L'AFPP(1) organise la 9e CIRA, Conférence internationale sur les ravageurs en agriculture, à Montpellier les 26 et 27 de ce mois d'octobre 2011. Alors que les produits dits « conventionnels », c'est-à-dire issus de la chimie de synthèse, représentent la plus grande part des insecticides utilisés en France, elle a reçu sept projets de communications sur des procédés naturels, et quatre sur des produits conventionnels. Ces communications sont regroupées au sein de la session commune « produits naturels et nouvelles molécules » programmée le 27 octobre. Portrait de la recherche et de l'innovation d'aujourd'hui, préfiguration des moyens de protection des cultures de demain combinant le meilleur des recherches actuelles... sans sectarisme !
Huit des communications sont des exposés oraux, programmés le jeudi 27 octobre. Trois portent sur des travaux menés au laboratoire en Algérie sur des substances naturelles. L'Algérie possède en effet un patrimoine végétal très riche mais encore peu exploré.
Substances d'origine végétale testées au laboratoire
Menthe et origan contre bruche sur pois chiche après récolte
O. Khalfi-Habes et A. Benzara (École nationale supérieure d'agronomie d'Alger) ont étudié l'action d'huiles essentielles extraites de la menthe Mentha spicata et de l'origan Origanum glandulosum vis-à-vis de la bruche Callosobruchus maculatus sur le pois chiche après récolte.
Les études chiffrent des mortalités sur C. maculatus variant de 24,6 à 100 % pour la menthe et de 71,2 à 100 % pour l'origan (doses précises dans l'exposé). D'après les DL50 calculées 48 heures après traitement, l'huile d'origan est plus active sur ce ravageur que celle de la menthe.
Selon ce travail, les deux huiles essentielles agissent aussi sur le potentiel reproducteur de l'insecte : le nombre d'œufs pondus par femelle diminue au fur et à mesure que leur dose augmente (probable perturbation de l'ovogenèse). Les doses d'inhibition totale de ponte sont proches pour les deux huiles.
Toutes deux réduisent significativement la fertilité de la bruche (origan un peu plus que menthe). Et elles ont aussi un effet anti-appétant.
Laurier-rose et eucalyptus contre criquet pèlerin
Pour leur part, G. Tail, L. Allal-Benfekih, F. Kara et L. Aci (Université Saad Dahlab de Blida, Algérie, Faculté des sciences agro-vétérinaires, départements d'agronomie et de biologie) ont étudié l'activité en conditions contrôlées des alcaloïdes extraits des feuilles de laurier rose Nerium oleander et d'eucalyptus commun Eucalyptus globulus sur les adultes du criquet pèlerin Schistocerca gregaria.
Ces alcaloïdes dissous dans l'éthanol ont été appliqués à différentes doses. Ils affectent significativement la survie du ravageur. L'extrait de laurier rose semble deux fois plus actif (DL50 deux fois plus basse) que celui de l'eucalyptus.
Selon les tests réalisés, toutes les parties du laurier-rose présentent un effet insecticide. De plus, les alcaloïdes extraits des feuilles de N. oleander (majoritairement l'oléandrine) affectent la survie des adultes de S. gregaria.
E. globulus a montré pour sa part une nette activité anti-appétence.
Inule visqueuse, sauge et ortie contre Tuta absoluta
L. Allal-Benfekih, M. Bellatreche, F. Bounaceur, G. Tail et H. Mostefaoui (Université Saad Dahleb, Blida, Algérie, Faculté des sciences agrovétérinaires, Laboratoire des biotechnologies des productions végétales, Département des sciences agronomiques) ont étudié l'effet d'extraits aqueux des parties racinaires et foliaires d'inule visqueuse Inula viscosa, de sauge Salvia officinalis et d'ortie Urtica urens sur la mineuse de la tomate Tuta absoluta. Le comportement de cette chenille la protège de certaines applications phytosanitaires, et il y a des résistances à des insecticides dans les pays dont elle est originaire. La lutte est donc difficile.
Cette étude de laboratoire met en évidence un effet insecticide lent, observable 4 jours après traitement, surtout avec l'extrait foliaire d'inule visqueuse. Le purin d'ortie aurait un rôle d'éliciteur. Des essais in vivo restent à réaliser, après mise au point d'une formulation stable limitant la photo-dégradation des molécules.
Une application combinée d'extrait d'inule et de purin d'ortie serait à étudier pour protéger les tomates vis-à-vis de cette mineuse.
D'autres travaux doivent suivre
Après ces études de laboratoire, il faut évaluer l'efficacité sur le terrain. De plus, comme pour tout pesticide, des études toxicologiques (acceptabilité alimentaire et risque utilisateur) et éco-toxicologiques doivent être menées si toutes ces huiles essentielles devaient être formulées.
