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Pestes en stocks, la PIPS vise les insectes

PAR FRANCIS FLEURAT-LESSARD* - Phytoma - n°666 - août 2013 - page 34

Protection contre les insectes à la 9e Conférence internationale OILB sur la protection intégrée des produits stockés (PIPS ) de Bordeaux, du 1er au 4 juillet 2013.
Tribolium roux Tribolium castaneum. Désormais, ce ravageur des grains est (de même que le charançon du riz Sitophilus oryzae) plus souvent trouvé en France que le charançon du blé S. granarius. C'est le résultat d'une enquête présentée à l'international lors de la conférence PIPS 2013. Photo : Peggy Greb, US Agric. Res. Serv.

Tribolium roux Tribolium castaneum. Désormais, ce ravageur des grains est (de même que le charançon du riz Sitophilus oryzae) plus souvent trouvé en France que le charançon du blé S. granarius. C'est le résultat d'une enquête présentée à l'international lors de la conférence PIPS 2013. Photo : Peggy Greb, US Agric. Res. Serv.

Désinsectisation d'un moulin par la chaleur au moyen d'appareils de chauffage électrique régulé, répartis à tous les étages de l'usine (Vacquer et al., 2012).      Cette technologie est employée couramment aujourd'hui en Europe Photo : Benoît Vacquer - Société Agronet - Rouen

Désinsectisation d'un moulin par la chaleur au moyen d'appareils de chauffage électrique régulé, répartis à tous les étages de l'usine (Vacquer et al., 2012). Cette technologie est employée couramment aujourd'hui en Europe Photo : Benoît Vacquer - Société Agronet - Rouen

Dans le cadre réglementaire européen du « paquet hygiène » et du « paquet pesticides », la maîtrise des risques de détérioration des denrées alimentaires par les organismes nuisibles (insectes et moisissures toxinogènes surtout) préoccupe la filière agroalimentaire.

Face à cela, la recherche appliquée sur la gestion intégrée des risques sanitaires pour les produits de longue conservation après récolte a fait l'objet de la Conférence internationale PIPS en juillet à Bordeaux. En voici le volet insectes.

24 pays à Bordeaux

Monde, la loi et la recherche

Partout dans le monde, on cherche à préserver la qualité sanitaire et hygiénique des matières premières agricoles peu hydratées donc aptes à la conservation après récolte : grains de céréales, légumineuses et oléagineux, fruits secs ou à coque, plantes séchées, aromatiques et condimentaires. On veut protéger les produits transformés dérivés et les usines agroalimentaires contre les agents biologiques dangereux pour la sécurité sanitaire.

Les évolutions réglementaires en hygiène des aliments et la restriction des usages autorisés de pesticides après récolte poussent à la recherche de solutions alternatives à la lutte chimique. II faut combiner judicieusement les moyens et outils dans une approche raisonnée et durable de la préservation de l'hygiène sanitaire et de l'innocuité des aliments. Pour contribuer à diffuser les avancées de la recherche appliquée dans ce domaine, l'unité de recherche « Mycologie et sécurité des aliments » (MycSA) de l'INRA de Bordeaux a organisé la 9e Conférence OI LB/ SRO P(1) « Protection intégrée des produits stockés » (PIPS) du 1er au 4 juillet 2013.

Six sessions pour 94 spécialistes

La conférence a rassemblé 94 participants. Issus de 24 pays, ils mènent des recherches sur les stratégies intégrées de préservation des denrées alimentaires et des usines agroalimentaires vis-à-vis des risques de détérioration de l'hygiène sanitaire des produits par les insectes nuisibles ou les moisissures. Six sessions ont couvert toutes les approches de la PIPS avec les avancées de la recherche appliquée, du laboratoire à l'échelle réelle.

Session 1 : Avancées récentes en PIPS

Grands principes et sujets pertinents

Jim Campbell, du Service de recherche agronomique (ARS ) du ministère de l'Agriculture des États-Unis (USDA), a intitulé sa revue introductive : « Avancées récentes en protection intégrée des denrées stockées et orientations actuelles des recherches intégratives en gestion intégrée de la protection contre les « pestes » de l'après-récolte ».

Il a rappelé le grand principe de la PIPS : cibler la source des problèmes avant de décider de solutions raisonnées. Celles-ci devant être satisfaisantes techniquement (sécurité sanitaire, facilité d'application) et économiquement, et durables (moins dépendantes de la lutte chimique).

Il a passé en revue les moyens et mesures de prévention et de lutte composant la PIPS en mettant l'accent sur les sujets traités ensuite lors de la conférence (Tableau 1).

Il a développé les sujets de recherche les plus pertinents aujourd'hui et tournés vers l'application pratique à partir de publications récentes et de ses propres travaux (voir le site de la conférence : https://colloque.inra.fr/iobc-ipsp-2013conference).

Session 2 : Biologie et écologie des insectes, peu de vraies nouveautés

Détection difficile, place à la PCR quantitative

Jordi Riudavets, de l'Institut de protection des denrées alimentaires de Catalogne, a évoqué les outils et systèmes utilisés pour la détection en temps réel de présence d'insectes à chaque niveau de la chaîne post-récolte :

– produits bruts (céréales, oléo-protéagineux, etc.) livrés aux entreprises de collecte-stockage ;

– usines de 1re et 2e transformations ;

– chaîne de distribution des produits finis alimentaires, de la sortie d'usine au magasin.

Les études des années 2000 visant à remplacer l'antique « filth-test » (basé sur l'extraction, fastidieuse, des fragments d'insectes et poils de rongeurs dans les farines) par des tests immuno-enzymatiques, la spectrométrie infrarouge ou les tests immunoenzymatiques n'ont pas abouti.

Elles ont laissé place à des recherches sur les marqueurs moléculaires spécifiques de régions polymorphes de l'ADN nucléaire (ITS) ou mitochondrial (COx), permettant d'identifier l'espèce ayant contaminé le produit transformé.

Les développements récents de la PCR quantitative en temps réel (plus sensible et à résultat quantitatif) ouvrent des perspectives pour caractériser la pollution des produits céréaliers par des souillures d'origine animale.

Les enquêtes montrent des évolutions

Des enquêtes récentes sur la distribution des espèces nuisibles dans les stocks de grain ou les usines de transformation ont montré :

– un net déclin d'espèces autrefois majoritaires (charançon du blé Sitophilus granarius dans le blé en France, au profit semble-t-il du charançon du riz Sitophilus oryzae et du tribolium roux Tribolium castaneum, M. P. Leblanc et F. Fleurat-Lessard) ;

– le retour d'espèces minoritaires dans les usines ou les produits dérivés (psoques agroalimentaires, Schöller et Prozell ; teigne des fruits secs Plodia interpunctella dans les produits finis, Savoldelli et al. ; charançon du riz S. oryzae dans les pâtes sèches, Locatelli et al.).

Il faut améliorer le dépistage des insectes en usines et entrepôts. Des études ont conforté l'intérêt des pièges à attractif alimentaire ou des « bio-tests » avec insectes vivants pour évaluer le niveau des populations et l'efficacité des traitements (Subramanyam et al. ; Süss et al.).

Session 3 : Substances phytochimiques et sémiochimiques, on y travaille

Revue des produits naturels : nombreux travaux, rares applications

La session 3, coprésidée par C. Regnault-Roger, professeur émérite de l'université de Pau, a été introduite par Léon A. Tapondjou, de l'université de Dschang (Cameroun). Il a passé en revue les produits naturels actifs contre les insectes et moisissures inféodés aux produits agricoles peu hydratés à conservation prolongée.

Il a montré le grand nombre de travaux sur les produits naturels bioactifs susceptibles de remplacer les pesticides conventionnels en espérant un moindre impact écologique et sanitaire et la prévention des phénomènes de résistances. Les biomolécules à activité insecticide avérée sur les espèces nuisibles aux denrées stockées sont en majorité issues de la famille végétale des Lamiaceae aromatiques (thym, sarriette, origan, sauge, romarin, lavande…)

Il a présenté les substances les plus actives ou à activité mixte antifongique et insecticide (composés terpéniques et phénoliques, alcaloïdes et amides), avec un exemple de relation entre conformation moléculaire et activité biocide des terpènes issu des travaux d'auteurs de référence (Regnault-Roger et al., 2008 ; Lee et al., 2008 ; Kim et Park, 2012).

Bio-insecticides ou répulsifs

La session a évoqué l'activité insecticide ou répulsive, sur insectes des denrées (charançon du maïs S. zeamais, bruche du haricot ou du niébé), de biomolécules seules ou associées : extrait de neem (Tofel et al.) ; pyréthrines naturelles et extrait protéique de pois sur céréales bio (Fields et al). ; extraits volatils de thym, lavande ou abricot (Guruprasad ; Nukenine et al. ; N'Domo et al.).

Confusion sexuelle

L'efficacité de la confusion sexuelle de lépidoptères (P. interpunctella et Ephestia kuehniella), à l'aide de fortes doses de phéromone sexuelle, a été testée en conditions réelles et contrôlées (Kostyukovsky et al. ; Athanassiou et al.). La stratégie a été déployée dans une rizerie et deux usines d'industrie des céréales de trois pays européens (Athanassiou et al.). Les résultats paraissent prometteurs. Mais, pour valider cette méthode « biotechnique », il manque la comparaison avec d'autres stratégies : piégeage intensif des mâles et femelles par le nouveau piège mixte à phéromone sexuelle et attractif alimentaire (Konneman et al., 2006), principe « attractand-kill » (Trematerra et Capizzi, 1991), traitements avec aérosols.

L'huile et l'argile

Une communication a évoqué la formulation d'huiles essentielles (Ocimum gratissimum, le basilic à eugénol) dans des argiles modifiées par un traitement chimique qui module la cinétique de diffusion de la charge en matière active (Nguemtchouin et al).

Nukenine et al. (2013) a comparé l'activité insecticide de l'extrait huileux de neem avec celle de la terre de diatomées. Cette dernière est la plus efficace en milieu sec sur charançon du maïs. Mais les doses efficaces, très élevées, ne conviennent qu'à de petits volumes de grain.

Piégeage

L'effet d'un piégeage intensif de S. oryzae émergeant de « formes cachées » dans une masse de grains avec deux types de pièges (en forme de tube ou de cône) et différents d'appâts (phéromone d'agrégation spécifique, attractif alimentaire, ou mélange des deux vs. sans appât) a été testé à l'échelle pilote (Fleurat-Lessard et Fuzeau a).

La dynamique de multiplication des charançons n'a pas été significativement modifiée par le piégeage de masse, quel que soit l'appât. Toutefois, l'attractif alimentaire augmente significativement le nombre d'insectes capturés par les pièges tubes (Figure 1).

Ce travail confirme que l'intérêt des pièges, avec ou sans attractif, est la surveillance de l'apparition des insectes ravageurs primaires des céréales stockées lorsque la température des stocks de grains en surface redevient favorable à leur activité.

Session 4 : Lutte corrective non-chimique contre insectes, une réelle alternative

Gaz inertes

Dans sa synthèse sur la lutte non-chimique, C. Adler, de l'institut Julius-Kühn (Centre fédéral de recherche sur les plantes cultivées), à Berlin (Allemagne), a présenté l'ensemble des méthodes et traitements d'assurance pour la désinsectisation, mis en œuvre si les mesures préventives et d'exclusion sont débordées (Tableau 1).

La désinsectisation par exposition des produits infestés aux gaz inertes en cellules, conteneurs ou citernes pressurisées étanches a fait l'objet de nombreux développements industriels.

Ainsi en Allemagne, tous les ans, 10 000 tonnes de denrées alimentaires (produits finis, épices, thés, céréales bio, fruits secs ou à coque…) reçoivent un traitement au gaz carbonique sous forte pression en installation automatisée.

Et en France ? Moins de 500 t.

La chaleur et la lutte biologique

L'exposition à des températures létales pour tous les insectes (52 - 56 °C), validée à l'échelle réelle depuis le début des années 2000 en Allemagne, est devenue une des principales alternatives à la désinsectisation totale des moulins au bromure de méthyle (interdite définitivement en Europe en 2007). Le procédé de traitement industriel des moulins par la chaleur, correspondant au « vide sanitaire annuel », développé en Allemagne, se développe dans les autres pays européens dont la France (Vacquer et al. et photo ci-contre).

La désinsectisation par la chaleur des produits eux-mêmes (dattes, céréales bio, semoule de blé dur…) a été présentée à l'oral et par affiches (Navarro et al. ; Fleurat-Lessard et Fuzeau b).

La lutte biologique est peu appliquée à la protection des denrées contre les insectes nuisibles, mais l'étude du potentiel d'insectes auxiliaires utiles contre les coléoptères ravageurs du riz (Solà Cassi et Riudavets) ou les « mites alimentaires » (Suma et al.) continue au laboratoire.

Extraits de légumineuses

Plus innovant, deux communications évoquaient les substances peptidiques de défense des légumineuses contre les insectes granivores. Ces albumines concentrées dans la graine ont une toxicité spécifique sur les charançons du genre Sitophilus, découverte initialement à l'université de Lyon-Villeurbanne (Delobel et Grenier, 1993).

Lamis Karaki et al. ont précisé la diversité génétique des albumines PA1b (pea albumin 1, sub-unit b), la relation entre structure moléculaire et toxicité en particulier pour le genre Sitophilus, ainsi que le site de fixation des albumines PA1b (au niveau de l'ATPase et des canaux ioniques de la membrane cellulaire) qui lui confère sa toxicité pour certains insectes.

La comparaison de l'activité toxique des albumines PA1b, homologues de celles du pois mais extraites d'espèces de légumineuses différentes, est l'objet d'une communication affichée originale (Mebarkia et al.). Cette molécule serait un bon candidat comme insecticide biosourcé pour protéger les stocks de céréales contre les attaques de charançons du genre Sitophilus.

Terre de diatomée

Plusieurs études sur l'efficacité de la terre de diatomées en poudre ou en suspension liquide ont précisé les limites d'utilisation de cet insecticide minéral (dioxyde de silice) agissant par abrasion de la cuticule au niveau des articulations donc déshydratant les insectes (Ciesla et Guéry ; Trdan).

Les doses efficaces ne sont pas utilisables en protection des grains par application directe (0,5 à 1 g de poudre par kg de grain). En revanche, la substance est adaptée à la sanitation des cellules vides avant chargement, ou des parois et du sol des magasins de stockage à plat. Cet usage n'est pas autorisé en France, mais courant en Allemagne, en Croatie et au Danemark depuis 2009.

Ventilation de refroidissement

Étienne Losser (Arvalis-Institut du végétal, Boigneville) a évoqué la prévention des risques de multiplication d'insectes par la ventilation de refroidissement des masses de grain après mise en silo (Binet et al.).

Le parc français des silos est bien équipé pour refroidir les grains selon le protocole par paliers à partir du chargement des cellules après la récolte. Mais l'efficacité du système dépend de la puissance de ventilation installée, de la situation géographique du site et de nombreux autres facteurs techniques ou économiques liés à l'installation elle-même. L'exposé a porté sur le développement d'un outil d'aide à la décision (OAD) permettant au responsable du stock de faire un diagnostic technique des performances de ses installations de ventilation pour améliorer l'efficacité et la rapidité du refroidissement, selon la zone géographique (Figure 2).

Bio-insecticides

Une communication affichée a comparé l'efficacité des insecticides de contact autorisés pour désinsectiser les stocks de céréales en France avec d'autres substances autorisées dans d'autres pays (USA, Australie, Allemagne) ou candidates à l'autorisation (ex. spinosad) (Fleurat-Lessard et al.).

Elle confirme que les insecticides de synthèse actuels sont très efficaces sur les ravageurs majeurs des stocks de céréales : S. oryzae et Rhyzopertha dominica (capucin des grains).

Parmi les insecticides d'origine naturelle, les pyréthrines n'offrent une efficacité satisfaisante et durable que si elles sont synergisées par le butoxyde de pipéronyl (pbo). Or ce n'est plus accepté en « bio » en France. L'huile de neem, la terre de diatomées et le bicarbonate de soude additionné au gel de silice ne sont pas assez actifs. Seul le spinosad a un réel potentiel contre R. dominica. Il peut contrôler le charançon à long terme s'il est associé à une faible dose d'organo-phosphoré.

Session 5 : Lutte chimique compatible, ultime recours encore très présent

Intégrer trois dimensions

La 1re revue introductive de la session 5, par F. H. Arthur, de l'ARS de l'USDA, a présenté les moyens chimiques de lutte contre les insectes nuisibles dans la chaîne agroalimentaire post-récolte de façon originale.

Il s'agissait d'une « réflexion prospective » (« think talk ») incluant les dimensions sociales, économiques et réglementaires sans lesquelles la lutte chimique n'a pas sa place dans un programme de protection intégrée, a fortiori pour les filières « bio » (« organic food »).

Quand traiter ? L'échantillonnage contesté

Au silo, la première question est de savoir quand traiter le grain. La détection de la présence d'insectes, qui déclenchera la décision de traiter, dépend de la précision des méthodes et outils de détection des insectes présents dans la masse des grains stockés. Selon F. Arthur, l'échantillonnage n'est ni une bonne méthode d'alerte d'infestation latente, ni un bon critère de décision pour déclencher les traitements !

La précision est meilleure avec les pièges sondes et les actographes électroniques ou acoustiques. Leur usage devrait s'intensifier pour prévoir la présence d'insectes actifs dans les stocks aussitôt que possible, puis pour valider l'efficacité des traitements.

Aux États-Unis, un échantillonnage manuel des stocks coûte environ la moitié du prix d'un traitement complet par fumigation à la phosphine (PH3). Aussi, les responsables des stocks de grain pratiquent souvent des traitements préventifs d'assurance.

Traiter, les limites constatées

Or, la fumigation répétée en « prévention » avec des générateurs solides classiques a entraîné l'apparition de résistances à la phosphine chez de nombreuses espèces granivores (charançons, capucins, silvains, Cryptolestes spp., Tribolium spp.) partout où son usage a été généralisé (Australie, Inde, États-Unis, Argentine, Brésil…).

Les insecticides de contact, à durée de protection pas toujours jugée suffisante, devraient être associés avec des systèmes de ventilation de refroidissement à l'air ambiant dans les zones bénéficiant de fraîcheur ou de froid plusieurs mois de l'année (Canada, nord des États-Unis, Europe du nord et de l'ouest, Pays de l'Est, Russie, Asie centrale, Chine…).

Certaines substances entomotoxiques à faible toxicité (méthoprène, spinosad, terre de diatomées) ont été autorisées notamment en Australie et aux États-Unis, de préférence associées à des insecticides classiques pour élargir leur spectre d'efficacité ou améliorer la vitesse d'effet toxique.

Remplacer le bromure de méthyle et le dichlorvos

Vu l'interdiction du bromure de méthyle et du dichlorvos en usines de transformation des produits secs dans l'UE(2), la recherche de solutions alternatives est très active depuis près de quinze ans. Ses produits, arrivés au stade du développement et de la validation à l'échelle industrielle, exigent des tests en situation réelle. Mais il est souvent difficile d'installer des insectes sur des lieux de traitement pour tester les nouveautés. Il faut alors simuler la situation.

L'exemple type est celui des tests de résistance d'emballages à la pénétration d'insectes, ou des propriétés répulsives de biomolécules à faible risque incorporées aux emballages : on les réalise en laboratoire.

Autre exemple, le fluorure de sulfuryle, fumigant amené à remplacer le bromure de méthyle dans les moulins, n'est pas très efficace sur les œufs de Tribolium spp. Des modèles prédictifs de reconstitution des populations de l'insecte à partir des survivants d'une fumigation permettront de mieux gérer la fréquence de ce gazage pour contrecarrer le « rebond » des populations.

Résistances et autres limites

Une autre préoccupation est la gestion des espèces résistantes aux pesticides, notamment la recrudescence des psoques et dermestes des grains en climat tempéré ou méditerranéen.

Les principales limites de la lutte chimique appelant de nouvelles recherches sont, par ordre d'importance décroissante :

1/ L'apparition de résistances de plus en plus précoces ;

2/ Le peu de travaux sur de nouvelles substances actives adaptées aux contraintes de la protection des denrées post-récolte dans les multinationales de la phytopharmacie ;

3/ La difficulté à transposer « sur le terrain » les programmes de protection intégrée, vu le peu d'intérêt des professionnels de l'agroalimentaire pour les systèmes d'aide à la décision malgré les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour les usages « à la carte ».

Comparaison France/Allemagne

La 2e communication introductive a été présentée par trois auteurs (P. Ducom et Ch. Reichmuth, experts indépendants, et E. Frérot, ingénieure à la Fédération du négoce agricole à Paris). Elle compare les stratégies de protection intégrée des grains stockés en Allemagne et en France, puis analyse les freins à l'usage de la fumigation de désinsectisation en silos.

Ch. Reichmuth a rappelé l'importance de la fumigation en PIPS partout en Europe sauf en France.

En Allemagne, la phosphine est utilisable dans de multiples formulations, conditionnée en bouteilles de gaz pressurisé ou générée par des appareillages plus ou moins automatisés permettant d'obtenir la désinsectisation complète en un temps limité. Il y a des restrictions sur les usages d'insecticides de contact : un seul traitement par an, trois molécules autorisées.

En France, 5 molécules insecticides de contact sont autorisées en traitement des grains, sans limite de nombre d'applications autre que le respect de la LMR de chaque substance. Pour le gazage au PH3, seule la fumigation avec générateurs solides est autorisée. Avec un système de recirculation du gaz en circuit fermé, le gazage de désinsectisation totale des grains en silos exige plusieurs jours, voire deux ou trois semaines d'immobilisation pour les stocks à basse température.

Freins identifiés et classés

Une enquête auprès de 85 responsables d'entreprises de collecte-stockage de céréales en France a permis d'identifier et classer les principaux freins à l'usage de la phosphine en France :

1/ Difficulté d'étanchement des structures de stockage pour une fumigation économique et sûre ;

2/ Danger vis-à-vis du personnel du silo ;

3/ Coût élevé de la fumigation (prestataire agréé obligatoire) ;

4/ Manque de personnel formé à la technique ;

5/ Traitement avec les insecticides de contact suffisant contre les insectes. Les avantages des insecticides de contact, selon les responsables de silos français, sont le coût peu élevé et la rémanence d'activité qui peut atteindre 6 mois après traitement.

Situations particulières

La session a aussi abordé des études sur la désinsectisation des oléagineux par gazage à la phosphine et la vitesse de désorption des résidus de phosphine pour atteindre la LMR (Dauguet). Les doses de gaz minimisant l'adsorption dans l'amande du tournesol, mais efficaces pour l'éradication des insectes adultes, ont été précisées.

Des systèmes de génération rapide de la phosphine permettant de diminuer la durée des opérations de fumigation et de limiter les risques d'apparition de résistances ont vu le jour dans divers pays : Russie (Tikhonova et Malushkov), Israël (Kostyukovsky et al.) et Inde (Asher). Ces systèmes permettent de réduire la durée d'exposition létale pour les insectes à moins de 3 j et de fumiger des contenants de volumes divers (silos, wagons à céréales...).

Ed. Bonjour (université de l'Oklahoma à Stillwater, USA) a présenté l'aménagement des structures avec systèmes de recirculation du gaz en circuit fermé. Il a détaillé la réalisation pratique, avec des données précises sur l'amélioration de l'efficacité, l'économie de gaz et la diminution des coûts.

Pourquoi certains œufs sont moins sensibles

G. Opit, du département d'entomologie de l'université de l'Oklahoma (États-Unis) a présenté une étude académique pour comprendre la très grande variabilité de sensibilité des œufs d'insectes à certains fumigants comme le fluorure de sulfuryle. Il a étudié les micropyles et aéropyles permettant aux œufs des insectes des fruits secs ou à coque (Carpophilus sp., Lasioderma sp., Ephestia sp., Amyelois sp.) de respirer. Bilan : les œufs de coléoptères, qui résistent aux gaz, ont très peu de structures permettant les échanges respiratoires, comparés à ceux de lépidoptères.

Insecticide semi-synthétique

Un nouvel insecticide de contact issu de la biotechnologie a été testé en traitement des structures : le spinetoram, substance « semi-synthétique » (famille des spinozynes comme le spinosad). Selon A. Isikber (université de Kahramanmaras, Turquie), la molécule est active contre la bruche du haricot si on l'applique en traitement des matériaux (béton, céramique, parquet mélaminé) sur lesquels l'insecte se déplace dans les lieux d'entreposage ou de conditionnement de légumes secs.

D'autres communications portaient sur la rationalisation des usages d'insecticides de contact pour traiter les locaux vides afin d'améliorer la sanitation préventive, pilier de la PIPS (Flingelli, deltamethrine et spinosad ; Subramanyam, pyréthinoïdes et chlorpyriphos-méthyl).

Session 6 : OAD et stratégies associatives de la PIPS, disponibles mais…

Les OAD (outils d'aide à la décision) existent…

En ouverture de la session 6, P. Trematerra, de l'université de Molise à Campobasso (Italie), a présenté l'état de l'art sur les outils d'aide à la décision dans les programmes pratiques de PIPS.

Il a passé en revue les bénéfices et limites des OAD les plus utilisés (pièges d'alerte, sondes à prélèvements, capteurs intelligents) pour décider de mesures préventives ou correctives, ou encore d'aménagements de locaux. Parmi les mesures et procédés d'alerte de présence anormale ou de suivi des densités de population des insectes dans les produits ou locaux, les plus performants sont :

a/ divers matériels de capture des stades mobiles, tels les pièges à phéromone pour les lépidoptères Phycitinae (pyrales des amandes et des fruits secs, mite de la farine) ;

b/ les nouveaux programmes de représentation 2D ou 3D de la distribution des insectes en usine à étages (Semeao et al., 2013) ;

c/ les systèmes informatisés d'évaluation des risques de multiplication des populations basés sur des variables climatiques (température et humidité relative) et l'identification précise des espèces présentes (+ application sur téléphone mobile ou tablette) ;

d/ les analyseurs rapides destinés à recueillir des indicateurs pertinents de risque de détérioration des produits (ex. : capteurs-enregistreurs miniaturisés de dégagement de CO2 par les grains en voie d'échauffement ; sondes électroniques de quantification de l'activité des insectes dans le grain ; détermination du % de grains endommagés ou moisis par les trieurs optiques sur échantillon).

Ces nouvelles technologies ou approches de la prévision la plus précoce possible des risques sont à la base de la PIPS de 2e génération et ses progrès des dix dernières années.

Les programmes aussi, mais…

L'autre volet important de la PIPS est celui de l'élaboration de programmes pratiques combinant harmonieusement les diverses approches des luttes préventive et corrective pour des solutions efficaces et adaptées à chaque situation particulière.

Parmi les alternatives dont le développement est le plus rapide, il y a la désinfestation des moulins par la chaleur (plus récente dans l'UE qu'en Amérique du Nord), l'application des propriétés antifongiques et insecticides de composés bioactifs d'huiles essentielles, l'usage de répulsifs et les stratégies « pushpull » synchronisant répulsion et attraction des insectes (Cook et al., 2007).

Les systèmes d'aide à la décision et les systèmes experts pourraient bénéficier aujourd'hui de ces nouvelles technologies, mais peu de professionnels semblent s'y intéresser. Selon l'auteur, le potentiel de ces aides, qui augmentent la précision et l'efficacité de la PIPS, est peu connu, suscite peu d'intérêt et peine à trouver des ressources pour un développement à grande échelle. Il faudrait des politiques d'accompagnement plus incitatives.

Enquête sur les pratiques

L'exposé suivant a présenté une enquête sur l'application pratique des principes de protection des grains stockés contre les insectes au niveau des entreprises de collecte/stockage des céréales en France. Cette analyse technico-économique a été réalisée en 2012 par Coop de France et la Fédération du négoce agricole, auprès de 14 centres de stockage de céréales avec des itinéraires techniques de PI différents. Elle a comparé le coût des stratégies de lutte contre les insectes en silo et leur efficacité.

Sept stratégies différentes ont été identifiées avec pour chacune deux silos enquêtés.

Un 1er groupe est axé sur la prévention : ventilation de refroidissement et sanitation des cellules et locaux vides.

Un 2e groupe a une approche plus « curative » : traitement insecticide du grain en entrée et/ou durant la conservation ou lors du déstockage.

Deux groupes ont des stratégies mixtes (mesures préventives + traitement des grains) : silos verticaux et stockage « à plat ».

La présence d'insectes en fin de conservation a été notée dans 4 silos sur 14. Les pertes associées à cette présence dans les livraisons vont de 0,4 à 8 % de la valeur marchande des lots de blé, mais sont en général inférieures ou égales à 2 %. Dans ce contexte français, la stratégie la plus économique utilise des insecticides de contact à longue persistance.

Enquête sur les insectes

M.-P. Leblanc et F. Fleurat-Lessard ont présenté les résultats des deux enquêtes nationales sur la présence d'insectes dans les stocks de blé en fin des campagnes 2010 et 2011.

La relation entre cette présence, le type de structure de stockage et les mesures préventives et de traitement insecticide du grain a souligné les situations et conduites de la PI présentant le plus de risque d'infestation en fin de stockage (Decoin et al., 2012).

<p>(1) Organisation internationale de lutte biologique et intégrée. Sa Section régionale ouest paléarctique (SROP) a son siège à l'École polytechnique de Zurich (Suisse).</p> <p>(2) Ils sont encore autorisés pour des usages spéciaux en Amérique du Nord !</p>

Tableau 1 : Approches et procédés en protection intégrée des denrées stockées (PIPS) et recherches actuelles sur la gestion des « pestes » en industries des céréales (d'après les présentations de J. Campbell, J. Riudavets, L. A. Tapondjou, F. H. Arthur, C. Reichmuth, C. Adler and P. Trematerra).

Fig. 1 : Pièges dans les silos

Nombre de captures de S. oryzae dans des pièges de formes différentes :

- cône (en jaune)

- tube (en vert), et selon le type d'appât contenu :

- attractif alimentaire,

- phéromone d'agrégation,

- association des deux,

- sans attractif. alimentaire.

Fig. 2 : Un OAD pour refroidir.

Zonage climatique des localisations en France où une ventilation de refroidissement efficace des stocks de céréales est plus ou moins facile (bleu) à impossible (rouge). Ex. du 1er palier de refroidissement du grain (20 °C à atteindre avant mi-août. (D'après Binet et al., 2011.)

Des centres ferment…

En clôture de conférence, C. Athanassiou a signalé la fermeture de centres de recherche au Canada (Centre de recherche AAAC sur les grains à Winnipeg), en Australie (Centre de recherches en entomologie des grains stockés à Canberra) et au Royaume-Uni (Laboratoire des produits stockés de York). D'autres ont vu leurs effectifs et activités diminuer (Centre volcani en Israël, université de Prague, INRA en France).

Les chercheurs en PIPS sont de moins en moins nombreux dans cette discipline très spécialisée et où les relais vers le développement d'innovations ne sont pas nombreux ni toujours coordonnés vers des objectifs communs.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les exigences sanitaires agroalimentaires pour les grains stockés (ni insectes ni moisissures favorisées par eux) couplées avec les évolutions réglementaires (restrictions des insecticides de contact et fumigants) poussent à la recherche en protection intégrée avec développement de moyens alternatifs.

CONFERENCE - La 9e Conférence « Protection intégrée des denrées stockées » de l'OILB- SROP, était organisée par l'INRA à Bordeaux, du 1er au 4 juillet 2013.

La 1re session a fait la synthèse des avancées de la recherche appliquée dans ce domaine.

La 2e a traité des quelques avancées en biologie et écologie : perspectives de la PCR quantitative pour la détection/identification/ quantification, et évolutions de distribution des espèces.

La 3e présentait les travaux, nombreux, sur les substances alternatives (naturelles) préventives phytochimiques et semiochimiques : insecticides, répulsifs, attractifs (piégeage et confusion sexuelle).

La 4e traitait de moyens alternatifs curatifs : substances naturelles, gaz inertes (CO2) mais aussi procédés physiques (chaleur, ventilation de refroidissement).

La 5e évoquait les moyens de lutte chimique encore utilisés : insecticides de contact, phosphine (PH3) et ceux en développement, avec les problématiques de leur intégration dans la PIPS, différentes selon les pays.

La 6e traitait de stratégies de PIPS, avec l'utilisation d'OAD, la réalisation de programmes et les enquêtes sur les pratiques de terrain.

MOTS-CLÉS - Qualité sanitaire des grains, recherche appliquée, PIPS protection intégrée des produits stockés, insectes, biologie, détection, substances naturelles, moyens physiques, insecticides, gazage, OAD outils d'aide à la décision, OILB Organisation internationale de lutte biologique et intégrée.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *F. FLEURAT-LESSARD, INRA, UR MycSA, 71 av. Édouard-Bourlaux, CS 20032, 33882 Villenave-d'Ornon cedex

CONTACT : francis.fleurat-lessard@bordeaux.inra.fr

LIEN UTILE : https://colloque.inra.fr/iobc-ipsp-2013conference

BIBLIOGRAPHIE : - Les résumés des communications (auteurs mentionnés sans indication de date) sont sur le site de la conférence (lien ci-dessus).

- Les 12 références datées sont disponibles, avec la version intégrale de l'article, auprès de l'auteur.

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