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dossier - Cultures spécialisées

Prévoir les attaques de tavelure du pommier

Laurent Brun*, Frédérique Didelot**, Arnaud Lemarquand***, Freddy Combe*, Gilles Orain***, Cécile Payen**** et Luciana Parisi* - Phytoma - n°640 - janvier 2011 - page 35

Est-il possible de prévoir les périodes de fortes projections d'ascospores en verger ?
Asques et ascospores de V. inaequalis (ph. Ch. Gros, INRA-UERI Gotheron)

Asques et ascospores de V. inaequalis (ph. Ch. Gros, INRA-UERI Gotheron)

Capteur aérien de spores installé en verger. Il permet l'enregistrement, in situ, des projections d'ascospores. ph. F. Combe, INRA-UERI Gotheron

Capteur aérien de spores installé en verger. Il permet l'enregistrement, in situ, des projections d'ascospores. ph. F. Combe, INRA-UERI Gotheron

Quand on parle de modèles de prévision des maladies des plantes, certains vantent haut et fort les vertus de ces OAD(1) et d'autres « n'y croient pas ». Que penser ? Cela dépend, chaque modèle ayant son intérêt et ses limites. Cet article le montre à propos de trois modèles de prévision de la tavelure du pommier testés dans la Drôme et en Maine-et-Loire. On sait ainsi ce qu'on peut en tirer aujourd'hui et ce qui reste à étudier. Décevant ? Oui, pour ceux qui espéraient dès aujourd'hui le « bas-intrants sans peine » faisant diminuer de 50 % l'IFT(2) des fongicides anti-tavelure partout en France sans risque pour la récolte. Mais utile pour aller vers des stratégies bas-intrants viables !

La tavelure est l'une des maladies les plus redoutées en vergers de pommiers. Durant l'hiver, son responsable le champignon pathogène (Venturia inaequalis (Cke) G. Wint.) se maintient au verger dans la litière foliaire. Cette phase saprophyte dans les feuilles mortes permet le développement de périthèces dans lesquels se forment les ascospores.

Au printemps, les ascospores sont expulsées de ces périthèces lors d'épisodes pluvieux et se retrouvent dans l'air du verger. Elles peuvent se déposer sur les feuilles, fleurs et fruits et occasionner des contaminations primaires si les durées d'humectation de ces organes sont suffisantes.

En France, la stratégie classique consiste à protéger avec des fongicides tous les risques de contamination durant cette période des contaminations primaires. Les informations, issues d'observations biologiques, sur les dates de début et fin de la période primaire sont fournies régionalement aux arboriculteurs via les bulletins de conseil régionaux, BSV notamment.

Il est possible de raisonner plus précisément cette protection fongicide sur la période primaire et de réduire le nombre d'applications fongicides en vergers dans le cas des variétés peu sensibles à la tavelure (Brun et al., 2010 ; Crété, 2007). La principale difficulté pour appliquer ces modèles de raisonnement consiste alors à prédire d'une manière fiable les périodes de fortes projections d'ascospores. La modélisation de ces projections à partir de données météorologiques enregistrées localement apparaît alors comme l'outil le plus pratique.

Mais est-ce que les outils de modélisation disponibles pour la profession identifient correctement les périodes de fortes projections d'ascospores ? Pour essayer de répondre à cette question, nous avons enregistré les projections d'ascospores en vergers au cours de plusieurs saisons, et dans deux régions de production différentes, à l'aide de capteurs de spores. Puis nous les avons comparées aux estimations fournies par les modèles.

Le travail réalisé

Enregistrement des projections réelles d'ascospores en vergers

L'enregistrement des projections d'ascospores a été réalisé à l'aide de capteurs aériens de spores type « Burkard-7-day volumetric spore trap » installés directement dans l'inter-rang de vergers présentant de forts inoculum d'automne tavelure l'année précédente (photo p. 35).

Ce travail nous a permis de disposer de 5 jeux de données dans la Drôme et 4 dans le Maine-et-Loire. Dans la Drôme, en 2004, 2008 et 2009, un deuxième capteur de spores a été installé dans un verger contigu.

Modélisation de la projection des ascospores

La modélisation de la projection des ascospores a été réalisée à partir de données provenant de stations météo situées près des vergers étudiés.

