Conseiller les arboriculteurs, c'est bien, mais passer à la pratique grandeur nature et à temps complet, c'est encore plus passionnant ! C'est le saut qu'a réalisé Étienne Benoit en s'installant en 1991, après 14 ans passés à la chambre d'agriculture, sur une exploitation de 8,6 ha créée de toutes pièces.
Aujourd'hui elle compte plus de 22 000 arbres dont 19 000 pommiers sur 13,5 ha. De formation hôtelière, Nathalie Benoit a attrapé le virus de l'arboriculture lors d'une saison en 1992. Elle est associée à Étienne depuis 2001. Tous deux assurent toute la commercialisation, en direct dans leur propre magasin ainsi qu'à deux hypermarchés et deux grossistes lorrains.
La PFI pour vendre en direct
Ce contact avec le consommateur les a poussés vers la PFI, production fruitière intégrée. En 2006, l'exploitation est l'une des premières à être qualifiée « Agriculture raisonnée » dans la Meuse.
« Alors que le chiffre d'affaires en pomme baisse un peu partout depuis 2010, nous avons réussi à stabiliser le nôtre grâce à cette qualification. » Valable cinq ans, elle n'a cependant pas été renouvelée, la démarche HVE prenant peu à peu la place dans le débat public.
« Mais en l'absence de visibilité sur le niveau 3, nous ne partons pas prématurément dans cette démarche avec le risque que cela tombe à l'eau : c'est de l'énergie, du temps et de l'argent investis. »
Objectif : limiter les traitements
Et du temps, ils n'en ont jamais à revendre ! Outre la vente et le calibrage des fruits supervisés par Nathalie, la taille et la récolte, la protection du verger occupe beaucoup Etienne. Son objectif ? Limiter les traitements. Comment ? En s'aidant du « Bulletin de santé des végétaux » (BSV) et des avertissements agricoles belges, région fruitière proche avec des conditions climatiques semblables.
Sans oublier l'observation minutieuse du verger, surtout aux périodes critiques.
Ensuite, en étant disponible pour traiter au bon moment, ni trop tôt ni trop tard pour ne pas avoir à « jouer au pompier » avec de nombreux traitements curatifs... Enfin, en ayant recours à des méthodes alternatives, ou en prenant le risque de ne pas traiter... sans assurance en cas de mauvaise décision. Tout un programme ! Sans compter qu'au verger, la décision d'une année peut avoir des répercussions les années suivantes.
« Cela apporte une valorisation intellectuelle à notre métier », souligne l'ancien conseiller que cette complexité n'effraie pas, au contraire.
Contre les maladies, d'abord la prophylaxie
Côté maladie, la tavelure sur pommier et poirier constitue le problème phytosanitaire numéro un dans la région. « C'est plus de la moitié des interventions de protection. »
Il commence par les méthodes prophylactiques : broyer finement les feuilles pour réduire l'inoculum de jusqu'à 60 % et réaliser une taille plus aérée des arbres.
« Si, début juillet, la maladie est toujours absente, nous nous passons de fongicide. Depuis l'an dernier, j'utilise aussi Iodus, de Goëmar, en juillet-août pour éviter les petites contaminations secondaires. »
Autres maladies, autres méthodes : élimination des rameaux de pommier atteints par l'oïdium en hiver. Ou encore, pour les pêches, abricots et variétés de pomme de début de saison, récolte manuelle, calibrage en douceur et vente rapide pour ne pas devoir traiter contre les maladies de conservation. Pour les autres variétés, Iodus a également un effet. Cependant, un fongicide reste indispensable pour contrer la cloque du pêcher ou la moniliose de l'abricot.
Insectes, protéger les auxiliaires
Côté insectes, Étienne favorise au maximum les auxiliaires type punaises anthocorides et forficules (perce-oreille), prédateurs du psylle, ravageur principal du poirier. Résultat : aucun traitement depuis 1996 contre les psylles.
« Contre la sésie du pommier, les pièges à phéromones (photo), posés dans les parties les plus atteintes, nous alertent sur le démarrage du vol. Les pièges alimentaires sont alors installés dans le reste du verger. »
Quand la solution chimique est la seule (contre les anthonomes sur pommier par exemple), Étienne Benoit ne veut pas entendre parler de matières actives type pyréthrinoïdes qui risquent de détruire les auxiliaires et remettre ainsi en cause l'équilibre, fragile, fruit d'années de travail.
Mais deux ravageurs l'inquiètent : le rhynchite rouge sur pommier et surtout la punaise pentatomide sur poirier.
« Pour l'instant, le premier n'a pas causé beaucoup de dégâts mais il s'est multiplié. En 2013, je crains des conséquences économiques. » À cause de la seconde, 50 % des poires Comice étaient invendables en 2012. En 2013, Etienne va devoir traiter. Problème : seules des pyréthrinoïdes sont disponibles.
« Là, je n'ai hélas pas le choix. Les auxiliaires éliminés risquent de laisser la place à d'autres ravageurs et on ne sait pas lesquels. Il va donc falloir redoubler de vigilance. On peut considérer cela comme un échec en matière de protection intégrée. »
Si, demain, la science...
Étienne Benoit rêve alors à un futur où les arboriculteurs bios et les conventionnels pourraient utiliser la même gamme de produits tolérables pour l'environnement.
« Si, demain, la science fait du bon travail, on y arrivera », conclut, confiant, l'arboriculteur Farre.