Infestation de grand coquelicot (Papaver rhoeas) dans un champ de blé. Une telle densité de plantes après un désherbage à l'aide d'un produit visant le coquelicot laisse supposer l'existence de résistance à cet herbicide. Encore faut-il la prouver, car d'autres causes d'échecs de désherbage peuvent exister. C. Délye/INRA
Des résistances du grand coquelicot aux herbicides inhibiteurs de l'acétolactate-synthase (ALS)(1) ont été mises en évidence pour la première fois en France. Des tests « ADN » ont permis de détecter un nombre notable de plantes résistantes dans des échantillons prélevés après des échecs de déherbage. Cette présence de la résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez les coquelicots en France, désormais prouvée, doit être prise en compte pour raisonner la stratégie de désherbage.
Parmi les espèces adventices, certaines sont bien connues du grand public en raison de leur valeur culturelle (usage médicinal, symbolique populaire…) ou esthétique, et ont de ce fait une valeur « patrimoniale » (Chauvel et Gasquez, 1993). On peut citer au nombre de ces plantes les coquelicots, dont trois espèces sont observées en France : Papaver rhoeas, Papaver dubium et Papaver argemone.
Une adventice tenace
Parmi ces espèces observées en France, le grand coquelicot (P. rhoeas) est l'espèce la plus commune. Mais, à côté de leur indéniable valeur patrimoniale (nombreuses représentations picturales, dont des toiles de Monet ou Van Gogh) et de leur rôle de source alimentaire pour les insectes pollinisateurs, les coquelicots restent des adventices préjudiciables s'ils prolifèrent dans des cultures comme les céréales (photo 1) ou le colza.
Une résistance aux inhibiteurs de l'ALS en France ?
La restriction de la gamme de substances utilisables pour le désherbage chimique (réglementation européenne, plan Écophyto 2018) a eu pour conséquence un recours accru aux herbicides inhibiteurs de l'ALS. Ces herbicides ont deux avantages : ils s'appliquent à un faible grammage à l'hectare et ont un spectre large. Le revers de la médaille est qu'il s'agit du groupe d'herbicides pour lesquels le plus grand nombre de cas de résistance ont été signalés dans le monde (Heap, 2011).
En France, aucune démonstration de cas de résistance aux inhibiteurs de l'ALS n'avait encore été publiée chez les coquelicots. Néanmoins, des cas de résistance chez les coquelicots sont connus et publiés dans d'autres pays (Angleterre, Espagne, Grèce, Italie : Heap, 2011). Ce travail avait donc deux objectifs : développer un test de diagnostic de la résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez les coquelicots, et l'utiliser pour analyser des populations françaises de grand coquelicot pour lesquelles des difficultés de contrôle avec des inhibiteurs de l'ALS ont été observés.
Un test de diagnostic rapide
Le mécanisme de résistance aux inhibiteurs de l'ALS le plus connu est la résistance de cible : des mutations à des positions particulières dans le gène de l'ALS (« codons ») confèrent une résistance à des herbicides (Tranel et al., 2011). Il s'agit de mutations spontanées naturellement présentes dans les populations d'adventices, avant l'usage d'herbicides. Lors de l'application d'herbicides, les plantes portant ces mutations survivent et se reproduisent (plantes résistantes), alors que les plantes sensibles sont tuées.
Des tests ADN permettant de détecter à l'aide d'un seul test toutes les mutations à un codon donné de l'ALS intervenant dans la résistance à des herbicides ont été développés pour le grand coquelicot. Les codons ciblés sont ceux intervenant le plus souvent dans la résistance : les codons 122, 197, 205, 574 et 653. Les tests font appel à la PCR. Ils ont été développés sur la base de la séquence d'ALS du grand coquelicot, en utilisant le même principe que celui d'un test récemment décrit pour le vulpin et les ivraies (Délye et al., 2009).
À partir d'un petit morceau de feuille (fraîche ou sèche) collectée au champ (1 cm²), chaque test permet d'obtenir un fragment d'ADN du gène de l'ALS contenant l'un des codons de l'ALS cruciaux pour la résistance.
