Le biocontrôle, vu de Lucerne

La protection intégrée, une opportunité pour le secteur du biocontrôle, au 5e ABIM à Lucerne les 25 et 26 octobre 2010

Fin octobre, chaque année depuis 2006, c'est le moment de l'ABIM(1) en Suisse. Cette réunion internationale de l'industrie du biocontrôle présente les nouvelles tendances du marché mondial du secteur. Les 25 et 26 octobre 2010, donc, le KKL, Palais des congrès de Lucerne, a accueilli cette 5e édition organisée par l'Association internationale des fabricants de produits de protection biologique (IBMA(2)) et l'Institut de recherche suisse de l'agriculture biologique (FiBL). Panorama d'un secteur en plein développement accompagnant celui de l'IPM, la protection intégrée des plantes, et riche en innovations : du nématode anti-diabrotica au bourdon transporteur, en passant par l'huile d'agrume herbicide et le Bacillus subtilis sur la semence. Entre autres !

ABIM-Lucerne offre aux participants un lieu de rencontre annuelle spécifiquement adapté aux besoins de l'industrie biologique de protection des plantes. Pendant les deux jours de la conférence 2010, plus de 480 délégués (contre un peu plus de 350 en 2009) représentant environ 260 entreprises et organisations venues du monde entier ont échangé leurs expériences. Le programme ne comprenait pas moins de 32 présentations sur la réglementation, le développement du marché mondial et les nouveaux produits destinés à la protection biologique des cultures et récoltes.

Le biocontrôle dans la protection intégrée, une tendance lourde

La protection intégrée (IPM) est une tendance lourde et une opportunité pour l'industrie du biocontrôle :

– Les produits de biocontrôle sont des outils essentiels permettant de mettre en place des solutions de protection intégrée efficaces et sûres pour tous les types de production.

– En Europe, la directive cadre 2009/128/CE pour une utilisation durable des pesticides rend obligatoire les principes généraux en matière de lutte intégrée dès le 1er janvier 2014. Les États membres doivent, avant le 14 décembre 2011, prendre les dispositions législatives nécessaires.

– Cette tendance vaut non seulement en Europe, mais aussi sur le continent américain : USA, Canada, Amérique Latine...

– Sur le plan économique, le marché du biocontrôle est un marché mondial appelé à une croissance rapide ; il est estimé aujourd'hui par les experts à 1,2 milliard d'euros ; on pense qu'il devrait atteindre 10 à 20 milliards en 2020.

Nouveautés produits : « bons » nématodes contre insectes ravageurs

Nématodes au secours des cultures, ce qu'on savait déjà

Le plus souvent lorsque l'on parle de nématodes, on évoque les dégâts causés aux récoltes. Ce sont les « mauvais » nématodes. Mais il y a aussi les « bons » : les nématodes entomopathogènes des genres Heterorhabditis et Steinernema.

Apparemment bien distincts l'un de l'autre, ces genres ont tous deux instauré la même relation symbiotique avec des bactéries. Il s'agit de bactéries apparentées à Escherichia coli, la bactérie de nos intestins, mais inoffensives pour l'être humain et mourant, de surcroît, au-delà d'une température de 35 °C. Grâce à la symbiose nématode-bactérie, les nématodes sont capables de tuer rapidement les insectes infestés ; ils ont fait de l'insecte vivant un nouveau biotope.

On connaissait déjà S. feltiae ou S. carpocapsae pour lutter contre le carpocapse Cydia pommonella des pommes et des poires, contre le charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus. Il en est de même pour Heterorhabditis bacteriophora contre le charançon de la noisette (ou balanin des noisettes, en anglais hazelnut borer) Balaninus nucum.

Nouveau, protéger les vergers, les pins et le maïs de ravageurs

Fait moins connu, S. feltiae et S. carpocapsae pourraient contrôler le capnode (ou bupreste du pêcher) Capnodis tenebrionis dont les larves s'attaquent aux racines des arbres à noyau.

Il en est de même pour lutter contre le carpocapse des prunes Cydia funebrana ou encore l'hoplocampe du pommier Hoplocampa testudinea.

Dans le secteur de la forêt, S. carpocapsae permet de lutter contre le grand charançon du pin Hylobius abietis qui s'attaque aux pins (Pinus sp.) en Scandinavie, Écosse et Irlande.

Autre nouveauté intéressante, le nématode H. bacteriophora pour lutter contre la chrysomèle des racines du maïs Diabrotica virgifera virgifera. Appliqué soit dans le lit de semence soit en pulvérisation au sol, les essais effectués en Hongrie montrent un contrôle de la chrysomèle d'environ 70 à 75 % contre 80 à 85 % à la référence téfluthrine appliquée dans le lit de semence.

Champignons utiles contre « méchants » nématodes

Neemnico a présenté un nouveau nématicide issu de Paecilomyces lilacinus. C'est une protéase produite par ce champignon qui est le principe actif de la nouvelle spécialité.

Il a été testé avec succès contre Meloidogyne spp., Globodera pallida et G. rostochiensis, Heterodera spp., Tylenchulus semipenetrans, Radophalus similis et Rotylenchulus remiformis. Les performances présentées seraient de l'ordre de 75 à 90 %.

Premiers désherbants annoncés

Jusqu'ici, il n'existait guère de produits de biocontrôle à effet désherbant, les alternatives à l'usage d'herbicides conventionnels passant par la rotation, le travail du sol, sa couverture (mulch, couverts végétaux) et le désherbage mécanique voire thermique avec le débat sur son impact énergie-gaz à effet de serre...

Pourtant l'activité herbicide de certains extraits bactériens comme le MHM (méthoxyhygromycine) est connue depuis le début des années 2000. Mais jusque là aucun produit n'était disponible. C'est en train de changer ! Du moins en Amérique.

D-limonème, extrait d'agrumes

La société américaine Marrone Bio Innovation (MBI) a présenté trois herbicides biologiques qu'elle développe, dont un déjà autorisé aux États-Unis.

Ce dernier, nommé GreenMatch, a comme principe actif le d-limonene, un extrait d'huile d'agrumes. Il détruit la cuticule cireuse de la feuille, causant le flétrissement, la déshydratation et la mort.

Actif sur les organes herbacés (verts), il n'affecte ni le tronc des arbres ni les ceps de vignes : s'il touche une feuille par mégarde, seule celle-là « grillera ». Il maîtrise un large spectre de mauvaises herbes annuelles et vivaces (on recommande de l'appliquer sur des herbes jeunes). Ainsi, c'est un HNS (herbicide non sélectif) de contact. Mais naturel !

Il répond aux exigences de l'USDA National Organic Program (NOP) pour l'agriculture biologique.

Il permet de désherber sous les rangs de vigne voire de les épamprer, ou sous la ligne d'arbres fruitiers (photos avant-après), sans craindre d'affecter les cultures.

Sarmentine, extrait de poivrier

MBI a présenté le MBI 010 en le qualifiant de « Round'up biologique » car il devrait s'utiliser comme un HNS systémique (ce qu'est le Round'up) en étant, bien sûr, d'origine biologique. Son principe actif est la sarmentine, extrait du fruit du poivrier long Piper longum L. Il possède un large spectre d'activité et son mode d'action est similaire à celui de l'acide pélargonique.

Issu de bactéries

MBI 005 est pour sa part sélectif des cultures de riz, maïs, blé, canne à sucre, sorgho.

Son principe actif est une thaxtomine extraite d'une bactérie du genre Streptomyces.

On sait que, parmi les thaxtomines, la thaxtomine A est la principale toxine phytotoxique (= toxique sur les plantes) produite par Streptomyces scabies, agent de la galle commune sur pomme de terre. Mais la communication n'a pas nommé la thaxtomine ni la souche, ni même l'espèce de Streptomyces utilisée.

Les symptômes observés sur les mauvaises herbes sont dans la plupart des cas semblables à ceux causés par des herbicides inhibiteurs de biosynthèse de la cellulose comme le dichlobénil ou l'isoxaben.

Pistes canadiennes

D'autres pistes ont été mentionnées en provenance du Canada. Il y a notamment Pseudomonas fluorescens souche BRG 100, bactérie à effet herbicide de pré-émergence des blés.

On a aussi évoqué Phoma macrostoma, champignon commercialisé sur gazon et qui contrôlerait le pissenlit (68 %), le chardon (97 %) et les ravenelles (82 %).

La semence support de protection

B. subtilis s. QST 713

Agraquest, qui a développé depuis plusieurs années le Bacillus subtilis souche QST 713 en application foliaire (produits Sérenade Biofungicide et Sérénade Max autorisés en France), envisage d'élargir le marché potentiel de son micro-organisme. Il s'agit de l'appliquer sur la semence ou en traitement du sol. Outre ses effets de SDN (stimulation des défenses naturelles) contre les maladies, le produit aurait également un effet positif sur la photosynthèse.

P. chlororaphis s. MA342

Le laboratoire suédois Mase a présenté une nouvelle formulation de Pseudomonas chlororaphis souche MA342 en traitement de semences de pois pour lutter contre les maladies causées par Ascochita pisi, Mycosphaerella pinodes et Phoma medicaginis var. pinodella.

Ce micro-organisme (bactérie) est déjà connu et commercialisé en France dans une formulation pour céréales (Cerall).

Huile fongicide

Timorex Gold a été présenté par la société israélienne STK. Ce nouveau fongicide est à base d'huile essentielle de Melaleuca alternifolia (l'arbre à thé, à ne pas confondre avec le théier).

Il a été testé sur vigne, concombre, tomate, pomme de terre et salade. Il est efficace contre les mildious, oïdiums et alternarias. Les essais réalisés sur cercosporiose noire du bananier, Mycosphaerella figiensis, annoncent un niveau d'efficacité comparable à celui des strobilurines et des triazoles.

Les bourdons remplacent le pulvérisateur

Les bourdons sont utilisés pour la pollinisation. La société Biobest, qui commercialise entre autres ces insectes, se base sur ce principe pour mettre au point et breveter une ruche permettant à l'insecte de se charger de « poudre » et de la transporter jusque sur les plantes.

Les essais réalisés sur fraise avec un produit biologique actif contre le botrytis sont prometteurs. Cette technique ne pourra être utilisable qu'avec des produits « non toxiques abeilles ».

En conclusion

Année après année, le congrès ABIM devient incontournable pour tous ceux qui s'intéressent au développement des méthodes de protection intégrée, à la préservation de la biodiversité et à la mise en place d'une agriculture durable.

Conscients de ce succès, les organisateurs ont déjà décidé de vous donner rendez-vous les 24 et 25 octobre 2011 dans la ville suisse pour leur 6e congrès sur les produits de biocontrôle.