Lors de la 10e Conférence internationale sur la protection des denrées stockées (IWCSPP) à Estoril (Portugal), les charançons, psoques, tribolium et moisissures à aflatoxines ont trouvé à qui parler ! Des alternatives au bromure de méthyle aux aléas de la phosphine, des perspectives des produits naturels à celles des méthodes physiques, des apports de la génomique à ceux des outils de surveillance et de modélisation... C'est l'irrésistible ascension du concept d'IPM (protection intégrée) et sa mise en pratique. Un des participants, Francis Fleurat-Lessard, de l'Inra de Bordeaux, en a rendu compte dans la revue « Industries des céréales »(1). Extraits.
Cette conférence internationale fait tous les 4 ans le bilan des recherches en protection intégrée des denrées agro-alimentaires. En 2010, elle a réuni 300 participants de 42 pays différents. En introduction, des experts internationaux ont présenté les principales problématiques actuelles de la protection des denrées stockées sur tous les continents.
Tour du monde des grains stockés
De l'Europe à la Chine
• En Europe, P. Credland, du « Journal of Stored Products Research » (UK), ne croit ni au développement de la lutte biologique ni à un apport réel de la biologie moléculaire ; pour lui, les voies de recherche à privilégier pour bien gérer les bio-agresseurs de la post-récolte sont :
– étudier les fondements des méthodes de lutte physique pour en optimiser l'application ;
– améliorer la « tolérance » des variétés aux bio-agresseurs de stockage ;
– étudier plus rigoureusement les « pesticides botaniques » en vue de leur homologation.
• En Chine, raconte J.-J. Wang, les méthodes modernes de stockage et conservation du grain ont été adoptées dans les années 1990. Les progrès ont été rapides : nouveaux silos bien équipés, recherche sur les alternatives au bromure de méthyle (CH3Br) et à la phosphine (pour prévenir la résistance).
Actuellement, dans les universités et instituts concernés, on note des progrès sur la valorisation des techniques moléculaires dans les systèmes de protection intégrée (ex. identification des gènes clés de la résistance à la phosphine ou d'autres pesticides).
Des enquêtes nationales complètent la connaissance des risques d'infestation des stocks de la réserve nationale stratégique de longue durée (plusieurs années).
Les études sur les psoques, nouveau groupe d'« espèces invasives » cosmopolites, se font au niveau international en lien avec des partenaires américains et européens.
De l'Afrique à l'Océanie
• En Afrique, selon E.N. Nukenine (Cameroun), les « pesticides botaniques » et produits naturels (ex. terre de diatomées) sont une alternative réelle aux pesticides chimiques. La recherche s'intensifie pour mener ces produits naturels à l'homologation. La désinsectisation par solarisation pourrait se développer. La formation des gestionnaires de greniers communautaires est à intensifier pour mieux faire pénétrer les méthodes modernes de protection des productions vivrières en milieu rural.
• En Australie, pour P. Collins, la préoccupation première est de garder la phosphine (fumigant) contre les insectes des stocks de grains en gérant mieux l'apparition des résistances.
Et le Nouveau Monde ?
• En Amérique du Nord, rapporte J. Throne (USA), les deux laboratoires majeurs de recherches sur la protection des denrées alimentaires après récolte sont à Winnipeg (MN, Canada) et Manhattan (Kansas, USA). Leur priorité : réduire la dépendance vis-à-vis des traitements chimiques dans une démarche de protection intégrée (IPM) sur toute la chaîne agro-alimentaire postrécolte. Quelques idées novatrices :
– traitements par aérosols (dichlorvos, pyréthrines, méthoprène, avec gaz vecteur CO2),
– surveillance et détection rapide des insectes dans les masses de grain en lien avec le calcul numérique pour systèmes experts, la prévision du risque d'infestation ou pour optimiser les traitements thermiques et la fumigation,
– substances attractives pour le piégeage,
– nouvelles substances actives (biopesticides, nouveaux gaz...)
– étude de nouveaux risques : psoques, microorganismes, résistance aux biocides...
Des entreprises de conseil ou de service d'aide à la décision, issues de cette recherche, ont été créées aux états-Unis et au Canada.
• En Amérique du Sud, R. Bartosik (Argentine) a présenté les risques et avantages de la technologie « Silobag » de stockage « au coin du champ » de céréales ou oléagineux (sans séchage) dans de grands sacs en matériaux plastiques (200 tonnes). La recherche prend en compte les besoins en outils et techniques de classification qualitative et de traçabilité des lots de grains (OGM compris).
