme des œufs du ravageur, effectués chez des producteurs de tomates, ont montré une bonne efficacité des apports de trichogrammes dans différentes conditions de cultures et de températures en France (Tableau 2). Ainsi on peut espérer un contrôle de 80 % des œufs du ravageur dans de bonnes conditions.
Pourquoi répéter les lâchers
Comme pour la lutte contre les aleurodes avec les parasitoïdes, l'efficacité peut ne pas être immédiate, notamment en période de faibles températures en hiver. Il faut répéter plusieurs lâchers afin d'obtenir un taux de parasitisme stable et important, obtenu en moyenne à partir de la 3e semaine de lâcher.
Par ailleurs, au contraire de ce qui se passe dans la lutte contre la pyrale du maïs, les générations filles des trichogrammes (qui se développent à partir des œufs parasités dans la culture) ne sont pas prises en compte dans la stratégie d'utilisation. En effet, les œufs du ravageur étant très petits, les trichogrammes qui en sortent ont une fécondité moindre que ceux issus des lâchers. De plus, en cas de forte présence de punaises prédatrices, un certain nombre d'œufs parasités par les trichogrammes sont prédatés à un stade précoce de développement des parasitoïdes : ceci réduit le nombre de trichogrammes émergeants des œufs de T. absoluta parasités dans la culture de tomate.
Dans ces conditions, les lâchers doivent être répétés tant que le ravageur présente un risque pour la culture (Tableau 1).
Conclusion
Un nouvel outil efficace
La lutte contre le ravageur invasif T. absoluta est un réel défi dans le cadre de la PBI en tomates sous abris. L'auxiliaire, T. achaeae, constitue un nouvel outil efficace pour la lutte contre ce ravageur, et il vient compléter les méthodes déjà existantes telles que les lâchers de punaises mirides et les traitements compatibles (Bt).
Études en cours
Des études sont en cours pour permettre, via l'utilisation de différents stades de développement des trichogrammes conditionnés en diffuseurs, d'espacer les dates de lâchers à deux semaines au lieu d'une à l'heure actuelle.
De plus, une méthode de prévision des pics de vol de T. absoluta est en cours d'étude. Elle permettrait d'anticiper le choix de la dose d'emploi des trichogrammes afin d'optimiser l'efficacité de ces auxiliaires.
Surveillance essentielle
Il est essentiel que les producteurs surveillent très régulièrement l'évolution des populations de T. absoluta, notamment au travers du piégeage sexuel et des contrôles d'attaques sur les plantes, afin d'utiliser la stratégie la plus adaptée au niveau de présence du ravageur. Un contrôle inadapté en début d'infestation peut avoir des répercussions importantes sur les générations suivantes du ravageur qui peuvent devenir beaucoup plus difficiles à maîtriser en cours de saison. Seule l'intégration des divers moyens de protection associés à des méthodes prophylactiques rigoureuses permettront une maîtrise plus sûre de ce nouveau ravageur invasif en France et en Europe.
<p>* Biotop, 1 306, route de Biot, 06560 Valbonne.</p> <p>** INRA, 400, route des Chappes, 06903 Sophia-Antipolis.</p>
Y penser : mesures préventives, piégeage, plants sains...
De nombreuses mesures de protection doivent être utilisées contre Tuta absoluta.
Il s'agit d'abord de mesures préventives telles que l'assainissement des serres et de leur environnement, le changement des substrats entre deux cultures, la destruction des résidus de cultures infestés (feuilles, fruits), la pose de filets insect-proof aux ouvrants et l'installation de sas d'entrée. Ces mesures touchent à la fois les serres et leurs abords. En effet, le ravageur est capable de passer la mauvaise saison à l'extérieur sans être détruit, du moins dans les conditions du sud de la France. Il est ensuite attiré dans les serres dès la mise en place des nouvelles cultures.
Un autre point très important est de vérifier l'état sanitaire des plants achetés, afin de ne pas installer très tôt une population du ravageur dans les abris.
Enfin, l'utilisation du piégeage de masse des papillons, à l'aide de pièges à phéromones ou de pièges lumineux, permet de capturer un grand nombre d'adultes. Cependant aucune étude n'a encore montré un niveau d'efficacité suffisant de cette pratique dans la protection contre T. absoluta.