Depuis 2006, date de la découverte du charançon rouge des palmiers (CRP) Rhynchophorus ferrugineus en France, de nombreuses informations erronées ont été diffusées sur ce ravageur. Elles conduisent à une méconnaissance encore généralisée du CRP entraînant une mauvaise application de la stratégie et des méthodes de lutte qui permettraient de le contrôler.
L'objet de cet article est de corriger cette méconnaissance afin que les particuliers propriétaires de palmiers, ainsi que les professionnels et les techniciens des espaces verts des mairies, connaissent mieux ce ravageur et sachent comment l'affronter.
Situation en France
Importé et dispersé en France (où il a été détecté à partir de 2006) avec des palmiers ornementaux infestés, le charançon rouge des palmiers (CRP) s'est établi en de nombreux foyers qui ne cessent de s'étendre. Il menace maintenant de disparition rapide une grande partie du patrimoine palmier de la Côte-d'Azur. L'espèce dominante de ce patrimoine est le palmier des Canaries (Phoenix canariensis) qui constitue, de très loin, l'hôte de préférence du CRP.
Le CRP s'attaque à ce palmier quelle que soit sa taille. Si rien n'est fait pour l'en empêcher, il le tue inévitablement et très rapidement : un palmier des Canaries centenaire peut être tué en moins d'un an après avoir été infesté.
Quand les P. canariensis commencent à disparaître, le CRP s'attaque progressivement aux autres espèces de palmiers bien qu'avec une capacité d'infestation inférieure à celle qu'il présente sur le palmier des canaries.
Détection précoce tout à fait possible
Distinguer différents types de palmiers.
Sur des sujets de plus de 2-3 m de stipe et ne présentant pas de rejet, les femelles arrivent en volant et pondent leurs œufs à la base des palmes centrales. Chez ces palmiers, sauf s'ils ont été blessés dans la partie basse du stipe, l'infestation ne démarre donc pas dans le stipe.
Nous avons décrit en 2007 ces modalités d'infestation qui diffèrent fortement de celles des palmiers plus petits ou blessés dans la partie basse du stipe, et des espèces émettant des rejets. Chez ces derniers palmiers, la ponte a lieu au niveau du stipe sur lequel les femelles, après avoir atterri sur le sol, grimpent jusqu'à trouver une base de palme jeune, une blessure ou un rejet.
Ces deux modalités d'infestation aboutissent à l'apparition de symptômes très différents.
Apparition de symptômes rapidement et inévitablement visibles sur grands palmiers et espèces sans rejet
Si les œufs ont été pondus à la base des palmes centrales, les larves qui en émergent vivent cachées à l'intérieur de ces palmes. Ces larves sont invisibles mais, contrairement à ce qui a été souvent affirmé, leur présence est rapidement détectable à cause des dégâts qu'elles créent sur les palmes centrales. Ces palmes en croissance poussent et les dégâts créés entraînent inévitablement l'apparition de symptômes visuels qui peuvent être détectés de manière précoce.
Vigilance précoce
Pendant de nombreuses années, on a cru et écrit que les palmiers infestés par le CRP n'étaient pas détectables avant que toutes les palmes ne s'affaissent brutalement ou que des cocons ne tombent au sol. Cette erreur a eu un effet catastrophique. Elle a conduit les propriétaires à ne se préoccuper de l'état de leurs palmiers que bien trop tard. La possibilité de sauver les sujets présentant ces symptômes avancés était réduite et, surtout, ces palmiers étaient devenus incubateurs du ravageur : des centaines d'adultes étaient déjà partis envahir les palmiers sains du voisinage.
Aujourd'hui, il faut informer les propriétaires que tous leurs palmiers, apparemment sains au premier regard, risquent d'être infestés. Ils doivent donc les inspecter souvent pour détecter les symptômes précoces d'une éventuelle infestation. Cela permettra d'une part de sauver ces sujets, et d'autre part de mettre fin à la dispersion du ravageur.
Les élagueurs, jardiniers et propriétaires peuvent apprendre à rechercher et à identifier les symptômes d'infestation. Toute personne un peu attentive peut les détecter depuis le sol.
Détection précoce depuis le sol
Il faut d'abord se placer assez loin du palmier et observer l'ensemble de la frondaison. On recherchera des vides résultant de l'affaissement de palmes ou une dissymétrie générale de la frondaison qui s'incline latéralement (photo 1).
En s'approchant, on inspectera les palmes centrales. C'est à leur niveau que se situent les symptômes précoces : leur partie terminale ou certaines folioles peuvent être coupées (photo 2). Il faut rechercher aussi si, au milieu d'une frondaison normalement très géométrique, se trouveraient des palmes en position anormale, affaissées sur des palmes plus basses ou tombées à travers la frondaison. Elles peuvent être encore vertes ou déjà sèches (photos 3, 4 et 5).
Il est important de bien comprendre que ces symptômes résultent de l'activité des larves, non pas au moment de l'observation (les larves ne sortent pas à l'extérieur) mais plusieurs semaines avant, quand les palmes n'étaient pas encore déployées.
Détection encore plus précoce grâce à la taille de détection
La taille des palmes : un outil indispensable de détection
La taille des palmes a souvent été présentée comme une opération très dangereuse. C'est inexact. Rappelons d'abord que cette taille est en fait un effeuillage (les palmes sont des feuilles).
Il faut préciser aussi que l'absence de taille n'empêche pas les infestations : un palmier pourvu de toutes ses palmes a autant de chance, voire plus, d'être attaqué qu'un palmier déplumé. La seule différence entre un palmier taillé ou non est que les blessures résultant de la taille produisent pendant quelques jours des odeurs qui vont orienter le choix des charançons femelles vers celui qui a été taillé. S'il ne l'avait pas été, lui ou son voisin aurait été quand même infesté. Mais les blessures produites par la taille ne facilitent aucunement les infestations car elles ne constituent pas des sites de ponte.
Par ailleurs, leur protection par des mastics est tout à fait inutile et même déconseillée car il a été démontré depuis la fin des années 80 en horticulture que ce type de pratique ne favorisait pas la cicatrisation.
En revanche, pour contrer l'attirance préférentielle temporaire que produit un palmier taillé par rapport aux voisins qui ne le seraient pas, il convient de procéder à un traitement insecticide préventif juste après la taille, traitement semblable à celui obligatoire en zone contaminée par le CRP.
Symptômes détectables grâce à la taille
Outre la détection depuis le sol, il faut monter au palmier pour y pratiquer une fenêtre d'inspection (c'est même obligatoire en zone contaminée) voire une taille sévère.
Fenêtre d'inspection ou taille sévère sont indispensables pour détecter les infestations de manière précoce, car elles rendent accessibles à la vue les palmes porteuses des symptômes. De plus, la coupe des palmes à la base permet de révéler la présence d'éventuelles galeries. Il est essentiel que l'élagueur soit très attentif à ce symptôme.
En conclusion, limiter la taille aux mois d'hiver est une erreur qui risque de retarder de plusieurs mois la découverte de palmiers infestés. Entre temps, ils auront relâché de nombreux charançons, ce qui aurait pu être évité grâce à une détection plus précoce par la taille et l'ouverture de fenêtres d'inspection. De plus, ils seront assainis avec plusieurs mois de retard ce qui augmente le risque qu'ils ne soient plus ou plus difficilement récupérables. Il ne doit pas y avoir de saison préférentielle pour la taille.
Traitements curatifs, on peut sauver les palmiers infestés
Chez les palmiers de plus de 2, 3 mètres et non blessés dans la partie basse du stipe et sans rejet, les larves ne vivent pas dans le stipe
La détection précoce de l'infestation permet dans la plupart des cas, de sauver les palmiers infestés.
En effet, chez ces grands palmiers sans rejet ni blessures en bas du stipe, les larves vivent essentiellement dans la base des palmes ; en conséquence, contrairement à ce qui a souvent été affirmé, elles ne vident pas le stipe jusqu'à ce que le palmier se casse et meure brutalement. De tels phénomènes ne se produisent que chez des sujets blessés à la base du stipe, de moins de 2, 3 m de haut ou présentant des rejets. Pour ce type de palmiers, les modalités d'infestation sont souvent très différentes de celles qui ont lieu chez les grands palmiers sans rejet. Or, c'est essentiellement de ces derniers dont nous parlons ici. Nous proposerons dans un second article les mesures à adopter pour les autres types de palmiers.
Concernant les grands palmiers sans rejet et non blessés, c'est à la méconnaissance des modalités d'infestation de ces palmiers par le CRP que l'on doit les mesures d'abattage, broyage ou incinération des stipes qui ont été systématiquement adoptées en France comme dans la plupart des pays européens durant plusieurs années. Tout en étant très coûteuses et en grande part inutiles, ces mesures ont conduit, sans pour autant empêcher l'extension des foyers, à la disparition de palmiers de grande valeur qui auraient pu être sauvés.
Les larves infestent la partie basse des palmes en épargnant, sauf à la fin, le bourgeon terminal et le haut du stipe
Sur grands palmiers sans rejet, les larves du CRP qui émergent des œufs pondus par les charançons femelles à la base des palmes centrales vivent et progressent dans la partie basse de ces palmes. La plupart des adultes (hélas pas tous) qui en sont issus ont tendance à rester et se reproduire dans les palmiers infestés tant que ces derniers restent vivants (plus précisément tant qu'il y a circulation de sève).
Les larves de deuxième ou troisième génération descendent de plus en plus bas dans ces bases de palmes et finissent par s'approcher du bourgeon terminal. Ce dernier, contrairement à ce qui a souvent été affirmé, est l'organe du palmier qui reste le plus longtemps indemne. Le palmier est tué, en général non pas par les larves mais par le développement de pourritures dans les tissus qu'elles ont mâchés.
Tout cela ne se passe donc absolument pas dans le stipe, sauf au tout dernier degré d'infestation mais alors seulement dans une petite portion de sa partie haute.
Un cycle de multiplication (de l'œuf à l'adulte) chez le CRP dure de trois à quatre mois. Pendant le premier cycle et même le second, les larves n'auront causé des dégâts que dans des portions hautes de la base des palmes. Ces dégâts vont permettre ensuite de détecter les symptômes précoces d'infestation décrits plus haut.
Éliminer les portions infestées permet d'éliminer le CRP en sauvant le palmier si l'infestation a été détectée à temps
Il suffira alors d'éliminer ces portions de palmes infestées pour éliminer le CRP et sauver le palmier. En effet, comme ni le bourgeon terminal, qui constitue le cœur du palmier, ni le stipe et son système vasculaire n'auront été touchés, le palmier va reconstituer rapidement sa frondaison.
Mettre fin à la dispersion du ravageur c'est l'éradiquer
Le moteur essentiel de la dispersion du CRP est l'homme. C'est en introduisant et déplaçant des palmiers infestés qu'il génère de nouveaux foyers. L'insecte lui-même ne se déplace que sur de courtes distances sauf conditions particulières (vent, absence de palmier à proximité). L'extension des foyers du charançon se produit essentiellement par l'infestation progressive de palmiers au voisinage de palmiers infestés non assainis ou non traités. La détection précoce des palmiers infestés suivie de leur assainissement immédiat permet d'empêcher ou mettre fin à la dispersion du ravageur. Atteindre ce résultat constitue, avec le traitement préventif de tous les palmiers présents dans une zone infestée, la seule solution pour obtenir rapidement la régression du charançon rouge du palmier.
Il faut donc que les propriétaires des palmiers ou les personnes chargées de leur entretien les surveillent soigneusement et régulièrement. Par ailleurs, s'il existe dans leur voisinage un palmier avec des symptômes, ils devraient en informer en urgence son propriétaire et, à défaut, la Mairie. C'est par une mobilisation de l'ensemble de la collectivité à cette action de surveillance que le charançon rouge du palmier pourra être contrôlé rapidement.
Traitements préventifs
Piégeage massif
Le piégeage massif à l'aide de pièges olfactifs est une technique très prometteuse. Il n'est pas efficace à 100 % mais permet de réduire considérablement la population de CRP en déplacement, dès lors que la densité de pièges est suffisante et leur entretien bien assuré. Respecter ces deux paramètres implique de mettre en œuvre ce piégeage en s'appuyant sur la coopération des propriétaires de palmiers. Cela s'inscrit dans une démarche plus globale de mobilisation et de délégation d'une partie des activités de lutte contre le CRP aux mairies et particuliers. À notre regret, ce n'est pas le cas en France.
Traitements insecticides en douches ciblées
Les traitements insecticides sont obligatoires en zone infestée. Ils consistent en des douches ciblées sur la base interne des palmes où les adultes se réfugient et où les femelles vont pondre. Il ne s'agit donc pas d'une pulvérisation classique d'insecticide sur un feuillage. Les insecticides utilisés ont, dans cette zone protégée de la lumière solaire et qui forme un réservoir, une persistance d'action plus longue que celle qu'ils auraient en pulvérisation.
Deux produits, un chimique et un biologique
Deux types de produits sont actuellement utilisables en France : un insecticide chimique à base d'imidaclopride à 20 % et plusieurs spécialités biologiques à base de nématodes de l'espèce Steinernema carpocapsae. Ces dernières sont plus délicates d'emploi car elles exigent le respect d'une stricte chaîne du froid pour assurer la survie des nématodes jusqu'au moment de leur emploi. De plus, ce dernier doit avoir lieu aux heures les plus fraîches de la journée. Il faut souligner que l'imidaclopride, dans le cadre de ces traitements, n'agit pas par systémie mais par contact ou ingestion. En effet, la cuticule épaisse qui recouvre les feuilles de palmiers empêche sa pénétration.
Ces deux traitements, aussi efficaces l'un que l'autre, assurent une bonne protection des palmiers à condition d'être réalisés correctement et répétés tous les mois.
Cette fréquence élevée rend leur application lourde et coûteuse sur grands palmiers (il en sera de même avec le champignon Beauveria s'il est autorisé) vu la dimension prise par les foyers depuis deux ans.
Et l'endothérapie ?
La prise en compte des paramètres économiques et pratiques ainsi que des contraintes sanitaires d'une lutte en milieu urbain a conduit la station Phoenix de l'INRA à engager, depuis plusieurs années, des recherches sur l'emploi de méthodes d'endothérapie. Suite aux excellents résultats obtenus dans ce domaine, l'Association française des professionnels du palmier (AFPP) a demandé en octobre 2011 au ministère de l'Agriculture d'autoriser, dans le cadre d'une dérogation d'urgence, une technique d'endothérapie mise au point par l'INRA.
Celle-ci consiste à introduire selon une modalité simple un insecticide de la famille des avermectines dans le stipe des palmiers. Elle a l'avantage de minimiser considérablement les risques sur la santé et l'environnement puisque l'insecticide est confiné dans le palmier. Elle est pratique et peu coûteuse à mettre en œuvre. Un seul traitement par an suffit.
En mars 2012, le ministère de l'Agriculture a autorisé une technique d'endothérapie à l'aide d'un autre insecticide. À notre connaissance, elle est moins performante et plus coûteuse que celle pour laquelle l'AFPP avait formulé sa demande de dérogation. En particulier, elle exige le renouvellement des traitements tous les deux mois. Enfin, des conditions de mise en œuvre particulières limitent son intérêt.
Elle constitue néanmoins un premier pas car il a été reconnu officiellement pour la première fois en France que le traitement par endothérapie « est de nature à rendre négligeable l' exposition des personnes vivant ou circulant au voisinage des palmiers traités ainsi que celle des organismes de l'environnement, notamment les pollinisateurs » (Avis de l'Anses du 3/4/2012).
La technique testée par l'INRA va faire l'objet d'une demande d'autorisation de mise sur le marché prochainement. Souhaitons qu'elle aboutisse très vite afin qu'il soit possible de traiter tous les palmiers des zones infestées de façon rapide et à coût accessible. Cela permettrait de mettre fin à l'expansion explosive du CRP et obtenir rapidement sa régression dans le cadre d'une stratégie plus simple que celle actuellement proposée et qui n'est plus adaptée à la dimension considérable prise par les foyers de CRP depuis deux ans.
Le CRP, une menace mortelle D'insecte utile à ravageur mortel
Le charançon rouge des palmiers (CRP) est un insecte originaire d'Asie du Sud-Est. Il a été transporté par l'homme dans des palmiers infestés hors de sa région d'origine. Dans celle-ci, il vit en équilibre et est même considéré comme un insecte utile contribuant à l'alimentation protéinée des habitants.
En revanche, dans tous les pays où il a été introduit, il se comporte comme un ravageur mortel des palmiers. Depuis 1993, il occasionne des dégâts très graves dans les palmeraies de plusieurs pays de la rive sud de la Méditerranée.
À partir du début des années 2000, des palmiers ornementaux infestés ont été importés et dispersés dans tous les pays d'Europe du Sud. À partir de ces sujets, le CRP a gagné les palmiers des espaces verts. Depuis lors, plusieurs centaines de milliers de palmiers ont été abattus sans empêcher l'extension toujours plus rapide du ravageur.