Biologie, comportement et détection des insectes
Le tribolium roux décrypté
Passons aux séances plénières maintenant. D'après R. Beeman (USDA-ARS, Manhattan KS, USA), le décryptage complet du génome de Tribolium castaneum (Richards et al., 2008) et la mise à disposition d'un outil de recherche convivial dans la banque de gènes « beetlebase » (Kim et al., 2010 ; http://beetlebase.org/) offre des possibilités nouvelles de recherche sur la relation gène/fonction chez l'insecte.
Cette publication a généré la découverte des milliers de gènes impliqués dans des fonctions vitales pour l'insecte : digestion, osmorégulation, métamorphose, olfaction, métabolisme des xénobiotiques, vision, développement embryonnaire et croissance larvaire. La recherche en génomique bénéficie des nouveautés de la biologie moléculaire : cartes physiques et génétiques à haute résolution, bibliothèques d'ADN, inactivation fonctionnelle de n'importe quel gène par ARN interférence (ARNi).
Les applications sont focalisées sur :
– la génomique des interactions « phéromone d'agrégation/olfaction » ;
– la biosynthèse de l'exosquelette lors de chaque mue ou pendant la métamorphose.
Sur le premier thème, on a pu révéler plusieurs centaines de gènes des récepteurs olfactifs ou gustatifs et leur importance dans la perception des odeurs de phéromone (but : manipuler le comportement de rencontre des sexes). On a identifié les gènes clés de la perception olfactive de la phéromone d'agrégation chez T. castaneum (gènes retrouvés aussi chez la drosophile Drosophila melanogaster).
Sur le second thème, les gènes intervenant dans la biosynthèse de l'exosquelette de chitine ou dans celle de la membrane péritrophique ont 4 fonctions distinctes : fabrication des protéines de structure, synthèse de la chitine, « assemblage » des deux et mélanisation (maturation) de la chitine. En inactivant certains gènes, on peut obtenir des individus de diverses couleurs ou avec des cuticules modifiées.
Tous unis contre les psoques
Plusieurs études d'écologie ont porté sur les psoques (Psocoptera, ordre d'insectes à métamorphose incomplète). Ces ravageurs envahissent de plus en plus souvent les stocks de céréales (Opit et al. aux USA, Ceruti et al. et Lazzari et al. au Brésil). La petitesse et le grand nombre d'espèces trouvées obligent à chercher des moyens de discrimination originaux.
Un consortium de chercheurs chinois, tchèques, croates et américains a présenté les avancées du projet « Biologie, comportement et identification des 'psocoptères' des grains pour lutter plus efficacement contre les pullulations et résoudre la tolérance aux pesticides ».
On peut identifier des dizaines d'espèces différentes par marqueurs moléculaires à partir d'amorces spécifiques issues de RFLP. On a déterminé l'activité d'enzymes de détoxification des pesticides (GST) pour comprendre la faible sensibilité des psoques aux insecticides actuels (Wang, Univ. de Chongqing, Chine).
D'autres études portent sur la possibilité de manipuler le comportement des insectes par substances sémio-chimiques (Abuelnnor et al. aux USA, Lin et al. en Chine), phéromones pour confusion sexuelle des mâles (Burks et al. aux USA, Hassan et Al-Zaidi, Huggett et al. ou Pease et Storm au Royaume-Uni, Suma et al. en Italie) ou substances odorantes attractives ou répulsives pour les adultes (Ren et al. en Australie, Auger et al. en France, et Nawrot et al. en Pologne) (essai de stratégies « push-pull »).
Conditions de stockage, résistance, surveillance et ses attractifs...
Une communication a abordé de façon globale l'impact de mauvaises conditions de stockage sur la vitesse de détérioration des qualités technologiques, sanitaires et physico-chimiques du blé panifiable, en y incluant l'analyse de la sensibilité variétale aux attaques du charançon du riz Sitophilus oryzae (Fourar et al.).
De rares travaux ont étudié l'origine biologique de la résistance aux insecticides de contact (Daglish en Australie, Odeyemi et al. au Nigéria). Mais la résistance à la phosphine a été abordée dans la session 3 : « Fumigation... ».
Des communications ont évoqué le « monitoring » et la visualisation en temps réel de la dynamique saisonnière des insectes nuisibles en entrepôts et usines de transformation, à l'aide de procédés rapides de détection et surveillance. But : améliorer les performances des systèmes de surveillance pour déclencher les mesures de lutte appropriées : IPM !
