Il y a peu d'insectes plus sédentaires qu'une femelle de cochenille. Elle est fixée sur son végétal et privée d'ailes voire, pour certaines, de pattes et même d'yeux... Et pourtant, les cochenilles sont des voyageurs au long cours ! Elles sont souvent nuisibles aux végétaux mais il est difficile de bien quantifier leur importance agronomique et économique. En effet, après les invasions du début du XXe siècle, elles semblaient être devenues des ravageurs mineurs. Et puis, récemment, les voilà en recrudescence. D'où l'intérêt de connaître l'évolution du savoir sur ces insectes, leur nuisibilité et les moyens d'en protéger les végétaux. Tel est l'objet du colloque « Cochenilles » que l'AFPP organise le 25 de ce mois d'octobre à Montpellier. Première étape : réviser ses classiques à leur sujet – voire les découvrir. Ce que propose le présent article, tiré de l'introduction au colloque.
Les Coccoidea ou cochenilles constituent une importante super-famille d'insectes de l'ordre des hémiptères. Elles appartiennent au sous-ordre des sternorrhynques comme les groupes voisins des aleurodes (Aleyrodoidea), psylles (Psylloidea) et pucerons (Aphidoidea). Tous sont des phytophages suceurs de sève.
Pour leur part, les cochenilles ont une très large distribution mondiale, allant des toundras septentrionales aux régions équatoriales. De plus elles colonisent la majorité des végétaux existants. Elles se développent sur toutes les parties de la plante-hôte, feuilles, tiges, branches, tronc, fruits ou racines, parfois sous les écorces, et peuvent même provoquer des galles. Au cours de leur évolution, elles ont établi des associations étroites avec leurs plantes-hôtes en devenant leur parasite.
Points communs de la famille
Mâle et femelle, le dimorphisme
Les cochenilles sont des insectes à dimorphisme sexuel marqué.
Les femelles sont aptères, le plus souvent de petite taille sous nos latitudes (de 0,5 à 10 mm) avec un corps ovale ou circulaire, plat à convexe, sans distinction de tête, thorax et abdomen. Souvent le corps est couvert de sécrétions cireuses ou d'une protection, d'où des couleurs et des formes variées. Le tégument peut être ornementé de soies, d'épines ou de pores d'une très grande diversité suivant les familles. Elles peuvent présenter une réduction de leurs appendices, voire être apodes. La plupart du temps elles sont sédentaires ou sessiles. Elles peuvent vivre de quelques mois à plusieurs années.
Les mâles adultes sont très petits (0,5 mm) et discrets. Ils sont habituellement pourvus d'une paire d'ailes mésothoraciques à nervation très réduite et d'une paire de balanciers sur le métathorax. Les antennes sont longues et filiformes. Ils sont dépourvus de pièces buccales, ou alors celles-ci sont très rudimentaires. Ils ne s'alimentent pas et ne vivent qu'un à deux jours, le temps d'assurer la reproduction.
Celle-ci est la plupart du temps sexuée mais la parthénogenèse existe chez de nombreuses espèces. Certaines comme la cochenille australienne Icerya purchasi Maskell (Monophlebidae) sont hermaphrodites. Plusieurs modes de reproduction peuvent coexister chez une même espèce comme chez la cochenille du cornouiller Parthenolecanium corni Bouché (Coccidae).
Cycle biologique
Dès leur émergence, les mâles attirés par les phéromones émises par les femelles vont s'accoupler avec celles-ci. La fécondité varie d'une dizaine d'œufs chez certains Diaspididae à plusieurs milliers chez des Monophlebidae. La femelle pond ses œufs dans une cavité délimitée par son corps ou dans un ovisac attaché à celui-ci, ou bien les conserve dans son tractus génital jusqu'à leur éclosion (ovoviparité). La plupart des cochenilles sont ovipares mais il existe des espèces ovovivipares et d'autres vivipares. Chez la femelle, le développement post-embryonnaire est de type paramétabole : larves ressemblant aux adultes, même mode de vie. Le cycle comporte le stade œuf, 2 ou 3 stades larvaires selon les espèces et le stade adulte. Chez le mâle, le développement est holométabole (à métamorphose complète) avec 6 stades : œuf, 2 stades larvaires, prénymphe, nymphe et adulte.
