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dossier - Méthodes alternatives

Les Trichoderma, trois fois bénéfiques ?

Claude Alabouvette* et Christelle Cordier* - Phytoma - n°652 - mars 2012 - page 17

Bio-protectants, bio-fertilisants, bio-stimulants ? Un peu des trois, mais gare aux généralisations
 ph. C. Cordier

ph. C. Cordier

Portraits de Trichoderma sp. en boîte de Petri, c'est-à-dire in vitro. En médaillon en haut de page, vue générale. Ci-dessous, gros plan. Noter la dominante verte. ph. C. Cordier

Portraits de Trichoderma sp. en boîte de Petri, c'est-à-dire in vitro. En médaillon en haut de page, vue générale. Ci-dessous, gros plan. Noter la dominante verte. ph. C. Cordier

Différents aspects de colonies de Trichoderma sp sur milieu de culture gélosé. Le genre comprend des espèces, mais aussi des souches variées.

Différents aspects de colonies de Trichoderma sp sur milieu de culture gélosé. Le genre comprend des espèces, mais aussi des souches variées.

À gauche, conidiophore de Trichoderma sp. Ci-dessus, mycoparasitisme : les hyphes de Trichoderma sp s'enroulent autour de ceux de Rhizoctonia solani.

À gauche, conidiophore de Trichoderma sp. Ci-dessus, mycoparasitisme : les hyphes de Trichoderma sp s'enroulent autour de ceux de Rhizoctonia solani.

Manifestations in vitro de l'antagonisme exercé par Trichoderma sp sur des champignons pathogènes. Ci-dessus, vis-à-vis de Rhizoctonia solani, agent du rhizoctone brun. À gauche, vis-à-vis de Fusarium graminearum, agent de fusarioses des épis du blé.

Manifestations in vitro de l'antagonisme exercé par Trichoderma sp sur des champignons pathogènes. Ci-dessus, vis-à-vis de Rhizoctonia solani, agent du rhizoctone brun. À gauche, vis-à-vis de Fusarium graminearum, agent de fusarioses des épis du blé.

Les Trichoderma, outils de la santé des végétaux ? Ça fait 40 ans qu'on en parle ! Face aux discours contradictoires sur ces champignons, cet article présente le genre Trichoderma et ses modes d'action reconnus scientifiquement. Attention : modes d'action au pluriel. Il évoque leurs statuts légaux en lien avec les types de bénéfices attendus. Statuts et types au pluriel aussi. Il lutte contre la tentation facile de généraliser. Le genre Trichoderma est très diversifié, avec des souches qui ne sont ni panacées universelles ni « souches de perlimpinpin ». De plus, l'effet d'une souche donnée ne dépend pas que d'elle. Détails ci-après.

Parmi les champignons présentant un intérêt pour la lutte contre les maladies des plantes, le genre Trichoderma est certainement le plus anciennement et le plus fréquemment cité. Ainsi, lors d'un colloque consacré à la lutte biologique organisé à Lausanne en 1972, donc il y a 40 ans, il tenait déjà la vedette et une préparation à base de Trichoderma spp était déjà commercialisée en Suède.

Par la suite et pour rester en France, des collègues de l'INRA (Grosclaude, Davet, Dubost) ont, dans les années 1970-80, sélectionné des souches antagonistes, étudié leurs modes d'action et proposé leur utilisation pour lutter contre le plomb des arbres fruitiers à noyaux, les Sclerotinia, le Botrytis cinerea ou encore la mole du champignon de couche.

Il n'est donc pas surprenant que plusieurs souches de Trichoderma sp. aient été inscrites en tant que substances actives phytopharmaceutiques, à l'annexe I de la directive 91/414 avec ce qu'il est convenu d'appeler la 4e liste. Elles sont aujourd'hui « réputées approuvées » au titre du règlement 1107/2009 (Encadré 1). D'autres souches ont été déposées et l'ensemble des préparations les contenant fait actuellement l'objet d'un examen par l'EFSA.

Les Trichoderma(s) : pourquoi ce pluriel ?

Un seul genre, de nombreuses espèces

Le genre Trichoderma est facile à caractériser. Il s'agit d'un champignon deutéromycète à croissance rapide, dont le mycélium envahit très rapidement les boîtes de Petri et se recouvre de conidies unicellulaires le plus souvent de teinte jaune verdâtre à vert franc. Ces conidies unicellulaires sont formées sur des conidiophores ramifiés dont les caractéristiques permettent de définir les espèces.

