1- Femelle de Trichogramma achaeae en ponte sur des œufs de la mineuse de la tomate Tuta absoluta. Cette espèce de trichogramme, commercialisée en France depuis 2010 contre T. absoluta, nous sert de référence pour le travail rapporté ici. ph.A. Chailleux, INRA
Il y a deux mois, Phytoma évoquait la protection des cultures de tomate contre la mineuse de la tomate Tuta absoluta. Il en ressortait que, pour réussir cette protection, il fallait intégrer plusieurs moyens dont des auxiliaires parasitoïdes (Tabone et al., 2012). L'article citait le projet CASDAR « TutaPI » financé par le Ministère de l'Agriculture (2011-2013). Ce projet a pour objectif de trouver une nouvelle méthode de protection biologique efficace à des coûts raisonnables (Tabone et al., 2010b ; Tabone, 2011 ; Tabone et al., 2011). Aujourd'hui, nous présentons ses premiers résultats. Ils sont prometteurs.
La mineuse de la tomate Tuta absoluta (Meyrick 1917) (Lepidoptera : Gelechiidae), d'origine américaine (Pérou), est détectée en Europe depuis 2006 (Urbaneja et al., 2007). L'importation de tomates a été un important vecteur de son invasion (Potting, 2009).
Présente depuis 2008 en France (Batalla-Carrera et al., 2010) et dans le Bassin Méditerranéen (Desneux et al., 2010), T. absoluta s'est établie rapidement dans plusieurs régions de France entre 2008 et 2011 (Germain et al., 2009 ; Decoin, 2010 ; Szilvasi, 2010 ; Ramel, 2011).
Tuta coûte cher
La mineuse mine la PBI
Ce papillon est trouvé le plus souvent sur la tomate (Lycopersicon esculentum), sa plante hôte principale. Mais il cause aussi des dégâts sur pomme de terre (Solanum tuberosum), aubergine (Solanum melongena) et poivron (Capsicum annuum). Sur tomate les chenilles causent de forts dégâts, parfois jusqu'à 100 % de perte (Gonzalez-Cabrera et al., 2011).
L'arrivée de cette mineuse a fait exploser les coûts de production de la tomate.
En effet, cette dernière est cultivée en PBI (protection biologique intégrée) sur 80 à 90 % des surfaces en serre et 56 % sous abri (Caron 2003, source Ctifl).
Or les auxiliaires généralistes (prédateurs) utilisés en PBI n'ont qu'une efficacité partielle sur T. absoluta, et il n'y avait pas d'auxiliaires spécialistes disponibles en France jusqu'au printemps 2010.
Les insecticides ont une efficacité limitée ; de plus, ceux à large spectre menacent le système PBI (Thomas, 1999 ; Lietti et al., 2005) vu leurs effets négatifs sur les auxiliaires utilisés contre les autres ravageurs.
Les interactions entre T. absoluta et l'agrosystème (punaises prédatrices, mouches blanches, etc.) sont complexes.
Des moyens à combiner
Plusieurs moyens peuvent être utilisés en lutte biologique contre T. absoluta : insectes prédateurs, insectes parasitoïdes (larvaire ou oophage), traitements Bt (issu de la bactérie Bacillus thuringiensis) ou Spinosad (issu de la bactérie Saccharopolyspora spinosa).
En complément, les producteurs utilisent des pièges à phéromone et des méthodes préventives (Dubon, 2010).
L'association entre des traitements non dangereux pour les auxiliaires et les auxiliaires eux-mêmes (en inoculation, lâchers inondatifs ou lutte biologique par conservation) est fortement conseillée (Tabone et al., 2012). Les premiers essais combinant plusieurs méthodes de lutte ont montré des résultats encourageants (Lacordaire et Feuvrier, 2010 ; Frandon et al., 2010 ; Séguret et al., 2011 ; Trottin Y. et al., 2011).
Ainsi, les premiers essais en serre de Trichogramma achaeae ont montré l'intérêt de cet auxiliaire mais aussi de son association avec la punaise prédatrice Macrolophus pygmaeus (Frandon et al., 2010 ; Trottin et al., 2011 ; Séguret et al., 2011). Ils ont montré aussi que la lutte biologique est indispensable pour une protection durable contre T. absoluta.
