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dossier - Méthodes alternatives

Tuta absoluta sur tomate l'appui du trichogramme

Julien Séguret*, Jacques Frandon* et Philippe Lespinasse** - Phytoma - n°642 - mars 2011 - page 26

Les essais de 2010 permettent de proposer une stratégie de lutte biologique associant un miride prédateur et un trichogramme parasitoïde
 ph. J. Séguret

ph. J. Séguret

Ci-contre, serre ravagée par Tuta absoluta, en France. En médaillon en haut de page, gros plan sur une feuille de tomate minée avec une chenille de T. absoluta.

Ci-contre, serre ravagée par Tuta absoluta, en France. En médaillon en haut de page, gros plan sur une feuille de tomate minée avec une chenille de T. absoluta.

Ci-dessous, forts dégâts sur plants en serres de tomates Photos : J. Séguret

Ci-dessous, forts dégâts sur plants en serres de tomates Photos : J. Séguret

Face à l'installation en France de la mineuse de la tomate Tuta absoluta et à sa nuisibilité, la lutte biologique à l'aide d'insectes auxiliaires a un rôle à jouer dans les cultures de tomate sous abris, hors-sol ou sur sol. Ceci en agriculture biologique mais aussi en PBI (protection biologique intégrée). Les mirides (Macrolophus sp., etc.), auxiliaires prédateurs généralistes qui sont déjà lâchés dans les serres pour maîtriser d'autres ravageurs, ne dédaignent pas Tuta. Mais l'appui d'un auxiliaire spécifique parasitoïde est le bienvenu. Voici le résultat d'essais menés dans le Sud de la France en 2010 avec un tel auxiliaire, le trichogramme Trichogramma achaeae. Ils permettent de proposer des stratégies pour 2011

S'il n'est pas efficacement contrôlé dès son arrivée dans une serre de tomates, le ravageur microlépidoptère Tuta absoluta (Meyrick) (Lepidoptera : Gelechiidae) peut engendrer des dégâts considérables allant jusqu'à la perte totale de la culture (photos).

Deux principaux auxiliaires sont actuellement utilisés en lutte intégrée sous serres en France contre cette mineuse de la tomate :

– des mirides, en particulier Macrolophus caliginosus (Wagner) (Heteroptera : Miridae) ; ces prédateurs généralistes étaient déjà lâchés dans les serres, où ils peuvent se maintenir toute une saison de production, pour maîtriser divers ravageurs, acariens et surtout aleurodes ; ils consomment aussi T. absoluta ;

– des trichogrammes Trichogramma achaeae (Nagaraja & Nagarkatti) (Hymenoptera : Trichogrammatidae) ; ces parasitoïdes parasitent les œufs du ravageur sans s'installer durablement (la génération issue des œufs de T. absoluta parasités ne se maintient pas)(1).

Méthode de suivi

15 sites dans trois départements

La société Biotop, filiale du groupe InVivo, et la Coopérative agricole Provence-Languedoc (CAPL) ont testé conjointement au printempsété 2010 une stratégie d'usage de ces deux auxiliaires pour lutter contre T. absoluta.

Quinze sites, comprenant chacun une ou plusieurs serres, ont été suivis de façon hebdomadaire par les techniciens de Biotop et de la CAPL entre février et septembre 2010, dans plusieurs départements du sud de la France : Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Vaucluse.

Ils ont été choisis de façon à constituer un ensemble représentatif des types de culture de tomates majoritairement présents dans la profession et susceptibles d'utiliser des auxiliaires contre T. absoluta sous serre :

– serres verres chauffées, serres verres froides, multi-chapelles plastiques ou tunnels plastiques ;

– lutte intégrée ou production biologique.

Suivi hebdomadaire : mineuses, mines et mirides

Le protocole de suivi s'inspire de la méthode mise au point par le Groupe de travail « Expérimentateurs-Protection intégrée en cultures légumières sous abri » réunissant de nombreux partenaires autour du Ctiflet de l'Aprel.

La population des papillons de T. absoluta a été suivie par piégeage hebdomadaire dans les pièges à phéromone (mn 4 pièges/ha).

La présence de mines avec chenilles a été quantifiée sur les 7 feuilles du haut de 30 plantes réparties dans trois zones de chaque serre (deux des parois chaudes opposées, une centrale). La présence de mirides (Macrolophus caliginosus, Nesidiocoris tenuis et Dicyphus errans) et d'aleurodes (surtout Trialeurodes vaporariorum) a été notée sur les 7 feuilles du haut de 15 plantes réparties dans les mêmes zones.

La présence d'œufs de Tuta est recherchée spécifiquement dans toute la serre et leur taux de parasitisme par les trichogrammes évalué.