En fait, il est extrêmement difficile d'identifier les nombreuses espèces de Trichoderma sur la base de critères morphologiques et seuls quelques spécialistes utilisent encore la clé proposée par Rifaï.

Aujourd'hui, fort heureusement, les caractéristiques moléculaires permettent une identification beaucoup plus sûre de ces différentes espèces. Cette identification fait appel au séquençage de certains gènes ribosomiques (ITS, 18S) et d'autres gènes comme celui codant pour le facteur d'élongation. Une base de données Tricho KEY recense ainsi toutes les séquences et permet par comparaison d'identifier une souche nouvellement isolée. L'utilisation de cet outil moléculaire a montré que de nombreuses souches avaient été mal identifiées ; c'est ainsi que plusieurs souches de T. harzianum sont aujourd'hui placées parmi les T. atroviride.

Il convient enfin de signaler que la forme sexuée des Trichoderma a été identifiée, il s'agit du genre Hypocrea. Selon les conventions internationales, il conviendrait donc de parler des Hypocrea et non des Trichoderma.

Des champignons très répandus

Les Trichoderma spp sont des champignons saprophytes extrêmement fréquents dans l'environnement, en particulier dans les sols où ils vivent aux dépens de la matière organique. Ils sont abondants dans la rhizosphère des plantes et faciles à isoler des racines et autres organes souterrains.

Ils sont également présents sur les parties aériennes des plantes, où ils peuvent coloniser les blessures comme les plaies de taille.

In vitro, sur milieu gélosé, ils se développent rapidement, sont très compétitifs et par conséquent inhibent le développement des autres microorganismes.

Il n'existe pas à proprement parler de Trichoderma pathogènes des plantes bien que certaines souches soient capables de coloniser des tissus végétaux, mais sans induire de symptômes. On parle alors de souches endophytes. En revanche, certaines souches appartenant à l'espèce T. aggressivum attaquent le champignon de couche et provoquent des dégâts dans les champignonnières.

Les modes d'action des Trichoderma spp

Les souches de Trichoderma appartenant aux espèces harzianum ou viride ont d'abord été sélectionnées et étudiées pour leurs effets antagonistes vis-à-vis de nombreux agents phytopathogènes. Leur mode d'action est complexe. Il fait appel à tous les mécanismes connus de l'antagonisme microbien : antagonisme direct (hyperparasitisme, compétition trophique, antibiose) et antagonisme indirect via la plante c'est-à-dire induction de résistance chez la plante.

Antagonisme direct : l'hyper-parasitisme...

Le parasitisme est une interaction dans laquelle un organisme se développe aux dépens d'un autre organisme vivant après avoir lui-même pénétré ou émis des structures particulières (suçoirs) qui pénètrent dans l'organisme cible. Quand un organisme parasite une cible elle-même parasite (de plante par exemple), on parle d'hyperparasitisme.

Dans le cas du parasitisme de Trichoderma vis-à-vis de Rhizoctonia solani, les hyphes de Trichoderma vont, grâce à un mécanisme de reconnaissance faisant appel à des lectines, s'enrouler autour des hyphes de Rhizoctonia ; puis grâce à une action enzymatique, les filaments de Trichoderma vont perforer la paroi des hyphes de Rhizoctonia et émettre des suçoirs qui vont pénétrer dans les hyphes de l'hôte aux dépens duquel Trichoderma va pouvoir s'alimenter. Il en résulte un affaiblissement de l'agent pathogène donc une diminution de sa capacité infectieuse.

... La compétition...

La compétition trophique s'exerce entre deux organismes qui partagent la même niche écologique et les mêmes ressources trophiques. Le plus compétitif séquestre alors à son profit les ressources disponibles, ce qui contribue à affaiblir l'autre organisme.

Dans le sol et la rhizosphère, la compétition trophique s'exerce principalement au niveau du carbone organique indispensable au développement saprophytique, mais aussi aux dépens d'autres éléments comme des acides aminés présents dans les exsudats racinaires ou des éléments comme le fer ou le manganèse.

La compétition trophique, mais aussi la compétition pour l'espace (par exemple pour la colonisation du rhizoplan), ont souvent été invoquées pour expliquer l'antagonisme de Trichoderma vis-à-vis de certains agents pathogènes. Certaines souches de Trichoderma possèdent en effet la capacité de coloniser activement les plaies de taille, ou la surface de la racine ; elles s'opposent ainsi à la colonisation de la surface des organes végétaux par les agents pathogènes et protègent les « sites » d'infection, c'est-à-dire les tissus qui constituent les portes d'entrée privilégiées pour les agents pathogènes.

