On ne présente plus la mineuse de la tomate Tuta absoluta. En tout cas, pas aux producteurs de tomate qui doivent la gérer dans le sud de la France et la voient arriver ailleurs ! Mais savonsnous tout sur la lutte anti-Tuta ? Voici un point sur ce qui est fait aujourd'hui et l'évocation d'un travail en cours pour faire encore mieux demain. Et une certitude : il n'y a pas une technique unique miracle, la protection ne peut et ne pourra être qu'intégrée.
Contre Tuta absoluta, une lutte curative systématique a priori n'a aucun sens. Il faut d'abord agir en fonction des populations présentes et mettre en place des mesures préventives.
Surveillance : des moyens et un exemple
Quels moyens
Avant toute intervention il faut suivre les populations. Pour cela on peut utiliser des pièges type Delta contenant une capsule de phéromone et une plaquette engluée sur laquelle se collent les mâles (photo). Les pièges doivent être installés au-dessus de la culture, à proximité de l'entrée des serres. Ils doivent être en quantité suffisante et relevés régulièrement (Tableau 1).
Exemple corse : prospection et réseau d'alerte
En raison du premier signalement de T. absoluta à Ajaccio, une première prospection a été effectuée par la FREDON entre fin octobre et début novembre 2008, dans des plantations de tomates. Les communes concernées étaient Ajaccio, Propriano, Porto Vecchio et Bastia.
Chaque parcelle signalée par les producteurs a fait l'objet d'un prélèvement pour détermination officielle et a été référencée par GPS. Au fur et à mesure des prospections, une cartographie de la présence de T. absoluta a été réalisée. Il s'agit de parcelles en plein champ et de parcelles sous abri, situées en Corse de sud et en Haute Corse.
De même en Provence depuis 2009, une mobilisation a été mise en place pour suivre ce problème. Tous les acteurs sont mis en vigilance.
L'objectif est de détecter la présence du ravageur et d'évaluer le risque potentiel pour la parcelle par piégeage. Les pièges de type Delta utilisés sont relevés au moins une fois par semaine. Les individus capturés sont comptabilisés et le résultat est publié sur le site de la FREDON Corse (www.fredon-corse.com). Ceci permet aux producteurs d'être informés du développement du ravageur dans leur zone de production. Les pièges restent positionnés pendant toute la saison, pour suivre les départs de vols après les traitements et pour suivre l'efficacité des lâchers d'auxiliaires.
Protection préventive : moyens actuels
La surveillance des cultures et la détection des premières attaques est primordiale. Les premières feuilles touchées sont à éliminer.
Installer des filets « insect-proof »
Pour limiter la colonisation des serres et tunnels par des individus venus de l'extérieur, des filets insect-proof peuvent être installés sur toutes les ouvertures. Pour les entrées, il faut un système de double porte ou au moins deux filets superposés.
Attention : la toile de ces filets insect-proof n'est pas toujours facile à trouver sur le marché et son coût est élevé. De plus, les mailles devant être très fines, l'aération des serres est réduite. Mais il s'agit d'une voie prophylactique qui semble très intéressante.
Aux abords, traquer les solanacées
Pour réduire les zones réservoirs du ravageur, il est important de nettoyer les terrains environnant les serres en éliminant les plantes hôtes. Il s'agit essentiellement des mauvaises herbes de la famille des solanées (comme la tomate) : Lycopersicon hirsutum, Solanum lyratum, Solanum nigrum (morelle noire), Solanum elaeagnofolium, Solanum puberulum, Datura stramonium, Datura ferox et Nicotiana glauca…, et bien sûr des restes de plants de tomate (repousses et déchets).
Éliminer les parties contaminées
Que l'on travaille en serre ou en plein champ, il est indispensable d'avoir détruit toutes les parties attaquées par T. absoluta des plants de tomate de la saison précédente. Il s'agit de les brûler immédiatement ou d'utiliser des sacs plastiques fermés hermétiquement pour éviter de maintenir le ravageur in situ. Il en est de même pour les résidus en fin de culture, visiblement contaminés ou non.
Nettoyer le sol
Sous serres, une désinfection des sols peut être envisagée, surtout en cas de monoculture de tomate ou de suivi par un autre culture de solanacées (poivron, etc.). Une des solutions est la solarisation pendant 4 à 6 semaines.
En plein champ, un travail du sol élimine en partie les nymphes de T. absoluta.