Des attractifs spécifiques d'espèces difficiles à « débusquer » ont été présentés (Auger, Université de Tours, France ; Huggett, recherche privée, UK ; Trdan, Université de Ljubljana, Slovénie ; Suma, Université de Catane, Italie ; Mason, Université de Purdue IN, USA).
M. Odeyemi (Nigéria) a présenté un travail sur la résistance au pyrimiphos-méthyl (organophosphoré) chez les populations nigérianes du charançon du riz (S. oryzae).
En Inde, on craint l'introduction d'un ravageur « exotique » des graines de haricots : la bruche du haricot (espèce nuisible en pré- et post-récolte, objet d'une lutte obligatoire sur haricots secs en Europe avant mise sur le marché) (Thakur, Université de l'Himachal Pradesh).
Ingénierie
Associer séchage, refroidissement et choc mécanique
Les méthodes physiques de désinsectisation des grains ont longtemps été considérées comme un appoint aux insecticides de contact ou à la fumigation. Mais le contexte change : résistance des insectes à la phosphine, restrictions sur des pesticides persistants.
S.J. Beckett (CSIRO Entomology, Canberra, Australie) a présenté une approche combinatoire de procédés physiques : séchage des grains à température moyenne, refroidissement des grains et opérations de nettoyage. L'association des effets partiels de chaque procédé peut aboutir à un niveau de désinsectisation satisfaisant (mortalité des stades libres ou internes au grain de S. oryzae, Rhyzopertha dominica et T. castaneum de 99 % ou plus) sans altérer les propriétés technologiques du blé. L'approche se développe en Australie pour l'export de blé sans traitement chimique après récolte.
Mutation, explosions, séchage
Graham Thorpe, de l'Université de Melbourne (Australie) a présenté la mutation en cours de la gestion des problèmes de conservation des grains. Il pense que, d'ici 20 ans, les « ingénieurs » spécialistes des technologies de la conservation des grains développeront une approche multidisciplinaire du pilotage en temps réel des phénomènes complexes survenant dans les masses de grain. Il prédit un changement radical dans l'acquisition et le transfert de connaissances scientifiques et la façon de les utiliser. Les techniques de communication et d'information, à travers des logiciels intégrant diverses disciplines scientifiques, seront au cœur de cette « révolution ». Le spécialiste va devenir un expert multidisciplinaire des problèmes de physique « multi-procédés » et des relations entre physico-chimie des grains et biologie (modélisation prédictive, création de scénario, pilotage en temps réel des écarts prévision/réalité...).
Roberto Hajnal (TMSA Group, Rosario, Argentine) a évoqué les explosions de poussière récentes survenues en Argentine et au Brésil, avec des photos saisissantes (photos A & B). Il a rappelé les cas connus, dont l'explosion de Blaye en France en 1997.
Les travaux australiens se sont focalisés sur l'amélioration des techniques de séchage rapide de céréales ou autres denrées pour faire progresser cette technologie dans les pays de la zone d'influence australienne (zone ACIAR) (G. Srzednicki, W. Srichamnong et al., Université de Sydney). Les effets des traitements physiques sur la qualité des produits traités sont bien mieux pris en compte que par le passé.
Ingénierie et fumigation
En Chine, la recherche finalisée est très active dans le domaine de l'ingénierie appliquée aux installations de stockage ou au traitement des grains stockés (par fumigation surtout). L'Institut de recherche sur les grains de Chengdu et l'administration de la réserve stratégique à Beijing ont présenté des études de modélisation des isothermes d'adsorption-désorption du riz, des évolutions de la chaleur spécifique du riz en cours de séchage, ainsi que des techniques de contrôle de la température ou du séchage du grain en entrepôt (Luo, Institut de Chengdu ; Li, Lin et Cao, Administration, Beijing).
Aux états-Unis, la modélisation tridimensionnelle de la répartition des gaz dans un bâtiment en cours de fumigation en fonction de paramètres physiques (vent, température, orientation cardinale du bâtiment, etc.) a été appliquée au fluorure de sulfuryle (Subramanyam, Université du Kansas).
Fumigation, atmosphère modifée, stockage étanche
« Quo vadis les fumigants ? »...
