P. Debas, Directeur d'Agridyne, et une partie des intervenants du symposium du 19 janvier. ph. Agridyne
Pendant le traitement lui-même, les bonnes pratiques consistent en particulier à faire en sorte que la plus grande part de la bouillie possible atteigne sa cible et que le moins possible se perde à côté. Autrement dit, il faut avoir la meilleure qualité d'application possible. Parmi les moyens pour cela, des buses sont officiellement reconnues pour limiter la dérive. Il y a aussi les adjuvants. Certains limitent la dérive et d'autres accompagnent les buses à limitation de dérive – entre autres intérêts pour les bonnes pratiques et pour la réduction des quantités de produits appliqués prônée par Ecophyto. Enfin des travaux sont en cours pour mesurer et faire reconnaître la limitation de dérive permise par certains pulvérisateurs vigne.
La dérive fait filer le « brouillard » de pulvérisation à côté de sa cible et hors de la parcelle traitée. Les pratiques qui la limitent sont bonnes pour l'environnement et pour l'applicateur. La première est de ne pas traiter dès que le vent dépasse la force d'une petite brise, soit 19 km/h, ou le « Force 3 » des marins. La deuxième bonne pratique est d'utiliser un pulvérisateur apportant le produit le plus près possible de la cible, par exemple, en vigne, un appareil à traitement face par face ou à la rigueur une voûte plutôt qu'un canon oscillant. La troisième peut être d'utiliser des moyens de limitation de dérive. Mais pas n'importe lesquels ni n'importe comment.
Les 99 buses
Des matériels sont officiellement reconnus pour la diviser par trois. Pour l'instant, il s'agit uniquement de buses dites « à limitation de dérive », en fait des couples buses-conditions d'utilisation (pression notamment). Leur liste, publiée au Bulletin Officiel du ministère de l'Agriculture, s'est enrichie en décembre 2009 : 16 nouvelles buses reconnues portent le total à 99.
Les marques des buses sont les mêmes que celles des 83 couples reconnus en avril 2008(1). Par ordre alphabétique : Agrotrop, Air Bubble Jet, Albuz, Hardi, Lechler, Lurmark, Nozal et Teejet.
91 d'entre elles sont destinées aux appareils à rampe : tous traitements sur cultures basses et désherbage des cultures pérennes (vigne, verger, etc.) Les 8 autres sont spécifiques au désherbage des cultures pérennes. Aucune n'est reconnue pour traiter la végétation des cultures pérennes (fongicides, insecticides, etc.)
Cela dit, certains agriculteurs hésitent à utiliser ces buses pour traiter la végétation de crainte que les gouttes générées, trop grosses, ne « tiennent » pas sur le végétal et ruissellent au sol. Pour empêcher cela, on peut préconiser des adjuvants. Mais pas n'importe lesquels ni n'importe quand. Lesquels, quand ? Pour y répondre, commençons par rappeler ce que sont les adjuvants.
Qu'est-ce qu'un adjuvant ?
Trois grandes catégories
Les adjuvants sont des spécialités sans effet phytopharmaceutique à elles seules ; ce ne sont pas des pesticides. On les ajoute dans son pulvérisateur en préparant sa bouillie. Traditionnellement, on différencie les huiles, soit minérales soit végétales, et les mouillants aux origines variées.
Chaque adjuvant est autorisé avec une ou plusieurs catégories de produits (herbicides, insecticides, fongicides et/ou régulateurs de croissance).
Le 12 avril dernier, l'Association française des adjuvants(2) (AFA) annonçait les résultats d'une enquête qu'elle a réalisée. Il en ressort que ces produits couvrent désormais 13,5 millions d'ha déployés tous les ans dont 12 en grandes cultures, 1,2 ha en vigne et arboriculture et 0,3 ha en cultures légumières(3). Les mouillants représentent 61 % des usages, les huiles minérales 21 % et les huiles végétales 18 %.
Surtout avec des herbicides
Les trois quarts des adjuvants sont utilisés avec des herbicides. Comme leur utilisation augmente avec la taille de l'exploitation en même temps que les volumes de bouillie/ha diminuent, Alain Querrioux, Président de l'AFA, explique : « Dans ce cadre, nous formulons l'hypothèse que les adjuvants accompagnent la pratique des bas volumes. »
Par ailleurs, leur usage suit souvent une recommandation de technicien. C'est que les adjuvants ont des fonctions variées, tous n'ont pas les mêmes, chacun peut en avoir plusieurs... le conseil est bien utile.
À quoi sert un adjuvant ?
Des fonctions avant l'impact
Avant l'impact, certains adjuvants agissent sur la qualité de la bouillie (effets acidifiant, dispersant, émulsifiant, anti-mousse, de compatibilité entre produits à mélanger, de stabilisation, etc., selon les cas).
Divers adjuvants revendiquent un effet sur la qualité de pulvérisation : limitation de dérive et homogénéisation de la taille des gouttes. Des fonctions intéressantes pour tous les produits, qu'ils touchent des végétaux à protéger (fongicides, insecticides, régulateurs), des végétaux à combattre (herbicides de post-levée) ou le sol (herbicides de prélevée).
Seules 10 des 44 spécialités adjuvantes autorisées listées dans l'Index phytosanitaire ACTA 2010 ont une AMM indiquant la fonction « limitation de dérive ». Attention, ces adjuvants (trois alcools terpéniques, un organo-silicone et six lécithines de soja) sont reconnus limiter la dérive mais pas la diviser par 3. Leur usage n'autorise donc pas à réduire les ZNT.
Après l'impact
Après l'impact, certains mouillants augmentent la rétention des produits sur les végétaux (effet anti-rebond). Ce n'est pas un effet anti-dérive mais cela permet d'utiliser des buses à limitation de dérive sans que les gouttes, plus grosses vu les buses, rebondissent et/ou glissent au sol. C'est bon pour l'environnement : on ne remplace pas le risque de pollution du voisinage due à la dérive par celui de pollution du sol due au ruissellement. Bon aussi pour l'efficacité : il y a moins de produit perdu donc on évite la baisse d'efficacité parfois reprochée à ces buses.
Il y a d'autres fonctions possibles. Ainsi l'étalement du produit sur le végétal est intéressant pour les produits de contact. Par ailleurs des fabricants signalent des effets humectants ou limiteurs de dessiccation utiles notamment avec le glyphosate, voire une action anti-UV.
Enfin il y a la réduction du lessivage avant ou par la pénétration. Avant la pénétration : certains mouillants protègent les substances du lessivage avant qu'elles ne pénètrent (effet adhésif). Par la pénétration : ce qui pénètre la cuticule d'une plante ne sera pas lessivé par la pluie.
Mais améliorer la pénétration ne sert pas seulement à échapper à la pluie. Risque de lessivage ou non, cela améliore l'efficacité des produits qui agissent dans la plante. Les huiles ont cet effet sur les produits lipophiles et c'est une raison de leur succès historique. Aujourd'hui certains nouveaux mouillants améliorent eux aussi la pénétration en plus d'autres fonctions et c'est une des raisons de leur développement.
Et pour Ecophyto et les bonnes pratiques ?
On voit que les adjuvants, s'ils sont homologués et bien choisis pour les traitements et produits qu'ils accompagnent, sont bons pour l'efficacité donc encore pour l'environnement car on peut baisser les doses. C'est bon pour le porte-monnaie si la réduction de dose et/ou l'amélioration d'efficacité rapportent plus que ne coûte l'adjuvant. Chacun fera ses comptes.
Et puis les adjuvants peuvent aider à atteindre l'objectif de réduction des IFT voulu par Ecophyto 2018. En effet, ils ne sont pas comptés dans ces « indices de fréquence de traitement », qui sont l'indicateur d'intensité d'utilisation des produits phytopharmaceutiques au niveau notamment des exploitations.
Et revenons aux adjuvants : sont-ils des outils des bonnes pratiques ? Oui, si on les choisit et si on les utilise à bon escient car, répétons-le, tout adjuvant ne sert pas à tout et tout le temps.
Ils en ont parlé
À ce propos, chacun des deux principaux fabricants français d'adjuvants a organisé l'hiver dernier une journée d'information sur le secteur.
Agridyne et les sept experts
La primeur est revenue à Agridyne, société créée en 1996 et actuellement division adjuvant de De Sangosse, avec un symposium international le 19 janvier. Il a fait intervenir sept experts : des chercheurs néo-zélandais, suisse, espagnol, italien et hollandais, un représentant américain de Loveland Industrie, qui fabrique une bonne part des adjuvants d'Agridyne, et Pascal Paquis, spécialiste de la qualité d'application.
Il a été question de cette qualité de pulvérisation avec l'intérêt de certains adjuvants en France pour faire tenir sur le végétal les produits pulvérisés avec des buses à dérive limitée. On y a découvert les réductions de volume permises par des adjuvants en arboriculture en Nouvelle- Zélande, les effets rétenteurs des adjuvants sur les herbicides en Espagne et la réduction des doses à l'hectare en les adaptant au volume de végétation en viticulture en Suisse. Une ouverture internationale et des idées scientifiques et/ou techniques à piocher.
Grandes cultures à Action Pin
Le 5 février, Action Pin organisait un symposium ciblé sur les grandes cultures à l'Université d'Orsay en lien avec Biotransfer qui a travaillé avec la société pour tester certaines fonctions de ses adjuvants, et dont les congressistes ont visité les laboratoires.
L'occasion d'annoncer ce qui était alors nouveau : oui, les adjuvants seront sortis de l'IFT. Laurent Thibault, de l'Afssa(4), a présenté le nouveau guide d'évaluation des adjuvants mis en ligne depuis lors sur le site de l'Afssa.
Pour revenir à la technique, Christophe Grison, agriculteur dans l'Oise et Président de Farre(5), a expliqué que, pour lui comme d'autres agriculteurs, les adjuvants sont un outil pour réduire la quantité de produits utilisés et notamment l'IFT, et un moyen de travailler en bas volumes.
Benoît Bon, conseiller indépendant, a insisté sur l'intérêt des adjuvants rétenteurs avec les buses anti-dérive. L'intérêt des adjuvants pour les produits de contact (étalement, etc.) et systémiques (pénétration, etc.) a été évoqué.
Bref, ces deux symposiums ont permis d'en savoir plus sur l'intérêt des adjuvants pour les bonnes pratiques ou d'en avoir confirmation.
Pulvérisateurs, le travail en cours
Ceci dit, il y a un autre moyen de limiter la dérive : c'est le choix du pulvérisateur. Bien sûr on ne change pas d'appareil comme on achète un jeu de buses ou un bidon d'adjuvant ! Mais quand on renouvelle son matériel, rechercher la qualité d'application, qui protège l'applicateur et l'environnement et permet des économies de produit, peut être un très bon calcul.
En effet, certains pulvérisateurs entraînent moins de dérive que d'autres, on l'a vu plus haut. Mais de combien ? Et la réduisent-ils assez pour être reconnus à l'égal des buses comme divisant la dérive par trois ? Pour le savoir, il faut mesurer cette réduction de dérive de manière incontestable.
Des travaux visant à inscrire des moyens réducteurs de dérive
Un groupe de travail de la CIETAP de l'AFPP(6) a initié des travaux sur la maîtrise de la dérive en 2007. Il était coordonné par Vincent Polvèche, alors au Cemagref. Pour la vigne, les partenaires étaient l'IFV(7), Bayer CropScience France, le constructeur de pulvérisateurs Berthoud et le CIVC(8). Sébastien Codis de l'IFV explique :
« L'étude a été menée en trois phases :
– adapter à la vigne la méthodologie d'étude de la dérive au champ, en vérifiant que les indicateurs utilisés soient robustes (répétables) ;
– acquérir des références sur le potentiel de réduction de dérive des principaux types d'appareils utilisés en viticulture ;
– disposer de méthodes simplifiées pour faciliter l'« inscription » d'appareils réducteurs de dérive. »
Il fallait trouver un matériel de référence représentant les conditions normales d'utilisation des produits définies par l'arrêté de 2006. Pas question que ce soit un canon oscillant. La « voûte 10 sorties », dite souvent « voûte araignée » et qui traite huit rangs en uniface par passage, a été choisie comme référence. La méthodologie est définie par la norme ISO 22866 qui définit des conditions, S. Codis le souligne, « très difficiles à réunir sur le terrain » : vigne à sol horizontal bordée d'une parcelle de terrain nu située sous son vent dominant, puis test réalisé dans des « conditions météorologiques strictes » de vitesse et de sens du vent. C'est pourquoi des tests de simplification de la méthode ont été réalisés en 2009.
Boîtes de Petri par milliers
Durant trois années d'expérimentation, de 2007 à 2009 inclus, neuf appareils ont été testés. « Ils représentent divers compromis entre maniabilité à la vigne et précision d'application », explique S. Codis.
Sans entrer dans les détails, plus de 16 000 boîtes de Petri ont été disséminées dans et à côté des vignes pour piéger les gouttes pulvérisées, puis ont été récupérées et analysées.
Résultats sur les appareils
Ces trois années de travaux ont permis de montrer avec suffisamment d'essais que la rampe CG (couverture générale) de Berthoud (photo) divise bien la dérive par trois par rapport à la référence. Le modèle traite face par face par le dessus de la végétation, chaque face de rang étant traitée par un diffuseur. Un dossier va être déposé pour le faire inscrire comme moyen réducteur de dérive.
D'autres appareils et/ou configurations ont des résultats encourageants mais on ne dispose pas encore de suffisamment d'essais pour les valider. Il y a l'AB Most, de Berthoud, utilisé en réglage adapté. « La qualité de pulvérisation de certaines configurations est bien connue, rappelle S. Codis. C'est en particulier le cas pour l'AB Most et la CG. » Par ailleurs les buses TVI sur pendillards pour la technologie « jet projeté » semblent prometteuses, ainsi que les buses à injection d'air AVI Albuz ou IDK Lechler sur un appareil jet porté des établissements GRV.
De plus, « des essais complémentaires sont nécessaires pour vérifier que la qualité de l'application n'est pas pénalisée par l'emploi de ces dispositifs ». Par exemple que la réduction de la dérive n'augmente pas le ruissellement. Ces éléments seront étudiés en 2010.
Vers une méthode simplifiée
En 2009, le programme a également permis d'identifier et tester des pistes de simplification de la méthode pouvant permettre d'élargir les plages d'expérimentation possibles sur le calendrier. Trois outils ont été retenus. Vu les possibilités de les combiner, il y a quatre options de simplification de la méthode officielle :
– structure de collecte verticale des embruns à disposer sous le vent, à 5 m du premier rang traité ;
– vigne artificielle en plastique (photo), transportable et orientable selon la direction du vent et représentant une vraie vigne ;
– 30 secondes de pulvérisation en statique.
L'évaluation de ces méthodes simplifiées et leur calage par rapport à la méthode officielle est en cours. S. Codis espère que certaines, une fois validées, pourront servir dès 2010 pour acquérir des données utilisables dans le cadre de la reconnaissance officielle des moyens réducteurs de dérive.
<p>* Phytoma.</p> <p>(1) Au champ, quelques outils des bonnes pratiques, dans notre Dossier Bonnes pratiques de Phytoma n° 614 d'avril 2008, p. 32.</p> <p>(2) Créée en 2003, elle regroupe les sociétés Action Pin, Agridyne, CCL, Jouffray-Drillaud, Novance, Nufarm et Total Fluid.</p> <p>(3) Le terme « ha déployé » signifie qu'un ha traité deux fois est compté pour 2 ha.</p> <p>(4) Agence française de sécurité sanitaire des aliments.</p> <p>(5) Forum de l'Agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement.</p> <p>(6) Commission interprofessionnelle d'étude des techniques d'application des produits phytopharmaceutiques de l'Association française de protection des plantes.</p> <p>(7) Institut français de la vigne et du vin.</p> <p>(8) Comité interprofessionnel des vins de Champagne.</p>
Pourquoi une reconnaissance officielle de la diminution du risque de dérive par trois ?
La reconnaissance officielle d'un procédé de limitation de dérive résulte de l'arrêté du 12 septembre 2006*. Celui-ci généralise les ZNT** et n'autorise à appliquer jusqu'à 5 m des cours d'eau des produits à ZNT supérieure qu'à trois conditions simultanées :
– qu'il existe entre l'eau et la parcelle un dispositif végétalisé d'au moins 5 m de large et comportant, pour les cultures hautes, une haie de la hauteur de la culture (pour les cultures basses, une bande enherbée suffit),
– que l'agriculteur enregistre ses pratiques,
– qu'il utilise un moyen officiellement reconnu, non seulement comme limitant le risque de dérive, mais encore comme le divisant par au moins 3.
L'arrêté a donné l'occasion de chiffrer la limitation de dérive permise par certains moyens.
* Arrêté « sur l'utilisation des phytos » du 12 septembre 2006 publié au JORF, Journal officiel de la République française, le 21 septembre 2006.
** Zone non traitée : largeur minimum à respecter entre une zone traitée et tout cours ou point d'eau.