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dossier - Ravageurs

Sept d'un coup contre Tuta

Marianne Decoin,* d'après sept communications à la CIRA - Phytoma - n°647 - octobre 2011 - page 20

Tuta absoluta, la mineuse de la tomate, visée par sept communications à la CIRA de Montpellier
Larve de T. absoluta (ph. Koppert)

Larve de T. absoluta (ph. Koppert)

Forte attaque de Tuta absoluta sur feuilles en culture de tomate sous serre. On a des outils pour gérer Tuta en PBI sous serre en France. En plein air en France et partout en Algérie, c'est plus compliqué. ph. Biotop

Forte attaque de Tuta absoluta sur feuilles en culture de tomate sous serre. On a des outils pour gérer Tuta en PBI sous serre en France. En plein air en France et partout en Algérie, c'est plus compliqué. ph. Biotop

Arrivée en France et en Algérie en 2008, la mineuse de la tomate Tuta absoluta est déjà un ravageur majeur dans ces deux pays. Sept communications lui sont consacrées lors de la Conférence internationale sur les ravageurs en agriculture de l'AFPP(1) les 26 et 27 de ce mois d'octobre(2). Six viennent d'Algérie, où le climat est plus favorable au ravageur qu'en France et la PBI (protection biologique intégrée) moins répandue. Certaines publications ne portent que sur du travail au laboratoire. Mais l'ensemble donne des espoirs aux producteurs. Evocation de ces travaux scientifiques, avec les conclusions pratiques tirées par leurs auteurs ou qu'on peut en déduire.

Repéré pour la première fois en 2008 en Algérie et en France après le premier signalement en Europe en 2006 (en Espagne), le micro-lépidoptère Tuta absoluta est capable de « griller » le feuillage des plants de tomates, forer les fruits et détruire la production d'une parcelle.

Comment réguler ce ravageur, en particulier sous serre, de façon compatible avec la préservation de la PBI (protection biologique intégrée) en France et son développement en Algérie ? Autrement dit, comment éviter de devoir appliquer des traitements insecticides à spectre large qui tueraient les auxiliaires protégeant efficacement les tomates d'autres ravageurs ? La CIRA de Montpellier donne des éléments de réponses à ces questions.

Travaux « in vivo » sur les tomates

Variétés et effet de la fertilisation, comparés sous serre

D'abord, mieux connaître les facteurs qui favorisent (ou non) le ravageur permet de les utiliser à bon escient. C'est le cas de la sensibilité variétale et de la fertilisation, sujets abordés dans l'exposé oral de L. Allal-Benfekih & al. (Universités de Tiaret et de Blida) programmé à la session « Vigne, arboriculture, maraîchage » de la CIRA. Les auteurs ont suivi des serres de tomate sur deux sites algériens :

– la Mitidja occidentale (60 km à l'ouest d'Alger, zone sublittorale) sur variété locale Zahra ;

– la région littorale de Douaouda (35 km à l'ouest d'Alger), sur variété locale Doucen et variétés importées Pietro, Kartier et CLX.

Les résultats montrent une forte attaque des tomates de variété Zahra qui semble sensible. Sur le site où l'on a pu comparer les comportements variétaux, Doucen et Kartier, elles aussi très attaquées, ressortent comme nettement plus sensibles que Pietro et CLX.

Conclusion pratique ? Cela ouvre la piste de la résistance, ou au moins la tolérance variétale. C'est une solution partielle car les variétés peu sensibles sont attaquées quand même, mais deux fois moins que les autres. À creuser.

Par ailleurs, les auteurs ont noté l'influence de la fertilisation : un excès d'azote avec déficit en potassium favoriserait la mineuse. À méditer pour sa fertilisation.

Infestation des fruits, mieux comprises

Un poster de Y. Guenaoui et R. Bensaad (Université de Mostaganem) présente un suivi des larves dans les fruits de tomate. Dans quels cas ces attaques ont-elles lieu ? Les larves peuvent-elles se maintenir dans les fruits ?

La réponse à la première question est obtenue en plaçant des larves de troisième stade en présence de fruits prélevés dans une serre témoin (ni traitement insecticide chimique ou biologique, ni lâcher d'auxiliaires). Bilan : les larves se détournent résolument des tomates mûres. En revanche elles peuvent pénétrer les fruits verts même si elles ne les recherchent pas. C'est cohérent avec des études espagnoles montrant qu'en situation de choix, cette mineuse préfère les feuilles aux fruits. Elle s'attaque à ces derniers si ses populations ont déjà prospéré et plus ou moins « grillé » les feuilles.