Pour illustrer les résultats, on détaillera deux exemples représentatifs des 15 sites suivis.

Stratégie avec mirides et « trichogrammes interrompus »

Stratégie en deux périodes

Le premier exemple est un suivi d'une serre verre à Berre-l'Étang (Bouches-du-Rhône). Il montre que les mirides seuls sont insuffisants pour contrôler les dégâts de Tuta.

Dans cette serre, le producteur a procédé à trois lâchers de Macrolophus en février-mars, puis à six lâchers de trichogrammes toutes les semaines de mi-avril à fin mai (1re période).

Ensuite, début juin, on a considéré que les mirides étaient suffisamment installés (2,13 mirides/plante le 3 juin) pour contrôler les œufs de T. absoluta ; on a donc décidé de stopper les lâchers de trichogrammes (2e période).

Résultats contrastés

Première période : quelques mines de T. absoluta étaient présentes à la prise en main de la culture alors que les mirides (ici majoritairement Macrolophus) avaient probablement des difficultés à s'installer.

Les trichogrammes ont été efficaces (Figure 1). En effet, les taux de parasitisme dans cette serre ont été très corrects en période de lâchers (83,3 % le 21 avril, 87 % le 27 avril, 83,3 % le 4 mai, 77,8 % le 12 mai) sur des volumes de ponte très élevés (de 0,53 à 2,13 œufs par plante en moyenne sur 30 plantes observées).

Les trichogrammes ont donc permis de limiter l'apparition de nouvelles mines, voire d'empêcher toute nouvelle attaque dès l'application d'une dose plus importante (500 000 trichogrammes/ha) à partir du 11 mai.

Deuxième période : après l'arrêt des lâchers de trichogrammes, on note la remontée rapide du nombre de mines par plante dès le 11 juin, d'autant que les vols de papillons ont augmenté (157 papillons/piège/semaine le 18 juin). Un traitement larvicide (à base de spinosad) a dû être appliqué en rattrapage le 24 juin pour éliminer les jeunes chenilles.

Cet essai montre que les trichogrammes permettent un contrôle efficace de T. absoluta en période d'installation des Macrolophus. Mais un arrêt trop précoce des lâchers de trichogrammes, avant que les Macrolophus n'aient atteint un niveau de population important sur les plantes, ne permet pas à ces mirides seuls de contrôler le ravageur.

Stratégie mixte Macrolophus et trichogrammes

Stratégie

En revanche, une stratégie combinant les deux auxiliaires sur la durée de la culture maîtrise les populations de T. absoluta et évite les dégâts. C'est ce que montre l'exemple suivant, pris dans une autre serre du même producteur.

Là aussi, les lâchers de Macrolophus ont eu lieu en février-mars et les lâchers hebdomadaires de trichogrammes ont commencé mi-avril. Mais ils ont été appliqués en relation avec l'importance des vols de T. absoluta et n'ont pas été interrompus. En tout, 13 lâchers de trichogrammes ont été effectués.

Des dégâts bien limités

Les mirides ont été moins nombreux en été que dans l'exemple précédent et les papillons de T. absoluta plus nombreux : jusqu'à 337 papillons/piège/semaine le 29 juin (Figure 2). Pourtant les dégâts de T. absoluta ont été limités grâce à la protection complémentaire apportée par les trichogrammes.

Et ailleurs

Les deux cas présentés ici sont représentatifs des 15 sites suivis. Dans la plupart des cas, la stratégie combinant une installation de mirides en début de culture et des lâchers de trichogrammes proportionnés au nombre de papillons T. absoluta capturés dans les pièges à phéromone a contenu les populations de T. absoluta et évité les dégâts aux cultures.

Cette stratégie d'utilisation des auxiliaires s'avère être la plus efficace et la plus sûre.

Définition d'une stratégie de lutte à l'aide d'auxiliaires contre T. absoluta

Installer les mirides le plus tôt possible

En Europe du Nord (comme en France), les mirides lâchés appartiennent en général à l'espèce Macrolophus caliginosus (photo p. 27). Dans les régions plus chaudes (ex. Espagne, Maroc) et en contre-saison (culture d'hiver), l'espèce Nesidiocoris tenuis est mieux adaptée. Rappelons que ces prédateurs généralistes sont lâchés même en l'absence de T. absoluta.

Il est recommandé de lâcher les mirides le plus tôt possible dans la culture car ils sont longs à s'installer. En général, on procède à 2 ou 3 lâchers à raison de 2 à 3 individus/m² selon le niveau de sécurité désiré.

