Parmi les moyens de protéger les palmiers du papillon palmivore figure l'application de nématodes entomopathogènes, précisément du Steinernema carpocapsae. Des essais en conditions contrôlées ont montré que la méthode peut être curative c'est-à-dire qu'elle peut soigner des palmiers déjà atteints. Oui, mais en conditions réelles, jusqu'à combien de temps après l'infestation et jusqu'à quel degré d'envahissement sera-t-elle efficace ? Et dans quelles conditions d'application ? Voici les résultats d'essais menés « en ville » à partir du printemps 2009. Ils donnent des indications sur la façon d'utiliser efficacement ces nématodes.
Le papillon palmivore Paysandisia archon constitue l'une des principales problématiques phytosanitaires des palmiers d'ornement en France. Ses chenilles vivent à l'intérieur des stipes, créant des dégâts qui peuvent entraîner la mort des palmiers. Plusieurs essais en conditions contrôlées ont mis en évidence l'efficacité des nématodes entomopathogènes contre les larves du Paysandisia (Soto Sanchez, 2007 ; André et al., 2009 ; Ricci et al., 2009 ; André et Chapin, 2010).
À titre d'exemple, ceux conduits dans le cadre de la DGAL/SDQPV ont montré une efficacité curative du nématode Steinernema carpocapsae variant de 83 à 87 %. Donc des résultats satisfaisants... Mais quid des efficacités obtenues en conditions d'utilisation professionnelle ? Existe-t-il un facteur limitant l'efficacité curative des nématodes ?
Pour répondre à ces questions, des essais de valeur pratique ont été mis en place dans les régions de Provence-Alpes-Côtes-d'Azur et Languedoc-Roussillon dans le cadre du programme Paysarch(1).
Sujets d'étude choisis
Deux stratégies de lutte
Le papillon est actif de juin à septembre, des pontes s'échelonnant durant toute cette période. Deux stratégies ont été testées, traitements curatifs de printemps et d'automne. La première vise à détruire les larves hivernantes avant leur métamorphose afin de réduire la population d'adultes responsable des ré-infestations. La stratégie fin d'été-début d'automne a pour objectif d'éliminer les larves de tous âges (issues des pontes de la saison) avant l'hiver.
Pour chaque période, deux traitements espacés de 15 jours sont effectués avec une des deux spécialités commerciales (Carpocapsae System ou Capsanem = Palmanem).
Sur trois espèces de palmiers
Trois espèces de palmiers ont été choisies du fait de leur forte représentativité dans la zone étudiée et de leur sensibilité particulière à P. archon : le palmier de Chine Trachycarpus fortunei, le palmier nain Chamaerops humilis et le palmier des Canaries Phoenix canariensis. L'étude a été effectuée sur 387 palmiers, certains traités et d'autres non, avec une majorité de C. humili s, un effectif significatif de T. fortunei et quelques P. canariensis à titre de test (Tableau 1). Tous présentaient au moins d'anciens symptômes de présence de P. archon.
Dans six sites expérimentaux
Six sites ont été sélectionnés dans les départements du Var et de l'Hérault en fonction de leur intérêt : présence du ravageur, diversité et représentativité des situations.
Ces sites montrent une grande hétérogénéité dans la disposition du végétal, les pratiques culturales, les conditions édapho-climatiques et le niveau d'infestation (Tableau 2). Ils représentent la diversité trouvée généralement en jardins et espaces verts.
Réalisation de l'étude
Conditions très proches des pratiques professionnelles
Le traitement consiste à appliquer la bouillie sur la zone apicale et le premier mètre du stipe, à l'aide d'une lance. Initialement il est prévu d'appliquer, en moyenne, de 1 l à 1,2 l de bouille par palmier traité à l'exception des P. canariensis qui exigent un minimum de 5 l. La concentration de la bouillie est de 6 millions de nématodes au litre. Le(s) filtre(s) du matériel de traitement est (sont) retirés au moment de la préparation de la bouillie. L'application, encadrée par une équipe expérimentale, est assurée par le professionnel prestataire ou le gestionnaire du site afin que les conditions soient les plus proches possibles de pratiques professionnelles.
Le tableau 3 présente ces conditions d'application : le matériel utilisé est très hétérogène allant du plus simple au plus puissant, les plages horaires de traitement se situent en matinée ou en soirée, 1/3 des applications respectent un écart de 10 % par rapport aux volumes fixés.
Des suivis réguliers
Des notations interviennent tout au long de l'expérimentation. à chaque notation, l'évolution de l'état phytosanitaire des palmiers est mesurée par l'attribution d'une classe d'infestation. Six classes d'infestation sont définies (Tableau 4, page 16). Lors de l'observation, les amas frais de sciure ainsi que les exuvies sont retirés afin de pouvoir juger l'activité larvaire du ravageur lors de la notation suivante. Le nombre d'observations oscille entre 4 et 8 après la notation initiale. Elles ont eu lieu de mi-mai à fin novembre 2009 pour les traitements printaniers et de début septembre 2009 à mi-juin 2010 pour les traitements de fin d'été-début d'automne.
Les résultats
Stratégie de printemps
Le site de Port-Cogolin présentait une infestation ponctuelle. 73 stipes ont été étudiés. Aucun témoin n'a été retenu sur ce site, du fait d'une demande expresse des propriétaires. Les résultats sont portés figure 1.
Le 14 mai (notation initiale), 51 palmiers (69,9 % de l'effectif) ne présentaient pas de symptômes récents de P. archon (classes 0 et 1), les 22 autres (30,1 %) étant peu à fortement atteints. Les deux premières notations (23/07 et 04/08/09) après les traitements indiquent une augmentation de 20 % du nombre de palmiers sans symptôme récent. À ce stade, l'état sanitaire des palmiers s'est amélioré par rapport à situation de départ, ce qui est très positif.
À partir de la 4e notation (25/08/09), on note une baisse de 10 % du nombre de palmiers sans symptôme récent. Lors de la notation finale (22/10/09), environ 60 % des palmiers ne présentent aucun symptôme. La situation sanitaire s'est donc légèrement dégradée par rapport à la situation initiale. L'absence de témoin ne permet pas de confirmer le bénéfice apporté par l'application de printemps.
Au vu des résultats obtenus, deux hypothèses peuvent être avancées :
– soit la spécialité a permis de tuer les larves présentes dans les stipes,
– soit l'émergence des papillons a fait diminuer le nombre de larves dans les stipes.
Pour 2 stipes (2,7 % de l'effectif), l'hypothèse 2 est vérifiée (7 exuvies retrouvées sur ces deux Trachycarpus) ; pour les 71 autres palmiers, soit 97,3 % de la population, l'hypothèse 1 est probable (aucune exuvie retrouvée).
Ainsi, cette stratégie de printemps semble avoir permis une relative stabilisation. Mais il n'y a pas eu d'amélioration par rapport à la situation initiale, ce qui pourrait s'expliquer en partie par les contaminations estivales qui n'ont pas été maîtrisées par les seuls traitements de printemps.
Stratégie de fin d'été-début d'automne : résultats par site
Des résultats variés ont été obtenus selon les sites. En effet, leur grande diversité, celle des situations de départ des conditions d'application, a entraîné des résultats différents.
Pour les sites de la ville de Sainte-Maxime (Var) et de Palavas-les-Flots (Hérault), il a été noté une amélioration de l'état sanitaire des palmiers ayant bénéficié du traitement.
Sur le site de Balaruc-les-Bains (Hérault), on note une stabilisation pour les palmiers ayant bénéficié du traitement aux nématodes et une forte dégradation (30 %) pour le témoin.
Sur le site de Montpellier (Hérault), il n'y a aucune différence entre la modalité traitée et la modalité témoin.
Par classe d'infestation initiale
L'ensemble des données des sites traités à l'automne a été regroupé afin de savoir comment ont évolué les palmiers appartenant à une même classe lors de la notation initiale (N0). Ceci afin d'essayer de répondre à plusieurs questions :
– Les palmiers de classe 0 lors de la notation initiale le sont-ils restés ?
– Quelle a été l'évolution des symptômes des palmiers ?
– Existe-t-il un seuil de classe au-dessus duquel il n'est plus intéressant d'effectuer un traitement ?
Pour les palmiers pas ou peu infestés (classes 0 et 1), les traitements ont permis une protection satisfaisante des stipes, comparativement au témoin. Les traitements des palmiers de classe 0 (stipes apparemment sains et sans symptômes), permettent une protection efficace de 97 % des stipes. 97,3 % des palmiers de classe 1 initialement ont conservé cette classe ou sont passés en classe 0.
Les traitements des palmiers initialement de classe 2 ont permis de passer 83,4 % des stipes dans les classes 0 et 1, soit une amélioration globale de l'état phytosanitaire.
Pour les palmiers de classe initiale 3 ou 4, l'intérêt des traitements reste à confirmer au vu des résultats obtenus.
Conclusion
L'étude in situ a permis d'élaborer un protocole d'observation des palmiers soumis aux attaques de P. archon. Ce protocole est basé sur l'évaluation et l'appréciation de l'état sanitaire des palmiers. A priori, il semble bien adapté pour réaliser un suivi des populations de P. archon sur les deux espèces de palmiers Chamaerops humilis et Trachycarpus fortunei. Pour les autres espèces, tel Phoenix canariensis, sa pertinence n'est pas encore démontrée et une adaptation sera nécessaire.
Les essais ont été menés sur des sites représentatifs de la diversité des zones non agricoles (alignements, espaces verts, jardins publics ou privés, etc.). Deux stratégies de lutte curative ont été testées avec des traitements de printemps et d'automne.
Concernant les traitements de printemps (juin), une stabilisation de l'état phytosanitaire des palmiers a été notée. Toutefois, ces applications n'ont pu empêcher la réinfestation estivale, l'absence de témoin ne permettant pas de confirmer cette observation.
Les traitements d'automne (septembre et octobre) ont globalement montré leur intérêt.
Les résultats par classe d'infestation montrent qu'à partir de la classe 3 (plante affaiblie présentant de nombreux symptômes) l'intérêt du traitement reste à confirmer.
De la classe 0 à 2, l'efficacité semble satisfaisante, le traitement permettant le rétablissement ou le maintien d'un bon état phytosanitaire du palmier.
<p>* FREDON Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Antenne de Cuers. 224, rue des Découvertes, 83390 Cuers.</p> <p>** FREDON Languedoc-Roussillon. 8, rue des Cigales, 34990 Juvignac.</p> <p>*** Plante & Cité. 3, rue Fleming, 49066 Angers Cedex 1.</p> <p>**** Biobest France - 294, rue Roussanne, 84100 Orange.</p> <p>***** Société Koppert France. 147, avenue des Banquets, 84300 Cavaillon.</p>