A la deuxième question, la réponse, après dissection de fruits verts et mûrs, est : « oui, les larves peuvent se développer dans les fruits... » ...mais « seulement dans les fruits verts ».

Dans les fruits mûrs, les seules larves présentes sont malades ou mortes, et des galeries vides avec trous de sortie montrent qu'elles ont quitté les fruits avant leur maturité. À noter aussi, sur les fruits verts, la présence de larves prédatrices de la punaise miride Nesidiocorus tenuis.

Conclusion pratique ? Les tomates vertes attaquées peuvent être des réservoirs de mineuses. Une prophylaxie complète se doit de les éliminer à l'égal des feuilles, au lieu de les laisser tomber au propre comme au figuré.

Au labo, la température en question

Cycle et température, sur Tuta elle-même

Passons aux travaux de laboratoire comme ceux de l'exposé oral de K. Mahdi & al. (Ensa El Harrach). Il évoque l'effet de la température sur le cycle de T. absoluta. Suite à des tests en chambre climatique, il en sort notamment que :

– la durée du cycle est de 71,5 jours en moyenne (+/- 12,2) si la température tourne autour de 15 °C. Elle descend à 32,9 jours (+/- 4,2) à 21 °C et tombe à 18,5 jours (+/- 2,5) si la température grimpe à 30 °C ; des différences hautement significatives ;

– la fécondité baisse avec la température : moyennes de 122 œufs par femelle à 15 °C et 71 œufs à 30 °C ; dans ce dernier cas les résultats vont de 260 à 30 œufs par femelle.

Conclusion pratique ? La mineuse pullule avec la chaleur, il ne faut pas espérer la freiner avec les fortes températures qui incommodent certains insectes. Un arrêt de production de plein été ne sera pas un « vide sanitaire » efficace contre ce ravageur.

Autre point intéressant, le zéro de développement est compris entre 8 et 10 °C, ce qui est cohérent avec d'autres publications. Mais attention, si la mineuse ne se développe plus à ces températures-là, elle reste en vie. Les auteurs citent une publication de Vercher & al. parue en 2010 selon laquelle les larves de Tuta supportent plusieurs semaines à 4 °C.

En pratique : en hiver, s'il ne gèle pas, l'arrêt de production n'éliminera pas la mineuse. En toute saison, il faut absolument une prophylaxie rigoureuse. On doit enlever, aussi bien dans les serres qu'à leurs alentours, tous les débris végétaux : feuilles, tiges et fruits verts. Sans oublier les fruits mûrs qui sont des réservoirs de bactéries et moisissures.

Cycle et température de Tuta et d'une punaise « à double tranchant »

Le poster de M. Boualem & al., de l'Université de Mostaganem, présente lui aussi une étude des effets de la température sur le cycle de T. absoluta, mais aussi de Nesidiocorus tenuis déjà évoqué.

Concernant la mineuse, la durée du cycle est de 29,4 jours (+/- 2) à 23 °C et de 21,1 jours (+/- 0,4) à 26 °C, chiffres cohérents avec ceux cités plus haut. La longévité des individus adultes ne variant guère avec la température, on voit que les fortes températures favorisent le ravageur.

Quant à N. tenuis, son cycle est bouclé en 17 jours (+/- 0,5) à 26 °C. Dans ces conditions, la longévité des adultes est de 16 jours pour les larves alimentées en T. absoluta et de 9 jours pour celles non alimentées.

Alors, quel est le potentiel de N. tenuis comme auxiliaire, comparé à Macrolophus caliginosus (dit désormais « pygmaeus ») utilisé en France en PBI ? N. tenuis supporte mieux les fortes températures, avantage en Algérie. Mais par ailleurs, en France, en Algérie ou ailleurs, N. tenuis présent dans une serre en l'absence de proies (T. absoluta ou autre) peut s'alimenter sur les plantes et y faire des dégâts.

Conclusion pratique : des lâchers préventifs de N. tenuis pourraient être délicats à pratiquer car l'auxiliaire pourrait jouer le ravageur. C'est une « arme à double tranchant » à manipuler avec précaution !

Quant aux lâchers curatifs, il faudrait les tester pour vérifier s'ils peuvent être efficaces rapidement et quand ou si, avant l'installation de l'auxiliaire, ils devraient être accompagnés de l'apport d'insecticides compatibles spécifiques de lépidoptères (Bacillus thuringiensis, etc.)

Protection, des pistes prometteuses

Entomophages autochtones repérés sous serre

Ceci nous amène aux avancées sur la protection directe, avec la recherche sur les auxiliaires autochtones du nord-ouest de l'Algérie évoquée dans l'exposé oral de Y. Guenaoui & al. Le but est d'abord de trouver des espèces (voire des souches) d'auxiliaires mieux adaptées que celles déjà lâchées sans grand succès dans le pays. Ensuite de les utiliser dans des stratégies de lutte intégrée, sachant que le « tout chimique » n'a pas eu plus de succès que le « tout lâcher d'auxiliaires importés ».

Une prospection en serre a permis de repérer des populations naturelles de trois espèces de punaises : Macrolophus caliginosus, Nesidiocorus tenuis et Dicyphus tamaninii. Les deux premières sont connues comme prédatrices, et on a déjà cité N. tenuis plus haut. Mais il fallait confirmer la capacité prédatrice des individus appartenant aux populations détectées. Des tests de laboratoire l'ont permis.

Des parasitoïdes ont également été identifiés, les plus fréquents étant Necremnus artynes et Hemiptarsenus zilahisebessi. Mais ils ne semblent pas très efficaces dans les conditions actuelles.

Conclusion pratique des auteurs de la communication : les apports d'insecticides chimiques ou biologiques, le piégeage de masse et/ou les lâchers d'auxiliaires n'auront de succès que si :

– ils sont positionnés en fonction de la biologie de l'insecte grâce à la meilleure connaissance de celle-ci (par exemple tenir compte des températures, du chevauchement des générations sous serre quand il survient) et une surveillance efficace de chaque site particulier (piégeage) ;

– ils s'accompagnent d'une surveillance et d'une prophylaxie rigoureuses : vide sanitaire entre cultures avec enlèvement obligatoire des débris comme on a vu plus haut, traque des solanacées spontanées autour des serres, filets insect-proof aux entrées, etc.

Produits botaniques testés au laboratoire

Une piste d'avenir est évoquée le 27 octobre après-midi dans la session « produits naturels, nouvelles molécules ». Une communication orale de L. Allal-Benfekih & al. rapporte des tests sur trois substances botaniques : des extraits d'inule visqueuse, de sauge officinale et d'ortie brûlante. Une association d'extrait foliaire d'inule visqueuse et de purin d'ortie (ce dernier comme éliciteur) semble prometteuse (voir l'article p. 12).

Conclusion pratique : c'est appétissant mais attention, il s'agit de travaux préliminaires en laboratoire. Or, on le sait, les produits prometteurs au laboratoire ne tiennent pas tous leurs promesses sur le terrain. Qu'ils soient d'origine biologique ou chimique, du reste.

Biologie et protection, deux ans de suivi

2009, surveillance utile, miride et bio-insecticides compatibles

Petit tour en France maintenant. La communication orale de A.-I. Lacordaire (Koppert) rapporte le suivi d'une quinzaine de serres provençales(3) de production de tomates en 2009 et 2010. Au menu : suivi de la biologie de l'insecte et d'éventuels auxiliaires spontanés, et test de lâchers d'auxiliaires (seuls ou appuyés par des insecticides compatibles), comparés à la lutte chimique classique (et à des serres témoins non traités en 2009).

Phytoma a déjà publié des résultats de 2009(4), Ils confirment l'effet de la température et montrent que T. absoluta attaque les pieds de tomate par le bas et mine d'abord les feuilles, ne touchant les fruits que si sa population dépasse un certain seuil.

Concernant la protection, ils valident la méthode de surveillance, à raison de 4 pièges delta par hectare avec renouvellement régulier des phéromones. Ils montrent un effet intéressant des lâchers inondatifs de M. caliginosus. À une condition : démarrer les lâchers suffisamment tôt, si possible dès la pépinière.

