La sharka due au PPV, Plum Pox Virus, constitue une contrainte majeure pour la filière des fruits à noyau. Cette grave virose, présente en France depuis les années 60, continue de se propager à l'échelle mondiale. Voici le point sur les avancées récentes de la recherche concernant le virus et le fonctionnement des épidémies, ainsi que les stratégies de lutte.
Une grave maladie
Tant de fruits et de pays
La virose de la sharka est une grave maladie des espèces fruitières à noyau (Prunus), comme l'abricotier, le pêcher, les pruniers et, pour au moins une souche virale, le cerisier. Certaines espèces ornementales et sauvages (myrobalan, prunellier) sont aussi sensibles et peuvent occasionnellement constituer des réservoirs de virus.
La maladie provoque sur les espèces fruitières cultivées une perte de rendement et de qualité des fruits : nécroses internes, baisse de teneur en sucre, déformations (photo), chute des fruits.
Décrite pour la première fois en Bulgarie avant la Première Guerre mondiale, la virose est aujourd'hui présente dans la majorité des pays producteurs de fruits à noyau : ensemble de l'Europe (prévalence variant d'un pays à l'autre), pourtour du bassin méditerranéen, Moyen- et Proche-Orient, Amérique (USA, Canada, Chili, Argentine), Asie (Chine, Kazakhstan, Pakistan, Japon).
Un impact économique considérable
L'agent responsable de cette maladie, le Plum Pox Virus, est un organisme de quarantaine à l'échelle européenne ainsi que dans de nombreux autres pays à travers le monde. La réglementation en vigueur vise à prévenir l'introduction de la maladie via la circulation de matériel végétal contaminé.
L'impact économique de cette virose est considérable, soit directement par les dégâts qu'elle occasionne sur la production fruitière, soit indirectement du fait des actions de lutte visant à l'éradiquer ou du moins à limiter son impact.
C'est ainsi que des actions de grande envergure ont été menées pour tenter d'éradiquer la maladie dans les pays où son introduction est relativement récente et géographiquement limitée (USA, Canada, Japon...). D'autres pays comme la France, l'Italie ou l'Espagne cherchent plutôt à limiter sa prévalence ou à éviter l'installation de nouvelles souches virales.
Le coût mondial de cette maladie sur la période 1975-2005 a été estimé à plus de 10 milliards d'euros (Cambra et al., 2006).
Diversité génétique du virus et impact épidémique
Une forte diversité génétique
Le génome du virus de la sharka est composé d'un simple brin d'ARN d'environ 10 000 nucléotides de long et codant une grande polyprotéine secondairement maturée en 10 protéines multifonctionnelles.
On a récemment identifié un second cadre de lecture générant une petite protéine additionnelle dite P3N-PIPO (Fig. 1A).
Dans le cadre du programme SharCo (programme de recherches européen sur la sharka), une très large collection d'isolats viraux venant de toute l'Europe mais aussi d'autres régions du monde a été constituée et utilisée pour une analyse détaillée de la diversité génétique du virus par séquençage partiel ou complet de son génome. Les données obtenues confirment l'existence d'au moins 7 souches virales distinctes (Fig. 1B) dont 3 particulièrement fréquentes en Europe : souches PPV-M et PPV-D (seules souches détectées en France) et souche recombinante PPV-Rec dont le génome est une mosaïque des deux souches précédentes.
Les autres souches présentent une distribution géographique plus restreinte : il s'agit des souches PPV-T (souche recombinante présente en Turquie), PPV-W (détectée en Lettonie, Russie et sur du matériel importé au Canada), PPV-C (présente en Moldavie, Russie, Biélorussie et probablement, de façon sporadique, dans quelques pays d'Europe centrale) et enfin PPV-EA (connue seulement en égypte). D'autres souches ou variants distincts identifiés durant ce projet sont en cours de caractérisation. Ces travaux révèlent une diversité génétique du PPV intra-souche (divergence nucléotidique jusqu'à 5 %) et inter-souches (divergence jusqu'à 25 %) bien plus importante que celle soupçonnée initialement.
Ils permettent aussi d'avancer de façon significative dans la compréhension de l'histoire évolutive de ce virus.