Cela dit, on sait que les extraits de plantes sont facilement biodégradables par voie enzymatique. De plus, aucun phénomène de bioamplification les concernant n'a été décrit à ce jour. Par ailleurs, certains sont régulièrement consommés dans l'alimentation. Tout cela permet de fonder des espoirs quant à des profils toxicologiques et écotoxicologiques favorables.
Ces extraits végétaux font encore l'objet de peu de débouchés aujourd'hui mais paraissent prometteurs pour le futur.
Nouvelles molécules de synthèse
Isomères sélectionnés de la cyperméthrine
Passons aux substances de synthèse. J.-J. Heller (Cerexagri SAS/UPL, direction technique) dévoile une molécule insecticide de la famille des pyréthrinoïdes : la béta-cyperméthrine.
Cette substance à large spectre d'activité résulte de la sélection de 4 des 8 isomères identifiés de la cyperméthrine, pyréthrinoïde bien connue. Cette sélection permet un compromis optimal entre faible toxicité sur mammifères et forte activité insecticide. Des préparations liquides ou solides sont déjà développées hors de l'Union européenne. La formulation WG (granulés dispersibles) présente un profil toxicologique très favorable.
Dans les essais conduits entre 1997 et 2008 en Europe, les préparations à base de béta-cyperméthrine ont montré une très bonne protection des cultures à partir de 10 g de substance active/ ha (méligèthes du colza, tordeuse du pois) ou de 20 g/ha (pucerons des épis des céréales). Vu les phénomènes de résistance des méligèthes aux pyréthrinoïdes (voir aussi p. 24), des recommandations spécifiques en fonction des situations locales et des profils de résistance du ravageur seront prescrites.
La substance sera utilisable sur céréales, colza, betterave, pois, vigne, pomme de terre, chou, cultures florales pour le contrôle des pucerons et ravageurs des ordres des Coléoptères, Lépidoptères, Diptères et Hémiptères. Des expérimentations sont en cours sur olive, citrus, fruits à noyaux et diverses cultures légumières.
Cyantraniliprole, substance originale, la deuxième de sa famille
Autre molécule de synthèse présentée par J.A. Wiles, I. B. Annan, H. E. Portillo, J-L. Rison, A. Dinter et N. M. Frost (DuPont, direction technique Europe), le cyantraniliprole (Cyazypyr ou DPX-HGW86) est le second insecticide de la famille des anthranilic diamides.
Ces substances agissent comme agonistes des récepteurs à ryanodine des insectes, stimulant le relargage des ions Ca++ dans les cellules musculaires, d'où désordre musculaire et arrêt rapide de l'alimentation de l'insecte (donc des dégâts) puis sa mort.
Le cyantraniliprole a une très faible toxicité sur mammifères. En effet, les récepteurs à ryanodine de ces derniers ont une structure très différente de celle des insectes, ce qui leur confère une sensibilité à la substance 400 à 5 000 fois plus faible.
En condition normale d'utilisation, la substance a un faible niveau de toxicité sur les oiseaux, poissons, vers de terre et arthropodes non cibles. Les études ont montré une absence d'impact négatif sur hyménoptères (Braconidae, Aphidiidae, Trichogramatidae, Aphelinidae), Coléoptères prédateurs (Coccinellidae), Neuroptères (Chrysopidae), Hétéroptères (Anthocoridae, Lygaeidae), Arachnidées (Lycosidae) et acariens (Phytoseiidae). En évitant l'application directe en période de floraison, les pollinisateurs ne lui sont pas sensibles. La substance pourra donc être utilisée en protection intégrée.
Le cyantraniliprole, agissant principalement par ingestion, est actif sur pucerons, aleurodes, thrips, Coléoptères et Lépidoptères phytophages (ravageurs). Il induit une excellente protection d'une large gamme de cultures : légumes feuilles et fruits, fruits à pépins et à noyaux, agrumes, vigne et olives.
Classé dans le Groupe 28 de l'IRAC, son mode d'action lui confère une efficacité sur des ravageurs ayant développé une résistance à d'autres classes d'insecticides. Aucun phénomène de résistance croisée avec une autre classe d'insecticide n'est connu. Des études de laboratoire conduites sur des souches sensibles ou résistantes à d'autres classes d'insecticides pour Bemisia tabaci, Myzus persicae et Aphis gossypii n'ont pas montré de modification de son niveau d'efficacité. Le cyantraniliprole entrera donc dans des programmes de gestion intégrée de résistances.
En Europe, trois formulations à base de cette substance sont autorisées : dispersion dans l'huile (100 g/l), suspo-émulsion (100 g/l) et suspension concentrée (200 g/l). Cette dernière a été spécifiquement étudiée pour l'application au sol avec absorption racinaire de la substance qui diffuse alors par systémie dans la plante. Les deux autres préparations sont destinées à des applications foliaires. Selon la culture et le ravageur visés, la dose de substance active nécessaire varie de 10 à 150 g/ha.
Nouveaux usages anti-taupins pour substances connues
Clothianidine microgranulés
Les taupins Agriotes sp. posent un problème majeur notamment sur maïs. En 2011, les seuls granulés insecticides applicables au semis autorisés en France sont à base de pyréthrinoïdes. S. Roumanille (Philagro, filiale française du groupe Sumitomo Chemical, direction technique) présente une formulation granulé codée PHF 1103, à base de clothianidine, utilisable sur maïs (semence, grain, fourrage), maïs doux et sorgho à la dose de 7,14 kg/ha.
Des études au champ ont montré l'importance des morsures à la base de la plante (collet + mésocotyle), lieu préférentiel des attaques dommageables par les larves de taupins. Or, 20 jours après l'application au semis de PHF1103, on détecte 81 % de la clothianidine au niveau de la base de la plante des maïs traités, selon l'analyse chromatographique des parties souterraines de plants.
Des plants de maïs traités à 7,14 kg/ha et non traités prélevés 10 jours après semis et transplantés dans des pots au sol non traité ont été mis au contact de larves de taupins. Le nombre de morsures sur la base de la plante et sur la graine est compté 4 jours après infestation. Sur ce sol non traité, la base des plantes traitées est significativement moins attaquée que celle des plantes non traitées. La clothianidine, par ses propriétés systémiques et son mode d'action « par ingestion », réduit significativement le nombre de morsures sur la base de la plante et la graine. Au champ, ces propriétés permettent à PHF 1103 de réduire le pourcentage de plantes attaquées par rapport à un témoin non traité. Le nombre de morsures à la base de la plante est ainsi réduit de 57 %.
Les résultats d'essais d'efficacité conduits en 2009 et 2010 montrent que PHF1103 procure une bonne protection du maïs même en cas de forte attaque de larves de taupin.
Cyperméthrine micro-granulés
Toujours dans le cadre de la protection contre les taupins, X. Peyron, C. Colas et A. Darthuy (SBM Développement, direction technique, France) présentent le microgranulé Belem® 0,8 MG autorisé à 12 kg/ha depuis 2009 sur maïs, tournesol et sorgho.
Contenant 0,8 % de cyperméthrine (pyréthrinoïde de synthèse approuvée par le règlement 1107/2009 jusqu'au 28 février 2016(1)), la préparation agit sur le système nerveux des insectes au niveau des canaux sodiques impliqués dans la propagation de l'influx nerveux le long des neurones. Les pyréthrinoïdes interfèrent à ce niveau en causant une hyperactivité et une paralysie. Ce produit bénéficie d'un profil écotoxicologique très favorable (études plein champ sur arthropodes non cibles et vers de terre, démontrant l'innocuité de cette préparation), ainsi que de l'absence de résidus dans tous les essais conduits à ce jour (résidus inférieurs à la limite de quantification, LQ).
La cyperméthrine, pratiquement sans effet de vapeur et insoluble dans l'eau, reste immobile dans le sol. Aussi les granulés seront-ils positionnés autour de la graine à l'aide d'un diffuseur Queue-de-Carpe DXP®.
L'action insecticide du produit se manifeste principalement par contact, il agit comme une barrière pour protéger les cultures des attaques de taupins. Son support dense et fluide à base de carbonate de calcium sans poussière lui permet de ne pas être capturé par le complexe argilo-humique et de limiter au maximum le risque de pollutions diffuses vers les eaux souterraines ou de surface.
Les résultats d'essais conduits en 2007 et 2008 témoignent de l'efficacité du produit sur les taupins en cultures de maïs, maïs doux, sorgho et tournesol.
La préparation ayant un spectre d'activité insecticide très large, plusieurs extensions d'usages sont prévues dans le futur sur pomme de terre, tabac, fraise et de nombreuses cultures légumières.
Substances naturelles pour pollinisateurs
Pourquoi ces recherches
Retour aux substances naturelles pour le dernier exposé oral. Il s'agit ici de protéger, non pas directement les plantes, mais des insectes utiles à savoir les abeilles domestiques.
On sait que l'acarien ectoparasite Varroa destructor, découvert en France en 1982, est responsable d'une des plus importantes épizooties de l'abeille domestique à travers le monde. Il oblige à recourir à un ou deux traitements acaricides par an. Il présente des résistances aux principaux acaricides autorisés en France, notamment le tau-fluvalinate (produit de synthèse) et le thymol (extrait naturel de thym). Ces résistances obligent à explorer de nouvelles substances thérapeutiques acaricides. Par ailleurs, l'usage d'acaricides sur les abeilles peut entraîner la contamination des produits de la ruche, cire et miel notamment, d'où la recherche de solutions naturelles.
19 huiles essentielles testées, toutes normalisées
Ce contexte a conduit B. Guillet, R. Bonafos, M.-E. Colin, C. Deschamps et S. Kreiter (Montpellier SupAgro Unité d'Expertise « Phytoprotection, Palynologie, Pathologies de l'abeille » et Unité mixte de recherche, Centre de biologie pour la gestion des populations) à tester l'efficacité sur varroa d'un panel de 19 huiles essentielles, ainsi que leur innocuité vis-à-vis de l'abeille.
De nombreux auteurs ont estimé l'action létale ou répulsive d'huiles essentielles ou extraits aromatiques sur V. destructor, mais très peu ont relié les résultats des essais biologiques à la composition de l'huile. Or, cette composition est maintenant soumise à des normes nationales ou européennes (huiles essentielles biologiquement et biochimiquement définies, Afnor...). Ces normes garantissent la teneur en molécules majoritaires donc la régularité d'efficacité contre V. destructor, caractéristique fondamentale en vue d'une future autorisation de mise sur le marché.
Origan d'Espagne et anis vert, deux huiles essentielles sortent du lot
Les essais in vitro sur V. destructor ont mis en évidence l'efficacité par contact et/ou évaporation de deux huiles codées HE15 et HE1, issues respectivement de l'origan d'Espagne Corydothymus capitatus et de l'anis vert Pimpinella anisum.
Leurs effets sub-létaux sur l'abeille, recherchés sur le taux d'acceptation et de fécondation des reines vierges ainsi que l'accroissement de la population sur des essaims artificiels, se sont révélés mineurs aux concentrations et doses d'utilisation.
À la concentration testée en ruche (inférieure à 1 %), les extraits de plantes visées à l'annexe II de la directive 91/ 414/CEE présentent d'une part un risque minimum d'effets secondaires sur l'abeille et le manipulateur et d'autre part un prix de revient acceptable pour l'apiculteur.
<p>* Cotesia. h.quenin@cotesia.fr</p> <p>** Enigma. coulomb.enigma@wanadoo.fr Tous deux pour le compte de la commission Ravageurs et Auxiliaires de l'AFPP.</p> <p>(1) Association française de protection des plantes. Renseignements, inscriptions à la conférence, commandes du CD-rom des Annales, tél. 01 41 79 19 80, afpp@afpp.net</p> <p>(1) N° 103 sur la liste de substances « réputées approuvées » constituant l'annexe du règlement n° 540/2011 du 25 mai 2011 paru au JOUE (Journal officiel de l'Union européenne) du 11 juin 2011, lui-même règlement d'exécution du règlement 1107/2009.</p>
Trois posters sur la lutte contre les criquets
À côté des exposés oraux, trois communications posters.
Une étude de Benzara A. et al. (École nationale supérieure agronomique d'Alger, Algérie) montre l'effet des extraits aqueux de graines de la rue de Syrie Peganum harmala sur le criquet migrateur Locusta migratoria cinerascens. Après traitement, certains individus présentent des modifications morphologiques ou physiologiques ainsi qu'une baisse de la fécondité. P. harmala s'avère toxique à l'issue du 2e jour avec le traitement par ingestion qui s'est révélé plus intéressant que celui par contact.
L'étude de F. Mouhouche et A. Boubekka (école nationale supérieure agronomique d'El-Harrach, Algérie) montre l'effet de l'extrait aqueux de Datura innoxia (« trompette des anges ») sur les criquets L. migratoria et Schistocerca gregaria : diminution de la croissance pondérale, perturbation de l'activité alimentaire et réduction des performances reproductives.
Enfin, deux extraits d'armoise (Artemisia sp.) ont été testés in vitro par Nebih/Hadj-Sadok D. et al. (Université Saad Dahlab de Blida, Algérie) sur larves (l2) de Meloidogyne. Les résultats ont révélé un pouvoir nématicide vis-à-vis des juvéniles, la toxicité d'A. herba alba s'avèrant plus importante que celle d'A. judaica. L'efficacité varie significativement en fonction des concentrations de l'extrait et de la durée d'exposition au traitement.