Les larves néonates sont très mobiles sur la plante-hôte et peuvent être emportées par le vent et/ou transportées par des fourmis. C'est le stade principal de dissémination de l'insecte. La larve se nourrit en enfonçant ses stylets dans la plante-hôte. Elle y restera fixée tout le reste de sa vie comme chez les Diaspididae, se fixera à la fin du deuxième stade larvaire comme chez les Coccidae, ou restera mobile toute son existence comme chez les Ortheziidae ou les Pseudococcidae (Gullan et Martin, 2009). Il y a une ou plusieurs générations annuelles (cycle univoltin ou polyvoltin).
Mais quelle diversité !
Presque 8 000 espèces dans le monde, en 46 familles
L'identification des cochenilles est d'abord basée sur l'étude morphologique des femelles adultes qui persistent sur la plante-hôte plus longtemps que les autres stades. Leur classification fait débat : sont-elles une superfamille, celle des Coccoidea, ou un sous-ordre, Coccinea ? La réponse n'est pas tranchée. On peut les diviser en deux groupes informels, les Archeococcoidea qui ont des trachées abdominales (2 à 8 paires) et les Neococcoidea qui n'en ont pas.
Ces dernières années, le nombre de familles a augmenté, passant d'une vingtaine à 46 aujourd'hui (tableau 1). La plupart des « nouvelles » familles ne comportent que quelques espèces.
Les travaux récents de biologie moléculaire ont conforté les premières classifications du groupe par Morrision, 1928 [Hodgson et Foldi (2006), Gullan et Cook (2007)]. De nombreuses études intègrent maintenant des données moléculaires et morphologiques (Hardy et al., 2009 ; Malausa et al., 2011). Le positionnement de certaines familles est discuté, cas des Putoidae, à la charnière entre Archeococcoidea et Neococcoidea (Williams et al., 2011).
Actuellement on estime le nombre d'espèces décrites à un peu moins de 8 000 réparties dans 46 familles (dont 11 fossiles) (Ben-Dov et al., 2010) (tableau 1).
Elles sont distribuées dans toutes les régions biogéographiques du monde. Le quart de ces espèces serait présent dans la région paléarctique.
En France, au moins 400 espèces dans 18 familles dont 4 principales
Foldi (2001) donnait 381 espèces présentes en France. Aujourd'hui ce nombre doit dépasser les 400 (Germain, 2008). Elles appartiennent à 18 familles : Ortheziidae, Kuwaniidae, Margarodidae, Matsucoccidae, Monophlebidae, Steingeliidae, Xylococcidae, Pseudococcidae, Eriococcidae, Kermesidae, Dactylopiidae, Cerococcidae, Coccidae, Lecanodiaspididae, Aclerdidae, Asterolecaniidae, Phoenicococcidae et Diaspididae. Quatre familles représentent 90 % des espèces présentes : les Pseudococcidae (140), les Diaspididae (100), les Coccidae (70) et les Eriococcidae (50).
On dispose de catalogues récents concernant les Coccidae, Diaspididae, Eriococcidae, Ortheziidae, Pseudococcidae et « petites familles ». Des clés d'identification sont disponibles pour différents continents... Mais il n'existe pas d'ouvrage complet couvrant les familles de cochenilles présentes en France (base bibliographique dans Ben-Dov et al., 2010).
Caractères morphologiques, exemple des trois principales familles
Historiquement, les caractères morphologiques externes des femelles sont largement utilisés dans la détermination des Coccoidea. Actuellement les caractères morphologiques des mâles et des larves sont de plus en plus étudiés (ex. Hodgson et Foldi, 2006a).
À titre d'exemple, voici les caractères morphologiques les plus importants permettant de différencier les trois principales familles présentes en France (Ben-Dov et al., 2010).
Les Pseudococcidae sont plutôt de forme allongée avec des pattes et des antennes bien développées, et présentent normalement des ostioles dorsaux, un circulus ventral, des cerarri sur la marge ; l'ouverture anale est composée au moins de deux couches de cellules.
La femelle adulte de Diaspididae est protégée par un bouclier protecteur, soit simplement posé sur elle soit les entourant complètement. Ce bouclier a des couleurs et des formes très variables, de circulaire à allongé, lisse à rugueux. Le corps de la femelle est dépourvu d'yeux, les pattes sont absentes ou très rudimentaires, les antennes réduites à un tubercule. Les derniers segments abdominaux sont fusionnés en un pygidium ornementé de palettes, de peignes ou d'épines glandulaires.
Les femelles adultes de Coccidae sont en ovale allongé, le plus souvent convexes, quelquefois aplaties, avec un exosquelette dur et lisse et des pattes en général bien développées. Beaucoup deviennent de plus en plus sclérifiées et globuleuses en vieillissant. L'identification spécifique se fait sur jeunes femelles adultes. Le principal caractère morphologique d'identification est la présence d'une paire de plaques sclérifiées recouvrant l'ouverture anale et d'une fente anale proéminente.
Les cochenilles : de grands voyageurs
La moitié des espèces ravageuses sont arrivées en France depuis moins de 100 ans
Depuis que les Européens sont partis découvrir le monde, ils ont été responsables de l'introduction de nouvelles espèces végétales et animales sur le vieux continent. Ainsi, parmi les espèces de cochenilles présentes en France, on estime que le quart est d'origine exogène (Germain, 2008). Ce chiffre est du même ordre de grandeur pour l'Europe. Les cochenilles constituent le deuxième groupe d'espèces invasives sur notre continent derrière les Aphidoidea (Pellizzari et Germain, 2010). De plus, près de la moitié des espèces de cochenilles d'importance économique sont d'origine exogène.
Par exemple I. purchasi, la cochenille australienne (Leonardi, 1920) et Pseudaulacaspis pentagona (Targioni Tozzetti) (Diaspididae) la cochenille du mûrier (Vayssière, 1918) sont arrivées en Europe au début du vingtième siècle. Le pou de San José Diaspidiotus perniciosus (Comstock) (Diaspididae) les a suivies dans les années trente (Balachowsky, 1950). Ces trois espèces dommageables aux cultures fruitières sont devenues cosmopolites.
Parmi les espèces introduites récemment en France, la plupart l'ont été sur cultures ornementales et sont plutôt des ravageurs mineurs tels Phenacoccus madeirensis Green (Pseudococcidae) (Matile-Ferrero et Germain, 2004) et Icerya seychellarum (Westwood) (Monophlebidae) (Germain et al., 2007). Quelques rares espèces peuvent devenir des ravageurs majeurs comme Pseudococcus comstocki (Kuwana) (Pseudococcidae) (Kreiter et Germain, 2005) sur pommiers.
Et hors d'Europe
Les introductions d'espèces nouvelles semblent régulières dans le temps et peuvent être très préjudiciables aux productions agricoles. Récemment et hors d'Europe, on citera l'introduction de la cochenille du manioc Phenacoccus manihoti Matile-Ferrero (Pseudococidae) depuis l'Amérique du Sud vers l'Afrique où elle a constitué un préjudice considérable pour les populations dont le manioc est une ressource alimentaire très importante (Herren et Neuenschwander, 1991).
En ce début de vingt-et-unième siècle, la cochenille de la papaye, Paracoccus marginatus Williams & Granara de Willink (Pseudococcidae), originaire d'Amérique centrale, s'est répandue dans tout l'arc Caraïbe jusqu'en Guyane (Matile-Ferrero et al., 1986). Elle a ensuite continué son expansion vers le Pacifique et l'Océan Indien et atteint l'Île de la Réunion en 2010 (Germain et al., 2010).
Importance des cochenilles en France
Prise de sève, miellat, virus
Les cochenilles sont des ravageurs surtout en arboriculture fruitière, sur vigne, arbres d'ornement, en forêt et sur les productions ornementales produites sous serre.
Le prélèvement de sève peut causer des dommages directs aux plantes.
De plus, à l'exception des Diaspididae et des Asterolecaniidae, elles excrètent du miellat. Absorbant une grande quantité de phloème pour en extraire des acides aminés, elles éliminent le surplus de sucres par l'anus sous forme de miellat (souvent exploité par des fourmis). Il peut couvrir les feuilles et fruits, permettant le développement de fumagine. Cela peut provoquer une réduction de la photosynthèse donc des fruits restant immatures, ou dévaluer la qualité esthétique des productions ornementales.
Les Coccidae et Pseudococcidae peuvent être vecteurs de virus (Sforza et Creif, 2000 ; Fuchs et al., 2009).
Les Diaspididae peuvent provoquer des décolorations des feuilles, des taches rouges ou noires sur les fruits, le dépérissement des tiges.
Espèces d'importance économique
Vu leur petite taille, les cochenilles restent souvent inaperçues jusqu'à ce que les dégâts soient visibles sur la plante-hôte, souvent à un stade de pullulement.
Selon Foldi (2001), environ le quart des cochenilles présentes en France sont des nuisibles occasionnels et plusieurs espèces sont des ravageurs permanents d'importance économique (Tableau 2, p. 32).
La plupart des espèces d'importance économique appartiennent aux Pseudococcidae, Diaspididae et Coccidae, mais quelques espèces significatives appartiennent à d'autres familles comme la cochenille australienne I. purchasi, ou encore Matsucoccus feytaudi Ducasse (Matsucoccidae) et Cryptococcus fagisuga Lindinger (Eriococcidae).
Mais il est très difficile actuellement de quantifier la nuisibilité d'une espèce comme cela a pu être le cas au cours du XXe siècle.
I. purchasi, dans les années 1920, D. perniciosus (pou de San José), entre son arrivée au milieu des années 1930 et la fin des années 1950, ou Matsucoccus feytaudi, la cochenille du pin maritime, dans les années 1970 sur la côte varoise et aujourd'hui en Corse, ont été fortement nuisibles.
Selon certains auteurs, les problèmes économiques apparaissent dans le prolongement d'invasions comme pour I. purchasi ou D. perniciosus (Beardsley et Gonzalez, 1975), mais ce n'est pas toujours le cas.
En l'absence d'étude épidémiologique récente, il est hasardeux d'établir un classement de ces ravageurs et d'évaluer les pertes financières concomitantes comme le font les spécialistes américains (Kosztarab, 1990 ; Miller et al., 2005). Ponctuellement, on observe des pullulements dans un verger, une vigne, une culture, une serre, mais sans pouvoir parler d'épiphytie.
Des discrètes deviennent préoccupantes
La réduction du spectre des produits phytopharmaceutiques autorisés, le changement de techniques culturales, voire l'augmentation des températures, font que des espèces autrefois relativement discrètes deviennent préoccupantes. C'est le cas de Pseudococcus viburni (Signoret) (Pseudococcidae) devenu nuisible sur tomate et en arboriculture, P. comstocki sur pommier et Pseudaulacaspis pentagona, dite « du mûrier » mais de plus en plus présente en arboriculture fruitière et ornementale.
Autres exemples : Unaspis yanonensis (Kuwana) (Diaspididae), restée plus de 30 ans dans le département des Alpes-Maritimes, a colonisé toute la bordure méditerranéenne ces dix dernières années ; Parthenolecanium corni, la cochenille du cornouiller, est en recrudescence sur vigne et en arboriculture ; Phoenicococcus marlatti Cockerell (Phoenicococcidae) est de plus en plus prégnant sur les palmiers de la Côte-d'Azur.
Ces espèces, à l'exception de P. corni, sont dites invasives.
En France, ravageurs mineurs aujourd'hui... mais demain ?
Ravageurs importants dans les régions intertropicales, les cochenilles sont à considérer comme des ravageurs mineurs en milieu tempéré, les quelques espèces qualifiées de ravageurs importants étant maîtrisées depuis de nombreuses années. Mais les restrictions sur les produits phytopharmaceutiques autorisés, des changements de techniques culturales et des modifications dans le climat les rendent plus visibles dans les cultures.
Des suivis épidémiologiques seraient à mettre en place pour évaluer correctement leur importance.
<p>* ANSES, Laboratoire de la Santé des Végétaux, Unité d'entomologie et de plantes invasives. Campus international de Baillarguet, CS 30016, 34988 Montferrier-sur-Lez Cedex. jean-francois.germain@anses.fr</p>
Il y a aussi des cochenilles utiles !
Les cochenilles n'ont pas que des côtés négatifs. C'est moins vrai aujourd'hui depuis l'avènement des colorants synthétiques, mais pendant des siècles plusieurs espèces ont été exploitées pour les colorants ou les laques qu'elles permettaient de fabriquer. Kermes vermillo Planchon (Kermesidae), Porphyrophora polonica (Linnaeus) (Margarodidae), Dactylopius coccus Costa (Dactylopiidae) produisent des colorants rouges (Foldi, 2003). Plus surprenant, elles peuvent être un allié de la production de miel. En Grèce et en Turquie, les abeilles récoltent le miellat produit par Marchalina hellenica (Gennadius) (Marchalinidae) qui se développe sur les pins (Hodgson et Gounari, 2006).
Enfin, elles sont source de nourriture (Kondo et al., 2008).