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Alerte

Premier cas de résistance de la pyrale du maïs O. nubilalis à la lambda-cyhalothrine

MYRIAM SIEGWART*, JEAN-BAPTISTE THIBORD**, SANDRINE MAUGIN***, RÉGIS DOUCET**** ET YANN FLODROPS *** ** - Phytoma - n°658 - novembre 2012 - page 35

Un haut niveau de résistance a été mis en évidence en France. Des solutions alternatives existent et doivent désormais être mises en œuvre dans le secteur géographique concerné.

La pyrale du maïs est un ravageur majeur, pouvant occasionner des dégâts économiques et sanitaires importants à la récolte. Suite à des problèmes d'efficacité de traitement au champ dans une petite région agricole de la région Centre, nous avons cherché à voir si elle n'avait pas développé une résistance aux pyréthrinoïdes.

Contexte

La pyrale du maïs et sa résistance au « Bt »

Les chenilles de la pyrale du maïs (Ostrinia nubilalis) forent les tiges et les épis de maïs, provoquant des pertes de rendements évalués en moyenne à 4 % du potentiel de rendement par larve et par plante (les pertes sont plus élevées en cas de stress hydrique)[1]. Le cycle du ravageur peut être univoltin ou multivoltin en fonction de son origine géographique et des conditions climatiques de l'année.

De nombreuses études scientifiques ont été réalisées sur la résistance de ce ravageur au Bt suite à la commercialisation de maïs génétiquement modifié produisant cette toxine. En revanche, aucun cas de résistance aux pyréthrinoïdes n'avait été jusqu'alors détecté pour cette espèce.

Pourquoi pas les pyréthrinoïdes

Cela peut s'expliquer par le fait que les surfaces faisant l'objet d'une lutte contre la pyrale du maïs sont relativement faibles (moins d'un hectare de maïs grain sur trois reçoit une protection insecticide en France) et la fréquence de traitement annuel est limitée (lutte en 1 à 2 applications maximum).

La pression de sélection est donc relativement faible. Cependant cette famille chimique est utilisée depuis les années 80 de façon régulière. Cette grande longévité, conjuguée à une lutte insecticide plus intensive contre la pyrale du maïs dans un secteur géographique donné, peut être à l'origine de l'apparition du phénomène de résistance.

Phénomène signalé et étudié au champ

Les premiers échecs de lutte chimique contre la pyrale du maïs ont été signalés au milieu des années 2000 dans un secteur géographique situé à la limite entre le Loiret, le Loir-et-Cher et l'Eure-et-Loir.

Entre 2008 et 2011, Arvalis a réalisé plusieurs expérimentations au champ dans ce secteur. Ces essais, appliquant les méthodes définies par la CEB, avaient pour objectif de comparer l'efficacité de divers produits insecticides contre la pyrale du maïs. Il y avait 4 répétitions par modalité, chaque modalité comparée à un témoin non traité et à une référence, le Karaté zéon®.

Ils ont permis de confirmer le manque d'efficacité de cette référence à base de lambda-cyhalothrine, ainsi que de plusieurs produits dont la substance active appartient à la même famille, celle des pyréthrinoïdes (Tableau 1 page suivante).

Des pratiques agricoles à risques

Cette famille, dont les premières homologations sur maïs datent du début des années 80, a été largement utilisée par les agriculteurs dans ce secteur pour lutter surtout contre la pyrale du maïs, mais aussi certaines années de façon concomitante contre des populations trop développées de pucerons ou acariens.

Ainsi, les parcelles de maïs dans lesquelles les expérimentations d'Arvalis ont été conduites ont reçu en moyenne 1,25 traitement par an à l'aide d'au moins un produit appartenant à la famille des pyréthrinoïdes. Au début des années 80, la stratégie comportait une application associant deux familles chimiques (pyréthrinoïde et organo-phosphoré). Depuis 1986, seuls des produits à base de pyréthrinoïdes ont été appliqués avec une légère intensification des traitements liée à la diminution du travail du sol et à la gestion des résidus. Le nombre d'applications de pyréthrinoïdes sur maïs a été en moyenne de 1,5 par an au cours de la dernière décennie.

Il faut souligner que le maïs n'est pas cultivé en monoculture dans ce secteur mais assolé avec du blé. De ce fait, des larves en diapause nichées dans les résidus de maïs ont occasionnellement pu être exposées à des insecticides pyréthrinoïdes, notamment lors d'une lutte contre les ravageurs d'automne sur une céréale à paille succédant immédiatement au maïs.

Résistance à la lambda-cyhalothrine confirmée au laboratoire

Deux populations testées, la suspecte du Centre et la sensible du Sud-Ouest

Au laboratoire nous avons testé l'effet d'une formulation commerciale (Karaté zéon®) à base de lambda-cyhalothrine sur deux populations, supposées l'une sensible et l'autre résistante :

– La population « centre » supposée résistante a été prélevée dans une parcelle située à Binas (Loir-et-Cher).

– La population « sud-ouest » supposée sensible provient d'une parcelle proche de Montardon (Pyrénées-Atlantiques, 64).

Des larves diapausantes piégées sur ces deux sites ont été conservées à l'obscurité à 4 °C pendant 3 mois pour lever la diapause. Pour les faire émerger, chaque larve a été placée dans un pilulier individuel contenant du coton humide, le tout placé en chambre climatique maintenue à 23 °C à une photopériode de 16hJ : 8hN.

Le stade-cible de la matière active testée étant la larve néonate, il faut réaliser les biotests sur ce stade. Cela nécessite la reproduction des insectes. Les adultes obtenus à la sortie de diapause sont donc mis dès l'émergence en couples individuels dans des boîtes rondes de 80 mm de diamètre et 50 mm de hauteur tapissées de parafilm comme support de ponte et munies d'abreuvoirs d'eau sucrée (20 %). Les œufs sont récoltés sous 7 jours et mis dans des boîtes fermées hermétiquement en attendant la sortie des larves L1, qui seront utilisées pour les biotests.

Exposition à l'insecticide

La solution insecticide est déposée à l'aide d'une micropipette à la surface d'un milieu artificiel, contenu dans les 96 puits d'une plaque de micro titration. Chaque puits reçoit 6 μl de produit pour 150 μl de milieu. Des larves âgées de moins de 12 heures sont déposées individuellement à l'aide d'un pinceau. Les puits sont ensuite fermés au moyen de parafilm et les tests incubés à 23 °C pendant 7 jours. La mortalité est alors observée sous loupe binoculaire : les individus ne répondant pas à un stimulus sont comptés comme morts ainsi que les moribonds.

Une gamme préliminaire est réalisée sur les individus de la population supposée sensible. Elle permet de définir une plage de concentration plus étroite révélant une mortalité progressive des individus de 0 à 100 %. Cette gamme est ensuite testée sur la population supposée résistante et adaptée afin d'obtenir 100 % de mortalité et pouvoir comparer ainsi les populations entre elles. Les résultats sont analysés par régression probit à l'aide du logiciel Priprobit.

DL50, une différence très significative

Les deux populations testées répondent différemment à la lambda-cyhalothrine (Figure 1). La population provenant de la région Centre (259 individus testés) est moins sensible que la population du Sud-Ouest (644 individus testés). La différence de DL50 est significative (non recouvrement des intervalles de confiance : DL50 Pop Sud-Ouest : 0,14394 ppm (0,094358 – 0,20145) vs DL 50 Pop Centre 17,179 ppm (0,54600 - 2 281 600)). Le rapport de résistance à la Dose létale 50 est de 119 (Tableau 2) : il faut 119 fois plus de produit pour tuer la moitié des individus dans la population Centre que dans la population Sud-Ouest (Figure 1).

Une forte différence de sensibilité a ainsi été montrée entre deux populations de pyrale du maïs en France. Nous pouvons dire qu'un premier cas mondial de résistance de cet insecte à la lambda-cyhalothrine a été détecté. Le rapport de résistance, de l'ordre de 100, est en parfaite cohérence avec les pertes d'efficacité au champ.

Quelles conséquences

Sur les conseils pratiques au champ

Il convient donc de ne plus employer cette substance active pour la lutte contre la pyrale du maïs dans le secteur concerné. Il est recommandé de recourir à d'autres substances actives ayant des modes d'actions différents (autre famille chimique), ou en utilisant des méthodes de lutte alternatives comme les trichogrammes. La mise en œuvre de mesures prophylactiques telle que le broyage des cannes après récole du maïs est également absolument essentielle.

Sur les travaux de laboratoires à mener

À l'avenir, des analyses complémentaires doivent être réalisées afin de vérifier si cette résistance est étendue à plusieurs membres de cette famille chimique (ce que les expérimentations conduites au champ laissent supposer). Ceci pourrait être le cas s'il y a une mutation de la cible moléculaire : le canal sodium (type kdr) comme dans le cas du carpocapse des pommes[2] ou s'il y a une résistance de type métabolique comme dans le cas des méligèthes[3].

De plus, un bilan plus complet permettra également de détecter si cette résistance s'applique à d'autres familles chimiques.

Solutions et perspectives

Par chance cette résistance est mise en évidence au moment où d'autres solutions de lutte sont présentes sur le marché.

Ainsi, plusieurs familles chimiques à modes d'action très différents ont récemment été autorisées : les diamides anthraniliques avec le chlorantraniliprole (Coragen®) et les oxadiazines avec l'indoxacarbe (Steward®). Un produit comportant du chlorpyriphos-éthyl (organo-phosphoré) est autorisé depuis 2011 ; mais la spécialité (Nurelle D550®) comporte aussi de la cyperméthrine ce qui diminue son intérêt dans le secteur exposé au phénomène de pyrale du maïs résistante aux pyréthrinoïdes. Ces produits récents présentent des efficacités intéressantes au champ, y compris dans les situations de pyrale du maïs résistante aux pyréthrinoïdes (Tableau 3).

De même, l'utilisation des trichogrammes a largement fait ses preuves. Ce type de pratique est particulièrement conseillé dans le cadre d'une bonne gestion de cette résistance. Et, contrairement aux solutions chimiques présentées plus haut, elle présente l'avantage de limiter les impacts sur les utilisateurs, les consommateurs et l'environnement.

Conclusion

La découverte d'un cas de résistance de la pyrale du maïs à la lambda-cyhalothrine pose la question de la meilleure stratégie à adopter pour lutter contre ce ravageur.

Sachant que 84 % des produits disponibles font partie de la même famille chimique à savoir les pyréthrinoïdes, il convient de raisonner leur utilisation. En outre, la mise en œuvre de mesures prophylactiques, l'usage de méthodes alternatives et l'alternance des familles chimiques sont de mise, avant d'en savoir plus sur l'étendue géographique et le spectre d'action de cette résistance.

Tableau 1 : Efficacité au champ, des échecs localisés mais indéniables.

Efficacité de différentes substances actives de la famille des pyréthrinoïdes pour la lutte contre la pyrale du maïs dans différentes parcelles du Loiret et du Loir-et-Cher exprimée en nombre de larves ou de galeries par plante (lignes beiges) ou en pourcentage d'efficacité par rapport au témoin non traité (lignes blanches).

Tableau 2 : La résistance chiffrée.

Analyse Probit (logiciel PriProbit) des doses-réponses de deux populations de pyrale du maïs à la lambda-cyhalothrine, et rapport de résistance en prenant la population la plus sensible = Pop Sud-Ouest comme référence.

Fig. 1 : La résistance visualisée.

Courbe dose-réponse des populations « Sud-Ouest » et « Centre » à la lambda-cyhalothrine (régression probit présentée par les droites de régression).

Tableau 3 : Des insecticides inégaux devant la résistance.

Comparaison de l'efficacité de différentes familles chimiques contre la pyrale du maïs dans plusieurs secteurs géographiques exprimée en nombre de larves ou galeries/plante (fond beige) ou en % d'efficacité par rapport au témoin (fond blanc).

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RÉSUMÉ

CONTEXTE : Des problèmes d'inefficacité du Karaté zéon®, insecticide à base de lambdacyhalothrine, sur la pyrale du maïs au champ dans la région Centre (France) nous ont fait soupçonner l'existence d'une résistance. Aucun cas de résistance de ce ravageur à cette famille chimique n'avait été mis en évidence ailleurs auparavant. Un test a donc été réalisé.

RÉSULTAT : Nous avons établi l'existence d'un cas de résistance de la pyrale du maïs à la lambda-cyhalothrine. Celle-ci atteint des rapports de résistance de 119 à la DL50. Elle peut donc être à l'origine d'échec de protection.

CONSÉQUENCES : Des stratégies de gestion de cette résistance doivent donc être mises en place. Heureusement, la conjoncture actuelle permet l‘accès à d'autres solutions, soit par voie chimique grâce à la mise sur le marché d'insecticides à modes d'actions variés, soit par lutte biologique à l'aide de trichogrammes, déjà largement utilisés par les agriculteurs contre la pyrale du maïs, sans oublier les méthodes prophylactiques (broyage des cannes).

MOTS-CLÉS : maïs, pyrale du maïs, Ostrinia nubilalis, résistance aux insecticides, lambdacyhalothrine, pyréthrinoïdes.

SUMMARY

TITLE : FIRST RESISTANCE REPORT OF CORN BORER (OSTRINIA NUBILALIS) TO LA MBDA -CYHAL OTHRIN (PYRETHROÏD)

STORY : In 2009, we have detected a reduce efficiency of the product Karaté zéon® in a maize field in the French central region. We have tested this population of Ostrinia nubilalis in the lab and discover resistance to lambda cyhalothrin. This is a world premiere for this chemical family on this pest. The resistance ratio reaches 119 at the DL50. It could be responsible of protection failure in the future. Monitoring strategies must be used in this affected place. Hopefully, in the actual situation we have other chemical (with a product having different action mode) or biological (Trichogramma) solutions to control this phenomenon.

KEYWORDS : Corn borer, Ostrinia nubilalis, insecticide resistance, lambda-cyhalothrine, pyrethroïd.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *M. SIEGWART ET S. MAUGIN, Inra d'Avignon ; **J.-B. THIBORD, R. DOUCET ET Y. FLODROPS, Arvalis-Institut du végétal.

CONTACT : myriam.siegwart@avignon.inra.fr

BIBLIOGRAPHIE : – Thibord J., 2009 - Ravageurs du maïs: les foreurs sous haute surveillance. Perspectives agricoles 361.

– B run-Barale A. B.J., Pauron D., Berge J., Sauphanor B., 2005 - Involvement of a sodium channel mutation in pyrethroid resistance in Cydia pomonella L, and development of a diagnostic test. Pest Management Science 61:549-554.

– Zimmer C.T. & Nauen R., 2011 - Cytochrome P450 mediated pyrethroid resistance in European populations of Meligethes aeneus (Coleoptera: Nitidulidae). Pest Biochem Physiol 100:264-272 Jul.

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