Retour

imprimer l'article Imprimer

observer

Les espèces végétales envahissantes en extension à Ré

Jean-Marc Béraud* - Phytoma - n°641 - février 2011 - page 10

Relevé floristique d'un biotope atlantique
 ph. J. de Préval

ph. J. de Préval

1 - Séneçon du Cap. Le premier signalement de cette asteracée sur l'île de Ré date de 2007, alors que l'espèce est présente en France depuis le XXe siècle. ph. J.M. Beraud

1 - Séneçon du Cap. Le premier signalement de cette asteracée sur l'île de Ré date de 2007, alors que l'espèce est présente en France depuis le XXe siècle. ph. J.M. Beraud

2 - Séneçon du Cap sur la commune de la Flotte. L'espèce, trouvée d'abord sur cette commune, s'étend désormais en plusieurs points de l'île. Décorative en ville, elle peut être gênante dans les réserves naturelles (biodiversité) et les vignes (concurrence). Photos : J.M. Béraud

2 - Séneçon du Cap sur la commune de la Flotte. L'espèce, trouvée d'abord sur cette commune, s'étend désormais en plusieurs points de l'île. Décorative en ville, elle peut être gênante dans les réserves naturelles (biodiversité) et les vignes (concurrence). Photos : J.M. Béraud

3 - Autre asteracée : le crépis à feuille de capselle, arrivé dans les années 90, envahit les bords de routes.

3 - Autre asteracée : le crépis à feuille de capselle, arrivé dans les années 90, envahit les bords de routes.

Deux solanacées :      4 - Datura stramoine. Cette espèce toxique est connue en Europe depuis le XVIe siècle. Mais c'est dans les champs de pommes de terre, comme ici, qu'elle est envahissante.      5 - Morelle fausse saracha. Récemment introduite, elle aussi est envahissante sur pomme de terre. Photos : J.M. Béraud

Deux solanacées : 4 - Datura stramoine. Cette espèce toxique est connue en Europe depuis le XVIe siècle. Mais c'est dans les champs de pommes de terre, comme ici, qu'elle est envahissante. 5 - Morelle fausse saracha. Récemment introduite, elle aussi est envahissante sur pomme de terre. Photos : J.M. Béraud

6 - Muguet des pampas, ainsi nommé parce qu'il vient d'Argentine et que ses fleurs ressemblent à celles du muguet. Pour l'instant trouvée sur un point de l'île, cette plante invasive est une solanacée elle aussi. Photos : J.M. Béraud

6 - Muguet des pampas, ainsi nommé parce qu'il vient d'Argentine et que ses fleurs ressemblent à celles du muguet. Pour l'instant trouvée sur un point de l'île, cette plante invasive est une solanacée elle aussi. Photos : J.M. Béraud

7 - Sporobole tenace, ou sporobole d'Inde. Cette graminée s'intalle un peu partout dans l'île de Ré.

7 - Sporobole tenace, ou sporobole d'Inde. Cette graminée s'intalle un peu partout dans l'île de Ré.

Les touristes et les « people » ne sont pas les seuls à envahir l'Ile de Ré (Charente-Maritime). Il y a aussi le séneçon du Cap, le muguet des pampas, le sporobole d'Inde... Sous ces noms poétiques se cachent quelques-unes des espèces végétales envahissantes récemment introduites dans l'île. Le relevé botanique présenté ici a l'intérêt d'alerter sur des espèces déjà problématiques aujourd'hui ou qui risquent de l'être demain. Mais aussi de rappeler au passage qu'une espèce introduite dans un terroir peut, à la longue, en devenir un fleuron. Saviez-vous que la rose trémière était, au départ, une plante aussi exotique pour la flore ilienne qu'un canard mandarin pour sa faune ? Quoiqu'il en soit, voici un état des lieux botanique utile dans l'île et autour.

L'introduction d'organismes exogènes envahissants (insectes, maladies, végétaux, etc.), espèces appelées invasives par anglicisme, n'est pas un phénomène récent ; mais aujourd'hui l'intensité et la vitesse des moyens de transport accélèrent leur diffusion. On assiste d'ailleurs, en parallèle, à une certaine uniformisation des espèces végétales au niveau mondial, dans la mesure où les conditions de climat et d'adaptation des parasites le permettent.

Les Asteracées (composées)

Deux « vieilles américaines »

Dans l'Ile de Ré, on peut citer le développement de deux espèces nord-américaines d'introduction ancienne (fin XVIe siècle).

Les vergerettes ou érigérons ont envahi maintenant toutes les zones incultes (friches, talus, bords de routes…) et de nombreuses parcelles de vignes.

Il s'agit principalement de la vergerette du Canada, Conyza canadensis, mais aussi de la vergerette de Sumatra, Conyza sumatrensis.

Le fort potentiel invasif de ces espèces annuelles est dû à leur grande production de semences dont les aigrettes favorisent la dispersion par le vent. Concernant ces espèces banalisées, à l'île de Ré comme ailleurs, il est trop tard pour envisager une éradication.

