Couvert monospécifique de tilleuls. Marronniers, platanes et tilleuls représentent 80 % des arbres urbains. Diversifier les essences à la plantation ou replantation peut être bénéfique. Photo : M. Decoin
Nichoir à mésanges : il vise à favoriser cet oiseau auxiliaire (ci-contre, ses œufs). C'est contre la processionnaire du pin. Photos : J.-C. Martin
Pose d'un piège à phéromone en Lorraine pour détecter la processionnaire du chêne. Photo : J.-C. Martin
Dans le cadre de la réduction de l'usage des pesticides chimiques pour la protection phytosanitaire, les solutions dites de biocontrôle et de protection biologique intégrée (PBI) intéressent de plus en plus les responsables de l'entretien des zones non agricoles (ZNA).
Mais de quoi s'agit-il ? Concrètement, quels outils sont disponibles ? Voici des réponses, extraites d'une communication à la 3e conférence sur l'entretien des ZNA organisée par l'afpp en ce mois d'octobre 2013.
Mesures prophylactiques et aménagement paysager
Gestion quotidienne et conception en amont
S'agissant du biocontrôle, on sait que le premier levier d'actions est d'obtenir la meilleure vigueur des végétaux et prévenir l'occurrence et le développement d'organismes nuisibles sur ces végétaux.
Cet aspect est souvent négligé. Pourtant, il est essentiel et intègre pleinement le principe de la protection biologique intégrée. Les mesures préventives concernent la gestion quotidienne des espaces verts (patrimoine existant) mais aussi, en amont, la conception des aménagements paysagers.
Aménagement paysager et développement des bioagresseurs
La faible diversité des essences plantées en ZNA crée des conditions favorables aux bioagresseurs. En font les frais les platanes, tilleuls (photo ci-dessus) et marronniers (genres Platanus, Tilia et Aesculus), qui fournissent, à eux seuls, environ 80 % du patrimoine arboré urbain.
De manière générale, la diversité est bénéfique aux équilibres biologiques.
Des études ont mis en évidence que les différents habitats constitués par les plantations d'agrément présentaient un potentiel de réservoirs de biodiversité, en particulier en milieu périurbain et en bordure des villes (Clergeau P. & Blanc N., 2013).
Mesures à la parcelle : choix des végétaux
À l'échelle d'un espace vert ou d'un jardin, des mesures prophylactiques permettent d'éviter l'apparition d'organismes nuisibles, et aussi de détecter précocement les problèmes phytosanitaires. La prévention passe par plusieurs leviers.
Cela commence par le choix des végétaux. La sensibilité aux bioagresseurs pourrait être un critère de choix des végétaux à planter. On pourrait dresser une liste noire et une liste de substitution d'espèces peu sensibles. Par exemple, le marronnier rose (Aesculus x carnea) est moins sensible à la mineuse du marronnier que le blanc (A. Hippocastanum). Le tilleul tomenteux (Tilia tomentosa) est moins sensible au puceron du tilleul que le tilleul à grandes feuilles (T. Platyphyllos)… Il y a même des cultivars résistants (ex. : à la graphiose de l'orme, au chancre du cyprès, au chancre coloré du platane).
Configuration des espaces
La configuration des espaces est un facteur déterminant. Les associations végétales diminuent la pression parasitaire donc les problèmes de gestion phytosanitaire. Les distances entre végétaux jouent un rôle dans la diffusion d'organismes nuisibles et conditionnent le climat et la vigueur des plantes.
Santé des sols et des plantes
La faune et la flore telluriques jouent un rôle prépondérant dans la structure physique et chimique du sol (souvent dégradé en milieu urbain ou après une construction immobilière) et, par conséquent, sur la santé de la plante. On parle alors de « système sol-plante ».
Les micro-organismes du sol jouent un rôle fondamental dans les grands cycles biogéochimiques (azote, carbone, fer, etc.) et limitent la multiplication et l'expression des agents pathogènes. Pour simplifier, un sol microbiologiquement riche est en général plus sain et plus fertile qu'un sol aux communautés microbiennes pauvres, peu diversifiées et peu actives.
À cela s'ajoutent les invertébrés (vers de terre et fourmis notamment) qui régulent la dynamique de la matière organique et de la structure physique du sol (écoulement des eaux, mélange et assemblage des éléments, etc.).
Les effets positifs sur les végétaux résultent d'une longue coévolution entre les organismes et le sol. Les pratiques hygiénistes et la gestion intensive des plantations (travail mécanique du sol, usage d'engrais minéraux et de pesticides) limitent la biodiversité des sols. La prise en compte des besoins du sol doit se situer en amont de toute décision. Cela peut conduire par exemple à préférer la fertilisation organique ou organo-minérale raisonnée à la fertilisation minérale.
Conduite culturale et santé des végétaux
Pour éviter le développement des bioagresseurs, la conduite des végétaux doit être réfléchie et adaptée aux espèces végétales, au sol et à l'environnement. La connaissance des besoins des végétaux (en matière de sol, d'eau, d'espace, etc.) Est un préalable à toute nouvelle plantation et toute décision d'entretien.
Les opérations d'entretien (taille, élagage, binage, tonte) peuvent disséminer des bioagresseurs si des règles d'hygiène ne sont pas respectées.
De nombreux facteurs prédisposent la plante aux agressions ou favorisent le développement des populations de bioagresseurs.
Par exemple, des élagages drastiques (rabattage tête de chat) engendrent une réponse du végétal (modifications de la composition chimique de la sève, des feuilles, ex : teneur en tanins) qui influe sur la croissance des pathogènes (ex. : oïdiums) ou la fertilité des insectes piqueurs-suceurs (tigre du platane, pucerons, cochenilles…). L'irrigation par aspersion et une fertilisation excessive ou déséquilibrée peuvent favoriser des bioagresseurs. En bref, connaître les facteurs favorisants et défavorisants permet de définir les mesures préventives ou correctives pour limiter ou empêcher le développement de l'organisme nuisible.
Méthodes de suivi des populations d'organismes nuisibles
La détection et le suivi des bioagresseurs permettent de mieux évaluer les risques potentiels et de comprendre les phénomènes épidémiologiques.
Ils permettent aussi de positionner des interventions (toutes méthodes confondues) au moment le plus opportun : stade vulnérable du ravageur ou pression parasitaire encore faible. La mise en place d'un suivi épidémiologique à l'échelle parcellaire est indispensable à toute décision de stratégie de lutte, qu'elle soit biologique ou chimique. Dans ce cadre, des méthodologies d'observation et d'évaluation du risque phytosanitaire sont proposées pour les jardins et ZNA (Guérin et al. 2011 ; Derail et al., 2012) ; le gestionnaire, le conseiller ou le prestataire pourront s'approprier ces documents de référence et d'inspiration.
Favoriser l'installation de la faune utile
Des mesures peuvent favoriser le développement d'une faune auxiliaire généraliste. Elles poursuivent deux objectifs complémentaires :
– créer des conditions favorables à l'installation de la faune auxiliaire,
— favoriser des pratiques d'entretien respectueuses de cette faune et de la flore.
Le premier objectif passe par la création « d'habitats » : haies bocagères composées, bandes fleuries, nichoirs à oiseaux (ex. : mésanges contre la processionnaire du pin), gîtes et hôtels à insectes.
Par ailleurs, l'enherbement spontané peut favoriser des auxiliaires, de par la nourriture (proies phytophages, pollen et nectar) et le refuge qu'il leur offre (Orhon, 2009). Ce type de « fleurissement » peut être renforcé à différentes strates (végétation basse, grimpante et haute) pour favoriser plusieurs espèces auxiliaires selon leur capacité de déplacement.
Entretenir en respectant
Pour le second objectif, il s'agit de préserver la faune et la flore utiles en :
– supprimant ou limitant l'usage de produits phytosanitaires (biologiques et de synthèse),
– choisissant les spécialités les plus compatibles et respectueuses de l'environnement,
– fauchant tardivement les accotements routiers en juin ou septembre, la faune et la flore présentes ayant pu effectuer leur cycle (extrait du référentiel de gestion écologique des espaces verts Ecojardin).
Des inventaires de flore et faune des espaces verts de collectivités territoriales (Paris, Nantes, La Roche-sur-Yon…) ont révélé une grande richesse que les pratiques d'entretien peuvent préserver.
Le choix du végétal joue un rôle notable sur la présence d'insectes prédateurs et parasitoïdes, par la pilosité des feuilles, la source alimentaire disponible indispensable à la survie des populations en l'absence de proie (ex. : pollen pour les acariens prédateurs, les adultes d'hémérobes et de chrysopes). Ces mesures s'inscrivent dans la lutte biologique par conservation : elle consiste à préserver et favoriser la présence d'auxiliaires indigènes pour permettre la restauration d'équilibres biologiques.
Méthodes de lutte physique
Taille sanitaire
Les méthodes physiques peuvent constituer une méthode de lutte à elles seules, ou venir en compléter d'autres. Elles consistent à éliminer les sources d'infestation et les nuisances.
La coupe de branches malades de plantes ligneuses est un élément complémentaire à toute lutte. Elle peut diminuer l'impact de certaines affections phytosanitaires. Cette taille sanitaire se raisonne, comme les autres méthodes de lutte. La décision d'intervention relève souvent de l'expérience et de la connaissance des conditions locales. Il faut tenir compte de l'état physiologique de la plante.
En effet, une taille sanitaire non réfléchie peut accentuer l'affaiblissement du végétal par mutilation et suppression de réserves indispensables (ex. : amidon). De plus, si elle n'est pas réalisée avec précaution et selon de bonnes pratiques, la taille peut contribuer à disséminer des parasites et occasionner ainsi de graves incidences, à la fois sur la santé du végétal et sur le plan esthétique.
Le décapage et la glu
Les travaux de Bardoux & Petit (2006) ont montré l'intérêt d'un décapage mécanique des arbres au jet d'eau sous pression pour lutter contre la cochenille pulvinaire du marronnier Pulvinaria regalis.
Peltier et al., (2010) rapportent l'intérêt d'une glu à base d'huiles végétales, de résine de pin, de cire d'abeille et de latex pour lutter contre le papillon palmivore Paysandisia archon.
Dans le cadre d'essais de valeur pratique, la glu permet de limiter significativement la contamination de palmiers sains. Sa consistance gluante et peu esthétique reste un frein à son application en ville et en production de plantes d'ornement.
Pièges et protections physiques
L'écopiège contre la chenille processionnaire du pin, le carton alvéolé contre le carpocapse de la pomme, les filets insect-proof pour protéger les fruits et plants sensibles, les grillages contre les rongeurs ou encore l'application d'argile contre certains insectes phytophages, etc. : ces techniques peuvent intégrer des stratégies de régulation, voire constituer à elles seules la méthode de lutte, selon le contexte du site à entretenir.
Médiateurs chimiques, outils de suivi et de lutte
Des médiateurs pour attirer
La communication chimique est un des modes de communication utilisés par les insectes pour leurs fonctions de reproduction, d'alimentation et de défense. Sa découverte dans les années 1970 a conduit à la production de phéromones de synthèse et de pièges.
D'abord utilisés pour surveiller les dynamiques de population des insectes, ces outils ont été développés pour la lutte par piégeage de masse ou par confusion sexuelle.
À ce jour plusieurs modèles de pièges existent : piège entonnoir avec ou sans ailette(s), Trampa G, Mastrap, Procerex, processatrap Expert, Palmatrap, piège cosmopolite, Rhynchonex… Ils sont spécifiques (ex. : Palmatrap pour le charançon rouge du palmier) ou généralistes (piège à entonnoir).
Un très grand nombre de substances olfactives (ex. : phéromone d'alerte du tigre du platane) sont identifiées (liste sur le site pherobase, voir « Pour en savoir plus » p. 25, et dans la communication des mêmes auteurs à la 3e conférence ZNA AFPP).
Le type de piège joue aussi
Il convient de dissocier deux aspects :
– l'attraction exercée par les substances olfactives (phéromone, kairomone, synergiste, etc.),
– la capture influencée par la forme du piège. Plusieurs travaux, tels ceux de Martin et al., 2013, sur la processionnaire du pin, ont mis en évidence les différentes efficacités des couples piège/diffuseurs. À chaque couple piège/diffuseur(s) correspond une utilisation. Connaître l'efficacité de chaque combinaison permet de définir une utilisation et de choisir l'outil adapté aux besoins et aux objectifs.
