En monoparcelle, l'efficacité est parfois insuffisante. Sur ce verger, les tournières sont intégrées. Photo : G. Sévérac
Le concept Alt'Carpo, lancé en 2005, consiste à protéger les vergers du carpocapse des pommes et poires par des filets adaptés. La technique se développe depuis 2007 en Provence, région où le ravageur est particulièrement virulent.
De 2010 à 2012, un projet scientifique piloté par l'Inra(1) a permis d'étudier le système dans sa globalité : comportement du carpocapse, effets secondaires, évaluation de la réduction des intrants, impact environnemental, durabilité... En voici quelques résultats.
Trois ans de suivi de vergers commerciaux
43 vergers dans 3 départements
L'étude s'appuie sur le suivi d'un réseau de 43 vergers. Ils sont situés dans les départements de Vaucluse, des Bouches-du-Rhône et de l'Hérault. 26 vergers étaient équipés de protections Alt'Carpo (20 en AB, agriculture biologique, et 6 en PFI, production fruitière intégrée). Les 17 autres vergers (16 en 2012) étaient non couverts (2010 : 5 en AB et 12 en PFI ; 2011 : 4 en AB et 13 en PFI ; 2012 : 6 en AB et 10 en PFI).
Dans la majorité des parcelles couvertes, soit 23 vergers sur 26, il s'agit de systèmes « monorang », avec un filet par rang d'arbres. Trois vergers seulement sont en monoparcelle (filets entourant la parcelle entière). Cet échantillonnage est représentatif des installations mises en place dans le Sud- Est. En effet, les producteurs préfèrent les protections monorang qui présentent une meilleure efficacité sur carpocapse par rapport aux monoparcelles.
Comparaison vergers, avec ou sans filet, sur trois ans
Les vergers Alt'Carpo n'ont pas reçu de protection insecticide complémentaire, hormis de rares parcelles ayant nécessité des traitements spécifiques sur d'autres ravageurs comme la mineuse, ou des monoparcelles présentant des attaques de carpocapse.
Sur les vergers non couverts, les stratégies mises en œuvre étaient de la confusion sexuelle accompagnée de traitements.
Les résultats de ces trois années d'étude ont permis d'évaluer l'impact global de la technique Alt'Carpo sur la protection du verger.
Sur ces vergers, quelle efficacité ?
Contre le carpocapse, efficacité confirmée
Concernant les dégâts de carpocapse (Figure 1, page suivante), la moyenne dans les vergers sous filet varie de 0,22 à 0,46 % de fruits piqués à la récolte selon les années.
La fréquence de vergers Alt'Carpo avec présence de carpocapse est de 38,4 % en moyenne sur les trois années (Figure 2).
Les protections Alt'Carpo monorang présentent un niveau d'efficacité élevé et constant. En revanche, en Alt'Carpo monoparcelle, les résultats sont plus hétérogènes et parfois des traitements complémentaires sont nécessaires, comme dans les vergers en confusion sexuelle. Ceci est lié à l'utilisation d'une maille plus grosse (antigrêle) sur le dessus et d'une circulation plus facile des papillons (accouplements possibles).
Remarque : en 2012, le niveau de dégâts moyen était en fait plus important que celui des années précédentes. Mais ceci était lié, non pas à une évolution globale mais à deux cas très particuliers :
– un verger AB en Alt'Carpo monoparcelle avec 70 % de dégâts à la récolte ; ils étaient dus en fait à la tordeuse orientale,
– un verger AB sans filet avec 82 % de dégâts de carpocapse à la récolte.
Les Figures 1 et 2 excluent ces deux vergers de l'analyse et montrent des résultats similaires aux années antérieures.
Contre la tordeuse orientale, seul le monorang est efficace
Sur tordeuse orientale, les protections Alt'Carpo monorang présentent une bonne efficacité, mais les systèmes Alt'Carpo monoparcelles ne sont pas ou peu efficaces.
Sur les vergers équipés de ce type de protection, en présence de ce ravageur, une lutte spécifique doit être mise en œuvre : confusion sexuelle et/ou traitements.
Un peu moins de tavelure observée sous filets monorang
Concernant la tavelure, la pression a été inégale sur les 3 années : forte en 2010, moyenne en 2011 avec des repiquages de tavelure secondaire, et absence de dégâts en 2012 liée aux conditions climatiques extrêmement sèches donc défavorables à la conservation du champignon.
Dans le réseau de parcelles, les vergers conduits en AB sont composés en partie de variétés dites « résistantes » (ex. : Juliet) ou peu sensibles à la tavelure (ex. : Akane). Ces classements correspondent à des efficacités réelles et ce choix variétal est un moyen de protection contre cette maladie.
Cibler l'analyse uniquement sur des variétés sensibles (ex. : Pink Lady, Gala) permet d'évaluer l'impact des filets. Que ce soit en fréquence ou en intensité de dégâts, on a tendance à avoir moins de tavelure sur les vergers Alt'Carpo (Figure 3 et 4).
À noter : ce sont tous des vergers monorangs, les trois vergers en monoparcelles étant implantés de variétés résistantes ou peu sensibles.
On peut donc au minimum conclure que, contrairement à ce que certains craignaient a priori, les filets monorang ne favorisent pas le développement de la tavelure. Des travaux complémentaires sont nécessaires pour confirmer et expliquer ces résultats.
Pas d'impact particulier sur certains autres bioagresseurs
Des observations ont également été faites sur les autres bioagresseurs.
Pour plusieurs, il n'y a pas d'effet notable. Ainsi, on n'observe pas d'effet du filet sur l'oïdium. En revanche, on note une fréquence moindre de cette maladie en AB qu'en PFI. Cela s'explique par le nombre important de traitements à base de soufre réalisés en production biologique.
La présence du filet n'influe pas sur la fréquence des attaques de pucerons :
– le puceron cendré et le puceron lanigère sont plus fréquents en vergers AB qu'en PFI ; l'auxiliaire parasitoïde Aphelinus mali est observé systématiquement dans tous les vergers sur lesquels on trouve le puceron lanigère,
– le puceron vert est davantage présent en PFI qu'en AB.
Contre l'acarien rouge Panonychus ulmi, observé parfois en PFI et très rarement en AB, le filet n'est pas impactant.
Sur pou de San José, on n'a pas d'effet direct du filet. En revanche, en l'absence de traitements, on observe une meilleure régulation. Il est donc peu présent sous filet.
L'absence de traitement favorise la mineuse cerclée
La majorité des vergers équipés de filets Alt'Carpo ont des feuilles minées par la mineuse cerclée Leucoptera malifoliella. En effet, le filet n'a pas d'efficacité sur ce lépidoptère de petite taille. En l'absence de traitements, il se développe sans entrave, comme sur les vergers AB sans filet. Néanmoins, ce ravageur secondaire est rarement pénalisant.
D'autres bioagresseurs freinés par les filets
Les filets Alt'Carpo ont une bonne action sur la zeuzère Zeuzera pyrina. C'est logique vu la taille importante du papillon. Les deux premières années, on observe parfois des dégâts sous filet, qui vont en diminuant. Ceci est lié à la durée du cycle de la zeuzère qui est de deux à trois ans.
Les maladies de conservation, on l'a constaté, se développent moins sous filets. Ceci est lié au rôle de protection, à la fois climatique et contre certains ravageurs, qui limite ainsi les plaies et donc les voies de pénétration dans les fruits.
Il y a d'autres effets bénéfiques : les protections Alt'Carpo limitent également les attaques de mouche méditerranéenne et sont très efficaces pour éviter les dégâts d'oiseaux.
On observe aussi moins de coup de soleil et moins de rugosité sous filet notamment en monorang.
Concernant d'autres bioagresseurs (Capua, cécidomyie des feuilles, Pseudoccocus, feu bactérien), aucun verger ne présentait d'attaques donc nous ne pouvons rien conclure.
Comprendre le mode d'action des filets pour mieux les utiliser
Trois hypothèses à évaluer, en lien avec le comportement
Au moins trois hypothèses sont avancées pour expliquer l'effet des filets sur la réduction des attaques de carpocapse : perturbation des accouplements, limitation des dépôts de pontes, limitation de la circulation des individus.
Pour évaluer chacune de ces hypothèses, des expériences comportementales ont été conduites au laboratoire et sur le terrain : marquage recapture et analyses génétiques d'apparentement entre larves afin de suivre la dynamique des femelles carpocapses sous filets et entre zones couvertes et témoins.
Au laboratoire, les papillons peuvent traverser, mais…
Les travaux au laboratoire ont mis en évidence la capacité des femelles à pondre à travers les filets lorsque le support de ponte est à proximité immédiate ; cependant leur fécondité est réduite d'environ 50 %.
Les adultes sont en mesure de sortir des filets, avec une plus grande facilité pour les mâles que pour les femelles. Mais cette évasion a toujours pour motivation la recherche de nourriture et non celle du partenaire sexuel.
Enfin, les femelles gravides sont moins mobiles que les femelles vierges.
Mille et vingt papillons marqués, lâchés, suivis...
Suivi des dégâts dans deux vergers expérimentaux
Des travaux ont été conduits sur deux parcelles expérimentales de l'Inra d'Avignon, conduites sans protection insecticide. Il s'agissait d'un verger de Gala et Granny Smith avec une modalité filets monorang comparée à un témoin, et un verger d'Ariane avec une modalité filet monoparcelle comparée à un témoin. La pression du carpocapse a ainsi été maintenue à un niveau extrêmement élevé afin de tester le système à ses limites d'efficacité.
En monorang, la protection par les filets induit une réduction importante des attaques sur les trois années d'étude.
En revanche, sous filet monoparcelle, les niveaux de population atteignent ceux des témoins après la deuxième année de notation (Figure 5).
Lâchers de mâles de carpocapse marqués, comportement confirmé
La mobilité des papillons mâles a également été étudiée sur ces vergers.
520 carpocapses mâles marqués ont été lâchés dans le verger Gala/Granny Smith avec filets monorang. Ils étaient marqués avec des fluorochromes de différentes couleurs : rouge pour ceux lâchés sous les filets, et vert pour ceux lâchés en dehors.
Puis ils ont été recapturés à l'aide de pièges à phéromones minidosés TRECE Combo-microlure (0,1 mg de codlemone + 0,1 mg d'ester de poire).
Le même protocole a été suivi sur la parcelle Ariane avec filet monoparcelle avec 240 individus. Ce sont donc 760 papillons de carpocapse qui ont été utilisés pour ce travail.
Ces essais ont confirmé l'évasion de carpocapses mâles des filets (5 à 47 % des individus recapturés). En revanche, aucun n'essaye d'y pénétrer à la recherche de partenaire sexuel. Et ceci pour les deux systèmes de filets testés, monorang comme monoparcelle.
Il y a donc bien une perturbation du comportement, en particulier concernant la circulation des individus, et, de ce fait, un effet sur les accouplements.
Tordeuse orientale, les mâles réagissent différemment
Un essai comparable a été mené sur 360 adultes mâles de tordeuse orientale dans la parcelle Ariane avec filet monoparcelle. Le comportement de cet autre lépidoptère ravageur diffère.
En effet, 19 % des individus recapturés hors des filets proviennent du compartiment sous filet et, surtout, 24 % des individus recapturés sous filet viennent de l'extérieur.
Ainsi, en monoparcelle, les entrées et sorties de cet insecte semblent très peu perturbées par la présence du filet. Ses mailles ne sont pas adaptées à cette tordeuse de petite envergure. Il convient donc de la surveiller dans les vergers en protection monoparcelle, voire de mettre en place une confusion sexuelle si elle dépasse les seuils de tolérance économiquement acceptables.
Évaluer la durabilité : les populations peuvent-elles s'adapter ?
Pourquoi se poser la question
Nous avons établi que le confinement induit par les filets perturbe le comportement du carpocapse avec un effet sur sa reproduction. Mais on sait par ailleurs que, en milieu confiné, les souches d'élevage se reproduisent. Elles se sont adaptées au confinement. Peut-il en être de même en verger ?
Pour le savoir, une étude a été conduite. Elle a consisté à évaluer si le filet pouvait induire des modifications du comportement sexuel de populations sauvages.
Quatre populations sauvages capturées en verger, comparées au laboratoire avec une souche « référence » de laboratoire
Elle a été réalisée en laboratoire sur deux populations, l'une provenant d'une parcelle monorang et l'autre monoparcelle, prélevées à l'état de larves diapausantes.
On a mesuré leur fécondité et leur taux de fertilité en milieu confiné. Ces résultats sont comparés à ceux de deux autres populations sauvages prélevées à proximité dans des vergers sans filet, ainsi qu'à ceux d'une souche de référence de laboratoire bien adaptée aux conditions confinées.
La population sous filet monoparcelle commençait à s'adapter
La fécondité en milieu confiné est significativement supérieure chez les individus prélevés sous filets monoparcelle par rapport aux autres populations sauvages (Tableau 1). Le phénomène n'est pas observé sur la population prélevée sous filets monorang.
En protection monoparcelle, pour maintenir l'efficacité de la technique, il est donc important de faire un suivi des populations et d'associer, si nécessaire, des moyens de luttes complémentaires.
Mode d'action multiple
Les modes d'action sont donc multiples : les filets perturbent la mobilité des adultes, la reproduction et les pontes.
Cependant, il existe des différences importantes entre les protections monorang et monoparcelle. Cela explique les résultats d'efficacité en vergers commerciaux (plus hétérogènes en monoparcelle). Il en va de même pour la durabilité de la méthode, potentiellement différente en monoparcelle (plus fragile) qu'en monorang.
La technique Alt'Carpo se développe maintenant dans diverses régions et aussi à l'étranger. L'intérêt sur lépidoptères est évident, dans un contexte où l'on cherche à réduire les intrants en PFI et à développer la production biologique, et néanmoins maintenir la productivité des vergers.
<p>(1) Impacts agronomiques et environnementaux d'une méthode de lutte permettant de réduire fortement l'usage des pesticides : les filets Alt'Carpo.</p>
Fig. 1 : Niveau de dégâts moyen de carpocapse, sur trois ans, pour les différentes protections et modes de production
De gauche à droite, l'année 2010 avec les vergers Alt'Carpo (en AB d'abord, PFI ensuite) puis les vergers sans filets (AB puis PFI), puis l'année 2011 de même, enfin 2012.
Fig. 2 : Fréquence du ravageur, sur trois ans, pour les différentes protections et mode de production
De gauche à droite, mêmes années et mêmes modes de protection (Alt'Carpo en AB puis PFI, et vergers sans filets ensuite) que dans la Figure 1.
Fig. 3 : Pourcentage de dégâts de tavelure sur fruits en 2010
Où l'on voit que les filets Alt'Carpo, loin de favoriser la tavelure, semblent plutôt la prévenir. C'était sur une année, donc à confirmer.
Fig. 4 : Pourcentage de vergers avec tavelure en 2011
Même tendance qu'en 2010. La tendance à la réduction sous filet perdure.
(NB : attention, donnée différente).
Fig. 5 : Efficacité des filets Alt'Carpo sous très forte pression parasitaire.
Résultats obtenus en parcelle expérimentale. Celle-ci, non traitée auparavant, a été choisie pour ses conditions extrêmes de très forte pression parasitaire. Dispositifs monorang à gauche et monoparcelle à droite.
Tableau 1 : Adaptation comportementale au filet monoparcelle
La fécondité en milieu confiné de la population sauvage prélevée sous filet monoparcelle est meilleure que celles des populations prélevées sous filet monorang, ou hors filet des mêmes parcelles.
(Lettres = classes stat. significativement différentes, test de Tukey p 0,05).