Les quatre principales espèces de hanneton et surtout leurs larves, les vers blancs, sont des insectes connus depuis des siècles comme nuisibles aux cultures. Leurs populations avaient décliné et, avec elles, leur nuisibilité... Mais voilà le hanneton de retour.
Pourquoi se préoccuper des hannetons ?
Le retour d'un nuisible ancestral
En effet, depuis cinq ans environ, la présence de vers blancs est de nouveau couramment signalée dans les prairies vosgiennes, les pépinières lorraines ou franc-comtoises et les jardins des particuliers. Il s'agit le plus souvent de l'espèce Melolontha melolontha ou hanneton commun.
Les dégâts causés par les larves peuvent être considérables. Ainsi, en 2010, ils ont été estimés à plus de 5 millions d'euros dans le seul département des Vosges (source GDEC 88). Les plantes attaquées par les larves sont très diverses mais les dégâts toujours identiques : elles dévorent les racines des espèces herbacées ou écorcent celles des plantes ligneuses.
Ce qu'il faut savoir du hanneton commun
Avant de présenter ces travaux, il convient de rappeler le cycle de vie du hanneton commun.
Il est d'une durée de trois ans, réparti sur quatre années civiles (Figure 1).
Dans le département des Vosges, 80-90 % de la population de hannetons suit le même cycle. Ainsi, pour une année donnée, 80 à 90 % de la population sera constituée de larves de même taille ou de hannetons adultes. Les années de grand vol ou de forts dégâts ne revenant que tous les trois ans, l'année 2013 a été une année à dégâts importants en relation avec la présence de larves du deuxième et troisième stade qui sont très voraces. 2014 devrait être une année de vol d'adultes.
Nous avons donc travaillé sur la possibilité d'intervenir au niveau des larves de hanneton.
Nématodes comparés entre eux et avec un insecticide
Des vers blancs récupérés sur le terrain
Des larves de hannetons ont été récupérées mi-octobre 2011 avant qu'elles ne s'enfoncent profondément dans le sol, dans une pépinière de pleine terre infestée de vers blancs.
Ces derniers sont très fragiles à la manipulation et au dessèchement. Ils ont donc rapidement été installés dans des conteneurs de 20 litres dans un mélange de déchets verts compostés et de substrat pépinière à base de tourbe, le tout surmonté par une tranche de gazon. Chaque pot a reçu dix larves de hanneton.
L'ensemble est maintenu humide et placé sous serre pour obtenir une température du substrat d'environ 15 °C. L'humidité permet aux nématodes de se déplacer dans le substrat à la recherche des larves. En dessous de 12 °C dans le substrat, la multiplication des nématodes est ralentie.
Quatre espèces de nématodes testées
Les différents nématodes utilisés dans l'essai sont des endoparasites. Ils vont pénétrer dans les larves de hanneton par leurs orifices naturels. Ils vont ensuite se multiplier à l'intérieur de celles–ci. Et, comme les nématodes hébergent dans leur tube digestif une bactérie létale pour les vers blancs, les larves de hanneton vont mourir.
Les doses apportées correspondent à celles préconisées par les fournisseurs :
– T1-Témoin : sans apport,
– T2-Référence (produit chimique sous ADE ; finalement l'AMM n'a pas été demandée sur cet usage),
– T3-Nématode : Heterorhabditis bacteriophora à la dose de 0,05 million de nématodes dans 200 ml d'eau tiède par pot,
– T4-Nématode : Steinernema carpocapsae à la dose de 0,2 million de nématodes dans 200 ml d'eau tiède par pot,
– T5-Nématode : Steinernema kraussei à la dose de 0,2 million de nématodes dans 200 ml d'eau tiède par pot,
– T6-Nématode : Heterorhabditis megedis à la dose de 0,2 million de nématodes dans au moins 200 ml d'eau tiède par pot.
Pour chacun des six traitements, il y a trois pots renfermant chacun dix larves. Ainsi, un total de 180 larves de hanneton a été mobilisé pour cette expérience.