Deux types de logiciels ont été utilisés :

– l'un basé sur les courbes de maturation des ascospores proposées par Lagarde (1988), avec Pulsowin (Pulsonic, Orsay, France), logiciel d'aide à la décision commercialisé, et Melchior logiciel développé à l'origine par des SRPV(3) pour la réalisation de bulletins d'Avertissements Agricoles. En fonction des conditions hivernales, il est proposé une courbe « Hiver froid » si la somme des températures (base 0 °C) du 1er décembre au 28 février est inférieure à 650 degrés-jour, sinon il est proposé une courbe « Hiver doux » (Figure 1). Il faut également paramétrer la date du « J0 » qui correspond à la date où les premières ascospores « prêtes à être projetées » réellement produites sont repérées par observations observations microscopiques (Lagarde, 1988).

RIMpro (version 2.0.5 ; Bio Fruit Advies, Zoelmond, Netherland) est un logiciel pour lequel la maturation des ascopores est modélisée par la courbe dite du « New Hampshire » (Gadoury & MacHardy, 1982 ; Giraud & Trapman, 2006). Les paramètres indispensables à préciser par l'utilisateur sont :

– les coordonnées géographiques du lieu,

– le « Biofix » qui correspond à la date de première projection d'ascospores observée au niveau régional (Giraud & Trapman, 2006).

Tous les autres paramètres ont été conservés selon leur paramétrage par défaut.

Ces différentes courbes de maturation des ascospores sont basées sur les sommes de températures (en degrés-jours base 0 °C) depuis l'observation de la première ascospore mature. Elles présentent d'importantes différences puisque la valeur de 50 % d'ascospores matures est atteinte après seulement 250 degrés-jours avec la courbe « New Hampshire », contre 410 degrés-jours pour la courbe « Hiver froid » et environ 600 degrés-jours pour la courbe « Hiver doux » (Figure 1).

Paramétrage des logiciels pour estimer les projections d'ascospores

Durant l'étude, les sommes de températures observées du 1er décembre au 28 février nous orientent vers le choix de la courbe « Hiver froid » pour paramétrer les logiciels utilisant les courbes de Lagarde. Seule l'année 2007 dans le Maine-et-Loire présente des températures nous incitant à choisir la courbe « Hiver doux » (Tableau 1).

Les observations microscopiques réalisées à partir de prélèvements de feuilles ayant hiverné en verger nous ont permis de déterminer la date des premières ascospores prêtes à être projetées (correspondant à la date du « J0 » pour les courbes de Lagarde). Le positionnement précoce des capteurs en vergers nous a également permis de déterminer la date de la première ascospore captée (correspondant au « Biofix » de RIMpro).

Dans la Drôme, la date du « J0 » s'est toujours située entre le 10 et le 20 mars, celle du « Biofix » suivant de quelques jours.

Dans le Maine-et-Loire, la date du « J0 » était située entre le 20 février et le 20 mars, la première ascospore captée suivant de quelques jours sauf en 2005 où le délai entre le « J0 » et le « Biofix » était de 27 jours (Tableau 1).

Périodes de projections des ascospores observées en vergers, comparées avec celles prévues

Les vergers voisins se ressemblent

Les années pour lesquelles nous disposons de 2 jeux de données de projections d'ascospores issues de 2 vergers voisins ont montré une très forte similitude dans les pourcentages de projections entre vergers, malgré des quantités totales d'ascospores captées très différentes. Ainsi, l'influence des facteurs climatiques, jouant sur les dates de projection, semble pouvoir être évaluée à l'échelle d'un secteur : station météorologique voisine et pas forcément située dans chaque verger suivi.

En revanche l'intensité cumulée de la projection est liée à chaque parcelle : conduite du verger (prophylaxie, etc.) donc quantité d'inoculum.

Pas les années

La représentation des pourcentages d'ascospores captées par les Burkards en fonction des sommes de températures (en degrés-jours base 0 °C) depuis la date du « J0 » permet de comparer les années entre elles. Il apparaît une grande variabilité inter-annuelle puisque les différences observées pour atteindre 50 % d'ascospores captées vont jusqu'à 250 degrés-jours dans la Drôme (Figure 2) et 330 degrés-jours dans le Maine-et-Loire (Figure 3).

Les ascospores matures n'étant projetées que lors d'épisodes pluvieux, la courbe de projections doit logiquement être légèrement décalée de la courbe de maturité, sauf en cas de période sèche prolongée où le décalage peut être plus important.

Une hypothèse battue en brèche

Suivant les années et les lieux, les courbes de projections seront plus proches de la courbe de maturité « New Hampshire » ou « Hiver froid » ou « Hiver doux » (Figure 1).

Ainsi, les projections observées à Gotheron en 2006 et 2009 sont très précoces, avant même la courbe « New Hampshire » (Figures 1 et 2).

En revanche, les projections observées à la Rétuzière en 2006 sont au contraire très tardives juste après la courbe « Hiver doux » (Figures 1 et 3). Pourtant le printemps 2006 à la Rétuzière fait suite à un hiver froid nous orientant vers le choix de la courbe de maturation « Hiver froid » (Tableau 1).

A contrario, le printemps 2007, qui suivait un hiver doux, a vu les projections les plus précoces observées dans le Maine-et-Loire, juste avant la courbe « Hiver froid » (Figures 1 et 3). Ces observations contredisent l'hypothèse proposée par Lagarde (1988) sur l'influence des températures hivernales sur la précocité ou tardivité des projections d'ascospores au printemps suivant observée dans les années 1980.

Les périodes de fortes projections

Leur définition

Pour cette analyse, nous avons défini une « période de fortes projections » comme une période d'une durée d'un à 3 jours maximum pendant laquelle les projections d'ascospores observées dans les capteurs (cumulées sur la période) sont supérieures à 5 % de la quantité projetée observée sur l'année. Le nombre de périodes de fortes projections observées chaque année est compris entre 4 et 5 dans la Drôme et entre 4 et 7 dans le Maine-et-Loire.

À l'exception de Gotheron en 2006 et en 2009, la plupart de ces périodes de fortes projections sont associées à des risques de contamination selon Mills de niveau élevé (Tableau 2).

Dans la Drôme, les dates de début et de fin des périodes de fortes projections varient relativement peu d'une année à l'autre, mais dans le Maine-et-Loire, ces dates peuvent être très différentes comme le montrent les années 2006 et 2007 (Tableau 2).

Les modèles repèrent-ils les périodes de fortes projections ?

La comparaison date par date des projections observées et modélisées (données non présentées) montre que :

– les années où des périodes de fortes projections sont observées en deçà de 250 degrésjours base 0 °C depuis « J0 » (ex. Gotheron en 2006 et 2009), les modèles utilisant les courbes proposées par Lagarde ne prévoient pas ces fortes projections « précoces » ;

– les années où des périodes de fortes projections sont observées au-delà de 500 degrésjours base 0 °C depuis « J0 » (ex. Gotheron en 2008 et La Rétuzière en 2006), le modèle utilisant la courbe « New Hampshire » ne prévoit pas ces fortes projections « tardives ».

Non détection et fausses alertes

Au seuil d'alerte de 5 %, quel que soit le modèle utilisé, le taux de détection des périodes de fortes projections est relativement faible. RIMpro présente un taux de détection légèrement supérieur à Melchior et Pulsowin avec un niveau de fausses alertes (faux positifs) inférieur à 2 par an en moyenne (Tableaux 3 et 4).

Si l'on abaisse le seuil d'alerte par le modèle à 2,5 %, les taux de détection augmentent, en particulier pour Melchior dans la Drôme et RIMpro dans le Maine-et-Loire (87 % et 86 %), mais avec une augmentation du nombre de fausses alertes à 3 ou plus (Tableaux 3 et 4).

Stratégie possible aujourd'hui

Une stratégie possible serait de classer la projection comme forte si au moins un des deux modèles la détecte. Cela permet effectivement de détecter correctement les fortes projections (Tableaux 3 et 4).

Mais avec cette stratégie, le nombre de fausses alertes augmente alors fortement. Cela diminue l'intérêt de l'utilisation de ces modèles pour le développement de stratégies bas-intrants fongicides.

Conclusion

Suivant la précision recherchée de l'estimation des périodes de fortes projections, il est envisageable ou non de se fier à la simulation journalière des modèles de projections d'ascospores. Dans le cas où l'objectif serait de repérer avec une très bonne précision toutes les périodes de fortes projections d'ascospores, la prévision donnée par les modèles à l'échelle de la journée ne sera pas suffisante.

Usages régionalisés aujourd'hui

Mais un autre usage des modèles peut être envisagé.

Ainsi, pour la Drôme, nous avons observé que les périodes de fortes projections d'ascospores (> 5 %) étaient toujours comprises dans une période débutant à partir du stade phénologique C-C3 de début de sensibilité des pommiers et se terminant lorsque Melchior annonce que 95 % du stock d'ascospores de l'année a été projeté (Brun et al., 2010).

En revanche, pour le Maine-et-Loire, les fortes projections d'ascospores sont toujours observées après l'annonce de 5 % du stock d'ascospores projetées selon RIMpro, mais il est plus difficile de détecter les dernières périodes de fortes projections.

Beaucoup de travail fait, et à faire

Ce travail et les résultats qui en découlent reposent sur 9 jeux de données complets de piégeage d'ascospores en vergers. L'établissement des ces jeux de données a nécessité beaucoup de travail, mais la variabilité des résultats ne permet pas de tirer des conclusions définitives.

Dans les régions concernées par la tavelure du pommier, il faudra continuer les comparaisons entre observations biologiques et modélisation de la projection des ascospores pour permettre à terme d'améliorer les modèles et piloter plus finement la protection des vergers.

<p>* INRA-UERI, Domaine de Gotheron, 26320 Saint-Marcellès-Valence ; lbrun@avignon.inra.fr</p> <p>** UMR INRA/INH/Université Pathologie Végétale, INRA, 42, rue Georges-Morel, 49071 Beaucouzé Cedex.</p> <p>*** INRA, UE Horticole, BP 60057, 49071 Beaucouzé cedex.</p> <p>**** DRAAF-SRAL, 33, avenue de Romans, BP 2145, 26021 Valence Cedex.</p> <p>(1) Outil d'aide à la décision.</p> <p>(2) Indice de fréquence de traitement.</p> <p>(3) Services régionaux de la Protection des Végétaux, aujourd'hui SRAL, Services régionaux de l'Alimentation.</p>

Figure 1 - Modélisation du pourcentage cumulé d'ascospores matures en fonction des sommes de degrés-jours base 0 °C depuis la première ascospore mature.

Figure 2 - Pourcentage cumulé d'ascospores captées en fonction des sommes de degrés-jours base 0°C depuis la date du J0 – Drôme ; 5 années d'observation.

Figure 3 - Pourcentage cumulé d'ascospores captées en fonction des sommes de degrés-jours base 0 °C depuis la date du J0 – Maine-et-Loire ; 4 années d'observation.

Bibliographie

Brun L., Guinaudeau J., Gros Ch., Combe F., Parisi L., Simon S., 2010 - Stratégies « bas intrants fongicides » sur pommiers. Concevoir et tester de telles stratégies contre les maladies du pommier en vergers dans la vallée du Rhône. Phytoma 636 : 40-45.

Crété X., 2007 - Aller plus loin dans la prophylaxie. Réussir Fruits & Légumes 267 : 60-62.

Gadoury D.M., MacHardy W.E., 1982 - A model to estimate the maturity of ascospores of Venturia inaequalis. Phytopathology 72 : 901-904.

Giraud M., Trapman M., 2006 - Le modèle RIMpro. Intérêt dans la gestion de la tavelure du pommier. L'Arboriculture fruitière 603 : 29-32.

Lagarde M.P., 1988 - Une nouvelle approche de la modélisation à partir de l'évolution de la maturation des ascospores. Adalia 7-8 : 14-15.

Résumé

Pour raisonner la protection fongicide des vergers de pommiers contre la tavelure, on fait appel aux OAD que sont les modèles de prévision. Dans le but de diminuer la quantité de fongicides appliqués sur les variétés peu sensibles, on veut repérer les périodes de fortes projections d'ascospores de Venturia inaequalis pour ne traiter qu'à ces moments-là.

Un travail a été réalisé sur cinq années dans la Drôme et sur quatre années en Maine-et-Loire afin de relier les projections d'ascospores (suivi général et repérage des fortes) calculées par les modèles Pulsowin, Melchior et/ou RIMpro avec celles observées (recueillies par des capteurs à spores type Burkard).

Les résultats montrent que :

– aucun des modèles n'est satisfaisant à lui seul dans les deux secteurs ;

– leur utilisation cumulée est possible mais réduit peu les intrants ;

– leur utilisation combinée avec celle d'autres outils est possible, de façon régionalisée (différences entre Drôme et Maine-et-Loire) ;

– les comparaisons entre observations et modélisation doivent continuer.

Mots-clés : pommier, tavelure, Venturia inaequalis, stratégies bas intrants, ascospores, OAD, outil d'aide à la décision, modèle de prévision, Pulsowin, Melchior, RIMpro, fortes projections d'ascospores.

Remerciements

Les auteurs remercient Claudine Foubert, Christophe Brouard, Sylvain Hanteville, et les étudiants Estelle Dumont, Benjamin Langendorf, Marie Torres et Maël Baudin pour leur contribution à cette étude.

L'essentiel de l'offre

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