Il est en effet aujourd'hui évident que la recombinaison (génération de nouveaux génomes hybrides par échange de fragments génomiques entre isolats distincts) a joué un rôle très important dans l'évolution du PPV (Glasa et al., 2011). Le risque de recombinaison inter-souches est maximal si plusieurs souches co-circulent à fréquence élevée dans les espèces sensibles, créant les conditions d'infection mixte nécessaires au phénomène de recombinaison. Le maintien d'une situation sanitaire maîtrisée est donc primordial pour éviter de favoriser de tels événements.
Des conséquences épidémiques encore mal connues
Les conséquences épidémiques de cette forte diversité génétique, information essentielle pour la gestion du risque sanitaire, ne sont que partiellement connues.
À ce jour, les données disponibles concernent essentiellement les trois souches les plus fréquentes (PPV-M, PPV-D et PPV-Rec). Il est établi que la souche PPV-M est particulièrement épidémique notamment sur pêcher, alors que les souches PPV-D et PPV-Rec sont essentiellement à l'origine d'épidémies sur abricotiers et pruniers.
Mais il semble que certains isolats PPV-D puissent être efficacement disséminés en vergers de pêchers dans certains contextes agroécologiques (Dallot et al., 1998 ; Schneider et al., 2011).
Le potentiel épidémique des autres souches est largement inconnu, à l'exception de PPV-C, seule souche capable d'infecter les cerisiers de façon systémique.
SharCo en réponse à ces manques
Les raisons de ce manque de connaissances précises sont multiples :
– d'abord, le potentiel épidémique résulte d'interactions complexes entre un isolat viral et les populations de plantes hôtes et de vecteurs dans un environnement donné ;
– ensuite, les dispositifs expérimentaux permettant de caractériser en conditions contrôlées les interactions plante/virus/vecteur sont lourds et complexes à mettre en œuvre et imparfaitement adaptés à l'étude de virus de plantes pérennes ligneuses ou d'agents de quarantaine (expérimentations en cellules climatiques NS3 présentant un niveau de confinement maximal).
Un des objectifs du programme SharCo est d'améliorer cette situation en développant de nouvelles approches et outils, allant de l'analyse fine des déterminants génétiques du pouvoir pathogène à la caractérisation expérimentale d'indicateurs biologiques pertinents et à la réalisation d'enquêtes épidémiologiques dans les pays où les diverses souches en question sont déjà présentes dans différents contextes agro-écologiques.
L'objectif, à terme, est de disposer d'outils permettant de préciser le potentiel épidémique de tel ou tel variant dans un agro-écosystème donné.
Des outils de diagnostic et d'identification des souches de plus en plus puissants
Du GF305 à la PCR
Une large gamme d'outils, de sensibilité et de spécificité variables, est disponible pour la détection, le diagnostic et l'identification des souches de PPV. Ces outils incluent :
– l'indexage sur plantes sensibles (généralement des semis de pêcher 'GF305'),
– les tests sérologiques (détection via des anticorps polyclonaux et monoclonaux),
– les tests moléculaires (amplification du génome viral par PCR classique ou quantitative, séquençage).
Le choix de la technique à utiliser dépend du type de matériel à tester (greffons en dormance, arbres donneurs de greffons, plants de pépinières, arbres en verger) et des objectifs (détection, typage et/ou caractérisation des souches).
Les méthodes de détection en laboratoire ont fortement évolué et se sont diversifiées ces dernières années avec l'évolution des techniques de biologie moléculaire permettant un accès facilité au génome viral.
Méthodes sérologiques (ELISA)
Les méthodes sérologiques ELISA sont toujours couramment employées vu leur très bonne sensibilité (Capote et al., 2009) et leur large spectre de détection : en effet, des anticorps polyclonaux et l'anticorps monoclonal 5B-IVIA reconnaissent l'ensemble des souches décrites à ce jour.
Des anticorps monoclonaux peuvent aussi être utilisés pour typer certaines souches virales mais ils doivent être utilisés avec précaution. Par exemple, l'anticorps monoclonal AL réputé spécifique de la souche PPV-M ne permet pas de différencier les souches PPV-M, PPV-Rec et PPV-T (Serce et al., 2009 ; Glasa et al., 2004). De même, les anticorps 4DG5 et 4DG11, spécifiques du PPV-D, ne permettent pas de reconnaître tous les isolats de cette souche et reconnaissent certains isolats de PPV-T (Candresse et al., 2011).
Tests moléculaires (PCR)
Il existe de nombreux protocoles de diagnostic basés sur la PCR conventionnelle ou la PCR quantitative, qui proposent différentes alternatives rapides et simples à l'extraction d'acides nucléiques pour une mise en œuvre facilitée (Olmos et al., 2006).
Le gain de sensibilité apporté par la PCR quantitative permet la détection du virus tout au long de l'année, notamment à partir de bourgeons prélevés sur du matériel en dormance, ainsi que sur des pools d'échantillons de pépinière ou de verger (Vidal et al., 2011). La contrepartie de cette sensibilité est le risque de faux positifs. Pour les limiter, ces analyses doivent être réalisées par des laboratoires agréés respectant strictement les bonnes pratiques telle la procédure de « marche en avant » dans le traitement des échantillons.
Plusieurs protocoles ont été développés pour identifier certaines souches de PPV, en PCR classique par l'utilisation d'amorces spécifiques ou en PCR quantitative (Olmos et al., 2006).
La caractérisation fine des isolats, qui peut contribuer à tracer les filières de contamination, nécessite le recours au séquençage (partiel ou complet) du génome viral et est de plus en plus souvent pratiquée.
Des avancées dans la compréhension du fonctionnement épidémique
Un virus transmis naturellement par de nombreuses espèces de pucerons
Outre la transmission du virus lors de la multiplication végétative de matériel contaminé, le PPV, comme de nombreux autres virus de plantes, est transmis par des pucerons. On dénombre plus d'une vingtaine d'espèces de pucerons vectrices (Labonne et al., 1995). Les pics de vols ont lieu vers mai-juin (Figure 2). La majorité de ces pucerons ne forment pas de colonies sur les Prunus.
Une transmission selon le mode non persistant, insecticides inopérants
Le mode de transmission est de type non-persistant. Ceci se caractérise par un processus d'acquisition-transmission très bref (de l'ordre de la minute). L'accrochage du virus se fait à la surface des stylets maxillaires des pucerons sur des récepteurs en cours de caractérisation (Uzest et al., 2007). Le virus reste infectieux peu de temps sur le puceron et est perdu après quelques piqûres.
Il est éliminé durant les mues lors du renouvellement des stylets. Ainsi, peu après la mue imaginale, les pucerons ailés qui s'envolent alors sont en général non infectieux faute de nouvelle piqûre sur la plante hôte.
Un résultat de ce processus rapide d'acquisition-transmission est l'absence d'effet notable des insecticides : d'une part, les colonies présentes sur les arbres sont négligeables dans la dissémination et, d'autre part, le temps d'action des insecticides est trop long pour empêcher le processus d'acquisition-transmission par les pucerons visiteurs.
Des distances de dispersion essentielles à connaître
La dissémination du virus intervient lorsque les pucerons ailés sont à la recherche d'une plante hôte, un comportement commun à toutes les espèces de pucerons. Au cours de cette phase, des piqûres d'essai rapides permettent aux pucerons ailés de « goûter » les plantes pour les reconnaître ; ils passent d'une plante à une autre avant de trouver celle qui leur convient. Il s'agit donc en majorité de vols courts entre plantes proches, éventuellement allongés par des turbulences de vent.
La fonction de dispersion (fréquence relative de dissémination à différentes distances) du virus par les pucerons est importante à connaître, notamment pour optimiser la gestion de la maladie : distances de surveillance et de protection des pépinières par exemple... Mais elle est particulièrement difficile à estimer précisément, les trajectoires des pucerons infectieux ne pouvant pas être directement suivies.
Les distances de dispersion du virus doivent donc être déduites de la répartition spatiale des cas de maladie. Les données publiées concernent essentiellement la répartition spatiale d'arbres infectés par des isolats des souches PPV-M et PPV-D à l'échelle du verger (ou de vergers contigus), dans divers contextes agro-écologiques. Elles suggèrent des distances moyennes de dissémination de quelques dizaines de mètres et des distances maximales de quelques centaines de mètres tout au plus (Dallot et al., 2003, 2004 ; Gottwald et al., 1995).
Les recherches actuelles visent à préciser cette fonction de dispersion par différentes approches. Il s'agit d'abord de considérer une échelle spatiale plus en adéquation avec les distances possibles de vol des pucerons. Pour cela, le recours à un système d'information géographique (SI G) est nécessaire pour cartographier précisément les arbres malades et gérer les informations issues des prospections à l'échelle de grands ensembles de vergers.
Ces approches sont compliquées par l'absence d'informations sur la date d'infection des arbres, sur la durée, potentiellement variable, de la latence (temps écoulé entre le moment où l'arbre est infecté et le moment où il devient lui-même infectieux) et sur la fréquence des introductions d'inoculum primaire (le plus souvent par plantation ou sur-greffage de matériel contaminé).
Exploiter d'autres sources d'information
Une approche complémentaire vise à exploiter l'information portée par le génome viral pour reconstruire les chaines de transmission du virus entre les arbres, dans et entre les vergers.
En effet, le PPV, comme tous les virus à ARN, présente une vitesse d'évolution rapide, ce qui permet de reconstruire les relations généalogiques entre les séquences virales à l'échelle d'une épidémie.
En combinant cette information génétique à d'autres informations d'ordre épidémiologique comme la distance entre les cas de maladie, il devrait être possible d'obtenir une estimation plus précise de la fonction de dispersion du virus. On pourrait ainsi apporter des informations sur la fréquence et l'impact des événements d'introduction d'inoculum primaire.
Pourquoi modéliser le développement épidémique de la virose
L'intuition ne suffit pas
Le développement d'une épidémie résulte d'interactions complexes entre de nombreux processus biologiques impliquant les populations de virus, de plantes hôtes et de pucerons vecteurs dans un paysage agricole donné. Les interventions humaines (introduction d'inoculum, arrachages des arbres contaminés...) impactent ces processus biologiques. Du fait de ces multiples interactions, l'identification de stratégies optimales de surveillance et de lutte n'est pas intuitive.
Modéliser à l'échelle d'un territoire pour optimiser les stratégies de surveillance et de lutte
Dans ce contexte, la modélisation est extrêmement utile pour :
– estimer la valeur de certains paramètres importants difficilement accessibles par l'expérimentation en conditions contrôlées : durée de la latence, fonction de dispersion, sensibilité de la détection des arbres malades, etc.,
– tester l'impact de différentes stratégies de gestion en simulant sur ordinateur le développement spatio-temporel d'épidémies dans un paysage agronomique réaliste.
Les résultats obtenus devraient permettre de faire progressivement évoluer l'arrêté national de lutte vers un optimum, en termes épidémiologiques mais aussi humains et financiers.
Progrès génétiques, vers des variétés résistantes
Face à la propagation et l'installation du virus dans nombre de régions à vocation fruitière, l'utilisation de cultivars de pêchers, abricotiers et pruniers résistants au virus de la sharka apparaît comme le meilleur moyen de contenir le PPV en pépinières et en vergers et de limiter son impact sur la production fruitière.
Des travaux entrepris à l'INRA il y a plus de 20 ans ont permis d'identifier quelques sources de résistance au PPV chez les Prunus.
Face aux difficultés, la SAM entre en scène
Plusieurs difficultés sont apparues dans l'exploitation de ces sources à des fins de création variétale :
1°) Ces sources de résistance ont été trouvées chez des espèces sauvages apparentées ou chez des cultivars mal adaptés aux conditions de culture françaises ;
2°) l'évaluation phénotypique est particulièrement lourde, du fait de l'encombrement des plants et de la variabilité dans l'expression de symptômes ; cette dernière impose de tester plusieurs fois chaque génotype sur plusieurs cycles de végétation pour obtenir des résultats fiables ;
3°) les premiers résultats obtenus ont démontré le caractère polygénique de ces résistances et donc leur complexité de mise en œuvre.
Dans ce contexte, la création de variétés résistantes à la sharka est particulièrement longue et difficile. Elle pourrait être accélérée par la mise en œuvre d'une sélection variétale assistée par marqueurs (SAM). Cette sélection sera d'autant plus efficace que des marqueurs proches des gènes de résistance ou d'autres gènes d'intérêt agronomique auront été identifiés.
De la SAM à l'obtention de variétés résistantes
Le consortium européen « SharCo » a mis en place avec succès cette approche dans le cadre de la sélection d'abricotiers résistants au virus de la sharka.
Plusieurs géniteurs dont les cv. Goldrich, Stark Early Orange, Harlayne, Orange Red, NJA-2 sont utilisés en Europe pour introduire la résistance au PPV dans des variétés adaptées localement. L'utilisation combinée de quatre marqueurs moléculaires (Soriano, Domingo et al., 2012) ; Decroocq, Lambert et Audergon, en préparation) permet d'éliminer rapidement les individus sensibles pour concentrer les efforts sur les individus résistants qui sont ensuite évalués pour leurs propriétés agronomiques et fruitières. Au terme de cette évaluation, les meilleures sélections font l'objet d'un criblage en serre pour éliminer les derniers matériels sensibles et valider la résistance attendue. Une première variété d'abricotier résistante à l'infection virale, 'Shamade' (photo ci-contre) est en cours d'homologation (obtention INRA et CEP Innovation).
Elle est issue d'un croisement entre le parent résistant 'Stark Early Orange' et la variété Bergeron. Son comportement agronomique a été étudié en verger et se prolonge dans le cadre de la Charte nationale d'expérimentation fruitière. La robustesse de la résistance est en cours de validation ; ses qualités agronomiques sont actuellement évaluées en vergers dans le cadre d'un projet financé par FranceAgriMer.
Pêcher, c'est plus compliqué
Chez le pêcher et le prunier, la situation est plus complexe. Aucune source de résistance au PPV n'a pu être identifiée chez le pêcher (espèce taxonomique Prunus persica L. Batsch). Dans le passé, certaines variétés ont été décrites comme résistantes à l'infection par le PPV, essentiellement à des isolats de la souche D (Martinez-Gomez, Rubio et al., 2004). Néanmoins, ces mêmes cultivars se sont révélés sensibles lors de l'inoculation avec la souche M (Eyquard et Decroocq, observation personnelle). Plus remarquable est l'identification de résistances au PPV chez les espèces apparentées au pêcher, notamment Prunus davidiana (Pascal, Kervella et al., 1998) et l'amandier (Prunus dulcis) (Pascal, Pfeiffer et al., 2002).
L'utilisation de ces sources de résistance aux fins de création variétale chez le pêcher exige le développement d'outils moléculaires plus performants et spécifiques afin d'accélérer les plans de croisement nécessaires pour revenir à des caractéristiques agronomiques intéressantes après l'étape d'hybridation interspécifique (Marandel, Pascal et al., 2009 ; Rubio, Pascal et al., 2010).
Prunier, utiliser l'hypersensibilité pour contrôler le virus ?
Chez le prunier domestique, aucune résistance totale à l'infection par le PPV n'a été démontrée à ce jour.
Des variétés présentant peu ou pas de symptômes sur fruits (Cacanska lepotica', Cacanska najbolja') ont par contre largement remplacé les variétés sensibles dans les vergers d'Europe de l'Est et des Balkans où la sharka est endémique.
Plus récemment, il a été montré qu'il existe chez le prunier domestique un autre type de résistance, comme par exemple dans la variété 'Jojo', obtention de l'Université de Hohenheim en Allemagne.
Ce type est basé sur la limitation de la propagation du virus en vergers par réaction d'hypersensibilité (Kegler et al., 1998 ; Hartmann et Neumüller, 2006). Dans ce cas, le virus est capable de se multiplier localement mais la plante réagit par des réactions de nécrose qui empêchent complètement la diffusion du virus dans l'arbre.
Des croisements entre la variété 'Jojo' et le prunier d'Ente ont été obtenus à l'INRA de Bordeaux (UMR BFP). Une dizaine d'individus issus de ces fécondations contrôlées ont été sélectionnés pour leur réaction d'hypersensibilité lors d'inoculations par greffage et pour leur résistance à la sharka après inoculation naturelle par pucerons. Leurs caractéristiques fruitières et agronomiques sont en cours d'évaluation, en partenariat avec le Bureau interprofessionnel du pruneau (BIP).
Cependant, la possibilité de développer des variétés résistantes à la sharka à partir de ces variétés hypersensibles est fortement contrainte par la complexité du génome du prunier (hexaploïde) et par la biologie de l'espèce (temps de génération de 6 à 8 ans). Ces propriétés compliquent en particulier les études du déterminisme génétique de la résistance au PPV chez le prunier domestique et, de ce fait, ralentissent le développement de variétés résistantes au PPV adaptées aux conditions locales de culture.
Une alternative pourrait être de faire appel à des techniques de biotechnologie (transgénèse), cas de la variété 'HoneySweet' en cours d'homologation aux états-Unis. Mais en Europe cette approche se heurte à la réticence des consommateurs face aux plantes génétiquement modifiées.
Génome séquencé
Il apparaît donc, dans l'état actuel des connaissances, que l'utilisation optimale des quelques sources de résistance disponibles chez les arbres fruitiers à noyaux oblige à développer des outils moléculaires pour la sélection assistée par marqueurs et à améliorer les technologies de transfert de gènes de résistance entre espèces.
Dans ce contexte, le séquençage complet du génome du pêcher (www.rosaceae.org) et sa mise à la disposition de la communauté scientifique en 2010 devraient permettre d'accélérer le processus de création de variétés résistantes à la sharka, comme illustré par le premier succès sur abricotier.
Conclusion
Par ses caractéristiques biologiques, le virus de la sharka est très nuisible et particulièrement difficile à contrôler. C'est sans conteste le virus le plus dommageable et le plus préoccupant sur les espèces fruitières.
Au cours des quarante dernières années, les efforts des chercheurs de l'INRA et d'autres instituts dans le monde ont permis de réaliser des progrès très importants dans la connaissance de ce virus, sa détection, la compréhension de certains éléments de son épidémiologie. La maîtrise durable de la sharka n'en reste pas moins un définécessitant la mobilisation à long terme de tous les acteurs : producteurs et pépiniéristes, techniciens agricoles et instituts techniques, services et fédérations professionnelles en charge de la protection des végétaux et de la surveillance (FEDON, FREDON), chercheurs.
Grâce à la continuité et à l'intensité de ses efforts, l'INRA a, au fil des ans, acquis une légitimité et une visibilité internationale incontestables dans ce domaine. Cela lui a permis de fédérer les efforts des scientifiques européens dans le programme européen SharCo du 7e PCRD. Ce projet d'une ampleur sans précédent, réunissant 18 équipes européennes, a permis d'amplifier et accélérer les recherches.
Il débouche aujourd'hui sur plusieurs avancées scientifiques majeures. Le combat n'est pas gagné pour autant, et il faudra encore de nombreuses années d'efforts pour transférer ces avancées et pour qu'enfin la sharka ne soit plus une contrainte importante.
Figure 1 - Le PPV, portrait (A) et famille (B)
A. Organisation génomique du PPV. Le génome viral est composé d'un simple brin d'ARN codant pour une grande polyprotéine clivée en plusieurs protéines multifonctionnelles. Il présente une protéine VPg à son extrémité 5' et une queue poly-adénylée en 3'. Un petit cadre de lecture chevauchant la protéine P3 code la protéine additionnelle PIPO récemment découverte.
B. Arbre phylogénétique représentant les relations entre les différentes souches de PPV. Cette représentation est basée sur la comparaison des séquences nucléotidiques du génome complet du PPV selon la méthode des distances. Le nom des souches est indiqué en caractères gras.
Figure 2 : Vols saisonniers de pucerons (plusieurs espèces en jeu) et prospections visuelles.
L'inspection visuelle des symptômes de Sharka sur différents types d'organes (fleurs sur certaines variétés de pêcher, feuilles, fruits et rameaux de pêcher dans certaines régions en hiver) est utilisée en France dans le cadre de la lutte obligatoire contre la virose pour repérer les arbres contaminés dans les vergers. Il est important de pouvoir éliminer les arbres infectieux avant les pics d'activité de vol des pucerons qui assurent la dissémination du virus. Dans le sud de la France, ce pic correspond majoritairement à la période de la mi-avril jusqu'à fin juin. La détection sur fleurs permet ainsi de limiter la transmission si les arbres sont détruits dans les quelques jours qui suivent leur détection. La prospection sur feuilles se fait en revanche pendant de cette période d'activité maximale des pucerons, d'où l'importance de supprimer les arbres dès leur détection. La prospection sur fruits et sur rameaux en hiver permet d'éliminer les arbres non découverts plus tôt dans la saison mais ces arbres ont très probablement déjà participé à la progression de la maladie au cours de la saison. La surveillance visuelle est peu efficace ou inefficace dans certaines situations : observations sur feuilles en conditions estivales, variétés ou espèces exprimant peu de symptômes mais infectieuses, surveillance de matériel spécifique (arbres donneurs de greffons, plants en pépinières, greffons importés ou non). Dans ces cas, le recours au diagnostic sérologique et moléculaire est indispensable.