... était le titre de l'exposé de M. Emecki (Université d'Ankarra, Turquie). Il est pessimiste sur l'avenir de la fumigation pour la lutte curative contre les insectes nuisibles aux denrées stockées. Il voit des inconvénients majeurs aux remplaçants du bromure de méthyle et souligne les nombreux cas de résistance à la phosphine, seul fumigant universel des grains.
Il incite à se (re)tourner vers les alternatives : atmosphère modifiée, désinsectisation thermique ou irradiation. Les atmosphères modifiées en enceintes plastiques transportables pourraient compenser les inconvénients des nouveaux fumigants pour désinfester des matériaux divers. Les fumigants pourraient être remplacés à terme par d'autres substances ou procédés n'ayant besoin de franchir la barrière des homologations.
Nouveautés et phosphine
Cette vision pessimiste de l'avenir des fumigants n'empêche pas la recherche sur les nouveaux gaz en Turquie, Espagne, USA, Israël, Thaïlande, Italie, Chine (formiate d'éthyle et CO2, fluorure de sulfuryle, iodure de méthyle, huile d'ail, ozone, monoterpénoïdes, etc.)
Il y a aussi des communications sur les systèmes innovants de mise en œuvre des gaz pour une action plus rapide (P. Asher, Inde ; M. Kostyukovsky, Israël ; R. Ryan, Australie et Chine...). D'autres traitent de mesures pour limiter les risques d'apparition de populations d'insectes résistants à la phosphine, notamment en traitement à faible dose/longue exposition (pratiqués dans certains pays en entrepôts et usines de transformation).
Les recherches appliquées sur les atmosphères modifiées et le stockage hermétique ou sous vide restent actives (Israël, Chine, USA, Espagne, Philippines).
Microbiologie, mycotoxines et sécurité des aliments
Sus aux aflatoxines
Les aflatoxines produites par Aspergillus flavus et A. parasiticus sont les mycotoxines les plus toxiques : toxicité aiguë, mutagénicité, carcinogénicité... Le risque se manifeste en climat chaud et humide. Tout le sud des états-Unis, selon D. Bhatnagar (USDA-ARS, Univ. New Orleans LA, USA), a des problèmes récurrents de contamination du maïs, de l'arachide, du coton et de fruits secs par les aflatoxines.
Des limites de tolérance ont été fixées partout dans le monde pour les produits « à risque » : maïs, arachide, figues, pistaches, noix, graines de coton, café, riz, épices... En Europe, l'Autriche (suivie par les Pays-Bas et la France) a les limites les plus basses : de 0,02 à 1 ppb d'aflatoxines selon les produits ; aux USA, la limite est de 20 ppb.
Les mesures préventives sont insuffisantes pour limiter la contamination au champ qui dépend des conditions climatiques et de la présence d'insectes ravageurs. Les pratiques de séchage et de conservation des produits après récolte ont un effet. Les procédés de détoxification classiques (ammoniation et ozonation) ont des limites. Les traitements biologiques de détoxification ou de neutralisation des effets toxiques peuvent réduire les teneurs en aflatoxine de plus de 75 % (avec Lactobacillus rhamnosus et Flavobacterium auriantiacum), mais cela reste encore insuffisant.
Le maïs au champ
L'USDA-ARS a travaillé sur la compréhension de l'écologie des espèces potentiellement productrices d'aflatoxines sur maïs au champ.
D'abord en reliant l'évolution phylogénétique des populations d'A. flavus et A. oryzae (espèces très voisines) à leur capacité à produire (ou non pour A. oryzae) des aflatoxines. Suite à ces études, des populations d'A. flavus « atoxinogènes » ont été isolées, puis produites en masse (Figure 1) et utilisées en lutte biologique préventive contre les souches toxinogènes : succès sur coton et sur maïs au Mississippi.
Ensuite par sélection de variétés « freinant » le champignon après contamination. 6 variétés de maïs résistant à la croissance fongique ont été obtenues suite à une sélection assistée par marqueurs à partir de lignées africaines résistant à A. flavus et de lignées productrices américaines. Des cotons résistant à A. flavus ont été créés par génie génétique.
Un autre axe de recherche est basé sur le contrôle du processus de biogenèse conduisant à la synthèse finale des aflatoxines : comment se déroule-t-il ? Où se produit-il dans le champignon ? Quels facteurs de l'environnement l'influencent ? Les gènes de régulation de la voie de biosynthèse des aflatoxines ont été identifiés. L'un d'eux est Tri 8, impliqué aussi dans la biosynthèse des trichothécènes A. L'étude de l'influence de l'environnement sur la biogenèse des aflatoxines a généré des travaux de génomique : décryptage du génome, fonctionnalité des gènes et leur expression sous influence de l'environnement. On a révélé l'activité de 5002 gènes (projet international « A. flavus Whole Genome Sequential »).
