Nous rapportons ici les résultats d'une étude intensive et novatrice, complémentaire du suivi SAGIR, menée en étroite collaboration avec des agriculteurs et visant à examiner si l'utilisation de produits phytopharmaceutiques pourrait être tenue pour responsable de la mort de perdrix, en effet aigu. Bilan.
Étudier pour mieux connaître les effets non intentionnels des produits phytopharmaceutiques
L'impact direct ou indirect, à court ou long terme, de l'utilisation – entre autres – des produits de santé des plantes (produits phytopharmaceutiques ou « PPP » ) utilisés en agriculture sur la santé humaine, la faune sauvage et l'environnement dans sa globalité est devenu depuis quelques années une préoccupation sociétale majeure. Certes, le renforcement de la réglementation a abouti à la suppression des substances les plus toxiques pour l'homme ou pour l'environnement ; malgré cela, des effets impossibles à anticiper peuvent toujours survenir dans le cadre de leur utilisation in natura.
Le plan Ecophyto a pour objectif d'apporter des éléments d'action face à ces inquiétudes. Un de ses axes concerne l'acquisition de connaissances en matière d'effets non intentionnels (« ENI ») sur la faune sauvage. Or l'écotoxicologie en milieu terrestre est un champ de recherche bien moins développé qu'en milieu aquatique. En particulier, les espèces d'oiseaux et de mammifères qu'abrite la plaine de grande culture, pourtant lieu d'usage notable de PPP, sont très peu étudiées.
La perdrix grise, gibier emblème des plaines céréalières
Un travail récent a été mené sur la perdrix grise. Espèce emblématique des plaines céréalières de la moitié nord de la France (Figure 1), nichant à même le sol dans les cultures, se nourrissant de graines et de fragments végétaux de plantes cultivées et adventices ainsi que de divers invertébrés, la perdrix grise est particulièrement exposée aux PPP. Des cas d'intoxication ont été rapportés par le réseau de surveillance sanitaire de la faune sauvage en France, SAGIR(1) (voir Decors et al., 2013). Elle constitue donc un bon modèle d'étude.
Une étude intensive en collaboration avec des agriculteurs
Dans le cadre de l'étude PeGASE (Bro et al., 2013), une approche originale et complémentaire au suivi de surveillance SAGIR a été développée à vaste échelle sur deux ans. Elle a été réalisée grâce à la collaboration active d'une centaine d'agriculteurs. Plus de 500 perdrix grises ont été suivies quotidiennement par radiopistage(2) en 2010-2011, sur 12 terrains de plaine de grande culture (environ 15 000 ha). Plus de 250 cas de mortalité ont été enregistrés.
D'après les indices de terrain, la prédation est identifiée comme la principale cause de mortalité, suivie par les maladies, collisions et destructions par le machinisme agricole (récoltes). Environ 100 cadavres présentant suffisamment de matériel biologique (présence d'organes) pour être autopsiés ont fait l'objet d'une analyse de résidus.
Substances utilisées peu avant la mort : fort taux d'imprégnation des perdrix mais doses peu compatibles avec leur mort
Les substances actives épandues sur les parcelles fréquentées par les perdrix durant les 10 jours précédant leur mort ont été systématiquement recherchées (Millot et al., 2013). L'objectif était d'examiner si une intoxication pouvait avoir entraîné ou favorisé la mort des animaux.
Une imprégnation tissulaire des perdrix aux insecticides pyréthrinoïdes a été notée dans plus de 20 % des cadavres analysés. Cette forte prévalence peut s'expliquer par le large usage de ces produits et leur faible seuil de détection par les techniques analytiques utilisées. Les substances identifiées sont la cyfluthrine, la cyperméthrine et la téfluthrine. De toxicité faible à modérée, elles ont été détectées à des doses jugées, à dire d'expert, peu susceptibles d'être compatibles avec la mort des oiseaux.