Le diagnostic se fait par digestion enzymatique de ce fragment d'ADN : le fragment est coupé uniquement s'il contient la version non mutante (« sensible ») du codon. Si une mutation, quelle qu'elle soit, est présente au codon étudié, le fragment n'est pas coupé. La différence de taille observée après électrophorèse (figure 1) permet de déterminer si la plante analysée est mutante ou non au codon considéré. Ces tests, mis au point sur le grand coquelicot (P. rhoeas), sont utilisables sur six autres espèces de Papaver, dont P. dubium et P. argemone.
Des mutations dans l'ALS de coquelicot : la résistance est là !
Des populations de grand coquelicot ont été prélevées entre 2006 et 2010 dans 29 parcelles réparties sur 18 départements (Figure 2).
Dans chacune de ces parcelles, l'efficacité du contrôle des coquelicots par des inhibiteurs de l'ALS n'était pas satisfaisante l'année du prélèvement. Vingt à 50 plantes présentes après traitement ont été analysées par les tests ADN dans chaque parcelle. Sur les 29 parcelles, deux ne contenaient aucune plante mutante (Tableau 1).
Pour ces deux cas, un traitement en serre effectué sur des plantules issues de graines prélevées dans les parcelles a révélé que les coquelicots étaient sensibles aux inhibiteurs de l'ALS, et donc que le mauvais contrôle des coquelicots était dû à des conditions d'application de l'herbicide inadéquates.
Les 27 autres parcelles contenaient entre 66 % et 100 % de plantes mutantes (Tableau 1). Toutes les plantes mutantes identifiées contenaient des mutations exclusivement au codon 197 de l'ALS. Aucune des plantes analysées ne contenait de mutations à un autre des cinq codons testés (122, 205, 574 et 653). La présence de mutations au codon 197 de l'ALS est associée à une résistance à des inhibiteurs de l'ALS.
En particulier il a été montré chez le grand coquelicot que ces mutations confèrent une résistance au tribénuron (famille des sulfonylurées), une résistance ou une résistance modérée à l'imazamox (famille des imidazolinones), et pas de résistance ou une résistance modérée au florasulame (famille des triazolopyrimidines) (Délye et al., 2011 ; Tranel et al., 2011).
De ce fait, il est indéniable que la résistance à des inhibiteurs de l'ALS est présente chez les coquelicots dans 27 des 29 parcelles « suspectes » étudiées.
Une résistance simple à diagnostiquer
Au vu des analyses effectuées, la résistance liée à des mutations au codon 197 de l'ALS semble le mécanisme de résistance prédominant chez le grand coquelicot. De ce fait, l'emploi du test ADN ciblant le codon 197 devrait suffire pour diagnostiquer la plupart des cas de résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez les coquelicots.
L'intérêt de ce test est sa rapidité (le diagnostic peut être établi en une journée de travail à partir de fragments de feuilles).
En revanche, il ne détecte pas d'autres mécanismes de résistance que les mutations de l'ALS, alors qu'une étude récente (Délye et al., 2011) suggère l'existence de mécanismes de résistance non liés à l'ALS dans des populations de grand coquelicot en Italie. Toutefois, des études supplémentaires sont nécessaires pour avoir une idée de leur importance et de leur nature.
Quelles conséquences pratiques ?
Le poids des inhibiteurs de l'ALS dans les programmes de désherbage ainsi que le nombre de cultures sur lesquelles ils peuvent être utilisés ne cessent de croître (Duroueix et al., 2010). Une des conséquences de la réduction de la diversité des substances herbicides disponibles est la sélection de résistances. Cette étude l'illustre bien dans le cas du grand coquelicot.
Les cas étudiés ici sont ceux de parcelles où la présence d'adventices résistantes était suspectée, et où des pratiques de désherbage non recommandées étaient mises en œuvre, par exemple l'utilisation chaque année d'herbicides inhibiteurs de l'ALS. Ils ne sont pas représentatifs de la situation générale en France. Néanmoins, la présence quasi-systématique de très fortes fréquences de plantes résistantes dans les parcelles « suspectes » (Tableau 1) a valeur d'avertissement.
Ceci permet de rappeler que :
– La résistance aux inhibiteurs de l'ALS ne touche pas que les graminées adventices. Le risque de résistance concerne aussi les dicotylédones.