... L'antibiose

L'antibiose est le mécanisme par lequel une souche antagoniste inhibe le développement d'une souche cible grâce à la production de métabolites secondaires toxiques. À la différence de la compétition trophique qui s'exerce en un même site, les substances toxiques sont susceptibles de diffuser dans le milieu. Il en résulte que l'effet d'un microorganisme agissant par antibiose ne nécessite pas la juxtaposition des deux microorganismes. L'antibiose est facile à mettre en évidence in vitro, dans des expériences de confrontation de microorganismes. Elle se manifeste alors par l'apparition d'une zone d'inhibition de croissance.

Trichoderma est bien connu pour produire de nombreux métabolites secondaires solubles ou volatils capables d'inhiber la croissance d'autres champignons. À titre d'exemple, voici une liste de métabolites secondaires produits par T. harzianum : amylases, cellobiases, cellulases, émodine, endo 1,3 β-cellulases, endo 1,3 β-glucanases, endo 1,3 β-xylanases, endo β-1-4-hydrolases, exo-glucanases, gliotoxine, griséofulvine, polypeptides cycliques (antibiotiques), protéases, suzukacilline (antibiotique), trichotoxine cyclique (antibiotique), trichodermine, trichothecine (antibiotique), β-D-xylopyranosidases, β-glucosidases.

Parmi ces métabolites secondaires, il convient de souligner l'importance des enzymes capables de dégrader les parois des cellules (CWDE Cell Wall Degrading Enzymes) auxquelles on attribue un rôle dans les interactions Trichoderma/ plantes puisqu'elles jouent le rôle d'effecteurs (cf ci-dessous).

Il faut également insister sur la famille de molécules connues sous le nom de peptaibols qui sont des polypeptides (pept) linéaires amphipathic comprenant de l'acide amino-isobutyrique (aib) et un amino alcool (ol) et qui possèdent une activité antibiotique.

Antagonisme indirect : les « MAP » l'élicitation...

Outre ces mécanismes d'antagonisme direct, les Trichoderma sont capables, comme d'autres organismes, d'induire les réactions de défense de la plante à l'origine de la résistance induite.

L'antagonisme indirect par stimulation des réactions de la plante-hôte fait appel à des mécanismes extrêmement complexes, qui impliquent la production par Trichoderma de molécules signal (MAP) reconnues par la plante, laquelle déclenche alors toute une cascade de signaux aboutissant à la production de molécules de défense qui renforcent la résistance de la plante aux bioagresseurs. Ces mécanismes d'interaction entre les microorganismes protecteurs, les agents pathogènes et la plante sont de mieux en mieux connus. On sait désormais que certains gènes peuvent intervenir dans la régulation de différentes voies de signalisation (voies de l'acide salicylique, de l'acide jasmonique, de l'éthylène) présentées, il n'y a pas si longtemps, comme indépendantes les unes des autres voire antagonistes.

Pour compliquer un peu plus la situation, il est apparu que l'élicitation des mécanismes de défense, c'est-à-dire la production par la plante de molécules de défense type PR protéines, en réponse à la perception par la plante d'un stress d'origine biotique ou abiotique, ne conduit pas nécessairement à une résistance accrue de la plante vis-à-vis des agents pathogènes.

... Et la potentialisation

L'attention est actuellement portée sur la potentialisation des réactions de défense, phénomène par lequel la plante se met en état de répondre plus rapidement et/ou plus intensément à une agression parasitaire lorsqu'elle a préalablement perçu un signal émis par un élément potentialisateur : agent de lutte biologique, substance naturelle de défense, etc. Pour l'instant, même au laboratoire, la potentialisation ne peut être révélée qu'après application de l'agent pathogène.

Pour en revenir au Trichoderma spp., de nombreuses études montrent qu'ils sont capables d'éliciter et/ou de potentialiser les réactions de défense chez de nombreuses espèces végétales. Cependant les molécules signal émises, les processus de reconnaissance et les voies de signalisation adoptées varient d'une souche de Trichoderma à une autre, d'une espèce végétale à une autre, d'un agent pathogène à un autre. Il n'est malheureusement pas possible de généraliser les connaissances acquises avec une souche donnée sur un modèle donné à d'autres souches ou à d'autres modèles.

Cette complexité des mécanismes justifie tous les efforts de sélection de nouvelles souches de Trichoderma spp. puisqu'il est illusoire d'espérer qu'une même souche sera adaptée à tous les usages.

Comment définir les effets bénéfiques des Trichoderma ?

Une situation complexe

Comme indiqué ci-dessus, les Trichoderma spp ont d'abord été étudiés pour leurs capacités antagonistes et la littérature scientifique est très riche en références dans ce domaine. Mais dès les années 70, certains auteurs signalent des effets bénéfiques sur la croissance ou le développement des plantes, comme par exemple l'augmentation du nombre ou de la taille des fleurs de crtaines espèces horticoles.

Aujourd'hui quelques souches de Trichoderma sont inscrites à l'annexe I de la directive 91/414 en tant que fongicide et les préparations correspondantes sont commercialisées en tant que préparations phytopharmaceutiques pour lutter contre les maladies des plantes.

D'autres souches sont commercialisées en France en tant que matière fertilisante avec ou sans AMM.

Enfin la souche T22 de Trichoderma harzianum, sélectionnée et étudiée aux États-Unis en tant qu'agent de lutte biologique, est inscrite à l'annexe I en tant que fongicide, mais la préparation correspondante, « Trianum », commercialisée par la société Koppert, a reçu, en France, une AMM en tant que « stimulateur de la vitalité ».

Cette situation complexe pour ne pas dire paradoxale tient à la fois à des raisons scientifiques et à des raisons réglementaires.

Raisons scientifiques

Des effets phytopharmaceutiques indéniables...

Sur le plan scientifique, il est bien établi que les Trichoderma possèdent des modes d'action variés qui contribuent à leur activité antagoniste et par conséquent en font des agents de lutte biologique. On l'a vu ci-avant, les Trichoderma produisent des métabolites secondaires nombreux et diversifiés, parmi lesquels :

– les antibiotiques et autres substances antifongiques agissent directement sur les organismes cibles alors que...

– ... les effecteurs (MAP) élicitent ou potentialisent les réactions de défense de la plante.

... à côté d'effets de stimulation de croissance

Mais d'autres métabolites secondaires sont des substances de type hormonal capables de stimuler la croissance des plantes.

Cela se traduit par une augmentation de la biomasse racinaire ou aérienne, du nombre ou de la taille des fleurs, etc.

... l'effet « phyto » peut stimuler la croissance, indirectement...

Par opposition à cette « vraie » stimulation de croissance, les Trichoderma peuvent aussi stimuler la vitalité des plantes de manière indirecte en contrôlant les activités de la microflore pathogène ou délétère présente dans la rhizosphère.

Il est évident qu'une diminution du nombre de nécroses racinaires provoquées par des champignons pathogènes va se traduire par une meilleure vitalité de la plante. Or, le système racinaire n'est accessible à l'observation qu'à condition de déraciner, donc détruire les plantes... Il est donc très difficile, au champ, de faire la différence entre une stimulation directe de la croissance liée à un effet physiologique et une stimulation indirecte due au contrôle de la microflore délétère.

... voire directement !

Enfin, les molécules signal (MAP) qui déclenchent une cascade de signaux moléculaires pouvant conduire à la résistance des plantes aux maladies peuvent également stimuler certains processus physiologiques contribuant à une meilleure vitalité de la plante.

Sur le plan scientifique, il n'est donc pas possible de dresser de frontière stricte entre les mécanismes responsables de la bio-protection, de la bio-fertilisation ou de la bio-stimulation, d'autant plus que ces différents modes d'action ne sont pas exclusifs l'un de l'autre, mais peuvent s'exprimer simultanément.

Raisons réglementaires

Réglementation « phyto » encadrée par l'Europe

Sur le plan réglementaire, le code rural fait la différence entre les matières fertilisantes et les produits phytopharmaceutiques. Ceci établit des barrières réglementaires entre des usages différents faisant appel aux mêmes modes d'action et potentiellement exprimés par une même souche de Trichoderma !

La mise sur le marché des produits phyto-pharmaceutiques est soumise au règlement européen 1107/2009, lui-même précisé par son règlement d'exécution 540/2011.

Ce règlement exige l'approbation de leurs matières actives (inclusion à l'annexe du règlement 540/2011 ; les souches de Trichoderma approuvées aujourd'hui le sont suite à leur inscription à l'annexe I de la directive 91/414 avant juin 2009). Ensuite seulement, les États membres délivrent les AMM des produits commerciaux.