Face aux mycotoxines, huiles essentielles, ozone, maïs Bt, blé...
La suite de la session fut co-présidée par Kaushal K. Sinha (co-auteur de l'ouvrage mondialement connu « Mycotoxins in Agriculture and Food Safety ») et F. Fleurat-Lessard (INRA).
Des enquêtes d'évaluation des risques de contamination de divers produits (viande séchée, poivre noir, arachides, noix du Brésil, maïs stocké en « silobag ») par des mycotoxines dangereuses ont été réalisées dans des pays émergents (Brésil, Indonésie, Argentine) ou en voie de développement (PED : Bénin, Kénya). Elles montrent que les risques d'intoxication des populations par les aflatoxines ou l'ochratoxine A restent d'actualité.
Des tentatives de protection préventive par des huiles essentielles d'eucalyptus, de laurier, de canelle ou de girofle sur riz, maïs ou d'autres denrées ont été présentées (A. Magro, Portugal ; K. Hell, Afrique ; Da Gloria, Brésil ; Bankole et Somorin, Nigéria). D'autres exposés portaient sur la détoxification de grains par l'ozone (Mc-Clurkin et Maier, USA ; Vildes Scussel, Brésil ; Wang, Chine), ou l'interaction des OGM (maïs Bt) avec l'état sanitaire des grains à la récolte (Folcher et Regnault-Roger, France).
Une communication a porté sur l'analyse systémique de l'évolution de la contamination fongique de lots de blé de variétés différentes placés en conditions de stockage « à risque » : humidité élevée et attaque de charançons du riz (F. Fleurat-Lessard et R. Fourar, France et Algérie). Ce travail a remis à jour les connaissances sur l'écologie des moisissures de stockage du blé en conditions d'humidité contrôlées.
Lutte biologique, physique, mécanique...
Très chaud, très froid, trichogrammes
Face aux restrictions d'usage de pesticides du fait de la réglementation européenne et pour protéger les produits de l'agriculture biologique en post-récolte, il faut des méthodes non chimiques de désinsectisation totale, a expliqué M. Schöller (Julius Kühn Institut, Berlin, Allemagne). Il cite des exemples : traitement thermique en moulins, surgélation de produits (épices, thé, plantes médicinales).
Ensuite, pour que les produits sains à la récolte ou à la fabrication le restent au stockage et à la distribution, les moyens de surveillance et de méthodes préventives permettent une stratégie robuste de protection intégrée (IPM).
Parmi les nouvelles méthodes en IPM, l'usage d'insectes auxiliaires de lutte biologique se développe. Les particuliers peuvent commander par Internet des trichogrammes (micro-hyménoptères parasitoïdes) pour leur cuisine ou leur réserve alimentaire. Des exemples d'application pratique de stratégies à base d'auxiliaires de lutte biologique ont été présentés.
Les extraits de plantes et les autres
Autres sujets de la session : l'usage d'huiles essentielles et autres extraits de plantes comme insecticide ou répulsif, et celui de la farine de haricot et d'extraits de type lectines pour protéger le pois chiche d'attaques de Callosobruchus maculatus (F. Mouhouche et al., Algérie).
Les autres procédés étudiés (radio-fréquences, basses températures, plantes répulsives, rayonnement infra-rouge, piégeage de masse, myco-insecticide, combinaison biopesticide [B. thuringiensis]/auxiliaire biologique...) ne semblent pas se développer.
Insecticides de synthèse ou « botaniques »
Revue africaine
Pour A. Obeng-Ofori (Université du Ghana, Accra), en Afrique, les ravageurs des denrées stockées sont encore souvent gérés par des insecticides persistants (« synthetic residual insecticides »). L'usage de plantes et de matières « inertes » peut être une alternative sûre pour les petits producteurs (agriculture familiale de subsistance) mais ces derniers sont peu informés sur ces substances naturelles.