Une mauvaise utilisation peut conduire à des effets indésirables :
– attirer des individus d'autres espèces (ex. : la phéromone du bombyx disparate Lymantria dispar attire des bombyx none Lymantria monacha) voire des animaux non-cibles (lézards, rongeurs, escargots, carabes, chauves-souris…),
– polluer les matières du matériel de piégeage (y compris dans les locaux de stockage),
– attirer des prédateurs (ex. : guêpes, frelons, fourmis…) ou épiphygères,
– et, pire, disséminer et multiplier des foyers de nuisibles.
Les techniques de surveillance ou de lutte s'appuyant sur les médiateurs chimiques présentent de nombreux avantages, mais aussi des limites et risques potentiels. Cela doit conduire le conseiller et l'utilisateur à une utilisation réfléchie et une grande rigueur dans la maintenance.
L'usage des médiateurs chimiques est libre pour la surveillance, mais, dans le cadre d'une lutte, il est soumis à la réglementation phytosanitaire avec autorisation de mise sur le marché (AMM) obligatoire.
En ZNA comme en agriculture, les médiateurs chimiques sont un excellent outil pour la détection précoce des menaces phytosanitaires (ex. : charançon rouge du palmier), le suivi des dynamiques de populations et le piégeage massif. Nous avons listé 54 cibles pour lesquelles des diffuseurs de phéromones présentent un intérêt pour les ZNA françaises !
Utilisations en ZNA : suivi des populations et analyse du risque
Lorsque la même méthode est utilisée chaque année (même nombre et modèles de pièges et de diffuseur de phéromone, etc.), le piégeage olfactif permet de suivre les populations et définir le risque phytosanitaire ou positionner judicieusement des traitements.
C'est le cas par exemple contre la mineuse du marronnier, la mineuse des feuilles d'agrume, le charançon rouge du palmier, la pyrale du buis ou le bombyx disparate. Ce dernier fait l'objet d'un suivi en Corse à partir de 60 pièges. Le but est d'identifier la sortie d'une phase de latence, en alternative à la méthode de dénombrement des pontes qui est insuffisante (Martin et al., 2007). L'usage de ces outils est envisageable à l'échelle d'une commune ou d'une parcelle.
Piégeage de masse en ZNA, il faut des études préalables
La pose massive de pièges olfactifs est proposée sur quelques organismes comme la processionnaire du pin, la mineuse du marronnier, le charançon rouge du palmier, etc. Elle peut permettre de réduire les populations donc leur descendance. Mais elle comporte des contraintes. Et aussi des limites.
– La phéromone ou les composés olfactifs (ex. : synergisants) doivent être performants, c'est-à-dire assez attractifs pour attirer le maximum d'adultes.
Ainsi, l'Inra a constaté lors d'une campagne de piégeage de la processionnaire du chêne en 2012 l'inefficacité de deux diffuseurs commerciaux de phéromone de l'insecte. Il faut faire des tests comparatifs d'efficacité afin d'éviter ces cas d'échecs.
– Certains insectes ont un tel taux de multiplication et une population tellement importante que les chances de rencontre mâles/femelles sont en défaveur du piège. Ainsi, le piégeage de masse contre le bombyx disparate mis en place sur 54 hectares en 2008 et 2009 au Cap Corse a permis la capture de 25 kilogrammes de papillons mâles, soit plus de vingt « sacs poubelles » de 100 litres. Malgré cela, il n'y a pas eu de réduction significative des populations par rapport aux sites témoins du même secteur : manifestement, des mâles avaient échappé aux pièges.
– À l'inverse, le piégeage de masse de la processionnaire du pin a obtenu des résultats encourageants avec réductions significatives des populations (Martin et al., 2012). La technique satisfait les gestionnaires de sites et est de plus en plus utilisée comme alternative au traitement phytosanitaire en milieu urbanisé.
– Chaque insecte cible ayant un comportement spécifique, tous les pièges commercialisés en France ne sont pas efficaces de la même façon.
Ainsi, un gros lépidoptère comme la zeuzère n'est pas attiré dans le même piège que la mineuse du marronnier. Pour la processionnaire du pin, des études comparatives ont montré de nettes différences entre pièges.
– De même, l'emplacement de pose des pièges joue sur l'efficacité de la méthode.
La confusion sexuelle : exemple de la processionnaire du pin
Une forte concentration de phéromone sexuelle diffusée sur un site empêche les mâles (en général de lépidoptères) de localiser leurs partenaires par saturation de l'air. Cette technique utilisée en vergers et vignobles ne nécessite pas de pièges. L'Inra a conduit des essais de lutte par confusion sexuelle sur la processionnaire du pin en 2004 (Martin et al., 2005). Une réduction des populations a été observée. À ce jour, aucun diffuseur de phéromone n'est autorisé sur cet insecte en France.
Macro-organismes auxiliaires pour la lutte biologique
Ce que dit la loi
Réglementairement, un macro-organisme est tout organisme autre qu'un micro-organisme tel que défini à l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 du parlement européen concernant la mise sur le marché des produits. Il s'agit par conséquent d'un insecte, acarien, ver de terre, végétal ou nématode entomopathogène, ce dernier étant bien un macro-organisme malgré des dimensions microscopiques.
Depuis le 30 janvier 2012, l'introduction sur le territoire français d'un macro-organisme exogène (non installé sur le territoire) utile aux végétaux nécessite une autorisation des ministères chargés de l'Environnement et de l'Agriculture suite à une évaluation du risque environnemental et phytosanitaire.
Retour sur la lutte biologique par conservation
Les inventaires et études en espaces urbains et les bases de données entomologiques témoignent de la diversité de l'entomofaune et du fait que cette faune locale permet de réguler efficacement les populations d'arthropodes nuisibles.
Comme déjà écrit, le maintien de la faune régulatrice par des pratiques écologiques et le choix des techniques culturales et phytosanitaires sont essentiels pour gérer les populations d'insectes nuisibles. Cette méthode de lutte biologique par conservation reste parfois la seule possible si aucun auxiliaire efficace n'est commercialisé.
On peut introduire cette faune en prélevant des populations sur des sites riches. Attention, cette discipline, relevant de l'entomologie, reste affaire de spécialiste. Elle demande à être vulgarisée pour que l'homme de terrain puisse faire le diagnostic de la richesse d'un lieu et de son potentiel.
La lutte par acclimatation
L'apport d'insectes destinés à s'installer dans l'environnement pour réguler des populations envahissantes de ravageur constitue la lutte biologique classique ou par acclimatation (ex. : lâchers de la coccinelle Rodolia cardinalis pour lutter contre la cochenille australienne Icerya purchasi).
Il existe des exemples de cette lutte biologique en ZNA ; le plus connu est celui des lâchers de Neodryinus typhlocybae contre le flatide Metcalfa pruinosa. On connaît aussi les lâchers d'Aphytis yanonensis contre la cochenille asiatique des agrumes (Unaspis yanonensis) et l'introduction de l'altise Aphthona nigriscutis contre l'euphorbe ésule (Euphorbia esula), etc.
Ces programmes exigent des recherches poussées. Des contraintes de moyens les limitent malgré leur intérêt sur des ravageurs d'importance ; ainsi les populations de cochenille du fusain Unaspis euonymi [Comstock] pourraient être régulées par Cybocephalus sp. nr. nipponicus (Alvarez et al., 1998).
Lâchers commerciaux pour les luttes par inoculation et inondation
On peut aussi apporter des auxiliaires macro-organismes (pour la plupart développés pour l'horticulture et l'arboriculture fruitière) afin de renforcer l'action de l'entomofaune autochtone, rétablir les équilibres ou lutter directement contre les populations de ravageurs (pucerons, psylles, cochenilles, aleurodes, acariens, etc.). Il s'agit des luttes par inoculation et par inondation.
Les Tableaux 1 et 2 listent les auxiliaires potentiellement disponibles dans le commerce et leurs cibles.
Plusieurs auxiliaires indigènes pourraient constituer une alternative efficace :
– coccinelle Hippodamia convergens contre le puceron de laurier rose (Aphis nerii),
– coccinelle Brumus quadripustulatus (dite aussi Exochomus quadripustulatus, espèce commercialisée) contre la cochenille pulvinaire du marronnier.
Mais leur commercialisation dépend des contraintes économiques ; de ce fait, certains auxiliaires autochtones efficaces sont indisponibles dans le commerce.
Enfin, les nématodes entomopathogènes sont une alternative contre certains ravageurs : papillon palmivore, limaces, vers blancs, tipules, charançon rouge du palmier, othiorhynques, etc.
Stimulateurs de défenses naturelles et biostimulants
Stimulateurs de défenses naturelles
On sait maintenant que la plante répond aux stress d'origine biotique ou abiotique par une cascade de signaux moléculaires tendant à renforcer sa résistance. Ces réactions aboutissent à la production de molécules toxiques pour le bioagresseur (protéines de défense et phytoalexines). Le mécanisme le plus performant en termes de coût énergétique pour la plante est la potentialisation.
Or, ces réactions peuvent être induites par des substances actives d'origine minérale ou végétale (on y reviendra) ou par des microorganismes tels Trichoderma spp, etc.
Peu de SDN sont autorisés à ce jour, a fortiori en ZNA. Il est difficile d'optimiser l'efficacité de ce genre de produit. On note une grande variabilité selon le cultivar, les doses utilisées, le stade de développement de la plante (ex. : épaisseur des feuilles), le sol, les conditions extérieures environnantes, le positionnement... Aussi la communauté technique et scientifique considère que les SDN seraient plutôt un complément d'une lutte conventionnelle ou intégrée.
À ce jour, les substances suivantes sont proposées en France : laminarine, phosphites, extrait de fenugrec, prohexadione-calcium, acibenzolar-S-méthyl.
Biostimulants
Au niveau européen, on définit un biostimulant végétal ainsi : « Un biostimulant végétal concerne un matériel contenant une ou des substances et/ou des micro-organismes dont la fonction consiste, lors de l'application sur les plantes ou la rhizosphère, à stimuler les processus naturels au bénéfice de l'absorption des éléments nutritifs, ou de l'efficacité accrue de leur utilisation, ainsi que la tolérance aux facteurs de stress abiotiques, indépendamment de leur contenu en agents nutritifs. »
Depuis quelques années, on trouve sur le marché des produits porteurs d'allégations sur l'amélioration du potentiel des plantes allant de la photosynthèse à la résistance au stress en passant par des actions fortifiantes, stimulantes, activatrices, etc. Aujourd'hui, la plupart de ces produits sont autorisés comme matières fertilisantes.
Leur diversité est grande : micro-organismes (Trichoderma spp., Glomus spp.,), substances humiques, extraits végétaux, complexes d'acides aminés, composés ou sels minéraux, composés chimiques, utilisés seuls ou en mélange.
Leurs effets vont de l'action physiologique sur le système racinaire de la plante au rôle de film protecteur contre le soleil pour limiter l'évapotranspiration. Les modes d'action, comme pour les SDN, font aujourd'hui l'objet de beaucoup d'études scientifiques pour élucider leur fonctionnement.
Dans cette catégorie, l'offre de produits commercialisés et susceptibles de rentrer dans la nouvelle réglementation est importante : composés ligno-cellulosique, filtrat d'algues actif, complexe d'acides aminés, extrait de fumier, d'acide humique et d'acide fluvique. Une autre catégorie est à base de champignons mycorhiziens (Glomus sp.) ou bien de Trichoderma, d'endomycorhizes, voire de bactérie du genre Pseudomonas, en particulier les espèces P. fluorescens et P. putida, dites communément « PGPR » « Plant Growth Promoting Rhizobacteria ».
Microorganismes
Origines, modes d'actions, usages possibles
Les micro-organismes utiles aux végétaux disponibles, pour la plupart isolés des sols, agissent soit par antagonisme direct (de l'agent protecteur sur le bioagresseur) soit à travers les réactions de défense de la plante. Trichoderma spp, Coniothyrium minitans, Pseudomonas fluorescens, P. putida et Fusarium oxysporum sont utilisés contre des pathogènes telluriques (Rhizoctonia, Pythium, Phytophothora, Sclerotinia, Fusarium oxysporum, etc.). Autre exemple : les souches hypovirulentes pour lutter contre les maladies chancreuses type chancre du châtaignier Cryphonectria parasitica.
Il existe aussi des micro-organismes entomopathogènes (virus, champignons, bactéries, protozoaires). Les plus connus sont Bacillus thuringiensis, Beauveria bassiana, Verticillium lecanii, Paecilomyces fumosoroseus, Metarhizium anisopliae et les baculovirus (virus strictement inféodés aux arthropodes). Leur efficacité dépend du pouvoir pathogène des isolats.
Ils ont été testés contre de nombreux insectes, mais les produits autorisés, encore peu nombreux, ne permettent pas de répondre à tous les besoins.
En ZNA, liste restreinte
La liste des préparations utilisables en ZNA est très (trop) restreinte. C'est renforcé par un manque de lisibilité dans le catalogue des usages des préparations autorisées en ZNA. Parmi ces préparations, celles à base de Bacillus thuringiensis sont les plus utilisées. Sérénade (Bacillus subtilis souche QST713) est disponible contre maladies diverses des cultures florales et en version « Jardins » pour les amateurs.
Flocter (B. Firmus) dispose d'une autorisation provisoire en France contre les nématodes à galles.
Le champignon Arthrobotrys oligospora agit sur ces nématodes mais aucune spécialité n'est autorisée.
De nombreux produits à base de souches de Trichoderma (viride, atroviride, harzianum, polysporum ou asperellum) sont disponibles. À notre connaissance, deux souches sont autorisées pour des usages phytopharmaceutiques en France : T. Harzianum souche T22 dans Trianum et T. atroviride souche 1237 dans Esquive (sur vigne). D'autres produits à base de souches de Trichoderma sont vendus en tant que matières fertilisantes (stimulation de vitalité) ; pourtant, sept souches de Trichoderma sont approuvées comme substances phytopharmaceutiques au niveau européen...
Plusieurs Trichoderma pourraient avoir un intérêt contre les pourridiés-armillaire, mais jusqu'à présent on n'a pas démontré leur efficacité ni proposé un mode d'application ou l'intégration dans une stratégie.
Autres PPP de biocontrôle
Explications et statut légal
Les produits de biocontrôle sont, d'une part les macro-organismes auxiliaires déjà évoqués (qui ne sont pas, légalement, des produits phytopharmaceutiques), d'autre part les préparations phytopharmaceutiques (PPP) de biocontrôle, dites à tort « biopesticides » et qui représentent :
– les micro-organismes déjà évoqués,
– les préparations inertes d'origine biologique (issues d'organismes vivants et/ou de leurs métabolites : PPPOB, produits d'origine biologique) ou minérale n'ayant pas subi de traitements chimiques,
– les médiateurs chimiques si utilisés pour la lutte.
Au plan réglementaire, les produits phytopharmaceutiques (PPP) sont définis non pas par leur nature mais par leur fonction : « produits servant à protéger les végétaux et à détruire les végétaux indésirables » (cf. Art. 2 du règlement européen 1107/2009). Répétons-le, les PPP de biocontrôle sont soumis, à ce jour, aux mêmes exigences réglementaires que tout PPP : autorisation de mise sur le marché (AMM) obligatoire pour être commercialisé ou utilisé, certiphyto obligatoire pour les personnes qui les conseillent, les vendent ou les utilisent, etc.
PPPOB, aujourd'hui d'origine végétale
Les extraits de plantes au sens large (algues comprises) sont utilisés comme produit de protection des plantes (PPP) depuis toujours. Après avoir été relayés au second plan par l'avènement de la lutte chimique, ils ont retrouvé de l'intérêt suite à la survenue de phénomènes de résistance des bioagresseurs puis aux préoccupations environnementales. Leur utilisation progresse.
Les produits de protection des plantes d'origine végétale peuvent agir de deux manières :
– en tuant le bioagresseur par toxicité (sur le système nerveux, la composition cellulaire, etc.) ou dérèglement hormonal,
– en renforçant le système de défense de la plante attaquée.
Peu de produits de ce type sont disponibles sur le marché français (Tableau 3). Ceci s'explique par les contraintes économiques liées aux demandes d'amm, et aussi par des contraintes techniques.
La formulation des produits doit être améliorée pour renforcer leur efficacité et permettre une action à moindre dose.
En effet, pour plusieurs préparations, la dose/ha nécessaire pour être efficace est trop importante pour permettre une autorisation (exigences relatives à l'écotoxicologie et à l'impact sur l'environnement), et/ou rendrait le produit trop cher pour l'utilisateur, notamment par rapport aux produits issus de la synthèse chimique.
Certaines de leurs caractéristiques peuvent présenter, selon le point de vue adopté (impact environnemental vs. Rentabilité économique), soit une force, soit une faiblesse. Leur persistance d'action, en général faible (composés volatils, photosensibles), limite leur durée d'action mais aussi l'impact sur l'environnement.
Leur spectre d'action est large, parfois similaire à certains pesticides issus de la synthèse chimique : il faut donc rester vigilant quant à leur impact sur l'entomofaune non-cible. Néanmoins, en proposant des modes d'actions différents et complémentaires aux produits chimiques, ils permettent de limiter l'apparition des résistances et de réduire l'utilisation des produits de synthèse.
Ils constituent donc une alternative intéressante aux produits chimiques dans un contexte de développement durable, en permettant de répondre aux enjeux environnementaux et de santé publique tout en maintenant un niveau de protection phytosanitaire suffisant.
Conclusion
Récapitulons l'état des lieux
Cette étude préliminaire montre l'existence de leviers d'action et d'outils permettant de répondre aux objectifs de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques issus de la synthèse chimique.
Cela va des choix en amont (aménagement, etc.) Jusqu'aux outils de lutte directe (Tableau 4). L'expérience professionnelle et les statistiques des ventes de produits phytopharmaceutiques témoignent de la faisabilité de réduire l'usage de ces derniers dans les jardins et espaces verts.
Cependant, les techniques de biocontrôle existantes ne permettent pas de répondre actuellement à toutes les situations et tous les enjeux des ZNA. Il faut donc une protection biologique intégrée faisant place à l'ensemble des outils, y compris les produits phytopharmaceutiques issus de la synthèse chimique.
À propos de réglementation
Le projet de loi visant à interdire l'usage de produits chimiques en milieu urbain :
– ne devrait pas viser tous les produits phytopharmaceutiques titulaires d'amm, car certains sont des outils de biocontrôle (Tableau 4) ; ceci à l'image du projet de loi d'avenir agricole qui dispense les produits de biocontrôle de plusieurs restrictions ;
– devrait s'appuyer sur une analyse fine des besoins en termes de gestion des risques sanitaires et des méthodes alternatives disponibles, pour chaque usage et chaque groupe d'organismes nuisibles.
Les micro-organismes outils de biocontrôle sont soumis à la même réglementation européenne que les pesticides de synthèse alors que les micro-organismes stimulateurs de croissance ou de vitalité sont soumis aux réglementations nationales, donc en France souvent homologués en tant que matière fertilisante. Or, la même souche microbienne peut à la fois promouvoir la croissance des plantes et les protéger contre les bioagresseurs. Cela introduit une distorsion juridique. Il est souhaitable qu'une réglementation adaptée soit établie.
À propos de connaissances
Par ailleurs, les techniques de biocontrôle nécessitent davantage de travaux pour optimiser leur emploi, à l'image de ceux conduits notamment sur la processionnaire du pin, le tigre du platane, la cochenille pulvinaire du marronnier, l'acarien du tilleul, etc. Il pourrait être pertinent de mieux accompagner les programmes de lutte biologique par acclimatation d'auxiliaires pour apporter des réponses durables à certains organismes nuisibles envahissants.
Il faudrait faire l'inventaire des possibilités de lutte biologique sur toutes les espèces envahissantes.
Constituer et diffuser des listes de végétaux, les uns « très sensibles aux bioagresseurs », les autres « de substitution » ou « favorables aux auxiliaires autochtones », permettrait de guider les créateurs et gestionnaires d'espaces verts.
Enfin, une expertise collective sur les principaux leviers d'action et techniques mériterait d'être conduite ; elle favoriserait l'échange, le partage des connaissances et serait la base de communications techniques indispensables au transfert vers les collectivités et entreprises.