Retour

imprimer l'article Imprimer

dossier - Les quatre chemins du biocontrôle

La laminarine contre la tavelure du pommier

AUDE BERNARDON-MERY* ET JEAN-MARIE JOUBERT*. - Phytoma - n°662 - mars 2013 - page 28

Résultats intéressants pour cet éliciteur contre la tavelure secondaire, c'est-à-dire pour des applications d'été et jusqu'à la récolte. Ils sont mesurés au verger mais aussi durant la conservation.

La tavelure est certainement la maladie la plus dommageable en vergers de pommiers : les taches qu'elle provoque sur les pommes déprécient la production. De plus, des dégâts peuvent apparaître en cours de conservation. Face à cette problématique, un produit à base de laminarine a été testé. Il vient d'être autorisé sur tavelure.

Précisions sur les statuts

Statut légal européen de la substance

La substance active de ce produit, la laminarine, est un (1—3)-ß-D-glucane naturel extrait d'une algue brune, Laminaria digitata, par les Laboratoires Goëmar. Elle est approuvée comme substance phytopharmaceutique selon le règlement 1007/2009.

Statuts légaux nationaux des produits qui en contiennent

Iodus® 2 Cultures Spécialisées, comme son second nom commercial Vacciplant® Fruits et Légumes, sont des préparations spécifiques aux cultures fruitières et légumières à base de laminarine.

Ces préparations ont reçu des autorisations de mise sur le marché dans divers pays européens, actuellement uniquement en vergers et sur fraise. Elles visent entre autres :

le feu bactérien du pommier et du poirier en Grèce, en France, en Belgique, en Suisse, au Portugal et au Maroc,

la tavelure du pommier en France et en Belgique,

les maladies de conservation (Gloeosporium) du pommier en Belgique.

Le produit est reconnu utilisable en agriculture biologique aux niveaux français (UAB) et européen. Il est sur la liste française « Nodu vert biocontrôle ». Sans résidu toxique, il est sans limite maximale de résidus (LMR). Il n'a pas de délai d'emploi avant récolte. Son mode d'action « multivoies » l'écarte des phénomènes de résistance. On peut l'utiliser jusqu'à 20 fois par saison !

Statut scientifique : un éliciteur exogène

De nombreuses recherches ont montré que les cellules végétales possèdent l'équipement génétique pour se défendre contre un agresseur et qu'elles sont capables de reconnaître spécifiquement certaines molécules dites « stimulants des réactions de défense » (Ebel et Cosio, 1994). Ces molécules peuvent provenir de la plante (éliciteurs endogènes) ou de l'extérieur (éliciteurs exogènes, produits par des agents pathogènes ou non). La laminarine est un éliciteur exogène. Elle stimule les réactions de défense (Klarzynski et Fritig, 2001; Aziz A. et al., 2003). Autrement dit, elle aide la plante à se protéger elle-même contre des parasites.

Analyse du mode d'action

Ce qu'on voit au niveau cellulaire

Des travaux ont été effectués in vitro, sur des suspensions cellulaires de tabac.

Il a été démontré que la laminarine est perçue très rapidement par ces cellules végétales, ce qui se caractérise par une stimulation des flux ioniques membranaires. Trente secondes après son introduction dans le milieu cellulaire, on observe en effet une réponse d'alcalinisation extracellulaire, suivie quelques minutes plus tard par une libération de péroxyde d'hydrogène dans le milieu de culture.

Les voies des phénylpropanoïdes (la phénylalanine-ammonia-lyase) et des oxylipines (la lipoxygénase), deux voies métaboliques impliquées dans les réactions de défense, sont ensuite stimulées.

Des étapes de phosphorylation de protéines jouent un rôle-clé dans la signalisation initiale que met en place la cellule végétale lorsqu'elle perçoit une agression ou un éliciteur. Des expériences de perte de fonction utilisant la staurosporine, qui est un inhibiteur de ces étapes de phosphorylation, ont prouvé que la laminarine agit en éliciteur des réponses de défense des plantes.

Où l'on parle d'acide salicylique

En effet, lorsque la staurosporine bloque ces étapes initiales de signalisation, la stimulation des défenses par la laminarine est inhibée (Klarzynski et al., 2000). Ceci montre que la laminarine induit bien une activation des voies de signalisation caractéristiques des éliciteurs.

Sur plante entière, le potentiel de la laminarine à stimuler le métabolisme de défense des plantes s'exprime notamment par l'induction d'une forte accumulation d'acide salicylique. C'est un signal impliqué dans l'établissement de la résistance systémique acquise (SAR) et l'accumulation de protéines de défense (PR Protéines).

La laminarine induit plusieurs étapes-clés de la batterie de défense du tabac, dont l'accumulation de produits directement anti-microbiens (notamment quatre familles de protéines PR). Elle conduit à une forte stimulation de la résistance du tabac contre la bactérie Erwinia carotovora.

Ni hypersensibilité, ni mort cellulaire, ni effet direct sur les pathogènes

Il a été démontré en conditions contrôlées qu'une application de laminarine permet de stimuler les mécanismes de résistance naturelle de la plante sans induire de réaction d'hypersensibilité ni de mort cellulaire (Klarzynski et al., 2000). Et sans effet direct sur les agents pathogènes.

D'autres résultats obtenus en conditions contrôlées ont montré que les effets de la laminarine ne sont pas limités au tabac. Elle stimule des réponses de défense chez le tabac, le blé, la vigne (Aziz A. et al., 2003), le fraisier et le pommier.

Douze ans de travaux

33 essais sur variétés sensibles

On compte 33 essais menés de 2000 à 2011, surtout en Europe (France, Italie, Belgique, Pologne), pour évaluer l'efficacité de la laminarine contre la tavelure du pommier. Ces essais ont été conduits en contamination naturelle au verger dans de grands bassins de production, sur des variétés sensibles à la tavelure (Golden delicious, Golden smoothy, Read cheaf, Galaxy, Gala, Pink Lady...)

Mis en place au verger

Deux types d'essais ont été réalisés, tous sur vergers adultes :

– essais d'efficacité avec la laminarine seule. Ils ont permis de sélectionner la dose et la cadence la plus adéquate.

– essais de valeur pratique (Tableau 1 et Figure 1) comparant un programme fongicide classique à un programme intégrant la laminarine durant la phase secondaire de contamination par la tavelure (conidies) et en Gloeosporium.

L'ensemble des essais d'efficacité et de valeur pratique sont mis en place selon un dispositif de Fisher avec un minimum de 4 blocs.

Une randomisation est réalisée par bloc. Le témoin non traité est exclu du dispositif et sert à noter la présence de la tavelure, son importance, sa répartition et son évolution. La parcelle élémentaire comprend 5 arbres au minimum. Le nombre d'arbres peut varier en fonction de la forme, de l'écartement sur la ligne et dans les interlignes, et du type d'appareil utilisé pour les traitements.

Les produits sont appliqués en pulvérisation foliaire avec un appareil pneumatique à dos (type Solo). Le volume de bouillie, adapté au volume de végétation du verger, varie de 200 l à 1 000 l/ha de haie fruitière.

Notations, statistiques

Les observations sont faites sur feuilles et/ ou fruits après chaque sortie importante de taches dans les parcelles témoins.

Pour les essais réalisés en période de contaminations secondaires, une observation est réalisée à la mise en place de l'essai pour vérifier l'homogénéité de la parcelle, et une autre à la récolte. Les observations sont faites sur au moins les 3 arbres centraux, les moins exposés aux projections de bouillie destinée aux parcelles voisines.

Les notations suivent les méthodologies OEPP 18, OEPP 5 et les méthodologies CEB 14 et 225 ou la méthodologie de PC Fruit. Ces variables sont soumises à une analyse de variance (risque de 5 %) puis au test de Newman et Keuls pour comparer les modalités entre elles. Le témoin étant exclu du dispositif dans les essais visant la tavelure, il est exclu de l'analyse de variance.

Pourquoi tester sur tavelure « secondaire »

Vu les résultats des essais d'efficacité « laminarine seule »

Les essais ont permis d'étudier la dose adéquate et la persistance d'action de la laminarine contre la tavelure du pommier.

Parmi eux, 6 essais ont permis d'évaluer l'efficacité de la laminarine à la cadence de 8-10 jours et à la dose de 33,7 g/ha durant la période des contaminations primaires (ascospores) et secondaires (conidies) :

– 49 % à 60 % sur la fréquence des feuilles tavelées (issu de 10 notations et 6 essais) ;

– 63 à 67 % sur l'intensité des feuilles tavelées (issu de 10 notations et 6 essais) ;

– 60 % sur la fréquence des fruits tavelés (issu de 7 notations et 6 essais).

On a étudié les effets sur la tavelure secondaire, en été et en automne

Le niveau d'efficacité de la laminarine, mais aussi l'absence de résidu toxique et celle de délai d'emploi avant récolte suggèrent que la laminarine est particulièrement adaptée aux traitements proches de la récolte.

Cela a conduit à expérimenter le produit sur la période estivale et automnale, période de projections conidiennes (tavelure secondaire), dans des essais dits de valeur pratique.

Cinq essais « valeur pratique »

Comparaisons à partir de juillet

Ces 5 essais de valeur pratique (Tableau 1 p. 29) ont donc permis de tester la laminarine intégrée dans un programme de protection fongicide en deuxième partie de saison.

Auparavant, durant la phase de projections des ascospores (tavelure primaire), un programme fongicide classique a été réalisé sur toutes les modalités des essais.

Puis, durant la phase conidienne (tavelure secondaire), les essais comparent une stratégie standard fongicide à une stratégie intégrant des applications de laminarine. Dans cette stratégie, l'usage de fongicides durant cette période est réservé aux situations curatives ou de contamination grave : pluies successives pendant au moins 18 heures (maintien de l'humectation de la végétation durant au moins 18 heures) ou pluie(s) supérieure(s) à 25 mm.

En fait dans ces essais, aucun fongicide n'a été nécessaire pour le programme avec laminarine en période de contaminations secondaires. Ils ont donc comparé, sur la période, les modalités :

– Témoin (aucun traitement sur la période),

– Fongicides standards,

– Laminarine (sans apport de fongicide).

Des efficacités du niveau de celles des fongicides chimiques

La laminarine abaisse la fréquence de feuilles et de fruits tavelés dans chacun des essais (Figures 1 et 2). Le niveau de protection qu'elle apporte est comparable à celui d'un fongicide (dithianon ou captane).

Dans ces contextes de pressions faible à moyenne, la laminarine sécurise la protection au même titre qu'un fongicide de contact (Figures 1 et 2). Au final, sur feuilles et fruits, dans tous les essais, la laminarine protège avec un niveau équivalent à un programme « tout fongicide » (dithianon ou captane) en se substituant à 8 à 11 applications de fongicide.

Effet des traitements au verger sur la récolte... et la conservation

Un essai mis en place en 2010

En 2010, un nouvel essai a été mis en place à Beauquesne (80) sur la variété Jonagored par la société Staphyt (Tableau 2).

Là encore, la laminarine est appliquée durant la phase conidienne (tavelure secondaire) avec usage des fongicides réservé aux situations curatives ou de contamination grave (conditions citées plus haut).

Une première notation a été réalisée le 8 juillet sur toutes les parcelles élémentaires : dans le témoin, les feuilles ont une fréquence de 16 % et une intensité de 1 %, et 82 % des fruits sont sains.

Résultats contre la tavelure au verger

Entre la mise en place de l'essai et la récolte, la tavelure progresse d'environ 19 % en fréquence sur feuilles et 6 % sur fruits. Dans ce contexte, le programme intégrant la laminarine apporte une protection équivalente au programme classique.

L'effet continue en conservation

Des fruits indemnes de tavelure sont prélevés lors de la récolte et conservés au froid. Sur deux mois, la tavelure se développe en conservation et le programme intégrant la laminarine apporte une protection équivalente au programme classique (Tableau 2). Ainsi, le programme raisonné laminarine/ fongicide protège de la tavelure les feuilles et fruits au verger et en conservation à un niveau similaire à un programme fongicide standard. Dans cet essai, la laminarine a remplacé 5 fongicides conventionnels.

Confirmation en 2011

Effet sur la tavelure au verger

En 2011, un essai de valeur pratique a été mis en place dans la région de Cuneo, en Italie sur la variété Golden (Tableau 3).

Une première notation a été réalisée le 12 juillet sur feuilles (5 % en fréquence) et fruits (100 % de fruits sains). La tavelure progresse peu entre ce moment et la récolte (6 points/fréquence sur feuilles). Le programme intégrant la laminarine a une efficacité équivalente au programme standard.

Et sur la tavelure en conservation

Des fruits indemnes de tavelure sont prélevés lors de la récolte et conservés au froid. Le programme intégrant la laminarine (modalité 3 : « raisonnée laminarine ») offre une protection équivalente au programme fongicide contre la tavelure en conservation. Par ailleurs la laminarine a montré une action contre le Gloeosporium.

Le programme raisonné laminarine/fongicide protège les feuilles et les fruits au verger et en conservation contre la tavelure à un niveau similaire à un programme fongicide standard. Dans cet essai, la laminarine a remplacé 5 fongicides.

Conclusion

La laminarine est un stimulateur des réactions de défense possédant une action contre un large spectre de pathogènes de type champignon (Venturia inaequalis et Gloeosporium) ou bactérie (E. amylovora). Rapidement après son application, la laminarine est dégradée en oligosaccharides de petites tailles qui eux-mêmes se dégradent en glucose. Cette substance n'a pas de LMR ; elle peut être utilisée au plus près de la récolte (DAR: 0 jour) et entre les cueilles. Elle est non toxique pour l'utilisateur, le consommateur et l'environnement. Par ailleurs, aucune phytotoxicité n'a été observée.

La laminarine protège le pommier contre :

– Le champignon V. inaequalis responsable de la tavelure, réduisant la maladie à hauteur de 60 % sur feuilles et 60 % sur fruits.

– La bactérie E. amylovora responsable du feu bactérien des pommier et poirier réduisant la maladie à hauteur de 50 % à 60 %. Vacciplant Fruit et Légumes et Iodus 2 Cultures Spécialisées doivent être appliqués en préventif, au verger, à 0,75 l/ha (33,75 g de ma/ha), à cadence moyenne de 7-10 jours pour lutter contre la tavelure.

Dans un programme anti-tavelure, ils s'utilisent seuls (à la place d'un fongicide) en situation de pression moyenne.

Utilisés sur la phase de contaminations secondaires, ils répondent aux attentes des producteurs de pommes pour une lutte efficace contre la tavelure, sans contrainte de délai avant récolte, tout en leur permettant de mieux atteindre leurs objectifs de réduction des résidus sur fruits.

Vacciplant Fruits et Légumes constitue ainsi un maillon important de la protection fruitière intégrée.

RÉSUMÉ

CONTEXTE : Les vergers de pommiers français connaissent une perte d'accès réglementaire aux fongicides de pré-récolte et la montée en puissance de la pression résidus. Cela rend opportune toute innovation de biocontrôle permettant de traiter peu avant récolte sans laisser de résidus.

RÉPONSE : La laminarine, matière active de Vacciplant®, répond à cette exigence (pas de résidus donc de délai avant récolte). Cette substance naturelle (oligosaccharide extrait de l'algue Laminaria digitata) est un éliciteur qui active la résistance naturelle des plantes.

RÉSULTATS : Ce produit, utilisé au verger contre les contaminations secondaires (à partir de juillet en Europe), assure une protection équivalente aux programmes conventionnels contre la tavelure, à la récolte et en conservation, sans contrainte de délai avant récolte. La réduction des traitements fongicides ainsi réalisée en pré-récolte permet de diminuer les problèmes de résidus fongicides détectables dans les fruits.

MOTS-CLÉS : biocontrôle, substances naturelles, laminarine, éliciteur, verger, pomme, tavelure Venturia inaequalis, conservation.

SUMMARY

LAMINARIN (VACCIPLANT®) AGAINST APPLE SCAB <i>(VENTURIA INAEQUALIS) </i>USED AT THE ORCHARD AND FOR STORAGE

Laminarin, the active ingredient of Vacciplant, is an oligosaccharide extracted from the seaweed Laminaria digitata. This elicitor triggers plant natural resistance via the induction of plant defense mechanisms.

Field tests in european orchards show that Vacciplant included in protection programs against scab at the orchard and for storage ensures similar protection to conventional programs, with no pre harvest interval constraint. The reduction of chemical fungicide treatments before harvesting allows reducing the quantity of residues and the number of detected fungicide molecules in apple.

A welcome innovation in a context of reduced access to pre harvest fungicides for regulatory purposes and increasing concern about residue issues.

KEY WORDS : orchards, apple trees, scab, Venturia inaequalis, laminarin, elicitor, biocontrol.

Fig. 1 : Résultats de ces 5 essais « valeur pratique » : fréquence de feuilles tavelées à la récolte.

Fig. 2 : Essais « valeur pratique » : fréquence de fruits tavelés à la récolte.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *A. BERNARDON-MÉRY et J.-M. JOUBERT, Laboratoires Goëmar, Parc Technopolitain Atalante, CS 41908 Saint-Jouan-des-Guerets, 35419 Saint-Malo Cedex. Tél. 02 99 19 19 19.

LIEN UTILE : www.goemar.com

BIBLIOGRAPHIE : – Aziz A., Poinssot B., Daire X., Adrian Marielle, Bezier A., Lambert B., Joubert J.M., Pugin A., 2003- Laminarin Elicits Defense Responses in Grapevine and Induces Protection Against Botrytis cinerea and Plasmopara viticola. Molecular Plant - Microbe Interactions, 16, 1118-1128.

– Ebel J. and Cosio E.G., 1994 - Elicitors of plant defense responses. Int. Rev. Cytol. 148, 1–36.

– Klarzynski O., Fritig B., 2001- Stimulation des défenses naturelles des plantes-France. Life Science, 324, 953-963.

– Klarzynski O., Plesse B., Joubert J.M., Yvin J.C. Kopp M., Kloareg B., Fritig B., 2000 - Linear b-1,3 Glucans are Elicitors of Defense Responses in Tobacco-France. Plant Physiologie, 124, 1027-1037.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :