Le terme de qualité sanitaire des grains évoque la sécurité des stocks destinés à la consommation. Mais il y a aussi ceux réservés à la production des semences. En effet, leur état peut influencer celui de la récolte future, transformée les années suivantes.
p. 20, Carie commune
Une revenante qui peut et doit rester fantôme
C'est le cas pour la carie commune du blé. Causée par deux espèces voisines de champignons, Tilletia caries et Tilletia foetida, la maladie ne fait guère courir de risque sanitaire aux consommateurs français. Non qu'elle ne puisse être toxique. Mais, aux taux où elle pourrait commencer à l'être, elle a le bon goût de dégager une odeur... caractéristique. Cela suffit à faire diagnostiquer sa présence et à faire éliminer les lots de blé atteints. Ainsi, son incidence est, d'abord, économique : destruction de lots.
Cette maladie, estimée un peu vite quasi-disparue, s'est fait remarquer notamment en 2006. Branle-bas de combat, lancement d'un programme de recherche coordonné par l'ITAB (1). Sa restitution nous fait réviser ce vieux classique et y trouver des nouveautés.
Biologie, biodiversité, biocontrôle
On y a parlé de biologie, avec la montée de T. foetida vers le nord, l'importance de la semence par rapport au sol en France et, bonne nouvelle, le reflux de la maladie. Mais aussi de biodiversité, avec la notion, importante, de pathotypes locaux. Mais encore de tolérance variétale : il y a des espoirs... à suivre.
Mais enfin de protection des semences : produits de bio-contrôle, dont un autorisé depuis 2008 et d'autres à l'étude, et méthodes physiques (thermothérapie).
Cela permet de préciser les conditions permettant d'éviter la ré-installation de cette revenante... Qui doit rester fantôme.
À souligner : dans l'état actuel de la situation sanitaire française, c'est au niveau de la semence de ferme, qu'elle soit « bio » ou « conventionnelle », que résident les plus grands risques. Détails p. 20.
p. 24, toxines T2-HT2
Parmi les fusariotoxines
Passons ensuite aux maladies affectant la qualité sanitaire des grains destinés à la consommation. En France, le principal risque en matière de maladies survenant au champ est lié aux champignons du genre Fusarium producteurs de fusariotoxines.
La mieux connue est le DON, décelé en quantité excessive dans l'alimentation (encadré 1). La recherche a travaillé, la réglementation s'en est souciée, et Phytoma en a fait l'écho(2). Le DON et les facteurs qui le favorisent n'ont plus de secret pour les chercheurs, organismes stockeurs et céréaliers qui nous lisent. Les laboratoires ne cessent de perfectionner les méthodes analytiques pour les détecter (Encadré 2).
Dont les toxines T2 et HT2, que l'on connaît peu
En revanche on connaît moins les épineuses toxines T2 et HT2, que l'on dose ensemble. Présentes en moindre quantité que le DON, mais toxiques en moindre quantité aussi, elles sont de mieux en mieux connues dans les orges, nous l'avions vu l'an dernier(3).
Or elles peuvent se trouver aussi dans les blés. Leurs relations avec le DON sont compliquées. On commence à l'évaluer. Ceci dans le contexte d'une surveillance européenne organisée pour très bientôt et d'une future réglementation (Encadré 3).
Voici p. 24 des premières pistes.
p. 27, insectes des stocks
Enquête à resituer
Après le champ, passons à ce qui se passe dans les silos, avec les insectes de stockage et leurs quatre types de méfaits :
– dégâts directs en consommant des grains,
– pertes sanitaires en souillant les grains,
– pertes commerciales (refus de lots infestés),
– risque de trouver des résidus de pesticides : les insecticides utilisés contre eux.
Dans le cadre du RMT (réseau mixte technologique) Quasaprove(4), le projet Ecoprotect Grain s'est focalisé sur le sujet. Avec une enquête sur le blé évoquée l'an dernier(5) et dont voici ici les résultats complets.
Confirmations et nouveautés
La deuxième année d'enquête confirme que :
– un charançon peut en doubler un autre,
– un capucin joue les challengers,
– des insectes dits sans « formes cachées » se cachent très bien dans la masse du grain,
– le stockage à plat est « à risque »,
– la présence de thermométrie est bénéfique,
– on trouve des résidus d'insecticides de stockage mais toujours en deçà des LMR.
Par ailleurs, c'est nouveau, des pièges de surveillance ont été testés. Ils semblent très, très prometteurs. Surtout un modèle. Autre point nouveau : la mesure de température. Où l'on fixe une barre à 12 °C, cohérente avec la biologie des insectes.
