Le giclage de la bière est un phénomène de génération de mousse plus ou moins explosive suite à l'ouverture d'une bouteille de bière, sans agitation préalable (Gjertsen 1967, Photo). La perte de bière par cette génération de mousse peut dépasser 50 %. Le problème, dit « gushing » en anglais, est connu depuis de nombreuses années. Des articles à son sujet ont été publiés depuis le début du XXe siècle.
Giclage et fusarioses, ce qu'on savait déjà
La fréquence augmente
Ce phénomène impacte de manière négative le produit. Il est considéré comme une des altérations majeures de la qualité de la bière par les industriels du monde brassicole. En particulier les Français, leader sur le marché de l'orge de brasserie et du malt (Encadré 1), sont très sensibles et vigilants face à ce problème.
Cette altération était observée jusqu'à présent tous les 10 ans. À la récolte 2007, elle a touché environ 20 % des lots de malt français. Au lieu de disparaître les années suivantes, comme cela avait été le cas lors des cycles précédents, elle s'est reproduite dès la récolte 2012, avec une incidence importante. Nous verrons plus loin qu'elle était prévisible.
Principale cause, les métabolites de moisissures
Le giclage est un phénomène complexe. Ses mécanismes et ses causes ne sont pas encore totalement élucidés.
De nombreuses causes ont été reportées (Gardner 1973, Pellaud 2002). Cependant, il est admis aujourd'hui que la cause principale est la présence sur le malt de métabolites dus à l'infection de l'orge par certaines moisissures de champ.
La plupart des recherches réalisées dans les dix dernières années suggèrent que des petites protéines situées à la surface des cellules fongiques, les hydrophobines, seraient directement responsables de cette altération (Kleemola et al., 2001).
Du genre Fusarium ? Pas toutes et pas seulement
Si les recherches menées par l'Institut finlandais (Sarlin, 2012) soutiennent l'idée que le giclage est étroitement associé à la contamination des orges par les moisissures du genre Fusarium, les données acquises ces dernières années, notamment en France, montrent :
– d'une part, que toutes les espèces du genre Fusarium ne sont pas génératrices de giclage,
– d'autre part que d'autres genres de moisissures peuvent être impliqués dans le giclage. Ainsi l'IFBM a récemment montré que Microdochium nivale et M. majus étaient à l'origine du giclage dans la filière orge de brasserie française (Boivin, 2009).
Enfin, il ne faut pas exclure que la présence de plusieurs espèces ou la combinaison de facteurs fongiques (primaires) et de facteurs secondaires (orge, cristaux, etc.) soient susceptibles de générer le phénomène.
De façon générale les mécanismes biochimiques et physicochimiques associant moisissures, hydrophobines et/ou orge au phénomène de giclage sont totalement inconnus.
Un projet IFBM-université de Lorraine, financé par la DRAAF Lorraine et les industriels de la filière bière, va être initié pour identifier les composés produits par les moisissures responsables du giclage et développer des méthodes fiables pour évaluer le potentiel de giclage de l'orge.
Fusarium et Microdochium quantifiés
Neuf espèces en PCR quantitative
L'IFBM a développé une méthode rapide pour quantifier les moisissures de champ contaminant les céréales et en particulier l'orge de brasserie. Il s'agit de la PCR quantitative (Régis Fournier 2010).
Des amorces spécifiques ont été développées pour quantifier neuf espèces liées aux fusarioses de l'épi : sept du genre Fusarium : F. graminearum, F. culmorum, F. poae, F. langsethiae, F. sporotrichioides, F. avenaceum et F. tricinctum, et deux du genre Microdochium : M. nivale et M. majus.
Ces neuf espèces sont majoritairement présentes sur céréales et représentent plus de 90 % des moisissures de champ infestant l'orge de brasserie. Depuis 2009, l'observatoire de la récolte d'orge de brasserie en France est réalisé par PCR quantitative.
Identification visuelle, indispensable complément
L'identification des moisissures par la méthode visuelle est utilisée en complément. D'une part elle permet de confirmer l'identification des espèces présentes. D'autre part et surtout, elle permet de détecter l'apparition éventuelle de nouvelles espèces qui s'ajouteraient aux neuf détectées et quantifiées par PCR. Ce qui est indispensable.
Résultats sur les récoltes 2011 et 2012
En 2011, faibles contaminations
Le Tableau 1 donne les résultats de l'observatoire de l'orge de brasserie de la récolte 2011, réalisé par PCR quantitative sur 183 échantillons provenant des différentes zones de production française.
Les niveaux médians de contamination par les différentes espèces de moisissures de champ sont très faibles, de 1 à 28 génomes pour 1 000 génomes d'orge. Ces résultats étaient en accord avec la qualité sanitaire de l'orge de brasserie de la récolte 2011 évaluée par les industriels de la filière.
Parmi les échantillons analysés, quelques échantillons étaient très contaminés, comme le montre le maximum (plus de 10 000 génomes pour F. graminearum et M. nivale).
En 2012, davantage de contaminations, surtout par M. nivale et F. tricinctum
Le Tableau 2 donne les résultats de l'observatoire de l'orge de brasserie de la récolte 2012, réalisé par PCR quantitative sur 101 échantillons provenant des différentes zones de production française.
La quantification par PCR a montré que les échantillons d'orge de brasserie de la récolte 2012 étaient bien plus contaminés que ceux de la récolte 2011. La contamination était principalement due à M. nivale et F. tricinctum. La médiane en nombre de génomes était de 441 pour M. nivale en récolte 2012 contre 11 pour la récolte 2011.
Ces résultats obtenus par PCR étaient cohérents avec ceux d'identification visuelle et l'évaluation de la qualité sanitaire par le % de grains G et le potentiel giclage du malt.
Les orges de printemps surtout
Si l'on compare les contaminations des moisissures par PCR quantitative des orges de printemps avec celles des orges d'hiver (Tableau 3, page suivante), on note que M. nivale et F. tricinctum sont les deux moisissures majoritaires pour les deux espèces d'orge, et que les orges d'hiver sont beaucoup moins infestées que les orges de printemps.
L'observatoire mycotoxines confirme que les orges d'hiver étaient moins contaminées que les orges de printemps. De plus, il y a une bonne corrélation entre la masse fongique déterminée par PCR quantitative, le niveau de mycotoxines et le risque de giclage.
Les derniers résultats obtenus à IFBM de l'impact des moisissures sur le giclage de la bière ont montré que F. tricinctum et Microdochium sp., principales moisissures contaminant l'orge de brasserie, étaient impliquées dans le phénomène.
Recherche d'un test prédictif de qualité
Prélèvement d'épis une semaine après floraison
Une évaluation précoce de la qualité sanitaire et du risque de giclage de la récolte d'orge de brasserie est une information stratégique pour les malteurs.
Sachant que toutes les moisissures de champ contaminent l'orge de brasserie à la floraison puis se développent sur le grain (Figure 1), nous avons prélevé en 2012 des épis une semaine après la floraison (photos du Tableau 4) pour identifier et quantifier les moisissures présentes par PCR quantitative.
Microdochium nivale, fauteur de giclage
Le Tableau 4 montre les moisissures contaminant les épis d'orge présentant des symptômes prélevés une semaine après la floraison en 2012. On a constaté que les symptômes étaient principalement dus à l'infection par M. nivale. Sachant que cette moisissure est impliquée dans le giclage de la bière, on a pu prédire précocement que l'année 2012 serait une année à gushing. Ce qui se confirma.
Prévoir le giclage dès la floraison
Même si l'orge de brasserie française est reconnue pour ses grandes qualités brassicoles qui ont fait le succès des malteurs français, elle est comme toutes les céréales attaquée par un cortège parasitaire complexe. Les champignons pathogènes de l'épi sont chaque année responsables de dégradations sanitaires et technologiques :
– via la production sur l'épi de mycotoxines pouvant présenter des niveaux supérieurs à la recommandation (200 ppb pour T2+HT2, voir Encadré 2),
– et induisant des altérations fonctionnelles du malt, responsables entre autres du phénomène de giclage.
Les études menées récemment à IFBM ont montré que Fusarium tricinctum et Microdochium sp., principales moisissures contaminant l'orge de brasserie, étaient responsables du giclage de la bière. La mise au point d'outils biomoléculaires développés par IFBM et commercialisé par Qualtech, quantifiant rapidement les différentes moisissures infestant les céréales, permet d'avoir :
– une nouvelle photographie de la contamination de l'orge de brasserie,
– l'évaluation de la qualité sanitaire et fonctionnelle (risque de giclage) de chaque récolte,
– la prédiction, dès la floraison, des risques de giclage de la prochaine récolte.
Tableau 1 : Résultats de l'observatoire « moisissures de champ orge de brasserie » de la récolte 2011, réalisé par PCR quantitative.
Tableau 2 : Résultats de l'observatoire « moisissures de champ orge de brasserie » de la récolte 2012, réalisé par PCR quantitative.
1 - Contexte économique
La France est leader mondial en production et exportation d'orge de brasserie (4 à 5 Mt). Nos principaux concurrents sur ce marché sont l'Australie et le Canada et depuis peu l'Argentine.
La malterie française est le cinquième producteur de malt au monde (1,5 Mt) et le premier exportateur depuis plus de 20 ans (1,2 Mt, 80 % de sa production).
Trois sociétés françaises figurent parmi les plus grands producteurs mondiaux de malt : 1er (Malteurop), 2e (Soufflet) et 5e (Axéréal). 10 % des bières fabriquées dans le monde le sont à partir de malt dont l'orge a été cultivée en France.
Le marché de la bière mondiale est à 1,9 milliard d'hl en 2012. Il a augmenté de plus de 35 % en 10 ans. Il se contracte en Europe mais est en forte progression dans les pays émergents : Asie, Amérique du Sud et Afrique, pays importateurs de malt et/ ou d'orge de brasserie. La France est positionnée sur ces marchés très concurrencés. La consommation mondiale de bière va continuer à progresser, il est prévu une augmentation de l'ordre de 2 à 3 % annuel, soit une demande supplémentaire en malt de 0,5 million de tonnes et en orge de brasserie de 0,65 million de tonnes.
De nouvelles unités de production ou des augmentations de capacité de production ont été réalisées ces dernières années sur le territoire français par les malteurs français. Cette place de leader de la malterie française est obtenue grâce à un approvisionnement d'orge de brasserie de qualité et une optimisation des procédés de fabrication. Le maintien de cette place exige le maintien de la qualité de l'approvisionnement en orge de brasserie française répondant aux attentes des industriels.
Fig. 1 : Des moisissures présentes de la floraison à la récolte.
Évolution des moisissures responsables de symptômes de fusariose des épis au cours de la végétation de l'orge de brasserie. Évaluation par PCR quantitative.
Tableau 3 : Résultats de l'observatoire « moisissures de champ orges de brasserie de printemps et d'hiver » de la récolte 2012, réalisé par PCR Quantitative
Tableau 4 : Identification des symptômes sur épi d'orge de brasserie après la floraison en utilisant la PCR quantitative.
2 - Par ailleurs, n'oublions pas les toxines T2 et HT 2, les éniatines...
Les céréales au champ, dont l'orge, sont victimes de contaminations fongiques notamment par des moisissures des genres Fusarium et Microdochium qui trouvent au champ des conditions favorables à leur croissance.
Les diverses espèces de Fusarium présentes sur céréales peuvent produire plus de cent métabolites secondaires dont certains affectent la santé humaine et animale (Sweeney et al., 1998).
Les observatoires réalisés par l'IFBM ont montré que l'orge de brasserie est contaminée par F. langsethiae. Cette espèce au profil toxique différent de celui de F. graminearum est capable de synthétiser des mycotoxines de la famille des trichothécènes de type A, les toxines T2 et HT2 (Fournier, 2010).
Concernant les toxines T2 et HT2, la commission européenne a adopté récemment une recommandation relative à leur présence dans les céréales et les produits céréaliers. Pour l'orge de brasserie, une valeur de surveillance a été fixée à 200 ppb (Borg, 2013).
Mais les derniers observatoires réalisés par IFBM ont montré une évolution de la contamination de l'orge de brasserie par les moisissures (Boivin, 2013). L'espèce largement prédominante sur orge de brasserie était F. tricinctum, producteur d'eniatines. L'analyse des mycotoxines des grains d'orge a montré la prédominance de ces mycotoxines.
Les éniatines sont actuellement sous surveillance par la commission européenne.
La résistance des mycotoxines aux traitements thermiques les rend problématiques dans l'industrie agroalimentaire. Les mycotoxines présentes dans les céréales ne sont pas dégradées lors des étapes thermiques.
De plus, vu les conditions favorables du maltage au développement des micro-organismes et particulièrement des moisissures, une synthèse de novo peut avoir lieu au cours de la germination.
Ceci peut conduire à la présence de mycotoxines dans le malt, puis dans la bière car ces toxines sont souvent hydrosolubles.