Des résidus d'herbicides, le linuron et le s-metolachlor, ont été trouvés dans plusieurs cadavres, à doses là aussi jugées peu compatibles avec la mort des oiseaux vu leur degré de toxicité aiguë.
Aucun insecticide de la famille des nicotinoïdes ni fongicide de la famille des strobilurines n'a été détecté, mais il faut savoir que leur seuil de détection est plus élevé.
Substances aujourd'hui interdites
Des analyses à large spectre – sans préjuger d'une molécule en particulier – ont été conduites en parallèle. Elles ont permis de détecter des substances non recherchées a priori car interdites d'usage depuis plus ou moins longtemps : le carbofuran, des triazines et le lindane.
La persistance dans les eaux souterraines (remontées lors de l'irrigation) et les sols pourrait expliquer la détection des triazines et du lindane. Mais, pour le carbofuran, la thèse d'un usage agricole malgré l'interdiction d'utilisation est plausible. Deux perdrix ont en effet été détectées positives au carbofuran. Pour l'une d'entre elle, l'autopsie a révélé un processus aigu de mortalité non identifié et l'analyse de résidu une dose compatible avec la mort. L'hypothèse d'une intoxication est donc plausible. Dans le second cas, la concentration de produit retrouvée est compatible avec un affaiblissement de l'animal ayant pu faciliter sa mort par prédation.
Calcul du taux de mortalité des perdrix fréquentant des parcelles traitées
Un travail de statistiques descriptives a été établi parallèlement à ces analyses de résidus. Pour chaque substance épandue sur des parcelles fréquentées par des perdrix radiopistées, la proportion de perdrix mortes dans les 10 jours suivant leur exposition potentielle à la substance a été calculée. La durée de 10 jours vise à considérer des effets plutôt aigus et à court terme. La proportion calculée est nuancée par le nombre de perdrix concernées (lequel reflète, dans une certaine mesure, la fréquence d'usage). On dispose ainsi d'une liste de 183 substances et d'un taux de mortalité associé.
Les substances associées aux taux de mortalité les plus élevés sont, par ordre décroissant, l'herbicide nicosulfuron (taux de 23 %, 13 perdrix potentiellement exposées), l'insecticide alphaméthrine (20 %, 40 perdrix) et les herbicides mésotrione et cloquintocet-méthyl (respectivement 13,6 % et 22 perdrix, et 10,3 % et 68 perdrix). Pourtant ces substances sont classées faiblement toxiques pour les oiseaux d'après les DL50 issues de tests réalisés sur colin de Virginie.
En revanche, le thiaclopride, insecticide plutôt toxique pour les oiseaux, est associé à un taux de mortalité de 10,2 % (pour 49 perdrix). Des substances toxiques pour les oiseaux et largement utilisées (ex. : fongicide cyproconazole, régulateur chlormequat) sont associées à un taux de moins de 5 %.
Non conclusives en soi et fournissant un scoring différent de celui fourni par les DL50, ces données constituent une information de terrain qui vient enrichir les données disponibles concernant l'évaluation du risque.
En conclusion
Lors de cette étude complémentaire au suivi sanitaire SAGIR et sauf cas particulier, aucune mortalité des perdrix grises adultes analysées n'a été attribuée à l'usage de PPP au printemps-été. Mais les effets cocktails, les effets non mortels, l'impact de faibles doses sur la reproduction ou l'immunité, etc. restent à étudier, ainsi que les ENI à d'autres périodes de l'année, notamment à l'automne lors de semis de semences enrobées.
<p>(1) réseau SAGIR ONCFS – FNC/FDC, http://www.oncfs.gouv.fr/Reseau-SAGIR-ru105</p> <p>(2) Technique qui consiste à équiper de collier radio-émetteur des individus puis de suivre, par ce biais, leur statut vivant ou mort, ainsi que leur localisation dans l'espace. Une immobilité stricte de l'émetteur-radio pendant quelques heures entraîne un changement d'émission du signal radio, ce qui permet d'identifier la mortalité de l'animal et de retrouver son cadavre.</p>