Un type de configuration qui se trouve souvent dans la filière du grain : des bureaux proches des silos. Les premiers, s'ils doivent être traités (anti-rongeurs, etc.) devront l'être avec des produits biocides. Les silos, stockant des produits végétaux, ne pourront être traités, même vides, qu'avec des produits phytos. ph. CapSeine
On peut protéger la qualité sanitaire des grains après récolte avec des produits phytos(1). Mais la filière applique aussi des biocides. Difficile de tracer la frontière entre les deux catégories : certaines substances la franchissent.
Pourtant les « phytos » et les « biocides » relèvent de législations et d'usages différents. Eric Truchot, de l'Anses, l'a expliqué le 6 juin dernier aux Quatrièmes Rencontres Quasaprove(2).
Depuis lors, la législation biocide a refait l'actualité : un règlement sorti le 27 juin 2012 talonne le pionnier règlement phyto. Faisons le point.
Les phytos, ces pionniers
Les grains et leurs locaux, en principe
Les produits protégeant la qualité sanitaire du grain contre les insectes, rongeurs, moisissures, bactéries, etc., font partie de ceux destinés à « protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou à prévenir leur action(3) » et/ou ceux destinés à « assurer (leur(4)) conservation ». Ce sont donc des produits phytos.
Ils rentrent dans la définition de ces produits phytos (voir encadré 1), et ceci qu'ils soient appliqués sur le grain lui-même ou dans les locaux vides (silos, camions, wagons, cales de navire...) avant l'entrée du grain dans le but de protéger celui-ci.
Une directive en 1991, réglementation pionnière
Leur réglementation existe en France depuis les années 40 et a évolué depuis. Elle a vu une première harmonisation européenne par la directive 91/414, publiée en juillet 1991 et applicable depuis juillet 1993.
Cette directive a obligé les autorités européennes à examiner, selon ses critères, toutes les substances actives phytos :
– arrivant sur le marché européen à partir de juillet 1993 mais aussi...
– déjà présentes dans l'un ou l'autre pays en juillet 1993, dites « anciennes substances ».
À l'issue de son examen, chaque substance a été, soit « inscrite » (sous-entendu : sur une liste positive constituant l'annexe 1 de la directive) soit « non inscrite ».
Chaque pays européen, dont la France, a dû transposer la directive dans son droit national. Il a dû bannir de son marché national tous les produits phytos contenant des substances « non inscrites » ; quant aux produits dont la ou les substances sont « inscrites », chaque pays pouvait à sa guise les autoriser ou refuser leur autorisation sans en rendre compte à l'Union.
Pour mémoire, sur les plus de 900 substances présentes sur le marché européen en 1993, moins de 300 sont « inscrites ». S'y ajoutent une bonne centaine de nouvelles inscriptions.
2009, nouveau règlement
Intégration européenne croissante oblige, la directive a été remplacée par un règlement. Numéroté 1107/2009, publié fin 2009 et applicable depuis le 14 juin 2011, il garde le principe de l'examen européen des substances actives, qui doivent désormais être, non plus « inscrites » mais « approuvées ». Mais il est plus contraignant.
Contraignant dans les procédures : il s'applique également dans tous les pays sans transposition-adaptation au droit national de chacun. Autre élément : un pays ne pourra plus refuser sans justification l'autorisation sur son territoire, par « reconnaissance mutuelle », d'un produit autorisé dans un autre état membre. Ces deux points augmentent l'harmonisation entre pays.
Contraignant dans ses exigences. Certaines substances « inscrites » selon la directive, sous condition que la formulation des produits minimise les risques, risquent de ne pas être « approuvées » selon le règlement ; celui-ci fixe en effet des « critères d'exclusion » au niveau des substances mêmes.
Actuellement, les substances inscrites selon la directive sont « réputées approuvées » selon le règlement jusqu'à la fin de leur durée d'inscription prévue (en général 10 ans). Quant aux examens selon le règlement, aucun n'a abouti à ce jour. Vu les délais prévus, les premières approbations ne devraient intervenir que fin 2013. Au plus tôt.
Les biocides à la suite
Il fallait une « voiture-balai »
Par ailleurs, il existait des réglementations concernant d'autres catégories de produits pouvant avoir une action pesticide au sens strict. Il s'agit de produits combattant des « pestes » c'est-à-dire des organismes vivants nuisibles à quelque titre que ce soit. Ces produits sont :
– Les médicaments (certains sont bactéricides, virucides, fongicides voire insecticides), avec leurs AMM (autorisations de mise sur le marché) pour la médecine humaine...
– ... mais aussi vétérinaire ;
– Les additifs alimentaires (certains conservateurs peuvent être bactéricides, etc.) ;
– Les cosmétiques.
Mais une quantité d'autres produits à activité, de fait, pesticide, étaient mis sur le marché européen sans réglementation harmonisée. Une directive numérotée 98/8, publiée en avril 1998 et applicable à partir de mai 2000, a joué les voitures-balais.
Qualifiant les produits concernés de « biocides » et pas de « pesticides », probablement pour éviter la confusion avec les pesticides phytos (Encadré 1 et Tableau 1), elle concerne tous les produits à action pesticide/ biocide non couverts par d'autres réglementations. E. Truchot la qualifiait le 6 juin de « directive d'exclusion ».
Directive en 1998, inspirée de l'expérience phyto
Définissant au départ 23 types de produits biocides ramenés à 22 par la suite (encadré 2), elle a mis en oeuvre, sept ans après la directive 91/414, une procédure d'examen européen des substances anciennes et nouvelles, pour leur inscription (ou non).
À noter, il y avait plus de 4 000 anciennes substances biocides à examiner, bien davantage que de phytos ! Ceci dit :
– D'une part, l'expérience phyto a servi, et à l'Union européenne pour roder ses procédures, et aux fabricants (certains fabriquent des substances pour les deux secteurs) pour roder le montage de leurs dossiers ;
– D'autre part, pour les substances à double usage (biocide et phyto), certains tests réalisés pour les dossiers d'inscription phyto étaient utilisables pour les dossiers d'inscription biocides.
L'examen des substances est en cours. Au 23 août, E. Truchot faisait le point : « Parmi les 14 substances rodenticides à examiner, 12 ont été inscrites et 2 sont en attente. Au niveau des insecticides, 94 substances étaient à examiner. On en est à 14 inscriptions, 40 non-inscriptions et 40 encore à l'étude. »
Une manière de rattrapage ?
2009, l'Europe réalise que les biocides sont pesticides
Et puis, en 2009, en même temps que le règlement 1107/2009 sur la mise sur le marché des produits phytos, sortait la directive dite « utilisation durable », sous-entendu : « des pesticides ». Numérotée 2009/128, elle précise que son champ doit regrouper les produits phytos et les biocides. Logique.
2012, un règlement est publié
Dans la foulée, un règlement biocides a été préparé. Publié le 27 juin dernier, il sera applicable le 1er septembre 2013.
Un délai de moins de trois ans entre les deux règlements, alors que les directives étaient décalées de presque sept ans : le retard sur la réglementation phyto tend à se combler. Les évolutions en matière de biocides se calquent sur celles des phytos :
– Intégration des autorisations par reconnaissance mutuelle ;
– Critères plus stricts, en particulier cas d'exclusion a priori des substances actives. Concernant la qualité des grains, les biocides continuent à s'appliquer, en principe, bien en aval de la gestion de ces grains : après même leur transformation en farine...
Les frontières en pratique
Farine et grain, exemples à cheval sur la frontière
Ceci dit, un même opérateur peut avoir à utiliser les deux catégories de produits. Le tableau 2 en donne quelques exemples.
Ainsi, un opérateur stockant de la farine pour la transformer ensuite sur le même site devrait utiliser :
– Des insecticides phytos pour traiter le local de stockage de la farine ;
– Des insecticides biocides dans le reste de ses installations.
Autre exemple : une coopérative ayant sur le même site des silos de grains et des locaux accueillant du personnel (bureau, cantine, etc.) doit, réglementairement, utiliser des rodenticides phytos pour protéger ses silos et des rodenticides biocides pour dératiser ses bureaux... Même s'il s'agit des mêmes substances formulées dans des appâts identiques et visant les mêmes rats susceptibles de passer nuitamment d'un silo à un bureau... En fait, il existe des produits cumulant les deux types d'AMM. On peut vraiment, là, parler de produits frontières ou frontaliers !
... et deux cantonnés d'un seul côté Autre point : certaines substances « non inscrites » comme phytos sont restées ou restent utilisables comme biocides en attendant le résultat de leur examen européen.
C'est le cas de la chloralose, substance rodenticide encore autorisée à la vente pour des applications biocides jusqu'au 1er février 2013 alors qu'elle est interdite comme phyto depuis le 31 décembre 2010 car elle n'avait pas trouvé de société prête à défendre ses usages phytos...
Idem pour le DDVP. Cet insecticide n'était plus utilisable comme phyto (donc dans les silos) depuis 2007 mais, théoriquement, le restait comme biocide jusqu'à maintenant même si, en France du moins, il ne semble pas utilisé comme tel. Il a été « non inscrit biocide » le 12 mai dernier.
<p>(1) Dans cet article, phyto = « phytopharmaceutique ».</p> <p>(2) A propos du RMT Quasaprove, voir l'article p. 27.</p> <p>(3) Ndlr : celle des organismes nuisibles.</p> <p>(4) Ndlr : celle des végétaux et produits végétaux.</p> <p><b>Références réglementaires :</b></p> <p>– Directive phytos n° 91/414/CE du 15 juillet 1991, publiée au Journal officiel européen le 19 août 1991 et appliquée du juillet 1993 (date limite de sa transposition en droits nationaux) au 13 juin 2011 (date de son abrogation).</p> <p>– Directive biocides n° 98/8/CE du 16 février 1998, publiée le 24 avril 1998 et appliquée depuis mai 2000 (date limite de sa transposition en droits nationaux).</p> <p>– Règlement n° 1107/2009/CE et directive <i>« Utilisation durable »</i> n° 2009/128/CE, tous deux datés du 21 octobre 2009 et publiés au JOUE le 24 novembre 2009 dans le « Paquet pesticides » (v. <i>Phytoma</i> n° 629, décembre 2009, p. 5 et 6) ; règlement appliqué depuis le 14 juin 2011 (sans transposition en droits nationaux) et abrogeant la directive 91/414 ; directive appliquée depuis le 14 décembre 2011 (date limite de transposition).</p> <p>– Règlement biocides n° 528/2012 du 22 mai 2012, publié au JOUE le 27 juin 2012 et applicable à partir du 1er septembre 2013.</p>
1- Phytos et biocides, définitions
Les produits phytos sont ceux destinés à :
– Protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles, ou prévenir leur action,
– Exercer une action (ndlr : autre que nutritive/fertilisante) sur les processus vitaux des végétaux,
– Assurer la conservation des produits végétaux,
– Détruire les végétaux et parties de végétaux indésirables, freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux.
Les produits biocides sont ceux :
– destinés à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à prévenir leur action ou les combattre, par une action chimique ou biologique...
– ... mais qui ne sont ni des médicaments (humains ou vétérinaires), ni des cosmétiques, ni des produits phytos, ni des additifs alimentaires.
Source : Communication de E. Truchot et G. Vial le 6 juin 2012.
2 - Les biocides, 22 types en 4 groupes selon le nouveau règlement
Désinfectants :
– Hygiène humaine (ex. pour la peau),
– Surface et milieux (ex. pour les sols, le mobilier, etc.)
– Hygiène vétérinaire,
– Surface contact alimentaire,
– Eaux potables.
Produits de protection :
– Des conteneurs (sauf de produits alimentaires, cosmétiques et médicaments),
– Des pellicules (peintures, enduits, papiers, etc.),
– Du bois (y compris insecticides),
– Des matières (cuir, caoutchouc, fibres, produits polymérisés, etc.),
– Des matériaux de construction (autres que le bois),
– Des fluides industriels (ex. : pour le refroidissement : antialgues, mousses, microbes),
– Anti-biofilm (dans l'industrie),
– Des fluides de travail ou de coupe (du métal, du verre, etc.).
Anti-parasitaires :
– Rodenticides,
– Avicides,
– Molluscicides, vermicides et produits utilisés contre les autres invertébrés,
– Piscicides,
– Arthropodiscides (insecticides, acaricides, etc.),
– Répulsifs et appâts,
– Lutte contre des vertébrés autres que rongeurs, oiseaux, poissons (sauf par répulsif et appâts).
Autres :
– Antisalissures en milieu aquatique (ex. anti-fooling coque de bateau),
– Fluides d'embaumement et de taxidermie.
Source : Annexe V du règlement 528/2012.
N.B. La catégorie « protection des aliments » a été supprimée et les produits concernés répartis dans d'autres catégories, soit de biocides (ex. surface contact alimentaire), soit d'autres produits (ex. additifs, phytos sur fruits frais).