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dossier - Qualité sanitaire des grains

Blé tendre, attaques tardives de fusariose des épis et mycotoxines

Emmanuelle Gourdain* et Prune Rosengarten* - Phytoma - n°636 - septembre 2010 - page 16

Étude de l'impact des contaminations tardives du blé tendre par F. graminearum : du développement du champignon à la production des toxines associées
 ph. N. Cornec, Arvalis

ph. N. Cornec, Arvalis

Le déoxynivalénol, ou DON, et la zéaralénone, ou ZEA, sont des mycotoxines dégradant la qualité sanitaire des grains. Elles sont réglementées dans l'Union européenne : la teneur en DON ne doit pas dépasser 1 250 ppb(1) et celle de ZEA 200 ppb dans les grains de blé tendre destinés à l'alimentation humaine. Or ces toxines, dites fusariotoxines car produites par des champignons du genre Fusarium responsables de fusarioses des épis, sont elles-mêmes produites avant la moisson. On sait que la période de sensibilité maximale des blés aux contaminations par les Fusarium est la floraison, mais qu'en est-il des contaminations tardives, plus d'une semaine après ? Avec quels effets sur les taux de DON et de ZEA à la récolte ? Le travail rapporté ici donne des réponses à ces questions.

La fusariose de l'épi de blé tendre est causée par un complexe d'espèces de Fusarium et Microdochium. Cette maladie, assez fréquente sur les blés français, peut induire des pertes de rendement conséquentes, mais aussi dégrader la qualité sanitaire des grains récoltés. En effet, certaines espèces du genre Fusarium, dont l'espèce dominante en France est Fusarium graminearum, peuvent produire des toxines, notamment du déoxynivalénol (DON) et de la zéaralénone (ZEA), dont les teneurs sont réglementées à l'échelon européen pour les blés destinés à l'alimentation humaine.

Pourquoi cette étude

Le « cas » de 2007

Arvalis-Institut du végétal a développé des modèles de prédiction de teneurs en DON avant récolte afin d'aider à la gestion du risque dans les organismes de collecte et stockage. Pour apporter cette prévision, les modèles utilisent des données climatiques jusqu'à 15 jours après la floraison, estimant négligeables les contaminations plus tardives (Lacey et al., 1999).

Mais le printemps 2007, très pluvieux pendant la floraison des blés puis particulièrement humide en fin de cycle, s'est traduit par des attaques sévères de fusariose sur les épis de blés souvent accompagnées de teneurs en DON et ZEA élevées. La question des contaminations tardives non prises en compte dans les modèles s'est alors posée.

Des connaissances à compléter

Dans la littérature, il est communément admis que le stade sensible des blés à F. graminearum est le stade floraison mais la question des infections tardives est peu abordée. On sait que l'infection par F. graminearum sur des tissus de grains déjà formés, la propagation de la maladie et les symptômes visuels ne semblent pas se développer autant que lors d'une infection à la floraison. Mais pour ce qui est de la production de toxines associées à ces contaminations, on manque encore de connaissances à ce jour (Osborne and Stein, 2007).

Quelques études ont malgré tout testé des contaminations tardives par Fusarium spp. (Hart et al., 1984 ; Lacey et al., 1999 ; Gelisse et al., 2006 ; Del ponte et al., 2007 et Trottet, 2007). Celles où le DON a été mesuré à différents stades convergent toutes vers une diminution des teneurs en DON avec la date d'inoculation (Hart et al., 1984 ; Lacey et al., 1999 ; Del Ponte et al., 2007). Néanmoins, les conditions expérimentales sont très variables d'un essai à l'autre et les résultats sont difficilement comparables.

Aussi nous avons mené une expérimentation afin de vérifier au champ en conditions françaises et avec du matériel végétal bien caractérisé pour sa sensibilité à l'accumulation de DON, si l'infection des épis par F. graminearum à différents stades du blé, de l'épiaison à la maturité, conduit à des teneurs en DON comparables.

Travail fait en 2009

Choix de 2 variétés de niveaux de sensibilité contrastés à la fusariose

L'expérimentation a été réalisée sur micro-parcelles expérimentales sur la station expérimentale de Boigneville (Essonne) en 2009. Deux variétés ont été semées, A et B.

Ces variétés ont été choisies pour avoir la même précocité à l'épiaison, facilitant ainsi les inoculations, mais une sensibilité à l'accumulation de DON différente : la variété A est notée 3 (sensible) mais la B est notée 4.5 (moyennement sensible) (Source : Arvalis-Institut du végétal).

7 dates d'inoculation testées

Pour chacune des deux variétés, sept dates d'inoculation ont été testées, de l'épiaison à la maturité physiologique. Les inoculations ont été réalisées à l'épiaison, autour de la floraison (+/-3 jours) puis tous les 7 jours jusqu'à 38 jours après la floraison. Deux micro-parcelles témoins non inoculées ont été mises en place.

Chacune des modalités a été répétée 4 fois dans le dispositif réalisé en split-plot en fixant le facteur variété. Concernant les dates d'inoculation, l'écart entre l'épiaison et la floraison de la variété B a été très court provoquant un décalage de trois jours entre les deux variétés qui ont malgré tout été inoculées aux mêmes dates.

L'inoculation a été réalisée par aspersion en fin de journée, les micro-parcelles inoculées étant ensuite recouvertes d'une bâche durant 24 heures afin de maintenir une hygrométrie élevée puis brumisées durant 48 heures. Ces conditions étaient destinées à faciliter la germination des spores et l'infection par la maladie.

Trois souches pour l'inoculum

Les inoculations ont été réalisées avec une suspension de conidies de trois souches de F. graminearum d'une concentration de 109 spores/ml. Parmi ces trois souches, deux sont caractérisées pour leur pouvoir toxinogène ; la première est productrice de DON et ZEA et est particulièrement agressive, la seconde ne produit que du DON et est peu agressive mais développe beaucoup de mycélium et de spores. Enfin, comme la quantité d'inoculum était insuffisante, une troisième souche non caractérisée a été ajoutée, isolée à partir de grains de blé récoltés en 2008.

Évaluer les contaminations : notation des symptômes et teneurs en mycotoxines

En cours de culture, les notations d'intensité de la maladie sur épis ont été réalisées 350 °J après chaque inoculation sauf pour les inoculations les plus tardives. Pour ces dernières, il n'a pas été possible d'effectuer cette notation en raison de la maturité des épis. La notation a été réalisée sur 50 épis sur lesquels le nombre d'épillets fusariés a été comptabilisé par rapport au nombre total d'épillets de l'épi.

Afin de bien caractériser l'essai et valider l'efficacité de l'inoculation, une analyse de flore par microbiologie a été réalisée sur les échantillons inoculés aux 4 premières dates ainsi que sur les témoins.

Une fois récoltés, les grains ont été analysés pour leurs teneurs en DON et en ZEA par chromatographie ; de plus, une analyse du pourcentage de grains fusariés (iFG pour indice de grains fusariés, exprimé en %) a été réalisée par imagerie. Afin de tester l'effet de la date d'inoculation, de la variété ou du dispositif en split-plot, des analyses de variances ont été réalisées sur toutes ces données. Des corrélations ont été cherchées entre ces variables.

Le poids de la date

En préalable, il est important de noter que l'effet lié à la variété n'apparaît pas significatif au seuil de 5 % dans les analyses de variances réalisées sur l'intensité de la maladie (% épillets), le pourcentage de grains fusariés (iFG) et les teneurs en DON (tableau 1). A contrario, la date d'inoculation apparaît hautement significative pour ces trois variables tout comme l'interaction variété/date d'inoculation.

Analyse de la flore préalable

Les résultats de l'analyse par microbiologie des espèces présentes sur les grains à la récolte (figure 1) montrent que la variété B semble, curieusement, plus touchée que la variété A et que l'espèce majoritaire retrouvée sur les grains inoculés est bien F. graminearum.

À noter que les témoins sont assez touchés (environ 30 % de grains contaminés) mais avec une diversité de flore plus grande, très prononcée pour la variété B, mettant en évidence la présence de plusieurs espèces naturellement présentes dans l'environnement des microparcelles.

Les contaminations post-floraison sont possibles

Les résultats de l'essai montrent que l'infection et la production de toxines sont possibles dès l'épiaison et au-delà du stade floraison (Tableaux 2 et 2bis).

En effet, pour les deux variétés, les modalités inoculées au cours des 17 jours après la floraison présentent des symptômes et des teneurs en mycotoxines significativement supérieurs à ceux des témoins.

Au contraire pour les stades plus tardifs, de grain laiteux à la maturité, les différences ne sont plus significativement différentes des témoins. On peut émettre l'hypothèse que les conditions ne sont plus favorables à F. graminearum pour se développer correctement dans le grain et produire des toxines, ceci pouvant être lié à la barrière physique opposée par la présence de téguments formés sur le grain à ce stade. Cette hypothèse n'est pas abordée dans la littérature et reste donc à vérifier.

En comparant les résultats obtenus sur cet essai avec ceux issus de la bibliographie pour des études comparables (Figure 2), on relève une différence notable. En effet, toutes les études constatent une diminution des teneurs en DON en fonction de la date d'inoculation, mais cette diminution est souvent régulière. Notre essai, lui, montre une rupture au stade grain laiteux peu observée dans les autres publications.

Une bonne liaison entre symptômes et toxines

Les résultats de l'essai montrent de bonnes corrélations entre les paramètres teneurs en DON, intensité de la maladie et pourcentage de grains fusariés et ce pour chaque variété (Figures 3 et 4).

Un comportement variétal différent...

Dans cette expérimentation, la variété A apparaît bien plus sensible à l'accumulation de DON que la variété B avec des teneurs allant jusqu'à 10 000 ìg/kg en moyenne. De plus, il semble que le stade épiaison soit aussi sensible que le stade floraison, élément peu mis en évidence dans la littérature. Mais il faut faire la réserve que les quantités inoculées sont bien au-dessus de ce qui se fait habituellement (109 spores/ml).

Enfin, cette expérimentation semble mettre en évidence un comportement différent entre les deux variétés étudiées, traduit par un effet hautement significatif de l'interaction variété*date d'inoculation (Tableau 1). Ainsi, cet essai laisse entrevoir l'hypothèse de plages de sensibilité variétale différentes (Figure 5 p. 20).

... mais aussi en termes de toxines

L'analyse de la corrélation entre les teneurs en DON et ZEA montre que même si le coefficient de corrélation est similaire, la pente varie fortement entre les deux variétés (Figure 6, p. 20). Il est difficile de comprendre pourquoi sachant que 3 souches ont été inoculées dont au moins une est connue pour produire cette toxine. De plus, on peut s'interroger sur les autres espèces présentes naturellement sur les épis, mais les profils sont assez similaires entre les deux variétés (Figure 1). Ce résultat pose donc la question d'une production de toxines variable par les souches fongiques en présence. Ainsi, il ressort que, dans les conditions de cet essai, la variété B a accumulé plus de toxines ZEA que la variété A qui elle accumule plus de DON.

Ce résultat mérite une confirmation dans des essais ultérieurs afin de vérifier l'hypothèse d'une affinité entre variété et souche.

Conclusions

Cette expérimentation réalisée en plein champ par inoculation de spores de Fusarium graminearum à différents stades de développement de l'épi a permis de valider que les contaminations post-floraison étaient possibles mais jusqu'à un certain stade, de même que celles à l'épiaison.

En effet, les teneurs en toxines produites au delà du stade grain laiteux et jusqu'à maturité des grains sont faibles comparativement aux quantités produites avec des contaminations entre épiaison et 14 à 17 jours après floraison. Au final, la période de contamination possible est donc plus large que la floraison, même si cette dernière reste le stade le plus sensible.

On a observé de bonnes corrélations entre symptômes et teneurs en toxines, démontrant dans ces conditions la liaison entre intensité de la maladie et teneur en toxines du grain.

Enfin, cet essai a fait apparaître des différences de sensibilité entre variétés en fonction du stade mais aussi des différences d'accumulation des deux toxines suivies. Si ce résultat se confirme, il pourrait permettre d'envisager une protection fongicide adaptée à la variété cultivée.

Il reste à savoir maintenant si en conditions naturelles l'éjection des ascospores est possible sur les stades tardifs du blé. Sur ce point, Caron et al., en 2006, ont montré un épuisement des périthèces dans le temps en lien avec les pluies.

En effet, la libération des spores par millimètre de pluie est nettement plus faible en fin de cycle que lors de la floraison des blés. Néanmoins des spores peuvent être libérées en postfloraison, et une protection fongicide plus tardive ou fractionnée sur la variété A pourrait être une piste intéressante pour améliorer l'efficacité du traitement anti-fusariose, sous réserve du respect des DAR (délais avant récolte). Les expérimentations réalisées sur blé dur en région Centre ces dernières années vont d'ailleurs dans ce sens.

Remerciements : Merci à l'ensemble des membres du comité de pilotage, Claude Maumené, Daniel Caron, Bruno Barrier-Guillot (Arvalis-Institut du végétal) ainsi que Christian Lannou et Sandrine Gélisse (INRA Bioger) et Maxime Trottet (INRA Rennes) pour leurs conseils avisés sur la partie méthodologique ainsi que sur l'interprétation des résultats. Merci aussi à Guillaume Beauvallet pour son concours dans la mise en œuvre du protocole expérimental ainsi qu'aux équipes statistiques et techniques d'Arvalis qui ont contribué à ce travail.

<p>* Arvalis-Institut du végétal, 91720 Boigneville. E.Gourdain@arvalisinstitutduvegetal.fr</p> <p>(1) 1 ppb = 1 partie par milliard (« billion » en anglais-américain), soit 1 microgramme/kg (1 µg/kg).</p>

Figure 1 -

Répartition des différentes espèces de Fusarium et Microdochium sur grains issus des modalités inoculés entre épiaison et floraison + 7 jours ainsi que sur les témoins.

Figure 2 -

Teneurs en DON en base 100 du stade début pâteux comparativement entre les études de Lacey et al., 1999 (vert) ; Del Ponte et al., 2007 (orange) ; Hart et al., 1984 (bleu) et la moyenne des variétés A et B (marron).

Figure 3 -

Corrélation entre teneurs en DON (ìg/kg) et intensité de la maladie (% épillets atteints) pour chaque date d'inoculation et chaque variété (A et B).

Figure 4 -

Corrélation entre teneurs en DON (ìg/kg) et pourcentage de grains fusariés (iFG %) pour chaque date d'inoculation et chaque variété (A et B).

Figure 5 -

Symptôme de fusariose sur épi de blé. Dans les conditions de l'étude rapportée ici, les contaminations du blé par des Fusarium dans les quinze jours suivant la floraison ont engendré une production significative de mycotoxines, ce que des contaminations encore plus tardives n'ont pas fait. ph. J.-Y. Maufras, Arvalis

Symptôme de fusariose sur épi de blé. Dans les conditions de l'étude rapportée ici, les contaminations du blé par des Fusarium dans les quinze jours suivant la floraison ont engendré une production significative de mycotoxines, ce que des contaminations encore plus tardives n'ont pas fait. ph. J.-Y. Maufras, Arvalis

Teneurs en DON moyennes pour chaque date d'inoculation et le témoin pour les variétés A et B.

Figure 6 -

Corrélation entre teneurs en DON et en ZEA (ìg/kg) pour chaque date d'inoculation et chaque variété.

Bibliographie

Caron D., Malavergne D., Dupont de Denichin L., 2006 - Ascospores de Fusarium graminearum. Dissémination à partir des résidus de précédents de maïs et de blé en culture de blé. AFPP. 8e Conférence internationale sur les maladies des plantes. Tours, 5 et 6 décembre 2006.

Del Ponte E.M., Fernandes J.M.C., Bergstrom G.C., 2007 - Influence of growth stage on Fusarium head blight and deoxynivalenol production in wheat. Journal of Phytopathology 155. 577-581 p.

Gélisse S., Pelze E., Dore T., Lannou C., 2006 - Contamination des épis et des grains par la fusariose du blé. Test de la voie systémique et risque lié aux contaminations tardives. Phytoma n°596. 28-32 p.

Hart L.P., Pestka J.J., Liu M.T., 1984 - Effect of kernel development and wet periods on production of deoxynivalenol in wheat infected with Gibberella zeae. Phytopathology 74, 1415-1418 p.

Lacey J., Bateman G.L., Mirocha C.J., 1999 - Effects of infection time and moisture on development of ear blight and deoxynivalenol production by Fusarium spp. in wheat. Ann. Appl. Biol 134. 277-283 p.

Osborne L.E., Stein J.M., 2008 - Epidemiology of Fusarium head blight on small-grain cereals. International Journal of Food Microbiology 119. 103-108 p.

Trottet M., 2007 - Incidence des contaminations tardives du blé tendre par Fusarium culmorum sur la contamination par les TCT. Colloque Maîtrise des risques liés aux fusarioses. Arcachon 12-13 Sept 2007.

Résumé

La fusariose de l'épi de blé tendre, causée par un complexe d'espèces de Fusarium et Microdochium et assez fréquente sur les blés français, peut induire des pertes de rendement conséquentes mais aussi dégrader la qualité sanitaire des grains récoltés.

En effet, certaines espèces du genre Fusarium, dont la dominante en France est Fusarium graminearum, peuvent produire des toxines, notamment du déoxynivalénol et de la zéaralénone dont les niveaux sont réglementés au niveau européen pour les blés destinés à l'alimentation humaine.

Même si il est communément admis que les contaminations ont lieu majoritairement lors de la floraison des blés, des conditions climatiques très pluvieuses de fin de cycle, telles celles observées en 2007, soulèvent la question de l'impact de contaminations tardives sur la production de toxines, contaminations non prises en compte dans les modèles de prédiction.

Pour répondre à cette question, une expérimentation a permis de tester sept dates de contamination par F. graminearum sur deux variétés de blé tendre. Les résultats ont montré que des contaminations post-floraison sont possibles, mais que passés 15 jours après la floraison les teneurs en mycotoxines produites sont négligeables.

Mots-clés : qualité sanitaire des grains, blé tendre, Fusarium graminearum, contamination tardive, déoxynivalénol (DON), zéaralénone (ZEA).

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