– Lorsque la résistance pose un problème pratique de contrôle d'une espèce adventice dans une parcelle, c'est qu'une fraction importante de la population est devenue résistante dans cette parcelle. Il est alors trop tard pour préserver l'efficacité de l'herbicide concerné, voire de la famille ou du mode d'action concerné. Il est donc primordial de réagir rapidement lorsqu'on constate une dérive d'efficacité pour le contrôle d'une espèce habituellement bien maîtrisée, et de mettre en place les mesures appropriées.
Une perte d'efficacité des inhibiteurs de l'ALS est certainement moins préjudiciable pour le désherbage des coquelicots qu'elle ne l'est pour celui de graminées adventices comme le vulpin ou les ivraies (Délye et al., 2009), parce que la gamme de substances actives et de modes d'action efficaces sur coquelicots est plus riche et plus diversifiée. En particulier, un grand nombre de substances actives appartenant à un groupe HRAC différent de celui des inhibiteurs de l'ALS (groupe B) est disponible dans les cultures de la rotation (Tableau 2).
Malgré une diversité non négligeable de solutions chimiques, la production extrêmement importante de semences du grand coquelicot (jusqu'à 100 000 semences par plante) peut poser des problèmes de gestion, du fait de développement de populations très denses. Dans le contexte actuel, il reste donc impératif de préserver l'efficacité de tous les herbicides encore disponibles, et particulièrement des inhibiteurs de l'ALS au vu de leur importance pour le désherbage.
Ceci implique en particulier de bien raisonner leur emploi, et de les inclure dans un programme de désherbage diversifié tant au niveau des solutions chimiques que des pratiques agronomiques.
<p>* INRA, UMR 1210 Biologie et Gestion des Adventices, 17, rue Sully, 21000 Dijon.</p> <p>** DuPont Solutions France, Défense Plaza, 23-25, rue Delarivière-Lefoullon, 92800 Puteaux.</p> <p>(1) Regroupe 4 familles chimiques : imidazolinones, sulfonylurées, sulfonyl-amino-carbonyl-triazolinones et triazolopyrimidines. Elles représentent le « groupe B » dans la classification de l'HRAC, Herbicide Resistance Action Committee.</p>
Figure 1 - Visualisation par électrophorèse sur gel d'agarose du profil PCR de 22 plantes de grand coquelicot analysées à l'aide du test PCR détectant la présence de mutations au codon 197 de l'ALS. E, marqueur de poids moléculaire ; H2O, contrôle de qualité de l'analyse (pas de contamination des réactifs). Le fragment mutant et le fragment non mutant se différencient par leur position sur le gel.
Chaque plante contient deux copies du gène de l'ALS. Les plantes non mutantes (N) ne contiennent pas de mutations au codon 197. Les plantes mutantes hétérozygotes (m) contiennent une mutation au codon 197 sur une des copies de l'ALS, et aucune mutation au codon 197 sur l'autre. Les plantes mutantes homozygotes (M) contiennent une mutation au codon 197 sur les deux copies de l'ALS.
Figure 2 - Origine géographique des échantillons de coquelicots contenant des plantes avec une ALS mutante
Les départements contenant un point rouge sont ceux où des plantes mutantes ont été détectées dans au moins un échantillon de coquelicot provenant d'une parcelle où le contrôle de cette adventice par des inhibiteurs de l'ALS n'était pas satisfaisant. L'année figurant sur chaque département est celle où l'échantillon le plus ancien contenant des plantes mutantes a été prélevé.
NB : La résistance n'est pas encore généralisée. Les inhibiteurs de l'ALS conservent donc vraisemblablement leur efficacité sur coquelicot dans la plupart des parcelles de ces départements.
Tableau 2 - Herbicides possédant une efficacité satisfaisante contre le grand coquelicot et n'appartenant pas au groupe des inhibiteurs de l'ALS.
Les modes d'action sont donnés sous la forme de la classification HRAC (Herbicide Resistance Action Committee, http://www.hracglobal.com/). Groupes : C2 et C3, inhibiteurs de la photosynthèse ; E, inhibiteurs de la protoporphyrinogène-oxydase ; F1, inhibiteurs de la phytoène-désaturase ; K1, inhibiteurs de la polymérisation des tubulines ; K3, inhibiteurs de la synthèse des acides gras à longue chaîne ; L, inhibiteurs de la biosynthèse de la cellulose ; O, analogues d'hormones. Pour mémoire, les inhibiteurs de l'ALS appartiennent au groupe HRAC B.