Lutte curative : ce qui est disponible
Lutte biologique
Pour une bonne efficacité de la lutte biologique par lâcher d'auxiliaires en serres et tunnels, il est recommandé de procéder à ces lâchers de façon la plus précoce possible.
Pour assurer une bonne installation des prédateurs, on conseille de les lâcher tôt et les nourrir tant que la présence de la mineuse est faible (avec des œufs commercialisés d'Ephestia kuehniella, la teigne de la farine, par exemple).
En Europe, les auxiliaires utilisables sont :
– Prédateurs : Macrolophus pygmaeus (M. caliginosus) et Nesidiocoris tenuis.
– Parasitoïde d'œufs : Trichogramma achaeae (Séguret et al., 2011).
En Amérique du Sud, d'autres auxiliaires peuvent être utilisés :
– Prédateur : Podisus nigrispinus
– Parasitoïdes de chrysalides (Cornua sp.) ; de larves (Pseudoapanteles dignus, Dineulophus phthorimaeae, Apantales gelechiidivoris) ; d'oeufs (trichogrammes : Trichogramma pretiosum, T. fastiatum, T. rojasi, T. bactrae, T. exiguum et T. nerudai) (Colomo et al., 2002).
En traitements
Toujours vérifier au préalable les conditions d'emploi des insecticides et les risques d'impacts pour les utilisateurs et les auxiliaires.
a) Bioinsecticides
Il s'agit de traitements à l'aide d'insecticides autorisés et d'origine biologique (naturelle). Le Bt (issu de la bactérie Bacillus thuringiensis) est à appliquer en fin de journée, le pH de l'eau doit être neutre. Ce traitement est à renouveler en fonction de la situation. Ces produits larvicides n'ont pas d'efficacité sur les adultes.
Une formulation de spinosad (issu de la bactérie Saccharopolyspora spinosa) a été autorisée sur tomate, aubergine et poivron contre les chenilles défoliatrices ; elle semble efficace mais pas inoffensive pour les auxiliaires.
D'autres produits sont en cours d'essai.
b) Insecticides conventionnels
Comme les produits sont plus ou moins dangereux pour l'environnement et les applicateurs, leur utilisation doit être limitée au strict minimum et les conditions d'emploi respectées. En effet, T. absoluta arrive à développer rapidement des résistances. De plus, les larves sont protégées dans les galeries situées au niveau des feuilles, des tiges et des fruits, ce qui les protège d'insecticides traditionnels. Enfin, l'application de certains produits nuit à la faune auxiliaire et peut ainsi aggraver le problème.
L'indoxacarbe est autorisé mais, pour limiter les risques de résistance, il est interdit de l'appliquer plus de 3 fois par cycle de culture, et de dépasser deux traitements consécutifs. La substance et les produits sont agressifs vis-à-vis des bourdons et classés Xn (nocifs).
Le chlorantraniliprole (rynaxypyr) a été autorisé fin 2010 ; il a un meilleur profil vis-à-vis des utilisateurs (sans classement toxicologique) et de la faune. Mais il est interdit de l'utiliser plus de deux fois par cycle de culture.
Certains produits sont homologués, d'autres sont en cours d'essai.
Piégeage massif
Le piégeage massif à base de phéromones a montré de bons résultats en complément à d'autres moyens de lutte ; toutefois il ne piège que les mâles.
On utilise également des pièges à eau placés à la base des plantes. Le nombre de pièges varie suivant les types de culture. Ces pièges sont disposés dans les parcelles en renforçant les bordures et les passages centraux.
Stratégie de protection biologique intégrée (PBI)
Pour tous les types de cultures, il est nécessaire de procéder à une lutte intégrée de façon à permettre la conservation des insectes auxiliaires dans les cultures. Différentes combinaisons sont possibles entre traitements, auxiliaires et autres moyens de lutte disponibles.
Des essais en culture de tomate
En 2010, Lacordaire et Feuvrier ont testé l'efficacité de trois méthodes de lutte :
– lutte biologique [utilisation d'un miride prédateur Macrolophus pygmaeus (2,5/m²)],
– lutte intégrée (M. pygmaeus associé à Bt),
– lutte conventionnelle.
Les pièges à eau et à phéromone ont été également utilisés (25/ha). La lutte intégrée a montré une meilleure efficacité comparée aux deux autres méthodes.
Trottin Y. et al. ont communiqué en mars 2011 de bons résultats d'essais menés en serres de production et serres expérimentales en combinant Macrolophus pygmaeus (prédateur) et Trichogramma achaeae (parasitoïde oophage). De même, Frandon et al. (2010) et Séguret et al. (2011) ont publié les résultats d'une stratégie mixte associant M. pygmaeus et T. achaeae. Les lâchers de Macrolophus ont été effectués en février-mars et les lâchers hebdomadaires de trichogrammes ont commencé mi-avril 2010 (13 lâchers au total). Les résultats obtenus sont encourageants.
Méthode physique : le savon noir
Comme les adultes de T. absoluta circulent surtout en bas des plantes au lever du jour pour se reproduire, certains pulvérisent au niveau du sol une solution de savon noir (2 à 4 %) entre 5 h et 8 h du matin.
Cependant, il s'agit d'une substance agressive et non sélective : elle a une action sur des ravageurs mais aussi sur les auxiliaires. Attention aussi au risque d'accident pour l'agriculteur et les salariés : le savon rend le sol glissant...
Pour demain, le projet TutaPI
Combinés, les moyens de lutte cités précédemment permettent de limiter le ravageur, mais la protection reste assez coûteuse. Il est donc nécessaire de trouver une méthode fiable, rentable, respectueuse de l'environnement et du plan Ecophyto 2018 (réduction des intrants de 50 % d'ici 2018). C'est l'objectif du projet CASDAR « TutaPI » en cours (2011-2013) financé par le ministère en charge de l'agriculture.
Point sur la mise en place
Dans un premier temps, notre étude vise à déterminer un parasitoïde efficace contre ce papillon, larvaire ou oophage, notamment une nouvelle espèce de trichogramme. L'idéal serait une espèce européenne, bien adaptée à l'agrosystème tomate, ayant une possibilité de stockage au froid et une majorité de femelles. Pour cela, les premiers tests de choix (screening) ont été réalisés sur des dizaines de souches de trichogrammes en tube sur œufs de T. absoluta sur feuille de tomate.
Les premiers résultats en tube concernant une meilleure performance de certaines souches comparées à T. achaeae nécessitent d'être vérifiés en mésocosme (plants de tomates en cages) puis en serre afin de choisir la souche la plus performante.
Vers des actions coordonnées
La stratégie de protection biologique mise au point sera alors intégrée à l'ensemble des autres moyens actuellement disponibles sur cultures de tomates. Ainsi, un ensemble d'actions coordonnées, mobilisant pleinement les acteurs de la recherche, du développement, de l'expérimentation et du privé, a été mis en place afin de disposer :
– d'auxiliaires efficaces,
– de stratégies de protection intégrant les auxiliaires déjà disponibles ou en phase expérimentale,
– de paramètres économiques intéressants.
<p>* INRA Provence-Alpes-Côte-d'Azur, UELB, 400, route des Chappes, 06903 Sophia-Antipolis Cedex, tabone@sophia.inra.fr</p> <p>** FREDON Corse, BP 15, 20117 Cauro.</p> <p>*** ITAB, 149, rue de Bercy, 75595 Paris Cedex 12.</p>
Figure 1 - Présence de T. absoluta en France.
En rouge, les départements où T. absoluta est signalée pour la première fois en 2011.
Plus la couleur est pâle, plus la présence est ancienne avec, dans certains départements, des dégâts comme la photo 1 (en médaillon).
Rappel sur Tuta
Originaire du Pérou (aux alentours de Huancayo à 3 500 m d'altitude, selon Meyrick, 1917 ; cité par Povolný D., 1975), Tuta absoluta a son aire de distribution naturelle en Amérique du Sud : Chili, Argentine, Pérou, Bolivie, Équateur, Colombie, Vénézuela (Povolný, 1975).
Son premier signalement en Europe date de 2006, près de Valence en Espagne.
En 2007, cette mineuse est détectée sur l'île d'Ibiza (Baléares) et de nouveau à Valence. Signalée en 2008 en Algérie, au Maroc, en Tunisie et en France (Corse et Var), T. absoluta a continué sa progression rapide en Europe comme en France (carte ci-contre).
Ce microlépidoptère figure sur la liste A2 de l'OEPP (European and Mediterranean Plant Protection Organization), comme « organisme de quarantaine ».