Pas celle des fertilisants

La réglementation sur la mise sur le marché des matières fertilisantes n'est, pour l'instant, pas harmonisée au niveau européen. En France, les matières fertilisantes sont soumises à une homologation délivrée par le Ministère de l'Agriculture (MAAPRAT) après avis de l'ANSES.

L'obtention d'une homologation en tant que matière fertilisante est plus facile et moins onéreuse qu'une AMM phytopharmaceutique. De plus, elle est possible pour des souches non approuvées comme substances phytopharmaceutiques au niveau europén.

C'est pourquoi certains pétitionnaires choisissent l'homologation comme fertilisant pour mettre sur le marché une souche possédant aussi des activités de bio-protection.

Efficacité : tests encadrés... ou pas

Il faut rappeler que l'obtention d'une AMM « phyto » est accordée pour un ou des usages précis nécessitant de démontrer l'efficacité de la lutte contre, par exemple, les fontes de semis dues à Pythium en cultures maraîchères, le rhizoctone brun de la betterave, la sclérotiniose du colza, etc. De plus, lorsque l'usage revendiqué est la lutte contre, par exemple, les maladies du bois de la vigne (MDB), les résultats des essais de laboratoire doivent être confirmés par des expérimentations de longue durée très lourdes à mettre en œuvre au vignoble.

La démonstration d'un effet bio-fertilisant est relativement plus facile à réaliser, dans la mesure où le pétitionnaire n'est pas « prisonnier » du catalogue des usages. Il peut choisir librement le type de culture et le type de paramètre pertinents à mesurer, par exemple augmentation de la biomasse à un stade végétatif donné, augmentation du diamètre ou de la hauteur de la tige, pour établir la démonstration de l'effet revendiqué.

Cas du « stimulateur de vitalité »

Quant à la revendication de « stimulateur de la vitalité » accordée en 2009 par le ministère chargé de l'Agriculture aux préparations Trianum G et Trianum P à base de la souche T22 de Trichoderma harzianum, elle résulte de la difficulté à démontrer de façon indiscutable la revendication d'un usage phytosanitaire.

Mais par ailleurs cette souche T22 ayant été, à l'époque, inscrite à l'annexe I de la directive 91/414 dans le cadre de la réglementation phytosanitaire en tant que fongicide, il était difficile de lui accorder une homologation de matière fertilisante. Or les essais démontraient un effet de stimulation (sans doute indirecte) de la croissance des plantes. D'où le choix de cette autorisation phytopharmaceutique à intitulé original.

Qu'attendre des Trichoderma spp ?

Activité réelle, mais pas universelle

Sur le plan scientifique, il existe un grand nombre de travaux démontrant la capacité de telle ou telle souche à inhiber le développement de tel ou tel agent pathogène, d'éliciter ou de potentialiser les réactions de défense de telle ou telle espèce végétale. Les potentialités des Trichoderma en tant qu'agents de lutte biologique ne font aucun doute.

Mais il convient d'insister sur le fait que la démonstration effectuée avec une souche donnée n'est pas généralisable à l'ensemble des souches d'une même espèce et encore moins à d'autres espèces.

De la même manière, on ne peut extrapoler à d'autres agents pathogènes l'efficacité démontrée vis-à-vis d'un agent pathogène donné.

Il faut donc se garder de croire et de dire qu'une préparation à base d'une souche de Trichoderma est efficace contre un ensemble de maladies cryptogamiques sur une large gamme de cultures. Or des « industriels » peu scrupuleux ont tendance à tenir ce discours de telle sorte que les agriculteurs n'ont plus confiance dans les préparations à base de Trichoderma. Quant aux effets relatifs à la stimulation de croissance ou de vitalité, ils varient également d'une souche à l'autre et d'une espèce végétale voire dans certains cas d'une variété à l'autre.

Sans compter le facteur formulation

Pour les Trichoderma comme pour tout autre agent de lutte biologique, il faut aussi insister sur le fait que l'efficacité de la préparation dépend non seulement de la matière active (c'est-à-dire, ici, de la souche microbienne sélectionnée) mais aussi de son mode de production et notamment de formulation.

Qu'il s'agisse de bio-protection ou de bio-fertilisation, pour être efficace le microorganisme sélectionné doit s'installer et coloniser la surface, voire les tissus, de la racine ou de la tige de la plante. Les formulants utilisés doivent donc non seulement permettre sa conservation après production, mais aussi favoriser son installation là où son activité bénéfique est attendue.