Les candidats les plus prometteurs sont les genres botaniques Azadirachta, Acorus, Chenopodium, Eucalyptus, Mentha, Ocimum, Pepper et Tetradenia. Des extraits de neem (Azadirachta indica) ont fait l'objet d'homologations à l'échelle mondiale. Mais, comparées aux insecticides de synthèse, ces substances botaniques suppriment moins vite les ravageurs, sont plus chères et ont été peu étudiées sous climat tropical. L'auteur préconise d'intensifier les expérimentations « à la ferme » avec plans d'essais comparatifs bien respectés, formulations et modes opératoires rigoureux visant une homologation de portée internationale.
Anti-psoques, résistances, résidus, association chimique/non chimique
Autres thèmes marquants abordés :
– Recherche de substances anti-psoques (Athanassiou, Grèce) ;
– Synthèse de 15 ans d'étude de la résistance des insectes des grains aux pesticides en Australie (Reichstein, Commission australienne de surveillance des résistances) ;
– Devenir des résidus de deltaméthrine dans les grains pendant la transformation après stockage (Cognard, Bayer CS, Lyon, France) ;
– Intérêt d'associer les solutions chimiques et non chimiques (terre de diatomées + deltaméthrine : Korunic, Croatie ; spinosad + deltaméthrine : Kavallieratos, Athènes, Grèce ; terre de diatomées + poudres de plantes : Nukenine, Ngoundéré, Cameroun) ;
– Études de la terre de diatomées seule ou associée (Kostyukovsky, Centre Volcani, Israël ; Wakil, Faisalabad, Pakistan ; Li, Beijing, Chine ; Schöller, Berlin, Allemagne ; Timlick, Winnipeg, Canada) ;
– En Chine, face aux résistances aux insecticides de contact, très active recherche de stratégies de substitution ou combinaison de substances actives (Zhang, Beijing, Chine ; Li, Beijing, Chine) ;
– Substances naturelles insecticides (Shivanandappa, Mysore, Inde) ;
– Contamination croisée de graines oléagineuses par les pesticides appliqués sur céréales dans les mêmes silos (Dauguet, Pessac, France).
Gestion intégrée, méthodes et applications
Traitement thermique piloté et optimisé
B. Subramanyam (Université du Kansas, Manhattan KS, USA) a présenté un logiciel de pilotage de la mortalité des insectes en cours de traitements par la chaleur en usine d'industries des céréales.
Ce logiciel, mis au point par son Université, permet de tracer en temps réel la cinétique de mortalité des insectes (Tribolium confusum et T. castaneum) grâce à des capteurs/transmetteurs sans fil de température placés dans le bâtiment à désinsectiser (logiciel E.A.R.T.H. Efficacy Assessment in Real Time during Heat treatment).
La visualisation de la cinétique de survie des insectes en fonction des données de température des capteurs placés dans des endroits « stratégiques » de la zone chauffée permet de :
– faire des corrections si la vitesse de mortalité est trop faible ;
– arrêter le chauffage lorsque les cinétiques indiquent la mortalité totale des insectes partout où les capteurs dont été placés.
En 2009, l'utilisation en traitement « commercial » a fait économiser 28 000 US$ (et de l'énergie !) dans une usine fabriquant des céréales pour petit-déjeuner : 12 heures de traitement avec EARTH contre 34 heures auparavant.
Modèle utilisant des pièges
Paul Flinn (USDA-ARS, Manhattan KS, USA) propose une amélioration de la prévision des niveaux de population d'insectes, en particulier T. castaneum, dans les usines de première transformation du blé tendre (moulins et fabriques d'aliments pour animaux).
C'est un modèle de dynamique de population basé sur le nombre d'insectes capturés dans un réseau de pièges (placés dans et autour du moulin) avant et après mise en œuvre de divers procédés : fumigation au bromure de méthyle, au fluorure de sulfuryle ou traitement par la chaleur.
Les données de capture des pièges, couplées aux relevés de température dans le moulin, ont permis de simuler la vitesse de recolonisation après traitement. Il y a une nette différence entre fumigations : le bromure a un effet de « knock-down » et tue tous les stades ; avec le fluorure l'effet KD est moindre et les populations « rebondissent » 2 à 3 mois après traitement. Ce modèle en cours d'adaptation au traitement par la chaleur est envisagé pour modéliser la résilience des populations de T. castaneum après aérosols insecticides.
Autres communications : effets sur la qualité sensorielle d'itinéraires techniques de stockage (Jonfia-Essien, Ghana), méthodes de détection pour traitement rapide de données d'aide à la décision (Savoldelli, Milan, Italie ; Laopongsit, Univ. de Sydney, Australie ; Lazzari, Curitiba, Brésil), résistance aux ravageurs de stockage par génie génétique (Lüthi, Suisse).