On compte cinq jours entre l'incorporation des larves de hannetons au substrat et l'application des nématodes.
Méthode d'observation
Pour observer les vers blancs, cinq jours ou dix-huit jours après l'apport des nématodes, la tranche de gazon est ôtée. Les pots sont renversés un à un. Les vers blancs vivants sont recherchés et comptabilisés. Les larves infestées sont différenciées par leur aspect (photo). Comme une fois mortes elles disparaissent rapidement, il est quasi impossible de trouver tous les morts.
Résultats : une espèce se détache
Une des quatre espèces de nématode a un effet au bout de cinq jours
Cinq jours après l'apport, soit le 2 novembre 2011, on note plus de 20 % de larves mortes dans le témoin. Cela montre l'effet du transfert en pot sur ces larves fragiles.
Le faible effectif testé, lié à la difficulté à se procurer des vers blancs pour l'expérimentation, ne nous a pas permis de réaliser une analyse statistique. Cependant, on constate une mortalité élevée pour le produit de référence (T2) et pour Heterorhabditis bacteriophora (T3) (Figure 2). Le nombre de larves vivantes est nettement inférieur à celui observé dans le lot témoin (T1).
De plus, une observation sous loupe binoculaire met en évidence la présence de nématodes Heterorhabditis bacteriophora (T3) dans les cadavres des vers blancs. Ainsi, dans ces conditions d'humidité et de température favorables à son développement, ce nématode a rapidement parasité les larves de hannetons, et déjà entraîné de la mortalité. En revanche, cinq jours après l'apport, les trois autres espèces de nématodes ne montrent aucune efficacité.
Tendance confirmée au bout de dix-huit jours
La tendance se confirme dix-huit jours après l'apport, soit le 15 novembre (Figure 3). On constate alors que le T3 renfermant Heterorhabditis bacteriophora a atteint le même taux de mortalité que le produit chimique de référence. Pour leur part, les trois autres espèces n'ont pas d'effet sensible.
Un nématode... et la herse rotative !
Le premier résultat ne concerne pas les nématodes : c'est la confirmation de la fragilité des larves de hanneton lorsqu'elles sont expulsées de leur profondeur et « bousculées » (manipulations répétées lors des observations).
Ce point faible du ver blanc peut être utilisé par les agriculteurs : ils peuvent limiter les populations de larves par des passages de herse rotative en été lorsque ces larves remontent dans les couches superficielles du sol. Pratique peut-être à relancer...
Par ailleurs, parmi les différents nématodes testés, seul Heterorhabditis bacteriophora a montré une réelle efficacité.
Nématodes associés avec un insecticide
Pourquoi ce deuxième essai
Nous avons voulu tester l'association de ce nématode avec un insecticide chimique à base d'imidaclopride. En effet, l'efficacité des insecticides chimiques comme celle du meilleur nématode n'est pas totale. Nous espérions pouvoir bénéficier d'un effet synergique ou au moins additif et augmenter ainsi l'efficacité globale.
Un deuxième essai a été mis en place en 2012. Nous avons comparé les performances des nématodes Heterorhabditis bacteriophora mais aussi Steinerneima carpocapsae utilisés seul ou en association avec un insecticide renfermant 5 % d'imidaclopride. Ce dernier a été appliqué à la même dose, qu'il soit seul ou associé à un nématode.
Même méthode, mais conditions plus difficiles
L'essai est conduit selon la même méthodologie que le précédent. Comme en 2011, on a introduit trente larves par modalité (six modalités au total, trois pots par modalité). Néanmoins, nous avons dû faire face à une difficulté importante, celle de la récolte des vers blancs.
Il a en effet été difficile de trouver une autre pépinière infestée procédant à des arrachages de végétaux avant la descente des larves pour se protéger du froid. L'essai a été réalisé plus tard en saison, en novembre avec des températures de consigne de 11 °C (température aérienne et non du substrat).
Intérêt d'associer insecticide et nématode H. bactériophora
Taux de mortalité et efficacité : insecticide ou nématode seul...
Les taux de mortalité sont reportés dans le Tableau 1 et la Figure 4, et les efficacités calculées dans le Tableau 2 et la Figure 5. Là encore, les larves de hanneton confirment leur fragilité, manifestée par la mortalité dans le témoin.
Tous les traitements, quelle que soit la modalité, ont des effets indécelables dans les premières semaines qui suivent le traitement (mortalités proches de celle du témoin).
Il faut attendre 21 jours pour que l'insecticide commence à agir (M4). Son efficacité est d'environ 80 % au bout de deux mois.
Le nématode Steinernema carpocapsae est inefficace dans les conditions de l'essai (températures basses) : il n'a aucun effet s'il est utilisé seul (M2).
Heterorhabditis bacteriophora, utilisé seul (M3), a une efficacité réelle au final, mais avec un temps d'action plus long que celui de l'insecticide. Ce nématode commence en effet à être efficace au bout d'un mois et demi (46 jours). Ce temps de latence est probablement dû au fait qu'avant le 28 novembre, la température était trop basse (inférieure à 12 °C) pour permettre aux nématodes d'être actifs.
Au bout de deux mois, H. bacteriophora permet de tuer 59 % de la population de larves de hanneton (comparée avec le témoin non traité).
Association nématode/insecticide
Associé à l'insecticide (M5), S. carpocapsae accélère légèrement son action mais n'augmente pas l'efficacité de l'insecticide au final. Ainsi, son couplage avec l'insecticide chimique n'a pas d'intérêt dans les conditions de l'essai (application automnale, températures basses).
En revanche, dans ces mêmes conditions (M6), H. bacteriophora non seulement accélère l'action de l'insecticide mais aussi augmente son efficacité globale : on obtient une éradication totale de la population testée. Le gain d'efficacité est de 20 points par rapport à l'insecticide seul (et 40 par rapport au nématode seul). Un effet intéressant.
Conclusion
Un des nématodes est prometteur, seul ou surtout associé à un insecticide
L'application du nématode Heterorhabditis bacteriophora dans le sol permet de limiter les populations de vers blancs. Cependant, certaines conditions comme une humidité du sol et une température supérieure à 12 °C doivent être respectées pour favoriser son développement. L'ajout d'imidaclopride permet d'augmenter l'efficacité obtenue avec les nématodes seuls.
Transfert en pépinières : combiner avec encore d'autres techniques ?
Le transfert de cette stratégie en pépinière de pleine terre reste délicat et coûteux. Néanmoins ce moyen de lutte peut aussi être associé à d'autres techniques.
Il s'agit en particulier du travail du sol sur l'interrang à la belle saison, les années intercalaires avec celles de vol, pour une destruction mécanique des vers blancs.
Le paillage du sol a aussi un intérêt pour gêner les pontes l'année du vol, s'il est en place avant le début de l'émergence des adultes.
Fig. 1 : Cycle du hanneton commun
Il dure trois ans et se déroule surtout sous terre, avec des dégâts dûs à la consommation des organes souterrains des plantes.
Essai 2011 sur l'effet de l'apport de nématodes sur les vers blancs
Fig. 2 : État des populations de vers blancs cinq jours après l'apport de nématodes
Fig. 3 : État de ces populations dix-huit jours après l'apport
T1 : témoin non traité. T2 : produit chimique de référence. T3 : H. bacteriophora. T4 : S. carpocapsae. T5 : S. kraussei. T6 : H. megidis.
Fig. 4 : Essai 2012, évolution des taux de mortalité
On voit qu'H. bacteriophora seul (M3) et l'insecticide seul (M4) ont un effet, et que le résultat s'améliore si on les associe (M6) : action plus rapide et au final plus complète.
Fig. 5 : Essai 2012, évolution de l'efficacité des produits par rapport au témoin non traité (M1, base de la comparaison)
On le voit, S. carpocapsae seul (M2) est inactif, H. bacteriophora (M3) et l'insecticide (M4) ont une efficacité partielle, S. carpocapsae apporte à l'insecticide une légère accélération de l'action (M5/M4), et H. bacteriophora accélère l'action et la complète (M6/M4).