Et les pratiques de nettoyage et de traitement insecticide ? Vive le premier ! Quant au second, mieux vaut traiter les locaux vides que les grains. Précisions p. 27.
p. 33, phytos et biocides
Tracé de frontières
Pour finir, un petit tour par la réglementation, en parlant de produits « phytos » (phytopharmaceutiques) et « biocides ». En principe, le traitement des grains stockés et de leurs locaux de stockage est affaire des premiers. Les biocides c'est pour après : industrie agroalimentaire, etc. Ou bien à côté (bureaux, autres locaux...) Et c'est là que ça se complique : où placer, précisément, la frontière ? Comme :
– d'une part, l'auteur de ces lignes a eu, enfin, l'impression de comprendre ce qu'il en était à l'écoute d'un exposé donc envie de le partager avec vous, lecteurs ;
– d'autre part, la réglementation biocides vient d'évoluer avec la publication d'un nouveau règlement européen...
Voici un point sur la question, p. 33.
Remerciements
Aux organisateurs des colloques et auteurs de communications utilisées pour écrire les articles de ce dossier, qui ont lu et vérifié lesdits articles, en réactualisant les informations si c'était utile :
– Laurence Fontaine, de l'ITAB, pour la carie commune du blé (colloque du 9 février 2012) ;
– Marie-Pierre Leblanc, de l'Anses, et Francis Fleurat-Lessard, de l'Inra, pour l'enquête Ecoprotect Grain (rencontres du 6 juin) ;
– Eric Truchot, de l'Anses, pour les réglementations sur les produits phytos et biocides (rencontres du 6 juin aussi) ;
– ainsi qu'à Alain Froment, de Syngenta, pour son article sur T2 et HT2.
<p>(1) Institut technique de l'agriculture biologique.</p> <p>(2) Voir tous les dossiers de septembre depuis 2004 !</p> <p>(3) R. Fournier & al.,Orge, fusarium et PCR, langsethiae... <i>Phytoma</i> n° 646, août-septembre 2011, p. 22 à 26.</p> <p>(4) Qualité sanitaire des productions végétales en grandes cultures.</p> <p>(5) Insectes des silos de blé, 95 silos à la loupe. <i>Phytoma</i> n° 646, août-septembre 2011, p. 33 à 36.</p>
1 - Contaminants des grains, où en est l'exposition
L'EAT2, ou deuxième « Étude de l'alimentation totale » publiée par l'Anses en 2011 a montré que les céréales pouvaient contenir certains contaminants problématiques car, soit trouvés en quantité excessive, soit pour lesquels le risque était difficile à évaluer.
– un contaminant inorganique, le cadmium (quantité excessive) ;
– cinq mycotoxines, soit le DON et deux de ses dérivés (quantité excessive), ainsi que les toxines T2 et HT2 que les techniques d'analyses ne permettaient pas, lors des prises d'échantillons (2007 à 2009), de quantifier aux taux où elles sont déjà toxiques.
En revanche le pesticide en quantité excessive (diméthoate) et les 9 pour lesquels le risque est mal évalué ne sont pas utilisés pour traiter les céréales ni les grains.
En savoir plus : Alimentation et santé, l'exposition précisée - Les résultats de l'EAT... Phytoma n° 646, août-septembre 2011, p. 13.
Rapport d'enquête EAT2 : www.anses.fr
2 - Moyens analytiques, en constant perfectionnement
Face aux mycotoxines « de champ » et « de stockage » et aux résidus de pesticides, les moyens analytiques progressent. Deux des laboratoires qui en pratiquent nous ont signalé des évolutions.
Côté Qualtech
Qualtech(1) analyse, outre les mycotoxines réglementées ou qui vont l'être (encadré 3 et art. p. 24), d'autres mycotoxines « de champ » : enniatines (A, A1, B et B1), beauvéricine et moniliformine, et « de stockage » : citrinine, sterigmatocystine. Il analyse la flore fongique de Fusarium et Microdochium sp. par PCR à partir de prélèvements au champ. Ceci pour évaluer la pression fusarique et sa composition : on peut déceler avant récolte les espèces mycotoxinogènes en sachant les toxines qu'elles risquent de produire. Car les diverses espèces de Fusarium produisent des toxines différentes.
De plus Qualtech, ayant acheté en 2011 les sociétés Agrobio et ABioC, propose, grâce à cette dernière, des analyses de mycotoxines par test Eli sa. Par ailleurs il dose les résidus de pesticides : 300 substances différentes peuvent être recherchées et quantifiées en GC et LC-MS(2).
Enfin le laboratoire est en cours d'accréditation pour le dosage des métaux lourds, dont le cadmium (encadrés 1 et 3).
Côté Phytocontrol
Pour sa part, le laboratoire Phytocontrol annonce proposer désormais une analyse multimycotoxines englobant celles qui sont ou vont être réglementées (OTA, aflatoxines B1, B2, G1, G2, fumonisines, zéaralénone, DON, ainsi que T2-HT2), plus NIV, DAS et MAS.
Le tout en LC suivant un « protocole d'extraction spécifique » avec demande d'accréditation COFRAC.
À l'heure où l'on réalise que doser une seule mycotoxine, le DON par exemple, n'est pas suffisant (voir p. 24), ces analyses multimolécules, rapides et annoncées à un tarif compétitif, sont intéressantes.
Rappelons que ce laboratoire est connu depuis longtemps pour ses analyses de pesticides et de métaux lourds, pour lesquelles il est accrédité COFRAC.
(1) Filiale de l'IFBM, Institut français de la brasserie et de la malterie.
(2) GC : chromatographie en phase gazeuse.
LC : chromatographie en phase liquide.
LC-MS : LC couplée à la spectrographie de masse.
3 - Contaminants des grains, où en sont la surveillance et la réglementation ?
Norme T2-HT2, on attend
Concernant la réglementation sur les contaminants des grains liés à des bio-agresseurs des végétaux, on attend toujours la norme sur les trichothécènes de type A (TCT A). On s'achemine vers une valeur maximale de « T2-HT2 » (somme des toxines) mais le texte européen annoncé p. 24 n'est encore qu'une recommandation.
Il y a trois ans, on parlait de réglementation pour la moisson 2010(1). Nous écrivions que 200 ppb(2) était une valeur possible et 100 ppb « probablement trop bas vu les connaissances actuelles »... Depuis lors, les connaissances et les moyens de quantifier de faibles doses ont évolué. L'article p. 24 donne des résultats pour 100 et même 50 ppb. Le suspense continue.
Ergot, surveillance...
Autre bio-agresseur, l'ergot est réglementé : le taux maximal de ses sclérotes dans les « céréales non moulues » est :
– 0,5 g/kg de grain destiné à la consommation humaine (norme française) ;
– 1 g/kg de grain pour la consommation animale (norme européenne).
Le 16 mars 2012, le JOUE(3) publiait une recommandation de la Commission datée de la veille « sur la surveillance de la présence d'alcaloïdes d'ergot dans les aliments pour animaux et les denrées alimentaires ».
Ce texte recommande de surveiller les taux de 6 alcaloïdes d'ergot (qu'il liste). Car, citons- le, la répartition entre alcaloïdes « n'est pas la même dans l'ergot de seigle et dans l'ergot d'autres graminées ».
Les résultats de la surveillance pourraient permettre d'affiner la réglementation sur le taux de sclérotes des grains avec des normes différentes selon les céréales.
C'est peut-être le prélude à une réglementation des taux d'alcaloïdes dans les grains et produits transformés. Aujourd'hui, seul le taux de sclérotes est réglementé et comme il ne peut, forcément, être cherché que dans le grain brut, seul ce dernier est analysé.
Pesticides, un à un
Et les contaminants d'origine humaine : pesticides et métaux lourds ?
Pour les pesticides, réglementés depuis longtemps, l'évolution est continue. Le règlement n° 1107/2009, a remplacé la directive qui les régulait, mais sa mise en oeuvre est progressive (voir p. 33).
Certaines substances sont retirées du marché une à une, d'autres les remplacent. Par ailleurs les LMR(4) sont harmonisées au niveau européen donc souvent modifiées, elles aussi une à une, par rapport aux « vieilles LMR françaises ».
Métaux lourds, cadmium sous surveillance
Restent les métaux lourds. On commence à se préoccuper du cadmium, suite à l'EAT2 (encadré 1). Ainsi le RMT Quasaprove et Arvalis-Institut du Végétal lui ont consacré une partie de leurs colloques de septembre 2011 et avril 2012(5).
Pour l'instant, les résultats sont que... c'est compliqué ! Il est difficile de différencier les contaminations liées au sol de celles dues aux activités humaines. À suivre.
(1) Prévenir les mycotoxines produites au champ - Blé, orge, maïs : retards réglementaires... Phytoma n° 624- 625, septembre 2009, p. spéc. Qualité des récoltes, p. XIXIII. NDLR : À l'époque, l'échéance des moissons 2010 représentait déjà un retard (en 2008, on attendait la réglementation pour 2009 si possible), et nous écrivions que pour 2010 ce n'était « pas garanti ».
(2) ppb = partie par milliard (billion en anglais).
1 ppb = 1 mg/kg.
(3) Journal officiel de l'Union européenne.
(4) Limites maximum de résidus dans l'alimention.
(5) 3e Rencontres du RMT Quasaprove, 22 /09/2011 : Mycotoxines et métaux lourds au champ.
4e Colloque Qualité sanitaire Arvalis, 3 avril 2012. www.quasaprove.org, www.arvalisinstitutduvegetal.fr