On ne présente plus la mineuse de la tomate Tuta absoluta. Cette teigne connue pour s'attaquer à tous les stades phénologiques de la tomate (Griepink, 1996) cause d'importants dégâts sur feuilles, fleurs, tiges et fruits (Filho et al., 2000). En Tunisie, où la mineuse est très nuisible, un test de protection intégrée a donné de bons résultats. En associant trois moyens de lutte.
Tester la protection intégrée, pourquoi, comment
Pourquoi : ravageur nuisible, lutte difficile
Tuta absoluta (Meyrick) est un microlépidoptère considéré, à juste titre, comme le ravageur-clé de la culture de tomate dans les pays sud américains comme l'Argentine et le Brésil (Silva et al., 1998). Il a envahi la zone méditerranéenne et est signalé en Espagne, Algérie, Maroc et Tunisie (EPPO, 2007 ; Urbaneja, 2007 ; Guenaoui, 2008 ; Chermiti et al., 2009). L'agressivité de ce ravageur vis-à-vis de la tomate, conjuguée à un potentiel élevé et une aptitude à développer une résistance à de nombreux insecticides (Lietti et al., 2005) engendre des contraintes difficiles à résoudre pour la commercialisation et l'exportation de ce légume.
La stratégie associant prédateurs et parasitoïdes au sein d'une lutte intégrée réussit à contenir les populations du ravageur dans son aire de distribution originelle (Mirranda et al., 2005 ; Mollà et al., 2009). Par ailleurs des expériences de protection basées sur l'emploi non raisonné d'insecticides ont contribué à une baisse d'efficacité de la plupart des matières actives autorisées contre T. absoluta (Lietti et al., 2005). Cela nous a conduit à tester la protection intégrée.
Comment : un travail grandeur nature
L'étude a été menée dans une parcelle de tomate de plein champ (variété Amel à croissance indéterminée), d'une superficie de 1,7 ha pour 50 000 plants et située dans la région de Raggueda, à 6 km de Kairouan. Le repiquage a été fait le 19 mars et le tuteurage un mois plus tard.
Pièges, auxiliaires, produits compatibles
22 pièges à eau « Tutasun »(1) appâtés aux capsules à phéromones sexuelles de la marque « Pherodis »(1) ont été installés sur deux lignes parallèles le 26 mars. Leur nombre est porté à 38 le 28 avril. Les capsules ont été renouvelées le 27 mai.
Un piège à phéromone sexuelle de type « Mc Phail » a été installé le 5 mai pour prévoir les risques d'attaque de la noctuelle de la tomate Heliothis armigera Hübner. La capsule à phéromone sexuelle « Agrisens » a été renouvelée toutes les 5 semaines.
Le lâcher de 19 000 adultes de Nesidiocoris tenuis(1) a été effectué le 25 avril, soit 5 semaines après le repiquage, de manière homogène, soit environ 1,1 individu/m².
Pour améliorer la pollinisation et la qualité des tomates, deux ruches de bourdons Bombus terrestris type « Tripol »(1) ont été disposées dans la culture. Chaque ruche contenait trois colonies de bourdons (350 à 400 individus par ruche).
L'application de pesticides a été réduite au maximum, seuls des produits sélectifs ont été utilisés : Avaunt (indoxacarbe), Obéron (spiromesifen) et Bactospéine (Bacillus thuringiensis).
Comptages et observations
Les observations, hebdomadaires, se sont échelonnées du 25 avril au 14 juillet 2009.
Le plan d'échantillonnage a été totalement randomisé avec prélèvement hebdomadaire d'une feuille par plant sur 120 plants, la feuille étant prélevée dans la partie apicale du plant qui est le site préférentiel de ponte de T. absoluta (Silva et al., 1998 ; Leite et al., 1999). Les dénombrements des stades de T. absoluta et de N. tenuis et du nombre de galeries du ravageur sont réalisés sous loupe binoculaire au laboratoire.
Résultats
Adultes, piégeage de masse notable, larves, dynamique de population maîtrisée
Après des captures faibles sur les deux premières semaines de mai (pas plus de 16 papillons par piège, signe d'un faible niveau de population du ravageur), on note une brusque augmentation avec 144,5 captures le 25 mai, probablement imputable aux fortes températures observées à cette période à Raggueda. Puis une légère chute des captures est observée, avant une reprise fin juin-début juillet avec 172 mâles piégés le 6 juillet, une semaine avant la fin de la culture (Fig. 1).
L'analyse de l'évolution des populations de T. absoluta (Fig. 2) montre la présence de larves âgées (L4) entre le 28 avril et le 12 mai (5e et 7e semaines après le repiquage). Ceci prouve la présence du ravageur avant le début des observations, imputable à une infestation de tomate d'arrière-saison de la campagne précédente.
La densité des œufs est très faible, voisine de 2-3 œufs pour 100 feuilles durant tout le mois de mai, puis elle passe à 10 œufs/100 feuilles début juin.
Les larves du 1er et du 2e stade (L1 et L2) présentent des effectifs très faibles ne dépassant pas 3 larves pour 100 feuilles.
Lutte biologique par lâcher de prédateurs
Le 25 avril 2009, 19 000 adultes de N. tenuis ont été lâchés dans la parcelle. Le 12 mai, soit 19 jours plus tard, la présence du prédateur est constatée : 2 adultes pour 100 feuilles. Le 18 mai, on observe les premières larves : un effectif de 8 larves/100 feuilles atteste de l'installation réussie du prédateur. Sa densité est de 20 larves/100 feuilles du 26 mai au 9 juin. À partir du 9 juin, l'effectif des larves de N. tenuis augmente considérablement pour dépasser 100 individus /100 feuilles le 23 juin 2009 et atteindre 238 individus/100 feuilles le 6 juillet (Fig. 3). La semaine suivante, on note une diminution (86 individus/100 feuilles), baisse qui perdure ensuite, imputable vraisemblablement aux fortes températures estivales supérieures à 33 °C accompagnées d'une hygrométrie faible. L'action de ce paramètre sur le potentiel biotique de N. tenuis a été très bien précisée par Sanchez et al. (2008) qui ont noté les taux de mortalité les plus élevés pour des températures voisines de 35 °C. La présence d'adultes du prédateur est très délicate à évaluer à partir du prélèvements de jeunes feuilles car ils s'envolent rapidement dès que l'expérimentateur s'approche.
Quatre traitements insecticides seulement
Les trois interventions à base d'indoxacarbe seul ou de Bt + indoxacarbe, effectuées les 7 et 27 mai et le 7 juin pour lutter contre Heliothis armigera, et le traitement au spiromesifen contre Aculops lycopersici le 18 mai n'ont pas affecté la population de N. tenuis (Fig. 3). Ceci confirme les travaux de Alomar et al. (2002) et Arno et al. (2006).
Les deux premiers produits sont classés comme peu nocifs contre N. tenuis (Anonyme, 2009).
Conclusion
Cet essai de lutte intégrée au moyen d'un piégeage de masse (20 pièges/ha), d'un lâcher de 19 000 N. tenuis pour 1,7 ha et de seulement 4 traitements insecticides a montré qu'on peut contrôler ainsi les populations de T. absoluta, le taux d'infestation des feuilles de tomate ne dépassant pas 14 % et le nombre de galeries par feuille restant inférieur à 5 mines/100 feuilles (Fig. 4) avec des dégâts négligeables à la récolte.
Les captures massives de mâles réduisant considérablement les accouplements donc les pontes de T. absoluta, il reste à préciser les conditions d'emploi de N. tenuis tels que la densité seuil de T. absoluta nécessitant un lâcher, ainsi que la dose et l'époque de celui-ci.
<p>(1) Les pièges à phéromones, adultes de <i>N. tenuis</i> et bourdons ont été fournis par la société Koppert.</p>
Fig. 1 : Mâles de T. absoluta piégés
Évolution des captures de mâles de T. absoluta en culture de tomate plein champ dans la région de Raggueda. (RP = renforcement des pièges ; RC = renouvellement des capsules).
Fig. 2 : Population de T. absoluta maîtrisée
Dynamique des populations de T. absoluta en tomate plein champ dans la région de Raggueda. (RP = renforcement des pièges ; RC = renouvellement des capsules).
Fig. 3 : Population de N. tenuis installée
Dynamique de la population de N. tenuis en tomate plein champ, région de Raggueda. (In = indoxacarbe, Ob = spiromesifen (Obéron), Bt = Bacillus thuringiensis).