Foreurs des palmiers, la recherche se mobilise

Palm Protect, une action européenne pour contrer ces ravageurs par des méthodes nouvelles et pour définir des procédures de référence.

Depuis la découverte du charançon rouge Rhynchophorus ferrugineus en Europe en 1995, les palmiers du bassin méditerranéen ont payé un lourd tribut à ce charançon mais aussi au papillon, Paysandisia archon. Les deux insectes tuent les palmiers et les dégâts ne cessent de croître.

Un programme associant des chercheurs de six pays européens et deux autres pays méditerranéens a été lancé pour tenter de remédier à la situation. Il se nomme Palm Protect.

Enjeux et objectifs

Deux ravageurs à très forte nuisibilité

On estime les pertes en Europe dues à ces insectes supérieures à 100 millions d'euros, avec plus de 100 000 palmiers détruits depuis leur introduction accidentelle sur le continent.

En France le papillon est connu depuis 2001 et le charançon depuis 2006.

Les larves de ces foreurs mangent les tissus tendres et en croissance des stipes et des bases foliaires. Le dégât résultant n'est en général détectable que plusieurs mois après une première ponte, ce qui ne permet pas une détection très précoce. Cela a favorisé la dissémination de ces ravageurs par transport de plants atteints en l'absence d'une vigilance et d'une réglementation qui l'auraient empêchée.

Répérage puis lutte difficiles

Les symptômes d'infestation varient selon l'espèce de palmier et le ravageur. Leur repérage demande une bonne expertise et est très laborieux, en particulier pour les grands palmiers qui nécessitent un examen de la frondaison. Quand les symptômes sont très marqués, ils s'accompagnent souvent d'un dépérissement généralisé et de la mort rapide des palmiers [OE PP, 2008a,b].

Le caractère confiné des larves, leur présence surtout en milieu urbain et la taille importante et l'anatomie particulière des palmiers (qui sont des monocotylédones arborescentes) rendent la lutte difficile, onéreuse et contraignante, ceci tant du point de vue technique que réglementaire.

Un poids économique méconnu au départ

Si les palmiers sont constitutifs des paysages méridionaux et font vivre de nombreux professionnels, l'attention portée aux foreurs des palmiers a pâti du faible poids économique lié directement à ces plantes comparé à ceux d'autres filières végétales.

L'absence de valorisation précise des services paysagers, touristiques et environnementaux rendus par les palmiers n'a pas permis de faire pencher la balance des décisions pour des actions fortes et rapides.

Tâtonnements d'abord, progrès ensuite

Etablir des méthodes efficaces pour détecter et lutter contre les foreurs des palmiers et définir une réglementation adaptée qui repose sur des données robustes a été l'objet de tâtonnements et de retards. Ces derniers ont contribué à amplifier le problème en laissant professionnels et propriétaires des palmiers démunis.

Ces dernières années, des progrès importants ont heureusement été réalisés : de nouvelles méthodes (taille sanitaire, usage de nématodes, injection d'insecticide...) ont été développées et autorisées. Elles permettent de sauver des palmiers attaqués de grande valeur, et les acteurs se mobilisent mieux et de façon plus coordonnée.

L'espoir de porter un coup d'arrêt à l'infestation demeure en dépit d'un sombre tableau [Ferry et Gómez, 2008].

Palm Protect, programme recherche & développement de l'Union européenne

Avancées à consolider

Pour concrétiser cet espoir, il faut consolider au plus vite les dernières avancées et clarifier les points controversés pour fournir des recommandations univoques à l'échelle de l'Union Européenne.

C'est dans cet esprit et pour soutenir l'évaluation de pistes complémentaires en s'appuyant sur une expertise collective que l'UE a lancé le programme européen R&D Palm Protect (http://www.palmprotect.eu ; on y trouvera la liste des partenaires).

Objectifs fixés

Les objectifs de Palm Protect sont de développer des méthodes fiables utilisables par les organismes de protection des plantes, les services d'inspection, les producteurs et les acheteurs de palmiers pour la détection précoce, l'éradication, la lutte et la contention des foreurs du palmier. Les méthodes seront développées pour une mise en oeuvre au point d'origine, aux ports d'entrée et de transit des palmiers et sur les sites plantés.