Séneçon en arbre, à éradiquer

Le baccharis à feuilles d'arroche ou séneçon en arbre, Baccharis halimifolia, fait l'objet d'une campagne d'éradication pour en limiter la propagation en bordure de mer ou sur les talus des marais.

Cette espèce ligneuse vivace, pouvant atteindre 3 m, avait connu un certain succès ornemental du fait de sa floraison estivale abondante de couleur blanc neigeux. Mais, très envahissante en particulier en milieux humides, elle y nuit à la biodiversité, d'où la volonté d'éradication.

Séneçon du Cap, décelé en 2007 et déjà prospère

L'introduction récente d'une troisième espèce de la même famille botanique doit faire l'objet d'une mise en garde des îliens pour en éviter l'extension. Il s'agit du séneçon du Cap ou séneçon à dents inégales, Senecio inaequidens.

C'est une espèce annuelle à pérennante, lignifiée à sa base, formant des buissons touffus de 80 cm environ. Ses feuilles, vert foncé, sont linéaires et finement dentées et ses fleurs sont groupées en capitules jaune d'or, d'aspect décoratif (photo 1), semblables à ceux du séneçon jacobée ou des anthémis jaunes de nos jardins. Après floraison, les capitules produisent de nombreuses graines surmontées d'aigrettes qui en favorisent la dissémination, de même que les deux espèces précédemment citées.

Le séneçon du Cap est un exemple intéressant du potentiel de dissémination d'une espèce végétale : espèce introduite au milieu du siècle passé dans le Tarn autour de Mazamet avec les laines en provenance d'Afrique du Sud, ses semences portées par le vent et/ou les eaux lui ont permis une dispersion rapide à partir de la Montagne Noire et du Minervois et une extension dans plusieurs directions :

– vers le grand Languedoc dont il a envahi de nombreux vignobles où il s'est avéré peu sensible aux herbicides, et d'où il a remonté la vallée du Rhône et au delà car il a été observé quasiment sur l'ensemble du territoire (cf. cartes Tela Botanica) ;

– vers le Bordelais via la vallée de la Garonne et jusqu'à Ré à la faveur des échanges commerciaux et touristiques.

À travers l'île, nous l'avons identifié pour la première fois en 2007 sur la commune de la Flotte, autour du centre commercial de la Croix-Michaud. Il y a prospéré depuis (ph. 2) et commence à s'étendre dans les rues de cette commune.

Le séneçon du Cap prospère de façon plus inquiétante aux Portes, dans la réserve ornithologique de l'îlot des Niges, sur les talus et les chemins. Il y prend la place des espèces autochtones, en association avec la vergerette du Canada.

Crépis des années 90

Une quatrième espèce de la famille est à signaler : les bords de routes de l'île sont envahis par une petite asteracée à rosettes plaquées au sol et à nombreux capitules jaune pâle, le Crepis bursifolia, le crépis à feuilles de capselle (ph. 3). Cette espèce, introduite dans les années 1990, s'est rapidement répandue. Elle échappe à la tonte par son port étalé.

Les Solanacées

Le datura du XVIe siècle

Les adventices de la famille des Solanacées sont particulièrement représentées dans les zones de culture de pomme de terre. En effet, celle-ci étant elle-même une solanacée, les herbicides avec lesquels on la désherbe épargnent non seulement la culture mais aussi les plantes de la même famille.

D'introduction ancienne, au XVIe siècle, d'Amérique du Sud ou d'Amérique centrale, le datura stramoine Datura stramonium, est une plante toxique très envahissante (ph. 4).

Une nouvelle morelle

Dans la même famille, également en culture de pomme de terre, on observe une introduction récente : la morelle fausse saracha, Solanum sarachoides = Solanum physalifolium (ph. 5), originaire du Brésil et très répandue sur l'ensemble du territoire des États-Unis.

Elle cohabite avec les morelles autochtones : Solanum nigrum, la morelle noire et Solanum villosum ssp. miniatum, la morelle à fruits rouges, et avec le datura stramoine, Datura stramonium. Ces espèces prospèrent et envahissent les champs après récolte de la culture en enrichissant le potentiel semencier des sols.

Le muguet des pampas, au Martray

Une autre solanée originale a été rencontrée en fin d'été autour du Martray, partie la plus étroite de l'île, il s'agit de Salpichroa origanifolia, le muguet des pampas, espèce vivace originaire d'Amérique du Sud (Argentine, Paraguay) dont les fleurs ressemblent à s'y méprendre par leur forme aux clochettes du muguet (ph. 6).

Cette espèce invasive s'est implantée le long des zones maritimes méditerranéennes et aquitaines et s'est étendu vers le nord : Bretagne, Cotentin.

Enfin, dans la même famille, citons à titre anecdotique le tabac glauque, Nicotiana glauca, plante ornementale aux feuilles lisses, vert glauque et aux fleurs jaunes aux longs cornets pendants, originaire du Mexique et du sud-ouest des États-Unis.

Les Graminées (Poacées) et les autres

Le sporobole tenace

Le sporobole d'Inde ou sporobole tenace, Sporobolus indicus, espèce introduite à la fin du XIXe siècle aux environs de Bayonne, s'installe depuis peu sur les bords des routes et gagne l'ensemble de l'île (vue à Sainte-Marie, La Flotte, Le Bois-Plage, Loix, etc.). Par ailleurs, cette espèce a gagné tout le sud de la Loire ainsi que, plus au nord, la frange atlantique : Bretagne et certains départements normands.

Cette graminée sempervirente forme des touffes compactes d'où partent de nombreuses tiges dressées portant de longs épis étroits et rigides (ph. 7).

Autres familles

D'autres espèces introduites appartenant à diverses familles botaniques se rencontrent à des fréquences différentes : certaines, souvent cultivées en tant que plantes ornementales, se sont échappées hors des villages (par exemple Althea rosea, passerose ou rose trémière, plante devenue emblème de l'île).

D'autres, potentiellement plus envahissantes, ont été introduites avec des remblais et se limitent encore à des aires restreintes (Phytolacca americana, le raisin d'Amérique ou Reynoutria sp., les grandes renouées du Japon et de Sakhaline). À surveiller.

De même, le climat insulaire particulièrement doux a permis l'introduction de plantes méditerranéennes tel le Crepis bursifolia déjà cité qui nous vient d'Italie via la Provence et le Languedoc en remontant le long de la frange atlantique, voie de pénétration privilégiée des espèces de climats chauds (Cartes Tela Botanica).

Enfin, certaines espèces méditerranéennes ont été introduites pour leur caractère ornemental et se sont naturalisées telles que les cistes, espèces souvent hybridées, Cistus sp.

Conclusion

En conclusion, plusieurs espèces étrangères à la flore atlantique se trouvent sur l'île de Ré. Certaines peuvent provoquer des déséquilibres floristiques en occupant des surfaces de plus en plus importantes.

Si l'éradication n'est plus envisageable pour plusieurs d'entre elles car trop largement répandues, elle reste possible à l'encontre de certaines autres telles que le baccharis à feuilles d'arroche.

Il y aurait également lieu de prendre des mesures pour éviter la propagation de plusieurs introductions récentes d'espèces considérées comme envahissantes : le séneçon du Cap, dans les vignes, où cette espèce ligneuse et pérenne est particulièrement difficile à détruire, le long du littoral (talus des marais) et dans les lieux incultes.

Une éradication de la morelle fausse saracha dans les cultures de pommes de terre est également souhaitable.

Évitons l'accumulation dans le sol d'un réservoir semencier trop important qui deviendrait inépuisable.

<p>* Ingénieur Agronome beraud.jeanmarc@free.fr</p>

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

Bibliographie

• Le séneçon du Cap, de la laine à la vigne. Jean-Michel Michez, Phytoma-La Défense des végétaux n°468, janvier 1995, p.39 à 41.

• Évolution de la flore adventice des cultures, les exemples du maïs et de la vigne. Jean-Marc Béraud, Phytoma-La Défense des végétaux n°599, décembre 2006, p.48 à 51.

• Évolution générale de la flore rhétaise.

Pierre Le Gall, bulletin de la Société botanique du Centre-Ouest, Nouvelle série, tome 40-2009, p.133 à 153.

• Site Internet Tela Botanica (cartes de répartition des espèces).

Résumé

Des relevés botaniques montrent la présence dans l'Ile de Ré (Charente-Maritime) d'espèces végétales exotiques plus ou moins envahissantes.

Parmi les asteracées, les vergerettes du Canada et de Sumatra (Conyza canadensis et Conyza sumatrensis) se sont banalisées. Le séneçon en arbre ou baccharis à feuilles d'armoise (Baccharis halimifolia), très envahissant, fait l'objet de campagnes d'éradication. Le séneçon du Cap (Senecio inaequidens), signalé en 2007, est à contrôler. Le crepis à feuille de capselle (Crepis bursifolia), arrivé dans les années 90, s'est répandu.

Concernant les solanacées, on note le datura stramoine (Datura stramonium), l'arrivée récente de la morelle fausse saracha (Solanum saccharoides = S. physalifolium) et le muguet des pampas (Salpichroa origanifolia).

Une graminée, le sporobole d'Inde ou sporobole tenace (Sporobolus indicus), s'installe le long des routes.

Par ailleurs le raisin d'Amérique (Phytolacca americana) et les renouées (Reynoutria sp.) du Japon et de Sakkhaline sont à redouter, alors que la naturalisation d'autres espèces pose moins de problème : rose trémière (Althea rosa).

Mots-clés : Ile de Ré, espèces végétales envahissantes, asteracées, solanacées, graminées, éradication, naturalisation.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :