Plus de 300 chercheurs et techniciens de la pomme de terre étaient réunis du 24 au 29 juillet dernier à Oulu, en Finlande, pour la 18e conférence de l'EAPR (Association européenne pour la recherche sur la pomme de terre(1)). Ils ont fait le point sur les recherches sur la pomme de terre menées depuis trois ans(2). Une centaine d'entre eux se sont encore retrouvés en octobre à Saint-Petersbourg, en Russie, pour un groupe de travail spécifique sur le mildiou et l'alternaria. Deux rencontres très enrichissantes sur le plan scientifique mais aussi humain. Échos.
Commençons par la 18e conférence de l'EAPR. Les participants venaient surtout d'Europe, mais aussi des USA, d'Afrique, du Japon, d'Australie, d'Israël… Les exposés généraux ont traité de l'intérêt de la pomme de terre pour la nutrition et la santé humaine ; du développement de la culture en Afrique ; du calcul de l'impact carbone de la production.
Conférence de l'EAPR, au cœur des cellules…
Génomique, applications pratiques
La génomique et ses conséquences pour la sélection et la lutte contre les ennemis de la pomme de terre ont été les sujets dominants. Dans ce domaine, on peut citer :
– la mise au point des outils moléculaires de diagnostic pour les agents de « pourriture molle », Dickeya dianthicola, D. solani et autres espèces de Dickeya ;
– l'utilisation des marqueurs ADN pour la sélection de résistances vis-à-vis du mildiou, du nématode à kystes Globodera pallida et des critères de qualité des tubercules ;
– l'avancée des connaissances sur les déterminants physiologiques et génétiques à l'origine de la pathogénicité de Streptomyces scabies, un des agents de la gale commune.
Affecteurs contre éliciteurs
Notons l'étude de Stephan Whisson, de Dundee, en écosse, sur le rôle des « affecteurs d'avirulence » dans le développement de Phytophthora infestans agent du mildiou. Il pense que le succès relatif (voire l'insuccès) dans l'utilisation des « éliciteurs » est lié à un manque de prise en compte de la variabilité des affecteurs présents dans les populations de P. infestans.
La résistance de la plante à un pathogène est permise par la reconnaissance de protéines du pathogène. Mais si ce dernier évolue jusqu'à posséder des « affecteurs », il trompe cette reconnaissance.
Ces affecteurs contiennent certains peptides dits RXLR. Mieux connaître ces peptides doit permettre d'identifier des potentiels de résistance durable et de trouver de nouvelles méthodes de lutte.
… et aussi des problèmes sanitaires de terrain
Nématodes à kystes
Quittons l'échelle des cellules et des gènes pour celle du terrain… et de la réglementation.
Une directive européenne(3) a remis en actualité les nématodes à kystes Globodera rostochiensis et G. pallida, en obligeant les états à rendre obligatoire et à organiser la lutte contre ces ravageurs. Ainsi la France a publié un arrêté sur le sujet le 1er juillet 2010(4).
Marc Goeminne (PCA, Belgique) a présenté une étude sur les causes de dissémination de G. rostochiensis et G. pallida à différentes échelles : la parcelle, l'exploitation, les voisins, les régions. L'intérêt primordial de ce travail est de quantifier le rôle de chaque facteur : plants, matériel, tare-terre. Les possibilités de transposition en France sont à étudier.
Des chercheurs polonais ont étudié les différentes populations d'autres types de nématodes : Ditylenchus destructor et D. dipsaci.
Côté bactéries
Pour les bactéries, ce sont surtout les nouvelles espèces de Dickeya spp (ex Erwinia chrysanthemi) à l'origine de la jambe noire et des pourritures molles, qui ont été traitées. Elles sont en effet en pleine extension en Europe.
Minna Pirhonen (Finlande) a fait une synthèse : si, en climats tempérés, Pectobacterium atrosepticum et P. carotovorum causaient la plupart des dégâts, c'est bien Dickeya solani qui s'étend rapidement dans de nombreux pays d'Europe. D. solani cause des dégâts plus élevés que Pectobacterium. Elle remplace progressivement P. atrosepticum bien que sa température optimum de développement soit plus élevée.
Maladies des tubercules, quand le superficiel est un problème de fond
Restent les défauts superficiels des tubercules. Ils sont dits superficiels car ils ne touchent pas le cœur des pommes de terre, mais ils posent un problème de fond pour la vente de tubercules lavés.
L'approche la plus intéressante fut la table ronde à l'initiative de la filière française (INRA, FNPPPT, Germicopa et Arvalis-Institut du Végétal), animée par Karima Bouchek, de l'INRA de Rennes, avec la participation de Stuart Wale (écosse). Voir l'article de K. Boucheck p. 34.
« Euroblight », point sur le mildiou
Après Arras en mai 2010, le groupe de travail européen sur le mildiou et l'alternaria « Euroblight » s'est réuni du 9 au 14 octobre 2011 à Saint-Pétersbourg.
Malgré la limitation voulue du nombre de participants visant à garder la dimension « d'un groupe de travail », ces participants étaient une centaine. Toute l'Europe était représentée, notamment les Pays de l'Est avec une forte délégation russe. Mais il y avait aussi l'Argentine, le Chili, le Pérou, les USA, la Chine, Israël…
L'évolution des souches
Le suivi des populations se poursuit dans la plupart des pays notamment avec des marqueurs moléculaires. Il faut noter des évolutions rapides (Figure 1).
En Grande-Bretagne, les souches Blue 13 (13_ A2) en forte augmentation de 2005 à 2008, sont en légère décroissance.
Bien que toujours dominantes, les Blue_13 sont en diminution aux Pays-Bas.
Les souches Pink 6 (6_A1) ont fortement progressé de 2005 à 2010. Le changement est parfois brutal.
Ainsi en Irlande les chercheurs constatent une quasi disparition des souches A2 en 2011 après une année 2010 très sèche avec très peu de mildiou.
Notons la confirmation de souches Green_33 aux Pays-Bas, souches qui semblent moins sensibles au fluazinam.
Mise en évidence également de souches 23_A1 sur tomates en Italie et en Grande-Bretagne.
L'agressivité de ces souches a alimenté de nombreuses discussions. Une plus forte agressivité semble exister aux températures basses. Là encore, la France n'est pas à l'abri.
Recherche de résistance variétale
La résistance variétale est un sujet important notamment dans la création variétale : recherche de nouveaux gènes dans des Solanum sauvages, comme Solanum michoaeanum(mch) et Solanum ruiz-ceballosii (rzc).
Notons aussi la volonté de créer « une résistance durable » en « empilant » plusieurs R gènes par cisgenèse (aux Pays-Bas) ou transgénèse : variété OGM Fortuna en Allemagne pour laquelle BASF a demandé l'autorisation de commercialisation pour 2014 à la Commission Européenne. Cette variété a été créée par « introduction » de deux gènes de S. bulbocastanum Rpi-blb1 et Rpi-blb2 dans la variété Fontane.
Prise en compte de la sensibilité
La résistance variétale est prise en compte dans la lutte.
Ainsi, il y a des suivis régionaux des virulences, prenant en compte le comportement des variétés, aux Pays Bas. On a pu étudier aussi le modèle norvégien de diminution des doses de fongicides en fonction du risque épidémique et de la résistance variétale.
À méditer en France, même si les conditions climatiques plus chaudes induisent un risque épidémique différent.
Mais aussi de l'alternaria
Le diagnostic en question
L'alternaria est un sujet de plus en plus important. Actuellement, la première question reste le diagnostic.
En effet, plusieurs études montrent que dans de nombreux cas des symptômes « type alternaria » ne sont pas dûs aux pathogènes mais à des problèmes physiologiques : carences, toxicité… Les espèces en cause – Alternaria solani et A. alternata – font aussi l'objet de discussions. Un groupe de travail européen est mis en place sur ces problèmes de diagnostic.
Lutte : seuils et résistances
Pour la lutte, J. Leiminger et H. Hausladen (pour l'équipe de Technische Universität München), ont évoqué des seuils d'intervention (Fig. 2).
Cette même équipe, ainsi que des chercheurs américains, ont montré les très gros risques de résistances vis-à-vis des strobilurines. Aux USA, la résistance aux QoI est totale au champ après plusieurs années d'utilisation exclusive de QoI (grand nombre de traitements). En Allemagne, quelques souches résistantes ont été trouvées, uniquement au laboratoire. Il faut, c'est indispensable, limiter le nombre d'applications de QoI et les alterner avec des multisites.
<p>* Expert. serge.duvauchelle@gmail.com</p> <p>(1) En anglais dans le texte : European Association for Potato Research.</p> <p>(2) Les conférences plénières de l'EAPR sont triennales. La précédente avait eu lieu en Roumanie en 2008. Par ailleurs, les 5 sections spécialisées de l'EAPR organisent des rencontres thématiques. Ainsi, la section « Pathologie » s'est réunie en septembre 2010 à Carlow (alias Ceatharlach) en Irlande, voir S. Duvauchelle, <i>Phytoma</i> n° 641, février 2011, p. 43.</p> <p>(3) Directive européenne 2007/33/CE.</p> <p>(4) Arrêté du 28 juin 2010 publié le 1er juillet. Voir <i>Phytoma</i> n° 636, août-septembre 2010, p. 4.</p>
Figure 1 - Situation mildiou en Europe.
Détection des divers génotypes de P. infestans en Europe.
• 13_A2 présent sur de nombreux sites (réductions de dose de métalaxyl ?)
• Nombreuses souches « misc », surtout dans le nord-est.
• Nouveaux génotypes en Pologne, SK et GK.
• 23_A1 trouvé sur tomate en Italie et GK.
• Mise en commun des données européennes.
• Merci à Bayer et Syngenta, Howard Hinds, Dolf deBoer, Vangelis Vellios.