Quatre axes de travail déterminés

Ces objectifs seront atteints via 4 axes de travail principaux :

la biologie pour mieux comprendre et mesurer les traits afin de mieux évaluer le risque, faciliter la prise de décision et optimiser les méthodes de surveillance et de lutte ;

la détection et la surveillance pour développer des technologies de détection précoce et de surveillance et définir des protocoles de référence ;

la lutte pour proposer de nouvelles méthodes et protocoles pour éradiquer et contenir ces ravageurs ;

la diffusion de l'information pour partager les résultats avec tous les acteurs de la filière « palmiers » au sein de l'UE et en dehors.

Axe « biologie »

Pourquoi il est important de mieux la connaître

La lutte contre les bioagresseurs invasifs achoppe souvent sur une méconnaissance de leur biologie.

Celle-ci est accentuée par les phénomènes de changements d'hôtes (par exemple, pour le charançon rouge, le passage du cocotier au dattier puis au palmier des Canaries) et aux adaptations à l'environnement.

Palm Protect vise à éclairer des points encore mal compris sur ces aspects adaptatifs. Il faut notamment mieux connaître les adaptations relatives à la relation aux palmiers et aux congénères, et à la capacité de multiplication et de déplacement dans la zone méditerranéenne.

Capacité de dispersion propre des insectes

Par différentes méthodes (émetteurs radio miniaturisés par ex.), on va établir les distances réellement parcourues par les insectes, notamment les femelles fécondées, et les conditions de ces déplacements.

On pourra ainsi mieux définir l'étendue du risque associé à chaque espèce à partir d'un palmier infesté pour optimiser la dimension des périmètres de surveillance et la distribution des pièges à phéromones.

Synthèse des connaissances sur les relations palmiers/foreurs en Europe

À partir d'une expertise collective couvrant les grands pays touchés et des travaux en cours, Palm Protect produira plusieurs documents, notamment pratiques, qui établiront les éléments recoupés sur la biologie des foreurs en Europe.

Cela permettra une diagnose et une prévision des risques précises sur les principaux palmiers selon les pays à l'aide de modèles de développement des insectes affinés.

Nos travaux en cours montrent la capacité remarquable des charançons adultes à survivre, se déplacer et conserver leur potentiel reproducteur entre 10 et 20 °C, donc sous les climats européens.

Ils montrent aussi le risque généralisé encouru par toutes les espèces de palmiers. En effet, pour les deux insectes, on observe depuis 2010 des attaques plus fréquentes sur des palmiers réputés peu attaqués (Washingtonia par ex.) et des co-infestations.

Identifier de nouveaux médiateurs chimiques et analyser les comportements d'approche des palmiers et pièges

L'usage d'attractifs sexuels (phéromones) ou alimentaires ou de pièges colorés offre des moyens de surveillance ou de lutte efficaces respectueux de l'environnement et de la santé humaine contre des ravageurs, critères déterminants pour les foreurs des palmiers qui sont surtout présents en villes.

Piégeage du charançon rouge

Palm Protect vise à améliorer le piégeage à l'aide de phéromone en proposant de nouveaux attractifs et répulsifs afin de pouvoir développer une stratégie 'push-pull'.

Le piégeage olfactif à base de phéromone est essentiel tant pour détecter les foyers que pour éliminer les adultes en masse [Oehlschlager, 2007].

La phéromone de charançon rouge est synergique de l'odeur de palmier blessé. Pour maintenir une efficacité optimale des pièges, il faut renouveler une à deux fois par mois un appât naturel qui libère l'odeur synergique. Cette opération est très coûteuse en main-d'oeuvre. De plus, il est souvent difficile de l'assurer à une fréquence optimale, ce qui réduit l'efficacité des pièges.

Palm Protect s'appuie sur des spécialistes pour proposer une odeur de palmier artificielle aussi simple d'emploi que la phéromone donc beaucoup plus que l'appât naturel. Ceci allègera le coût du piégeage pour une efficacité accrue. Les partenaires ont caractérisé des molécules candidates en cours d'évaluation.

D'autres odeurs naturelles sont évaluées pour leur propriété répulsive [Guarino et al., sous presse].

Piégeage du papillon palmivore

La mise au point d'un système de piégeage pour détecter le papillon palmivore P. archon guide notre action.

En effet, aucune phéromone n'est disponible pour cet insecte qui présente des comportements diurnes sophistiqués. Un travail récent indique que les femelles ne possèdent pas de glande à phéromone comme les papillons de nuit classiques [Sarto i Monteys et al., 2012].

Palm Protect étudie l'existence d'autres phéromones susceptibles de servir d'attractif en surveillance. Il analyse également les capacités visuelles du papillon afin d'évaluer le potentiel de leurres visuels, à l'instar de ce qui a été développé contre divers insectes nuisibles (tsé-tsé, méligèthes...).

Caractériser des parasitoïdes du papillon palmivore en Europe

Palm Protect concentre ses efforts sur la recherche de parasitoïdes de P. archon s'attaquant aux oeufs en conditions naturelles.

Déjà, des oeufs perforés ont été collectés en divers points d'Europe, suggérant l'existence d'un parasitisme. L'étape suivante sera d'élire des souches disponibles pour un usage en Europe, capables de s'adapter à ce gros insecte et le parasiter efficacement (trouvés en Europe, ils sont a priori adaptés au climat).

Axe « détection et surveillance »

Aujourd'hui, la difficile détection visuelle

La détection des foreurs du palmier repose essentiellement sur la recherche visuelle de symptômes qu'il faut savoir reconnaître efficacement, ce qui nécessite une formation minutieuse des agents.

Elle est très laborieuse car son efficacité repose sur un examen plant à plant, répété dans le temps et demandant un accès aux frondaisons pour les grands sujets. Les écueils majeurs sont le délai entre l'infestation initiale et l'expression de symptômes visibles, l'existence de plants infestés asymptomatiques et le temps nécessaire à l'examen de chaque palmier.

Trois buts visés

Dans ce contexte Palm Protect vise à :

1/ définir des protocoles standardisés et quantitatif pour la détection visuelle pour chaque ravageur et espèce de palmier hôte ;

2/ achever les travaux engagés pour améliorer la sensibilité et la précocité de détection par des méthodes non visuelles porteuses d'espoir ;

3/ développer un outil de terrain permettant une aide au diagnostic géo-référencée des palmiers et des opérations de gestion des populations de foreurs en temps réel.

Détection canine

La détection de matières illicites, dangereuses – ou rares, ex. truffe – invisibles possédant une signature odorante est réalisée très efficacement par des chiens spécialisés. Cette méthode qui a prouvé son potentiel vis-à-vis du charançon est l'objet d'une nouvelle action conduite en Europe.

Détection acoustique

Divers systèmes ont été évalués vis-à-vis du charançon depuis 2000.

Le défi que relève Palm Protect est celui d'une analyse automatisée du signal sonore qui discrimine les sons générés par les larves du charançon d'autres sons, ce que l'oreille humaine ne peut faire.

Cette approche, bien que limitée au contrôle palmier à palmier, permet d'envisager des gains de sensibilité et de précocité de détection très importants et utiles pour des diagnostics en pépinière.

Piégeages olfactifs

La pratique du piégeage est générale mais l'on observe de multiples variantes locales sur le choix des appâts, la fréquence de renouvellement des pièges et le type même de ces pièges, en contradiction avec les principes qui garantissent une sensibilité maximale.

Les stratégies de déploiement demeurent très empiriques en milieu urbain sous la contrainte de la propriété privée.

Palm Protect établira sur une base comparative dans plusieurs pays, à partir des mêmes outils, des protocoles et des recommandations pour une efficacité et une rentabilité économique optimisée des pièges en incluant les résultats du volet biologie (nouveaux appâts et pièges améliorés).

Système expert pour diagnose et suivi géo-référencé des opérations de surveillance et de lutte en temps réel

Les résultats contrastés quant au succès ou à l'échec des stratégies développées jusqu'alors contre le charançon montrent combien un suivi géographique précis et rapide des fronts d'infestation est décisif pour optimiser la prise de décision.

Les personnels de terrain ont besoin d'un outil simple et performant qui à la fois les aide dans leur diagnostic visuel, sauvegarde instantanément l'observation des agents et permette d'enregistrer de la même façon toutes les opérations de surveillance et de lutte.

Il faut une centralisation continue vers les centres de décision et de coordination des opérations de lutte. Palm Protect achèvera de développer et tester sur des zones pilotes un système expert qui réponde à ces différents critères. Le programme aura recours aux technologies mobile, web et GPS combinées pour que le système soit bien adapté à la gestion de nombreux palmiers dispersés de façon complexe en environnement urbain.

Axe « lutte contre les deux ravageurs »

Deux difficultés se conjuguent

La vie surtout endophyte de ces ravageurs, le plus souvent à plusieurs mètres du sol et en milieu urbain, complique l'application efficace d'insecticides et le coût des traitements. Deux difficultés se conjuguent : d'une part, respecter les contraintes réglementaires et d'autre part atteindre les cibles.

Mieux atteindre les oeufs et les larves dans les stipes ou les bases foliaires permettra d'atteindre l'objectif réglementaire d'éradication. Des palmiers seront sauvés encore plus efficacement, avec un bénéfice paysager et économique immédiat et certain.

Approche intégrée

Palm Protect articule son activité pour une approche intégrée optimisée.

Elle sera intégrée car combinant (« intégrant ») l'ensemble des possibilités existantes ou nouvelles. Mais aussi parce qu'elle devra en même temps privilégier les options qui minimisent le risque de diffusion d'insecticides de synthèse dans l'environnement : emploi d'agents de contrôle biologiques et validation de méthodes pour optimiser l'application d'agents insecticides systémiques à fort pouvoir de distribution et de rémanence dans les palmiers.

Ce volet combine divers essais surtout de terrain et le savoir-faire d'équipes spécialisées tant publiques que privées. Les grandes lignes développées sur ce volet sont :

Produire une synthèse bibliographique critique des moyens de lutte disponibles contre les foreurs des palmiers à partir des avancées en Europe en 2012, qui sera publiée début 2013 [Jacas et coll., en préparation].

Installer des essais de terrain pour valider des protocoles efficaces d'emploi de matières insecticides tant en préventif qu'en curatif, notamment pour les deux situations les plus délicates : les îlots de quarantaine d'une part, et les grands palmiers plantés d'autre part. Dans le premier cas il s'agit de garantir la mise en circulation de palmiers sains. Quant aux grands palmiers plantés, c'est à leur propos que les contraintes techniques et réglementaires et les controverses sont aujourd'hui les plus fortes.

Volet endothérapie

Ce volet inclut d'évaluer et d'optimiser systématiquement différents paramètres relatifs à l'endothérapie.

En France, cette approche n'a été autorisée que pour une seule matière active (imidaclopride) et selon une seule procédure, en mars 2012. Un recul plus important en Espagne et en Italie montre la nécessité de mieux comprendre la migration des matières actives pour une reproductibilité accrue de l'efficacité et gagner en rémanence afin de limiter le nombre d'injections.

Palm Protect apportera des mesures scientifiques sur ces aspects qui permettent de faire évoluer les autorisations d'usages pour la lutte contre le charançon et le papillon par cette technique.

Essais de lutte biologique contre le charançon

Tester de nouveaux agents de lutte surtout biologiques contre le charançon (souches de champignons de virulence forte et susceptibles de migrer dans les palmiers, protéines insecticides...) est toujours nécessaire. Cependant l'application externe d'agents biologiques limite intrinsèquement l'efficacité vis-à-vis des larves dans les plantes.

En effet, ces agents ne touchent les cibles que par des phénomènes de capillarité ou de mobilité propre (nématodes) au sein de l'eau libre au contact de la plante, sans transport actif par flux de sève ou dans les parenchymes des stipes ou des rachis.

Palm Protect va évaluer d'autres agents pour lesquels des transports actifs sont attendus.

Définir des protocoles

Un autre axe de recherche de ce programme est de définir des protocoles pour développer des approches intégrées, combinant attractifs et répulsifs ou pathogènes (piégeage de masse, attract-&-Infect, push-pull...) et pour éliminer de façon sûre les déchets de palmiers infestés.

Il n'y a pas encore suffisamment de documents de référence établis sur une expertise collective européenne auxquels les utilisateurs puissent se référer. Palm Protect élaborera de tels documents à partir de ses propres résultats et des données antérieures, pour combler ce manque à l'appui des services réglementaires et des opérateurs.

Axe « diffusion »

Enfin Palm Protect a pour objectif de diffuser le plus largement possible le fruit de ses travaux et conclusions, auprès des organismes et services de protection des plantes et tous les acteurs de la filière « palmiers » au sein et à l'extérieur de l'UE.

La diffusion sera réalisée au fur et à mesure de l'avancement du programme.

Elle aura lieu au cours de séminaires internes ou ouverts au public spécialisé dans les pays partenaires, et sous forme d'un ensemble de documents visant différents publics publiés dans des journaux scientifiques, techniques ou mis en ligne sur le site internet du programme.