Ils montrent aussi l'intérêt de traitements complémentaires avec un bio-insecticide compatible. Celui-ci, à base d'une souche de Bacillus thuringiensis spécifique des lépidoptères et visant les noctuelles, a un net effet contre le lépidoptère qu'est T. absoluta en épargnant la punaise Macrolophus. Autre bio-insecticide, le spinosad a lui aussi un intérêt.

Enfin eux aussi signalent avoir repéré N. tenuis comme un auxiliaire potentiel, qui par ailleurs doit faire l'objet d'une gestion raisonnée pour cause de risque de dégâts sur tomate.

Et en 2010, auxiliaires associés : le trichogramme entre en scène

La suite du travail montre que le ravageur s'est maintenu durant l'hiver 2009-2010. Ses populations sont montées en puissance au printemps dans tout le bassin de production. Aussi il n'a pas eu de témoins non traités en 2010 : trop de risque de dégâts...

Autre nouveauté, les stratégies testées ont intégré un nouvel auxiliaire, un hyménoptère parasitoïde spécifique de T. absoluta trouvé en Espagne en 2008. Il s'agit du trichogramme Trichogramma achaeae. En revanche le B. thuringiensis n'a pas été re-testé.

Conclusions pratiques de l'auteur :

– Les lâchers de Macrolophus sont efficaces si pratiqués très tôt, dès la pépinière.

– Pour les producteurs qui ne peuvent lâcher Macrolophus qu'en culture, des lâchers complémentaires et répétés du trichogramme ont un effet positif significatif.

– Le spinosad est efficace mais plutôt à réserver aux traitements de rattrapage car vu son large spectre il tue aussi des auxiliaires d'où risque de devoir ré-intervenir et, comme pour tout insecticide, un usage trop répété peut sélectionner des résistances.

– Enfin N. tenuis montre un potentiel d'auxiliaire... mais à manipuler avec précaution !

<p>* Phytoma.</p> <p>(1) Association française de protection des plantes.</p> <p>(2) et (5) Renseignements, inscriptions, commandes CD-rom Annales de toutes les conférences : AFPP, Tél. 01 41 79 19 80. Fax. 01 41 79 19 81. afpp@afpp.net.</p> <p>(3) Bouches-du-Rhône et Vaucluse (région Provence-Alpes-Côte-d'Azur) et Drôme (partie provençale de ce département de la région Rhône-Alpes).</p> <p>(4) Lacordaire et Feuvrier - Tomate, traquer <i>Tuta absoluta. Phytoma</i> n° 632, mars 2010, p. 40 à 43.</p> <p>(5) Voir note (2).</p>

Remerciements

à Yannie Trottin-Caudal, du Ctifl, par ailleurs auteur d'une excellente synthèse lors de la Conférence internationale sur les méthodes alternatives, organisée par l'AFPP du 8 au 10 mars 2011(5), pour sa lecture attentive de cet article.

Résumé

Sept communications proposées à la 9e CIRA organisée par l'AFPP les 26 et 27 octobre 2011 traitent de la mineuse de la tomate Tuta absoluta, important ravageur de la tomate notamment en Algérie (d'où viennent six des sept communications) et en France.

Quatre d'entre elles présentent l'étude de facteurs jouant sur la biologie du ravageur :

– une sur le comportement variétal et le rôle de la fertilisation ;

– une sur les attaques directes des fruits ;

– deux sur le rôle de la température.

Trois présentent des recherches directes sur la protection :

– recherche d'auxiliaires entomophages autochtones (Macrolophus caliginosus, Nesidiocorus tenuis, etc.) ;

– tests de substances botaniques ;

– deux ans de suivi de serres de tomates en France, avec lâchers d'auxiliaires combinés ou non entre eux (Macrolophus caliginosus + Trichogramma achaeae) et/ou avec des bio-insecticides.

L'article cite les auteurs et le moyen d'accéder au CD-Rom annales de la CIRA qui publie ces communications.

Mots-clés : ravageurs, tomate, mineuse de la tomate Tuta absoluta, biologie, protection, prophylaxie, auxiliaires, Macrolophus caliginosus, Nesidiocorus tenuis, Trichogramma achaeae, Bacillus thuringiensis, protection intégrée, CIRA, Conférence internationale sur les ravageurs en agriculture, AFPP Association française de protection des plantes.

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