À la Réunion, la tomate de plein champ se cultive désormais davantage dans les Hauts (photo 1) que dans les Bas (photo 2) où il est difficile de maîtriser B. tabaci donc le TYLCV. La culture sous serre permet de se protéger de B. tabaci donc du TYLCV et s'est bien développée. Mais dans les Bas, surtout près de l'Océan comme à l'Étang-Salé (photo 3), elle oblige à fermer les serres avec des filets insect-proof, donc à interrompre la production durant l'été austral (climat). Photos : M. Grondin
Plus de 10 ans après les premières épidémies de TYLCV à la Réunion, une enquête agronomique permet de restituer et resituer le problème. Elle a été menée à partir d'investigations de terrain. Par qui, auprès de qui, que peut-on en tirer ? Réponses ci-après. A souligner : l'intérêt des mesures prophylactiques face au virus et à son vecteur Bemisia tabaci, et le point sur la PBI (production biologique intégrée), sujets intéressants à la Réunion, mais aussi ailleurs.
Cette enquête agronomique restitue les problèmes liés au TYLCV (Tomato yellow leaf curl virus) et aux aleurodes vecteurs, à partir d'investigations réalisées entre mars et septembre 2010 auprès de divers acteurs de la filière maraîchage : producteurs, techniciens de coopératives, conseillers phytosanitaires, agents du ministère chargé de l'agriculture, chercheurs… Les entretiens ont été menés conjointement par le Pôle de protection des plantes du CIRAD(1) de la Réunion et le centre technique d'expérimentation ARMEFLHOR(2).
Les rencontres ont permis de dresser un état des lieux de la filière tomate à la Réunion, de mieux cerner l'impact du TYLCV depuis son arrivée dans les années 90 et la manière dont se sont opérés les transferts de la production de tomate de plein champ à la culture sous abris. Elles ont enfin permis d'identifier les principales méthodes de lutte employées sur le terrain contre les aleurodes et le TYLCV et de proposer des pistes pour une stratégie de protection de la culture plus efficace et respectueuse de l'environnement.
Arrivée du TYLCV et transferts sous abri
Années 90, arrivée du TYLCV
Les premiers symptômes de la maladie du tomato yellow leaf curl disease (TYLCD) ont été décrits à la Réunion en septembre 1997.
Il s'en est suivi très rapidement une grave épidémie de TYLCD en cultures de tomate (Peterschmitt et al., 1999), associée à la pullulation de l'insecte vecteur, l'aleurode Bemisia tabaci.
En collaboration avec le LSV, le CIRAD a pu apporter la caractérisation moléculaire de l'agent pathogène de la maladie : la souche Mild du TYLCV (TYLCV-Mld), un bégomovirus de la famille des géminivirus (Peterschmitt et al., 1999). L'analyse moléculaire des populations de B. tabaci en pullulations sur les cultures de tomate, pullulations décrites pour la première fois à la Réunion, ont permis de démontrer l'introduction récente d'un biotype B invasif et très fécond (Delatte et al., 2005a).
Les conséquences de l'épidémie de TYLCD ont été dramatiques sur la culture de tomate. Selon les premières enquêtes, jusqu'à 85 % de perte de rendement observés sur les variétés les plus sensibles, et près de la moitié des parcelles ayant dû être arrachées.
Années 2000, deuxième crise liée à une souche sévère
En 2004, une deuxième crise est apparue avec l'arrivée de la souche sévère Israël (IL) du TYLCV (Delatte et al., 2005b).
Depuis l'émergence de la souche sévère, le prélèvement régulier d'échantillons de tomate en plein champ a permis au CIRAD de suivre la dynamique épidémiologique virale, et de montrer que le TYLCV-Mld a été progressivement déplacé par le TYLCV-IL et persiste principalement grâce aux infections mixtes (Péréfarres et al., 2011). L'étude expérimentale des traits biologiques des deux souches de TYLCV (capacité de multiplication du virus au sein de la plante, efficacité de transmission et agressivité) a permis d'identifier les principaux paramètres biologiques viraux responsables de la situation épidémiologique du TYLCD à la Réunion.
En réponse, le passage sous serre
Le passage à la culture hors-sol avait été impulsé par une autre contrainte phytosanitaire majeure qui a sévi juste avant l'arrivée du TYLCV : le flétrissement bactérien causé par Ralstonia solanacearum. C'est une bactérie tellurique véhiculée également par la circulation de l'eau. Extrêmement virulente, elle provoque chez ses nombreuses plantes sensibles, dont la tomate, un dépérissement irréversible.