Quarantaine et réglementation
Le bromure et les populations résistant aux gaz
Que faire sans le bromure de méthyle pour le traitement de quarantaine et pré-embarquement sur bateaux (QPS = Quarantine and Pre-Shipment) ? Selon J. Banks, (Grainsmith Pty, Pialligo ACT, Australie), l'interdiction des derniers usages du bromure pose le problème du respect des exigences pour ces traitements de denrées risquant d'infester la cargaison. Président du comité de l'UNEP pour l'étude des alternatives aux usages du bromure de méthyle, J. Banks prévoit la suppression totale des usages du bromure même pour les éradications réglementaires de type QPS vers la fin des années 2010-2020. Certains usages « récalcitrants » aux alternatives trouvées devront faire l'objet de recherches de traitements de substitution.
Fluorure, dermeste et phosphine
Les autres communications ont présenté :
– une synthèse de l'efficacité du fluorure de sulfuryle contre les nématodes du bois (palettes et caisses d'emballage de transport maritime), en respect des normes phytosanitaires (International Plant Protection Convention IPPC) en vigueur (ISPM n° 15) pour le bois brut en transit international (Stan Buckley, Dow AgroSciences S.A.S., Mougins, France) ;
– une opération d'éradication d'importations risquant de « véhiculer » le dermeste des grains en Australie (organisme de quarantaine) de 2007 à 2010 (Emery, Min. Australien de l'agriculture et l'alimentation, Perth) ;
– les stratégies développées en Australie de l'Ouest pour limiter les résistances d'insectes à la phosphine dans les stocks à la ferme (Newman, même ministère).
Réseau et recensement
Enfin, deux thèmes originaux ont été abordés dans des ateliers :
– construction et alimentation d'un réseau d'information et de suivi des pertes de récolte en Afrique accessible par Internet, face à la crise alimentaire de ce continent (R. Hodges, NRI, Université de Greenwich, Kent, R-U) ;
– recensement des élevages d'insectes disponibles pour la recherche dans les laboratoires d'entomologie des systèmes post-récolte du monde, pour mise à disposition sur Internet (M. Mathie, Arvalis-Institut du végétal, Boigneville, France).
<p>* INRA, CR de Bordeaux, UR 1264 Mycologie et Sécurité des aliments, 71, avenue Édouard-Bourleaux, 33883 Villenaved'Ornon cedex. francis.fleurat-lessard@bordeaux.inra.fr</p> <p>(1) Paru en 2011 en deux épisodes : n° 171, p. 10 à 14, et n° 172, p. 17 à 22.</p>
Actes de la 10e IWCSPP
In : Carvalho M.O., Fields P.G., Adler C.S., Arthur F.H., Athanassiou C.G., Campbell J.F., Fleurat-Lessard F., Flinn P.W., Hodges R.J., Isikber A.A., Navarro S., Noyes R.T., Riudavets J., Sinha K.K., Thorpe G.R., Timlick B.H., Trematerra P., White N.D.G. (éditeurs), Proceedings of the 10th International Working Conference on Stored Product Protection, Julius-Kühn-Archiv 425, Berlin, Germany, 1077 p. (cf. site Internet de la 10e IWCSPP).
Programme de la conférence
Après les présentations générales, se sont tenues 8 séances plénières :
1- Biologie, comportement et méthodes de détection des insectes ;
2- Ingénierie ;
3- Fumigation, atmosphères modifiées et stockage étanche ;
4- Microbiologie, mycotoxines ;
5- Méthodes de lutte non chimiques ;
6- Insecticides de contact, d'origine synthétique ou botaniques ;
7- Pratiques et systèmes de protection intégrée contre les ravageurs ;
8- Quarantaine et réglementation.
Puis 7 ateliers (workshops) ont traité de thèmes davantage finalisés :
– Lutte biologique, nouvelles applications ;
– Méthodologie et outils d'estimation de la densité et du comportement des insectes ;
– Analyse des données de piégeage des insectes dans les IAA pour l'aide à la décision ;
– Microbiologie fongique et mycotoxines ;
– Conservation sous atmosphère modifiée ;
– Réponse à la crise alimentaire : une initiative nouvelle pour réduire les pertes de récolte ?
– Populations et espèces d'insectes des denrées en élevage.