Plus de 700 espèces d'eucalyptus sont répertoriées dans le monde. Elles constituent une des principales sources de fibre de cellulose et/ou sont utilisées comme arbres d'alignement ainsi que pour la production de feuillage coupé (Paine et al., 2011). En France, cette dernière production existe en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Face à des dégâts constatés en 2010, on pensait avoir affaire à une espèce connue de ravageur... Avant de le découvrir accompagné d'une autre espèce ! Explications.
Un nouveau ravageur
Un cortège de ravageurs spécifique
Comme pour la plupart des cultures, les échanges internationaux ont contribué à diffuser les ravageurs spécifiques de l'eucalyptus. Certains sont maintenant présents dans toutes les régions où ces arbres sont cultivés (Amérique du Nord et du Sud, Europe, Afrique, etc.).
Ces ravageurs sont principalement des psylles (Ctenarytaina spp., Glycaspis brimblecombei) et des coléoptères comme le charançon du complexe Gonipterus scutellatus (Mapondera et al., 2012) ou le longicorne de l'eucalyptus, Phoracantha semipunctata (Paine et al., 2011). Mais il existe aussi des insectes galligènes, c'est-à-dire dont la présence occasionne des galles sur le feuillage.
Janvier 2010, la piste d'Ophelimus maskelli
En janvier 2010, d'importants dégâts liés à un tel insecte ont été constatés dans les productions de feuillage d'eucalyptus du Tanneron (Var). L'état des connaissances suggérait deux ravageurs possibles de la famille des Eulophidae (Hyménoptères) : Leptocybe invasa et Ophelimus maskelli. Mais la typologie des dégâts et la morphologie des adultes issus des galles ont rapidement écarté la « piste » Leptocybe invasa.
Réputé pouvoir se développer aux dépens de 14 espèces d'eucalyptus (Protasov et al., 2007a), O. maskelli induit la formation de galles provoquant une dépréciation du feuillage et une chute précoce des feuilles (Protasov et al., 2007a).
Signalé pour la première fois dans la région méditerranéenne en Italie au début des années 2000 (Arzone & Alma, 2000 ; Viggiani & Nicotinia, 2001), ce ravageur s'est ensuite disséminé en Espagne (Sánchez, 2003), Israël (Mendel et al., 2005), Grèce (Kavallieratos et al., 2006), France (EPPO, 2006), Turquie (Doganlar & Mendel, 2007), Portugal (Branco et al., 2009), Tunisie (Dhahri et al., 2010) et Algérie (Caleca, 2010).
Contre O. maskelli, il existe un auxiliaire spécifique
Pour contrôler les populations de ce ravageur, des opérations de lutte biologique classique ont été mises en oeuvre avec succès en Israël (Mendel et al., 2007 ; Protasov et al., 2007b) et en Italie (Caleca et al., 2011) grâce à l'utilisation du parasitoïde(1) spécifique Closterocerus chamaeleon (Hymenoptera, Eulophidae). Ce dernier semble avoir été introduit fortuitement avec O. maskelli dans d'autres pays. C'est le cas en Algérie (Caleca, 2010), au Portugal (Branco et al., 2009) et en Turquie (Doganlar & Mendel, 2007).
L'introduction de C. chamaeleon représentait donc a priori une solution intéressante pour le contrôle d'O. maskelli en France.
Un état des lieux aux résultats surprenants...
Six espèces d'eucalyptus infestées par le ravageur
Préalablement à toute introduction de parasitoïde, des prospections ont été menées dans les Alpes-Maritimes et le Var pour effectuer un état des lieux initial sur la distribution géographique du ravageur, sa gamme de plantes-hôtes et ses éventuels ennemis naturels présents.
Les résultats de ces prospections ont montré la présence de galles et d'adultes du genre Ophelimus dans les Alpes-Maritimes et le Var, sur (au moins) six espèces d'eucalyptus : E. camaldulensis, E. cinerea, E. globulus, E. gunnii, E. nicholii et E. parvula (= parvifolia).
Auxiliaire déjà installé, mais seulement sur une des six espèces d'eucalyptus
Cet état des lieux a également montré que l'auxiliaire Closterocerus chamaeleon est déjà présent en France alors qu'aucune introduction volontaire de ce parasitoïde n'a été signalée.
Sur la plupart des sites, le taux de parasitisme par C. chamaeleon, calculé a posteriori selon la formule suivante [nombre d'adultes de C. chamaeleon/nombre d'adultes de C. chamaeleon + nombre d'adultes d'Ophelimus], est même très élevé (supérieur à 90 %). Il est raisonnable de penser que cette espèce a été introduite fortuitement ou s'est « naturellement » diffusée à partir de pays voisins (certainement l'Italie).
Curieusement, la présence de l'auxiliaire C. chamaeleon n'est pas systématique. Elle se limite même uniquement aux espèces Eucalyptus camaldulensis et E. nicholii. Ce résultat surprenant nous a conduits à penser que la situation était plus complexe que prévue avec, d'une part, la présence d'O. maskelli et de son parasitoïde spécifique C. chamaeleon sur E. camaldulensis et E. nicholii, d'autre part, la présence d'une espèce d'Ophelimus différente sur les autres espèces d'eucalyptus.
Complémentarité des approches de caractérisation morphologique et moléculaire
Approche moléculaire : deux espèces différenciées par leur ADN
Afin de confirmer ou d'infirmer la présence de deux espèces d'Ophelimus en région PACA, deux approches complémentaires ont été utilisées.
D'une part, nous avons séquencé – sur une centaine d'adultes échantillonnés sur différentes espèces d'eucalyptus(2) – un court fragment d'ADN très discriminant entre espèces(3). Les séquences obtenues ont ensuite été comparées avec des séquences déjà disponibles d'espèces d'Ophelimus.
Les résultats de ce travail confirment la présence de deux espèces distinctes d'Ophelimus (résultats non présentés).
En effet, tous les individus collectés sur E. camaldulensis sont génétiquement identiques ou très proches d'individus appartenant à l'espèce maskelli. Les adultes collectés sur E. cinerea, E. globulus, E. gunnii et E. parvula sont quant à eux génétiquement différenciés à la fois d'O. maskelli et d'autres espèces d'Ophelimus déjà séquencées.
Approche morphologique : deux groupes aussi, par observation microscopique des soies des ailes.
En parallèle, les deux espèces potentielles d'Ophelimus ont été comparées sur des critères morphologiques. Il faut savoir que plus de 50 espèces d'Ophelimus sont actuellement décrites (Noyes, 2012) avec une classification du genre entièrement à réviser (selon John La Salle, spécialiste mondial de la systématique des Eulophidae au CSIRO de Canberra). Cependant, il semble qu'O. maskelli possède un caractère morphologique particulier qui le distingue d'autres espèces du même genre : la présence d'une seule soie submarginale sur l'aile antérieure (Photo 1 ; Protasov et al., 2007a).
Une soixantaine d'individus émergés d'échantillons collectés sur diverses espèces d'eucalyptus a donc été observée au microscope optique. Les résultats confirment ceux de la caractérisation moléculaire : tous les individus émergés d'E. camaldulensis (c'est-à-dire O. maskelli) possèdent une seule soie submarginale sur l'aile antérieure, alors que ceux émergés d'E. globulus et E. gunnii présentent toujours au moins deux soies submarginales (Figure 1).
Résultats convergents : il y a une deuxième espèce d'Ophelimus en France
Les deux approches utilisées se révèlent donc très complémentaires et permettent de valider l'existence d'une deuxième espèce d'Ophelimus en France (photo 2).
Après discussion avec John La Salle, il est probable qu'il s'agisse d'une espèce non décrite !
Des différences dans la phénologie, et dans la morphologie des galles
Phénologie : soit une, soit deux générations
Outre les différences moléculaires, morphologiques et écologiques (gamme d'eucalyptus infestés), nous avons également mis en évidence des différences dans la morphologie des galles induites par O. maskelli et Ophelimus sp. et dans la phénologie de ces deux espèces.
Ainsi, l'espèce « inconnue » d'Ophelimus ne possède qu'une seule génération annuelle (Figure 2). L'émergence des adultes dure de fi n mai jusqu'au début de l'été, période durant laquelle a lieu la ponte. Les oeufs déposés n'induisent pas immédiatement la formation de galles qui ne sont visibles qu'à partir de novembre lorsque les larves entament leur développement. Ce développement pré-imaginal dure jusqu'au printemps suivant quand les nymphes commencent à apparaître.
Le cycle d'O. maskelli est quant à lui toujours en cours d'étude. Les données d'émergence des adultes (en mai-juin puis août-septembre) nous permettent d'indiquer que cette espèce présente un cycle de développement différent de celui d'Ophelimus sp. avec au moins deux générations annuelles.
Galles induites : dimensions et aspects différents
Les résultats de mesures morphométriques effectuées sur plus de 1 000 galles montrent que celles induites par O. maskelli sont de taille plus importante que celles induites par l'autre espèce d'Ophelimus : superficies respectives de 1 244,16 et 718.82 μm². L'aspect général de ces galles est également différent : celles induites par O. maskelli sont toujours plus ou moins visibles (photo 3) et de couleur verte (tendant à devenir rougeâtre en vieillissant) tandis que celles induites par l'espèce inconnue d'Ophelimus, invisibles de juillet à novembre, peu développées et visibles seulement sous forme de taches sombres de novembre à mars (photo 4), atteignent leur forme définitive à partir du printemps et jusqu'à l'émergence des adultes (photo 5).
Conclusions
En particulier, une nouvelle espèce
Jusqu'à ce jour, Ophelimus maskelli était la seule espèce du genre signalée sur eucalyptus en France et en Europe. Ce n'est plus le cas : nos résultats, basés sur des critères moléculaires, morphologiques et bio-écologiques, démontrent la présence d'une nouvelle espèce d'Ophelimus responsable de dégâts sur les espèces d'eucalyptus cultivées. Hélas, cette espèce ne semble pas décrite à ce jour et donc pas étudiée, ce qui limite vraisemblablement, pour le court terme, les possibilités de contrôle par une méthode de lutte biologique classique (Borowiec et al., 2011).
En général, il faut identifier précisément
Plus généralement, cette étude démontre la nécessité d'identifier précisément les espèces de ravageurs et d'auxiliaires candidats. L'utilisation de la caractérisation moléculaire en complément des méthodes plus traditionnelles d'identification morphologique prend alors tout son sens.
Dans un contexte d'échanges internationaux et donc d'entrées incontrôlées de ravageurs voire d'auxiliaires, ce type de démarche doit être généralisé pour définir ou optimiser les méthodes de gestion des espèces invasives.
<p>(1) Parasitoïdes : organismes dont le développement larvaire est parasite et s'effectue au détriment d'un hôte qui est généralement tué.</p> <p>(2) Il n'a pas été possible de le faire à partir d'individus émergés <i>d'E. nicholii</i>.</p> <p>(3) Séquences disponibles sur la base de données GENBANK ; n° d'accession : JX096401 à JX096412 pour <i>O. maskelli</i> ; JX096413 à JX096446 pour <i>Ophelimus</i> sp.</p>