Ensuite, l'introduction simultanée du biotype B (très fécond et polyphage) de l'aleurode B. tabaci et du TYLCV a été à l'origine de l'épidémie de TYLCD, amplifiant la pression phytosanitaire sur la culture de la tomate de plein champ.
Pour sauver la filière, il fallait passer en hors-sol (pour limiter les risques de flétrissement), et sous abri (pour limiter ceux liés aux aleurodes échecs de lutte chimique, pas de tolérance variétale). La couverture des cultures a commencé à un rythme très soutenu et se poursuit à raison de deux à trois hectares par an.
On comptait 500 à 600 ha de tomates plein champ au début des années 90 et aujourd'hui seulement 250 ha.
Mise en place de la protection biologique intégrée (PBI)
Le passage sous serre a permis de mettre en place de nouvelles méthodes de lutte applicables uniquement en milieu fermé, comme l'utilisation de la lutte biologique avec des insectes auxiliaires de culture.
Aussi la FDGDON, avec l'aide du CIRAD, a lancé un programme de PBI avec des micro-guêpes parasitoïdes : Encarsia formosa (déjà reconnue efficace contre l'aleurode T. vaporariorum) et Eretmocerus eremicus (efficace à la fois contre T. vaporariorum et B. tabaci). La production de ces auxiliaires a été transférée à des entreprises implantées localement.
Ceci permet de répondre à la demande des producteurs sans avoir recours à l'importation.
La mise en place de la PBI chez les serristes s'est traduite par une évolution des cahiers des charges de production, avec une gestion des bioagresseurs et des traitements chimiques.
Le TYLCV à la Réunion : situation actuelle
Le TYLCV aujourd'hui, différencier les Hauts et les Bas
La situation actuelle est contrastée : le virus n'exerce pas la même pression dans les diverses zones de production de l'île.
Les Hauts (au-dessus de 500 m d'altitude) sont peu touchés car les températures y sont trop fraîches pour l'aleurode Bemisia tabaci, seul capable de transmettre le TYLCV.
Dans les Bas (moins de 500 m d'altitude), surtout durant l'été austral (décembre à mars), le risque d'infection par le TYLCV oblige les maraîchers hors sol à protéger leurs productions notamment par filets insect proof (Tableau 1).
La serre permet de produire, sauf en zones critiques durant l'été austral
Pour beaucoup, la mise en œuvre de nouvelles stratégies de lutte reposant sur la protection mécanique (filets), le raisonnement des traitements, le suivi phytosanitaire par de multiples sources de conseil et l'utilisation de plants provenant de pépiniéristes agréés(7) a considérablement diminué l'impact du virus par rapport aux épidémies de 1997.
En revanche, dans les zones les plus critiques comme le littoral de l'Ouest, où les excès de température et d'hygrométrie sont très pénalisants pour la culture de la tomate, la nécessité d'installer des filets insect proof est trop contraignante car la circulation de l'air dans les serres s'en trouve fortement réduite. Dans certains cas, l'utilisation des mesures prophylactiques peut s'avérer insuffisante (Tableau 2).
Aussi, certains serristes du littoral ont arrêté de cultiver la tomate durant l'été austral, au profit du poivron, du concombre ou du melon.
Plein champ, les problèmes continuent
Dans le cas des cultures de tomate de plein champ, le TYLCV continue à avoir un impact désastreux, notamment du fait de l'utilisation de variétés de tomate très sensibles au TYLCV (en particulier Farmer) et des difficultés de mise en place d'une protection mécanique de la culture contre B. tabaci.
Ainsi, si les Bas connaissent les températures les plus douces et les meilleurs rendements durant l'hiver, ce sont les Hauts qui soutiennent la production durant l'été du fait de la moindre pression de B. tabaci en altitude et des températures plus propices à la nouaison.
Le tableau 1 synthétise les problèmes phytosanitaires majeurs des exploitations maraîchères dans chaque situation.
Actions et acteurs
Des moyens variés
De la lutte chimique avec des produits phytosanitaires homologués à la gestion agroécologique, les maraîchers réunionnais disposent de moyens variés pour lutter contre les aleurodes vecteurs du TYLCV. Les principales méthodes de lutte employées par les agriculteurs sont listées dans le tableau 2.