Mais les solutions actuelles sont onéreuses. D'où l'idée de rechercher des auxiliaires plus efficaces et/ou moins coûteux que ceux disponibles aujourd'hui.
Parasitoïdes oophages : trichogrammes utiles, mais chers jusqu'ici
Les parasitoïdes oophages tels que les trichogrammes sont très intéressants (Tabone, 2010) car ils attaquent la mineuse au stade œuf avant apparition de dégâts (figure 1). En effet, les femelles trichogramme pondent leurs œufs dans ceux des lépidoptères ; les larves du parasitoïde se développent en consommant le vitellus de l'œuf hôte, d'où la mort de ce dernier (Stengel, 1982 ; Hawlitzky, 1992 ; Frandon & Kabiri, 1999). Li L.Y. (1994) a mentionné l'importance mondiale de ces micro-hyménoptères contre les lépidoptères nuisibles : ils sont utilisés pour la protection de plus de 32 millions d'hectares de culture (y compris la tomate) et forêt dans une cinquantaine de pays.
Depuis fin 2009, Trichogramma achaeae (photo 1, page 23) est commercialisé en lutte biologique contre T. absoluta en France (Frandon et al., 2010 ; Séguret et al., 2011 ; Trottin Y. et al., 2011). Malgré son efficacité, les fortes doses utilisées et ses coûts de production sont de réels obstacles pour le développement de cette lutte.
Recherche d'une nouvelle espèce
L'objectif de notre étude est de trouver une espèce de trichogramme plus efficace parmi plusieurs espèces, en commençant par tester celles déjà disponibles en laboratoire.
Nous avons d'abord mené un « screening », travail préalable indispensable dans la mise au point d'un programme de lutte biologique (Guo et al., 1999 ; Tabone et al., 2010a). Il a porté sur plusieurs dizaines de souches de Trichogramme provenant du monde entier, testés sur feuille de tomate avec des œufs de T. absoluta dans des conditions optimales en laboratoire (en tube).
Ceci nous permet de comparer puis de choisir les meilleures souches potentielles (meilleur taux de parasitisme).
L'idéal étant de trouver parmi celles-ci une (des) souche(s) européenne(s), si possible plus facile à produire que T. achaeae, thélytoques [=qui engendre(nt) des femelles], et que l'on puisse stocker au froid.
64 souches de 20 espèces testées
Élevages de Tuta absoluta et des trichogrammes
L'élevage de T. absoluta à l'INRA Provence-Alpes Côte-d'Azur (PACA) a été réalisé en chambre climatique à 25 ± 1 °C, RH 70 ± 5 %, L16 : D8 dans des cages d'1m3 et sur des plants de tomate biologiques âgés d'un mois environ (variété « Marmande ») (photos 2 et 3).
Les souches de parasitoïde proviennent de la collection de Trichogramma à l'INRA PACA (photo 4). Elles sont maintenues à 18 ± 1 °C, RH 70 ± 5 %, L16 : D8 depuis plusieurs générations sur des œufs de teigne de la farine, Ephestia kuehniella Zeller, utilisé comme hôte de substitution.
Avant leur utilisation, nous les avons élevées pendant plusieurs générations dans les conditions expérimentales.
Mise en présence
Soixante-quatre souches de trichogrammes appartenant à 20 espèces ont été testées.
Les expérimentations ont été menées en chambre climatique à 25 ± 1 °C, RH 70 ± 5 %, L16 : D8. Les feuilles de tomate étaient mises en présence d'adultes de T. absoluta pour la ponte. Ensuite, le nombre d'œufs de papillons (âge . 24 heures) était ajusté à environ une trentaine par feuille.
Puis une femelle de trichogramme (âgée de 12 à 24 heures) était placée dans un tube (15 x 3,2 cm) (figure 2) en présence de la feuille de tomate infestée d'œufs de T. absoluta, pendant 24 heures.
Comptages et analyses statistiques
Avant l'émergence de la nouvelle génération, le nombre d'œufs parasités (devenus noirs) était compté, ce qui nous a permis de calculer le taux de parasitisme.
Les données obtenues ont été analysées à l'aide du logiciel R. Les comparaisons multiples entre les différentes souches ont été testées à l'aide de test non paramétrique de type Kruskal-Wallis. Les comparaisons deux à deux ont été réalisées à l'aide du test Mann-Whitney.
Les résultats de fécondité moyenne sont présentés figure 3 ci-dessus, ceux d'acceptation de l'hôte figure 4 page suivante.
Quatorze souches à suivre
Parasitisme
Une différence significative de performance a été observée entre les 20 espèces de Trichogrammes étudiées (Kruskal-Wallis test, p < 0,001) (Figure 3). Par ailleurs, le nombre d'œufs parasités a été significativement différent entre les souches d'une même espèce comme chez T. pretiosum (Kruskal-Wallis test, p < 0,001) ou d'autres.
Nos résultats ont mis en évidence 14 souches ayant un parasitisme moyen équivalent ou supérieur à celui que manifeste T. achaeae (de 30 à 70 % vs 33 % respectivement) (test Mann-Whitney pour chaque comparaison deux à deux, seuil de signification à 5 %).
Ces 14 souches (codées 50 à 64) appartiennent à 8 espèces différentes dont 4 européennes. De plus, 4 de ces souches (appartenant à 3 des 4 espèces européennes) sont indigènes au sens du décret sur les auxiliaires (décret présenté p. 32). En effet, elles ont été collectées en France dans des serres où elles n'avaient pas été préalablement apportées, preuve qu'elles étaient établies sur notre territoire, quel que soit le lieu de leur différenciation passée en tant qu'espèce.
Une de ces souches a été collectée en Pays-de-la-Loire, une autre en Alsace et les deux restantes en Provence.
Proportion de femelles pondeuses
Une différence significative entre les souches a été observée pour la proportion de femelles ayant parasité au moins un œuf de T. absoluta dans nos conditions expérimentales (test G, G = 322,1, p < 0,001) (Figure 4).
Cette proportion s'étale de 0 à 100 %, ce qui met en évidence une très grande variabilité entre espèces et souches pour cette caractéristique d'acceptation de l'hôte.
Ainsi, chez 10 des 14 souches dont la fécondité moyenne est intéressante, 100 % des femelles testées ont pondu sur T. absoluta.
Le travail continue
Les premiers résultats de ce « screening » en tube en laboratoire sont très encourageants (Chailleux et al., 2011 ; Do Thi Khanh et al., 2011) pour la suite du projet TutaPI. Il ont montré qu'il est possible de trouver des souches ayant un bon parasitisme et une majorité de femelles pondeuses sur T. absoluta (i.e. bonne fécondité de la souche et bonne acceptation de T. absoluta comme hôte).
En 2012, le travail continue :
– tests en tube sur de nouvelles souches, collectées en culture de tomates en France, toujours en comparaison avec T. achaeae.
– pour les souches ayant eu les meilleurs résultats en tube (en 2011 puis en 2012), tests d'efficacité à plus grande échelle : d'abord en cage (mésocosme), puis en serre et plein champ (conditions d'utilisation).
Ces expérimentations viendront confirmer, ou non, l'efficacité des souches retenues dans des conditions plus proches des systèmes de culture.
Ces tests nous permettront également de sélectionner les souches en fonction de nouveaux critères : leur capacité de dispersion et leur résistance à des conditions climatiques variables.
<p>* INRA Provence-Alpes-Côte-d'Azur, 400, route des Chappes, 06903 Sophia Antipolis Cedex. Elisabeth.Tabone@sophia.inra.fr, hong.do@sophia.inra.fr</p> <p>** INRA Provence-Alpes-Côte-d'Azur, TEAPEA, 400, route des Chappes, 06903 Sophia Antipolis Cedex.</p>
Tuta et les températures
Même si le développement de Tuta absoluta est arrêté en hiver (entre 6 et 9 °C) (Barrientos et al., 1998), différents stades arrivent à survivre en France dans les serres chauffées (Potting, 2009). Avec l'augmentation des températures le temps de génération diminue fortement : il est 3 fois plus rapide à 27 °C qu'à 14 °C (24 jours pour un cycle complet vs 76 jours, Lacordaire & Feuvrier, 2010).
Cette rapidité de cycle, combinée à la forte fécondité des femelles de T. absoluta, explique une bonne part de la facilité qu'a ce ravageur à pulluler sous serre.