Trop souvent ces aspects technologiques de la production/formulation des spécialités à base de microorganismes ont été négligés et les produits commercialisés ne répondent pas aux critères de qualité que le producteur est en droit d'attendre.

La vérité... ne pas généraliser !

Face aux polémiques dont l'usage des Trichoderma fait l'objet, il est urgent de tenir un langage de vérité.

Oui, il existe des souches de Trichoderma possédant des capacités démontrées à protéger les cultures contre certaines maladies ou à stimuler la vitalité des plantes.

Non, il n'existe pas une souche universelle capable de résoudre tous les problèmes. Cela justifie parfaitement la recherche de nouvelles souches adaptées à des usages spécifiques et, par conséquent, la mise sur le marché de préparations nombreuses pour des usages divers.

Enfin, n'oublions pas que l'efficacité d'une souche de Trichoderma, comme celle de n'importe quel autre microorganisme, dépend étroitement des conditions pédoclimatiques. Certaines souches préfèrent des sols légers à pH plutôt acide, d'autres des sols plus lourds à pH égal ou supérieur à 7, des sols plus ou moins riches en matière organique, etc.

Là encore il faut se garder de toute généralisation hâtive. Il faut renforcer l'expérimentation de terrain afin de bien définir les conditions favorables à l'emploi d'une préparation donnée et ne pas se contenter d'un essai pour conclure de façon péremptoire que : « Les Trichoderma ça marche » ou au contraire « Les Trichoderma ça ne marche pas. »

Enfin, dans le cadre d'une agriculture durable, il faut apprendre à intégrer l'usage des Trichoderma parmi les autres pratiques culturales, les associer avec d'autres microorganismes bénéfiques et/ou des traitements chimiques compatibles.

<p>* AGRENE, 47, rue Constant-Pierrot, 21000 Dijon.</p>

1 - Réglementation, le cadre « phyto »

Pour encadrer la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, biologiques compris, le règlement européen n° 1107/2009 a, le 14 juin 2011 (date de sa mise en application), remplacé la directive 91/414.

Les substances phytopharmaceutiques, microorganismes compris, qui étaient inscrites sur l'annexe 1 de la directive 91/414 sont « réputées approuvées » en vertu du règlement 1107/2009 de par son règlement d'exécution 540/2011. Elles sont listées en partie A de l'annexe de ce règlement 540/2011. Tous les pays membres de l'Union peuvent autoriser des produits contenant ces substances, chacun sur son territoire national.

Les substances qui étaient en cours d'examen pour l'inscription (dossier jugé recevable) sont en cours d'examen pour l'approbation et, en attendant la décision, autorisables provisoirement dans les États membres.

Ainsi neuf souches de Trichoderma (dont la souche T 22 de T. harzianum), qui étaient inscrites à l'annexe 1 de la directive 91/414, sont désormais réputées approuvées.

Deux autres souches (dont la souche I-1237 de T. atroviride), en cours d'examen, sont elles aussi autorisables.

Ces onze souches sont listées dans la base « pesticides » de la commission europénne. http ://ec.europa.eu/sanco_pesticides (etc.)

Résumé

Cet article fait le point sur les champignons du genre Trichoderma utilisés ou étudiés pour leurs propriétés bénéfiques à la santé des plantes.

Il présente la diversité du genre : espèces mais aussi souches.

Il explique leurs modes d'actions de type phytopharmaceutique (antagonisme avec les champignons parasites) : hyperparasitisme, compétition, antibiose, stimulation de défense des plantes par élicitation et potentialisation.

Il évoque la complexité de ces effets bénéfiques auxquels peuvent s'ajouter des actions physiologiques sur certains végétaux, puis celle de leurs statuts légaux : phytopharmaceutiques ou de matières fertilisantes.

Il met enfin en garde contre les tentatives de généralisation car :

– les résultats obtenus sur une souche de Trichoderma ne sont pas transposables à d'autres,

– aucune souche n'est bonne à soigner tous les végétaux contre toutes leurs maladies,

– leur formulation peut influencer fortement leur activité,

– de même que les conditions pédoclimatiques.

Mots-clés : Trichoderma spp., modes d'action, parasitisme, antibiose, compétition trophique, éliciteur, élicitation, potentialisation, réglementation, produit phytopharmaceutique, matière fertilisante, stimulateur de vitalité, diversité.

L'essentiel de l'offre

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