Les actions Ecophyto
Les pratiques évoluent notamment dans le cadre du plan Ecophyto 2018 dont l'objectif est de promouvoir une réduction et un meilleur usage des produits phytosanitaires. Dans sa déclinaison régionale (Ecophyto DOM), la recherche et le développement de solutions alternatives mettent en œuvre l'ensemble des acteurs locaux sur des actions fédératrices :
– mise en place d'un réseau Dephy (Démonstration, Expérimentation et Production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires) en maraîchage,
– édition d'un guide des bonnes pratiques agricoles (http://www.daf974.agriculture.gouv. fr/Guides-des-bonnes-pratiques).
La prophylaxie : efficace en associant plusieurs mesures
La stratégie actuellement la plus employée repose sur la multiplication des mesures prophylactiques afin de contrôler les populations d'aleurodes et limiter leur impact direct et indirect sur la culture. Les agents de la FDGDON ont en effet remarqué que les producteurs qui traitaient les plus subissaient les attaques d'aleurodes et de TYLCV les plus fulgurantes, tandis que ceux qui misaient tout sur la prophylaxie sont moins impactés.
La PBI, attention, aleurodes
La PBI se développe (Figure 3) mais connaît certaines limites. Parfois ses résultats sont estimés à tort décevants, du fait que l'emploi d'un bioagresseur est encore trop souvent assimilé à l'effet curatif et ponctuel d'un pesticide.
Surtout, les principes de tolérance et d'équilibre des populations à la base de la PBI sont difficiles à mettre en place avec les aleurodes du fait des conséquences désastreuses de la transmission des virus. Il est difficile de tolérer leurs populations, même à faible effectif.
Besoins ressentis, quatre catégories
Les besoins des différents acteurs rencontrés au cours de cette enquête peuvent être rassemblés en quatre grandes catégories :
– une efficacité accrue des stratégies PBI, avec une utilisation plus préventive dans la lutte contre B. tabaci,
– des variétés sélectionnées pour la résistance ou la tolérance au TYLCV et pour le contexte local (été/hiver, Hauts/Bas, microclimats…), car aujourd'hui la variété Murano est utilisée quasiment partout sous abris,
– des nouvelles techniques de lutte (lampes attractives, lampes UV répulsives, bio-insecticides, produits pour la confusion sexuelle…),
– des besoins en connaissances biologiques sur le virus, sa diversité et ses plantes réservoirs, ses mécanismes d'évolution et d'adaptation à de nouvelles plantes hôtes, son vecteur et ses mécanismes de transmission afin de lutter plus efficacement.
Conclusions
Le TYLCV a eu un impact considérable sur la culture de la tomate de l'île de La Réunion.
Arrivé à la fin des années 90, il a amplifié le transfert des cultures maraîchères de plein champ vers le hors sol, que la présence de la bactérie Ralstonia solanacearum avait déjà impulsé.
Vu le contexte agronomique et la répartition spatiale de l'insecte vecteur sur l'île, les contraintes liées au TYLCV sont vécues différemment par les agriculteurs. Les maraîchers des Bas étant les plus touchés, on assiste depuis dix ans à de plus en plus de transferts des productions de tomate vers des altitudes plus élevées.
Aujourd'hui, si la production de plein champ subit toujours des pertes considérables à cause du TYLCV, la culture sous serre bénéficie de mesures prophylactiques de plus en plus élaborées et d'un suivi technique grandissant de la part des organismes de la filière qui se structure peu à peu.
De plus, les producteurs peuvent s'approvisionner, auprès de pépiniéristes agréés par le SOC, en jeunes plants garantis élevés en conditions insect proof.
De nouvelles améliorations sont attendues afin de rendre la protection plus efficace, notamment en protection biologique intégrée et par sélection de variétés répondant aux exigences agronomiques et phytosanitaires locales.
<p>* CIRAD, UMR PVBMT, Pôle de Protection des Plantes, 97410 Saint-Pierre, Ile de La Réunion.</p> <p>** ARMEFHOR, 1, chemin de l'IRFA, Bassin Martin, 97410 Saint-Pierre, Ile de La Réunion.</p> <p>*** SCA Vivéa, 6, chemin Beau-Rivage, Pierrefonds, 97410 Saint-Pierre, Ile de La Réunion.</p> <p>**** SICA Terre Réunionnaise, 29, avenue Charles-Isautier Z.I. 3, 97410 Saint-Pierre, Ile de La Réunion.</p> <p>*** ** FDGON, Pôle de Protection des Plantes (v. ci-dessus).</p> <p>*** *** FARRE, Pôle de Protection des Plantes (v. ci-dessus).</p> <p>*** ****Chambre d'Agriculture de La Réunion, 2, chemin de l'IRAT, 97410 Saint-Pierre, Ile de La Réunion.</p> <p>**** **** DAAF-Salim de La Réunion, 1, chemin de l'IRAT, 97410 Saint-Pierre, Ile de La Réunion.</p> <p>**** *****Anses-LSV, Pôle de Protection des Plantes. Contact : Jean-Michel Lett, lett@cirad.fr; http://umr-pvbmt.cirad.fr/</p> <p>(1) CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.</p> <p>(2) ARMEFLHOR : Assocsiation réunionnaise pour la modernisation de l'économie fruitière, légumière et horticole.</p> <p>(7) La qualité phytosanitaire s'est considérablement améliorée à la Réunion avec l'apparition de pépinières agréées SOC (Service officiel de contrôle, qui accrédite les semences et est le gage de la qualité des plants).</p>
La filière tomate à la Réunion
Deux modes de production
Avec une surface de 290 ha et une production de 12 000 t, la tomate est la première culture maraîchère de l'île. La culture est pratiquée principalement en plein champ (250 ha) avec surtout des variétés de type allongé, Farmer (Known You Seed) étant la plus fréquente. La culture sous abris progresse. Actuellement, elle couvre 40 ha (13,8 % des surfaces) et produit plus de la moitié de la production totale (Figure 1). Les variétés cultivées sous abris sont la tomate ronde Synergie (Seminis) et surtout la tomate allongée Murano (Vilmorin), cœur de marché à la Réunion.
La filière : trois OP…
Avec le dynamisme de trois organisations de producteurs (OP) : la coopérative Vivéa, la Société d'intérêt collectif agricole Terre Réunionnaise (SICA TR) et la Coopérative Terre Bourbon, les serristes se sont regroupés pour s'engager vers des productions de qualité et respectueuses de l'environnement.
C'est notamment la qualification agriculture raisonnée (AR) et la protection biologique intégrée (PBI). Ces progrès ont été permis par l'appui de services techniques travaillant en synergie avec des instances de développement et de recherche (Figure 2).
… des sources de conseil multiples
Les agriculteurs bénéficient de multiples sources de conseil de la part d'organismes :
– service technique interne aux OP,
– Chambre d'agriculture pour les questions sur les itinéraires techniques en plein champ,
– ARMEFLHOR en tant que centre technique d'expérimentation,
– FDGDON(3) pour le suivi phytosanitaire via l'appui technique personnalisé (ATP, tous les 15 à 30 jours), en termes de prophylaxie, raisonnement des traitements, reconnaissance des bioagresseurs et diagnostic des agents pathogènes via la Clinique des Plantes,
– association FARRE(4) pour la promotion de l'agriculture raisonnée,
– Laboratoire de la santé des végétaux (LSV) de l'Anses(5) et Service de l'Alimentation (SALIM) de la DAAF(6), respectivement gestionnaire et évaluateur du risque phytosanitaire,
– Unité mixte de recherche Peuplements végétaux et Bioagresseurs en milieu tropical (UMR PVBMT) CIRAD-Université de La Réunion, qui regroupe des équipes du Cirad à la Réunion (basées au Pôle de protection des plantes) et de l'Université de la Réunion pour les activités recherche, transfert, enseignement et formation au service de l'agriculture tropicale.
(3) Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles.
(4) Forum de l'agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement.
(5) Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
(6) Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt.
Tableau 1 - Synthèse des principales préoccupations des producteurs de tomate sur l'île de la Réunion*.
Figure 3 - Montée en puissance de la PBI sur tomate à la Réunion.
Évolution des surfaces « contractualisées » (suivies en ATP par la FDGDON) cultivées en PBI (protection biologique intégrée) et en PLR (protection raisonnée sans lutte biologique ), et du nombre de PBIstes (producteurs en PBI) à la Réunion (source : FDGDON).