Lâcher de Trichogramma achaeae en complément des mirides

Les trichogrammes Trichogramma achaeae, (photo ci-dessus) complètent efficacement le contrôle réalisé par les mirides, en particulier dans les cas suivants :

– tant que les mirides ne sont pas assez bien installés (début de culture ou période de régulation par des pesticides) ;

– face à de fortes populations de papillons T. absoluta synonymes d'un dépôt abondant d'œufs (pic de vol de T. absoluta ou entrée importante de papillons depuis l'extérieur).

– face à un fort développement d'une population d'aleurodes ; en effet, dans ce cas les mirides ont tendance à privilégier cette dernière proie et à délaisser les œufs du papillon ; ils n'arrivent donc pas à maîtriser efficacement T. absoluta.

Les doses d'emploi des trichogrammes doivent être ajustées en fonction du nombre de papillons piégés dans les pièges à phéromone chaque semaine et de la qualité d'installation des mirides (Frandon et al., 2010) :

– moins de 10 papillons/piège/semaine : 250 000 trichogrammes/ha.

– entre 10 et 50 papillons/piège/semaine : 250 000 à 500 000 trichogrammes/ha.

– au-delà de 50 papillons/piège/semaine : 500 000 à 2 000 000 trichogrammes/ha.

Observation, prophylaxie, maîtrise du climat : les autres clés du succès

L'observation de toutes les situations des sites suivis montre une fois de plus que l'usage des auxiliaires est plus efficace avec :

– une observation permanente de la culture, qui permet d'anticiper sur les problèmes et de détecter les tout premiers foyers de maladies et ravageurs ;

– une culture maintenue dans un état sanitaire général propre (foyers de maladies et ravageurs rapidement contenus) ;

– un climat dans la serre maîtrisé et bien régulé, en particulier la température (de préférence 13-32 °C) mais aussi l'humidité (de préférence 60-80 %).

Conclusion

La stratégie de lutte contre T. absoluta la plus sécurisante avec des auxiliaires consiste en un lâcher précoce de Macrolophus, complété par un lâcher hebdomadaire de trichogrammes Trichogramma achaeae, dès l'apparition des premiers papillons et avec une dose adaptée à la situation.

Les paramètres indispensables à prendre en compte sont l'importance du vol des papillons ravageurs, détecté grâce aux pièges à phéromone, ainsi que le niveau de population des punaises mirides prédatrices. Seul un suivi technique régulier de la serre permet d'anticiper sur les actions à entreprendre et de maintenir les attaques de ce dangereux ravageur sous un seuil économiquement acceptable.

<p>* Biotop, Pôle technique, 1306, route de Biot 06560 Valbonne.</p> <p>** CAPL, Service agronomique, 158, chemin Brantes, 84700 Sorgues.</p> <p>(1) Voir Frandon J., Séguret J., Desneux N., Tabone E., 2010 - Un nouvel auxiliaire contre <i>Tuta absoluta, Phytoma</i> n° 634, mai 2010, p. 9.</p>

Figure 1 - Résultats du contrôle de Tuta absoluta par des mirides et par des trichogrammes. Premier exemple à Berre-l'Étang (Bouches-du-Rhône).

Macrolophus caliginosus, prédateur généraliste, agit contre T. absoluta mais a besoin de l'aide du trichogramme. ph. P. Maigret

Macrolophus caliginosus, prédateur généraliste, agit contre T. absoluta mais a besoin de l'aide du trichogramme. ph. P. Maigret

Figure 2 - Résultats du contrôle de Tuta absoluta par stratégie mixte Macrolophus et trichogrammes. Deuxième exemple à Berre-l'Étang (Bouches-du-Rhône).

Trichogramma achaeae, nouvel auxiliaire parasitoïde qui cible T. absoluta, a été testé sur 15 sites en 2010. ph. P. Maigret

Trichogramma achaeae, nouvel auxiliaire parasitoïde qui cible T. absoluta, a été testé sur 15 sites en 2010. ph. P. Maigret

Résumé

La société Biotop (filiale du groupe InVivo) et la CAPL (Coopérative Agricole Provence-Languedoc) ont testé conjointement au printemps-été 2010 une stratégie de lutte basée sur des lâchers d'auxiliaires pour lutter efficacement contre Tuta absoluta. Les essais ont montré que l'utilisation seule des punaises prédatrices Macrolophus ne permet pas toujours de maîtriser efficacement ce ravageur. La stratégie offrant le plus de sécurité consiste en un lâcher de Macrolophus en début de culture, complété par un lâcher hebdomadaire de trichogrammes Trichogramma achaeae avec une dose adaptée à l'infestation et à la présence des punaises prédatrices.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :